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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 29 septembre 2022, n° 22/00264

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Denoulet (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

M. Gilles, Mme Mimiague

Avocats :

Me Mereau, Me Bessonnet

TJ Lille, du 14 déc. 2021, n° 21/00257

14 décembre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant acte authentique dressé le 1er septembre 2017 par Maître [L], notaire à Roubaix, M. [C] [G] et [T] [K], usufruitiers, et Mme [Z] [G] (nue propriétaire) ont consenti à la 'SARL Denoulet' un bail commercial portant sur un immeuble à usage d'habitation et de commerce situé [Adresse 1]. La SARL Denoulet avait acquis préalablement le fonds de commerce de boulangerie exploité dans l'immeuble.

Considérant que celui-ci était affecté de désordres, la SARL Denoulet a sollicité de son assurance la désignation d'un expert qui a établi un rapport le 17 août 2020 après une visite des lieux le 7 juillet 2020 en présence de Mme [G].

Par acte du 23 février 2021 la SARL Denoulet a fait assigner les bailleurs devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille aux fins, notamment, de solliciter leur condamnation à l'exécution de travaux et d'être autorisée à consigner les loyers.

[T] [K] est décédée le 9 mars 2021

Par ordonnance contradictoire du 14 décembre 2021 le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'exécution de travaux sous astreinte formée par la SARL Denoulet,

- débouté la SARL Denoulet de sa demande de consignation des loyers,

- débouté la SARL Denoulet de sa demande subsidiaire d'expertise,

- condamné la SARL Denoulet à payer à M. [G] et Mme [G] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- condamné la SARL Denoulet aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 17 janvier 2022, la SARL Denoulet a relevé appel de l'ensemble des chefs de cette ordonnance.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 4 février 2022 la SARL Denoulet demande à la cour, au visa des articles 834, 835 et 145 du code de procédure civile et L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, d'infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau de :

à titre principal :

- condamner les consorts [G] à remédier aux désordres actuels qui relèvent de leur responsabilité, conformément aux règles de l'art et sur préconisation du rapport d'expertise amiable et contradictoire Saretec,

- condamner les consorts [G] à entreprendre ces travaux sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et pour une durée maximale de deux mois,

- ordonner la consignation des loyers et charges sur un compte séquestre CARPA jusqu'à parfait achèvement des travaux par les consorts [G],

à titre subsidiaire :

- ordonner avant dire droit une expertise judiciaire au [Adresse 1] au contradictoire des consorts,

- désigner un expert avec pour mission, tous droits et moyens des parties étant réservés, les parties entendues, ainsi que tout sachant s'il ya lieu, connaissance prise de tous documents et en s'entourant de tous renseignements à charge d'en indiquer la source :

- de se rendre sur place après y avoir convoqué les parties,

- de se faire communiquer tous documents contractuels et techniques, plans, devis, marchés et autres, ainsi que toutes pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,

- d'examiner les ouvrages affectés de vices, désordres, malfaçons ou non-façons, non conformités contractuelles et/ou aux règles de l'art et aux documents contractuels,

- de décrire les désordres, en indiquer la nature, l'importance, la date d'apparition, en rechercher la ou les causes,

- de déterminer l'imputabilité des désordres, ceux qui relèvent de la responsabilité des preneurs, soit de l'article 606 du code civil et ceux qui relèvent de la responsabilité du bailleur,

- de dire si à son avis, les vices, désordres, malfaçons, non façons, non conformités contractuelles ou aux règles de l'art, sont de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination, dans l'immédiat ou à terme,

- de dire s'ils compromettent la solidité des éléments d'équipement faisant indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert, et/ou s'ils affectent le bon fonctionnement d'autres éléments d'équipement,

- de fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer s'il y a lieu les préjudices subis,

- d'indiquer et d'évaluer les travaux éventuellement nécessaires à la réfection des vices, désordres, malfaçons, non façons, non conformités contractuelles ou aux règles de l'art, de chiffrer, le cas échéant, le coût des remises en état et la durée probable des travaux de reprise,

- de donner son avis sur les privations éventuelles de jouissance à retenir et les préjudices subis,

-en cas d'urgence reconnue par l'expert, d'autoriser le demandeur à faire exécuter à ses frais avancés, pour le compte de qui il appartiendra, les travaux estimés indispensables par l'expert, ces travaux étant dirigés par le maître d'oeuvre du demandeur et par des entreprises qualifiées de son choix, sous le constat de bonne fin de l'expert, lequel, dans ce cas, déposera un pré-rapport précisant la nature et l'importance de ces travaux,

- fixer la consignation qui devra être déposée au greffe,

en tout état de cause :

- condamner solidairement les consorts [G] à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux entiers dépens engagés en première instance et en cause d'appel.

Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 4 mars 2022, M. et Mme [G], en leur nom personnel et venant aux droits de [T] [G], demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté la SARL Denoulet de sa demande de réalisation des travaux sous astreinte, de consignation des loyers, à tout le moins dire qu'elles sont affectées de contestations sérieuses,

- constater qu'ils forment toutes protestations et réserves sur la demande d'expertise,

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a condamné la SARL Denoulet à leur payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la débouter de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juin 2022.

MOTIFS

Alors que le premier juge a relevé que la demanderesse fondait ses prétentions indistinctement sur les articles 834 et 835 du code de procédure civile, alors qu'ils correspondaient à des situations distinctes, la SARL Denoulet précise dans ses conclusions d'appel, bien que visant les deux textes dans leur dispositif, que seules les dispositions de l'article 835 ont vocation à s'appliquer en l'espèce.

L'alinéa premier de l'article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le deuxième alinéa dispose que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le bail stipule en page 13, au paragraphe 'entretien-réparation', que :

Le locataire devra assurer, sans aucun recours contre le bailleur, l'entretien complet des biens loués de manière à ce qu'ils soient constamment maintenus dans un état de propreté.

Le locataire ne pourra rien faire ni laisser faire qui puisse détériorer les biens loués. Il devra prévenir le bailleur, sans aucun retard et par lettre recommandée avec avis de réception, sous peine d'être personnellement responsable de toute atteinte qui serait portée à la propriété, en cas de travaux, de dégradations et détériorations qui viendraient à se produire dans les biens loués et qui rendraient nécessaire l'intervention du bailleur.

Le bailleur prendra à sa charge :

- les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil réalisées dans les lieux loués ou l'immeuble dans lequel ils se trouvent,

- dès lors qu'elles relèvent des grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil : les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en accessibilité ou en conformité avec la réglementation, réalisés dans lieux loués ou l'immeuble dans lequel ils se trouvent,

- les dépenses pour travaux d'embellissement et d'amélioration qui n'excèdent pas le coût de remplacement à l'identique et qui relèvent de l'article 606 du code civil,

(...)

Le locataire prendra à sa charge :

- dès lors qu'elles ne relèvent pas des dépenses de réparation mentionnées à l'article 606 du code civil :

- celles relatives aux travaux de réfection, remise en état, réparation, même celles rendues nécessaires en raison de la vétusté, d'un vice caché, de la mise en conformité avec la réglementation, de la mise en accessibilité, que ceux-ci soient afférents aux biens loués ou à l'immeuble dans lequel ils se trouvent

- celles relatives aux travaux, installations, transformations quelle qu'en soit la nature, qui seraient imposées par les autorités administratives, la loi ou les règlements présents ou à venir, en raison de ses activités présentes ou futures,

- les dépenses pour travaux d'embellissement et d'amélioration qui excèdent le coût du remplacement à l'identique et qui relèvent de l'article 606 du code civil,

- les dépenses pour travaux d'embellissement et d'amélioration qui ne relèvent pas de l'article 606 du code civil,

- les dépenses pour travaux et réparations rendues nécessaires en raison d'un défaut d'entretien ou d'exécution de travaux incombant au locataire ou en cas de dégradation de son fait, de celui de sa clientèle ou de son personnel que ces dépenses relèvent ou pas de l'article 606 du code civil,(...)

En vertu de l'article 606 du code civil les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières, celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier et toutes les autres réparations sont d'entretien.

Le rapport d'expertise établi 17 août 2020 par l'expert de l'assurance de la SARL Denoulet (Saretec), suite à une visite des lieux en présence de Mme [G] ainsi que son assureur (Groupama Nord Est) et l'expert de celui-ci, représentés par M. [N] [R], relève neuf points de litiges dont six relatifs à la couverture de l'immeuble et fait les constatations suivantes :

- couverture de la partie arrière (litige 1) : le bailleur a fait intervenir quelqu'un qui a remplacé les tuiles par une couverture en bac acier qui, selon l'assuré, n'est pas fuyarde mais qui n'a pas été réalisée en respect des règles de l'art : solins fissurés, 'l'ouvrage réalisé ne présente pas des gages de pérennité',

- couverture et charpente de l'atelier (litige 2) : la couverture, qui est d'origine, est arrivée en fin de vie depuis de nombreuses années (pourriture des liteaux, affaissement de la couverture, défaut d'étanchéité au droit de la souche de cheminée grossièrement colmatés il y a plusieurs années avec un produit inadapté),

- infiltrations diverses dans l'atelier (litige n° 3) : elles sont 'la conséquence de l'état déplorable de la couverture' ; risque de pourriture des bois de charpente et pour l'installation électrique,

- infiltrations dans la partie attenante au laboratoire de préparation (boulangerie) (litige n° 4) : elles sont la conséquence d'infiltrations au travers des couvertures en zinc,

- couvertures en zinc (litige n° 5) : les couvertures sont 'relativement anciennes' et ont fait l'objet de réparations ponctuelles qui sont insuffisantes (décollement et rupture de bandes solines) ; les ouvrages en zinc arrivent en fin de vie,

- garage (litige n° 6) : traces d'infiltrations au travers de la couverture zinc du garage, décèlement de bandes solines (même chose que n° 5)

Il est par ailleurs fait état de problèmes concernant la fermeture d'une baie vitrée, lié selon l'expert à la piètre qualité de la menuiserie (litige n° 7), une fenêtre dans une chambre qui ne s'ouvre plus en conséquence de la piètre qualité de la menuiserie (litige n° 8) et un défaut de fonctionnement du chauffage dans le séjour remplacé par le preneur par un convecteur électrique inadapté (litige n° 9).

Les divers constats établis par huissier de justice à la demande du preneur confirment l'existence de désordres liés à des problèmes d'étanchéité des toitures, ainsi que sur les menuiseries (constat du 25 octobre 2019).

L'expert mentionne dans son rapport que le propriétaire s'est engagé à refaire la couverture de l'atelier et allait intervenir sur les couvertures zinc ; dans un courriel non daté (en réponse à un message daté du 20 octobre 2020) Mme [G] a indiqué que 'les travaux de toiture et plate-forme seront exécutés par nos soins et tout sera réalisé pour que l'étanchéité soit totale' ; les pièces versées aux débats montrent que certains travaux ont été effectués au cours de l'année 2021(sans qu'il soit néanmoins possible de les déterminer de manière précise), qui n'ont toutefois pas été achevés, les intimés expliquant d'ailleurs que ces travaux ont été interrompus du fait de l'opposition de la SARL Denoulet qui lui imposerait des périodes de travaux.

Les échanges de courriers électroniques versés aux débats par les intimés montrent qu'ils ont pu rencontrer des difficultés pour réaliser les travaux compte tenu des exigences des occupants quant aux périodes d'intervention (uniquement les jours d'ouverture du magasin) mais il n'apparaît pas pour autant qu'ils aient fait obstruction à toute intervention.

Les intimées relèvent qu'ils n'ont pas été informés, conformément à ce que prévoit le bail, des désordres constatés dans la cave en juillet 2015 (infiltrations constatées par le procès-verbal de constat du 15 juillet 2021) mais la demande de travaux ne concerne pas la cave qui n'est pas concernée par l'expertise.

Il résulte de ces éléments l'existence d'un trouble manifestement illicite constitué par la violation par le preneur des ses obligations fixées par le bail concernant les travaux de couverture (litiges 1 à 6) et de menuiseries (litiges 7 et 8) relevant de l'article 606.

En revanche, il ne peut être retenu de violation manifestement illicite s'agissant des travaux de chauffage (litige 9) qui ne relèvent pas de l'article 606 et, l'existence de l'obligation du bailleur sur ce point est sérieusement contestable au regard de la répartition des charges d'entretien et de réparation telle que prévue dans le bail de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de l'appelante s'agissant des travaux de chauffage, sur le fondement de l'alinéa 1 ou de l'alinéa 2 de l'article 835.

Il convient dès lors d'ordonner aux bailleurs de faire réaliser les travaux de remise en état de la couverture de la partie arrière (litige 1), de la couverture et de la charpente de l'atelier (litiges 2 et 3), de remplacement des couvertures en zinc (litiges n° 4, 5 et 6) et de réparation des menuiseries (litiges 7 et 8) et il convient de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant des travaux de chauffage.

Il y a lieu d'assortir la condamnation d'une astreinte, dans les conditions fixées au dispositif du présent arrêt, afin d'assurer son exécution.

Le jugement sera infirmé en conséquence.

Compte tenu de l'astreinte ainsi prononcée et alors qu'il n'est pas fait état de troubles empêchant l'exploitation ou l'occupation les lieux, il n'y a pas lieu d'ordonner la consignation des loyers et charges.

Il convient par ailleurs de rejeter la demande subsidiaire d'expertise concernant les travaux de chauffage dès lors qu'ils n'entrent manifestement pas dans les obligations du bailleur de sorte qu'il n'y a pas de motif légitime pour ordonner une telle mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Le sens de l'arrêt conduit, d'une part, à infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SARL Denoulet au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, et, d'autre part, à mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge des intimés ; l'équité commande par ailleurs de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la SARL Denoulet de sa demande de consignation des loyers et de sa demande subsidiaire d'expertise ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Ordonne à M. [C] [G] et Mme [Z] [G] de réaliser sur l'immeuble donné à bail à la SARL Denoulet, situé [Adresse 1], les travaux suivants :

- remise en état de la couverture de la partie arrière (litige 1 du rapport d'expertise Saretec du 17 août 2020),

- remise en état de la couverture et de la charpente de l'atelier (litiges 2 et 3),

- remplacement des couvertures en zinc (litiges n° 4, 5 et 6),

- réparation de la fermeture de la baie vitrée fermant le dégagement arrière entre le garage et le laboratoire (litige 7) et de la fenêtre de la chambre d'enfant située au premier étage (litige n° 8)

et ce, dans un délai de trois mois courant à compter de la signification du présent arrêt et, à l'issue de ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant soixante jours ;

Dit que le preneur devra permettre l'accès à l'immeuble pour la réalisation des travaux tous les jours ouvrables entre 8 heures et 19 heures ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes relatives aux travaux relevant du litige n° 9 décrit dans le rapport d'expertise de Saretec en date du 17 août 2020 ;

Condamne in solidum M. [C] [G] et Mme [Z] [G] aux dépens de première instance et d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.