Cass. 3e civ., 28 septembre 2022, n° 21-20.294
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Aldigé
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 mai 2021), le 19 mai 2004, la société civile immobilière Geste (la bailleresse) a consenti un bail portant sur un local commercial avec pour destination l'entretien de véhicules et toute « activité qui en serait la conséquence ou la suite directe notamment le changement de pneumatiques » à une société, aux droits de laquelle est venue la société Jaes entreprise (la locataire).
2. La bailleresse a assigné la locataire en libération d'un espace, situé à l'extérieur du bâtiment loué, utilisé pour le stockage de pneus et en paiement d'une indemnité d'occupation et d'arriérés de charges.
3. A titre reconventionnel, la locataire a demandé le remboursement de charges locatives indûment acquittées.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en libération de l'espace extérieur du bâtiment loué et en paiement d'une indemnité d'occupation, alors :
« 1°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la SCI Geste soutenait dans ses conclusions d'appel que le bail conclu le 19 mai 2004 ne pouvait pas avoir porté sur l'espace grillagé situé à l'arrière du bâtiment puisque, comme elle le prouvait, à l'époque de la conclusion du bail, elle n'était pas même propriétaire de cette espace, en sorte que les parties n'avaient pu l'inclure dans le champ du bail, cet espace ne pouvant dès lors constituer une dépendance ou un accessoire quelconque de la chose louée ; qu'en ne répondant pas à ce moyen excluant tout droit du preneur sur l'espace litigieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, l'exposante avait produit et régulièrement communiqué en cause d'appel une attestation émanant du gérant de la première société locataire, la société Delko, dont il résultait que le bail conclu le 19 mai 2004 ne portait pas, lors de sa conclusion, sur le local litigieux situé à l'extérieur et ayant par la suite été utilisé pour l'entreposage des pneus usagés, dès lors que les pneus usagés se trouvaient alors « stockés à l'intérieur des locaux loués » ; qu'en affirmant péremptoirement que « cette aire de stockage existait dès l'origine et conserve le même usage depuis le premier locataire », sans même avoir examiné l'attestation produite en cause d'appel qui établissait le contraire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
6. Pour retenir que l'espace utilisé par la locataire pour stocker les pneus situé à l'extérieur du bâtiment loué rentre dans le périmètre du bail commercial, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que si l'objet du bail est un local au sein d'un bâtiment, les dépendances sont évoquées et que l'aire de stockage existait dès l'origine et conserve le même usage depuis le premier locataire.
7. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la bailleresse qui soutenait que le bail conclu le 19 mai 2004 ne pouvait pas porter sur cet espace dont elle n'était alors pas propriétaire, et sans procéder à une analyse, même sommaire, de l'attestation du premier locataire relatant l'absence d'aire de stockage lors de la conclusion du bail, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
8. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en condamnation de la locataire au paiement d'une certaine somme au titre du solde des taxes foncières et de la condamner à rembourser les taxes foncières à la locataire, alors « que le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, il résultait de l'article 4.6 du contrat de bail commercial, intitulé « Contributions impôts-taxes », que « le preneur s'engage à payer ses contributions personnelles, mobilières, taxe professionnelle et autres de toute nature le concernant particulièrement ou relative à son commerce, auxquelles les locataires sont ou pourront être assujettis, la taxe de balayage, l'impôt foncier, toutes nouvelles contributions, taxes municipales ou autres (?) et de rembourser au bailleur sur simple requête de sa part les sommes avancées par lui à ce sujet », ce dont il se déduisait clairement et précisément que le preneur était débiteur de la taxe foncière par l'effet du bail ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a dénaturé le contrat de bail, violant ainsi l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et le principe précité. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
9. Pour rejeter la demande de la bailleresse en paiement des taxes foncières et la condamner à rembourser les sommes versées par la locataire à ce titre, l'arrêt retient, par motifs expressément adoptés, que le bail commercial ne mentionne pas explicitement le remboursement au propriétaire de cette taxe particulière.
10. En statuant ainsi, alors que le bail mettait expressément à la charge du locataire l'impôt foncier, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
11. La bailleresse fait grief à l'arrêt de la condamner à rembourser à la locataire l'excédent de charges locatives annuelles excédant la somme de 1 300 euros par an hors taxes de 2013 à 2016, alors « que le juge doit respecter la loi des parties ; que l'article 5.3 du bail stipule que « les charges annuelles de copropriété comprenant l'éclairage extérieur et l'entretien des espaces communs n'excéderont pas 1 300 euros HT par an » ; qu'en jugeant que ce plafond s'appliquait à l'ensemble des charges locatives, et non aux seules charges qualifiées par le bail de « charges annuelles de copropriété », la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
12. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
13. Pour condamner la bailleresse à rembourser à la locataire le montant des charges locatives annuelles excédant la somme de 1 300 euros hors taxes de 2013 à 2016, l'arrêt retient, par motifs expressément adoptés, que le bail prévoit expressément pour les charges locatives un forfait, hors taxe d'enlèvement des ordures ménagères, de 1 300 euros hors taxes.
14. En statuant ainsi, alors que le bail ne stipulait pas un forfait pour les charges locatives mais un plafond exclusivement pour les charges de copropriété, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur le pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.