Cass. 3e civ., 28 septembre 2022, n° 21-22.377
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Echappé
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 juin 2021), le 10 avril 2006, la société civile immobilière [Adresse 2] (la SCI) a donné en location à la société Carnivar des locaux à usage commercial.
2. Le bail stipulait que, en cas de cession de celui-ci, le preneur s'obligeait à rester garant solidaire et responsable avec son cessionnaire du paiement des loyers pour la période restant à courir de la location.
3. Le 29 avril 2014, les parties ont signé un protocole d'accord selon lequel la société Carnivar s'est, en contrepartie d'une diminution du montant du loyer, engagée à ne pas donner de congé pour la période courant à compter de la date de renouvellement du bail, soit le 10 avril 2015, pour une durée minimum de trois ans, soit jusqu'au 9 avril 2018.
4. Le 31 juillet 2014, la société Carnivar a cédé son fonds de commerce à la société Silco dont la liquidation judiciaire a été prononcée le 8 septembre 2015.
5. Le 7 décembre 2015, le liquidateur de la société Silco a notifié à la SCI la résiliation du bail.
6. Le 20 mai 2016, la SCI a assigné la société Carnivar en paiement des loyers dus jusqu'au 9 avril 2018.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. La société Carnivar fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la SCI, alors « que la solidarité ne se présume pas et doit être expressément stipulée ; que l'engagement solidaire souscrit pas un preneur au paiement des loyers dus par le cessionnaire, en cas de cession du droit au bail, ne survit pas, sauf stipulation expresse contraire, à la résiliation du bail par le cessionnaire ; qu'en condamnant la société Carnivar à payer à la société [Adresse 2], en application de la clause de solidarité de paiement des « loyers », une somme de 201 600 euros correspondant notamment au montant des loyers de l'année 2016, des loyers de l'année 2017 et du loyer du 1er trimestre 2018, tout relevant par ailleurs que le bail avait, après sa cession à la société Silco et l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son encontre, fait l'objet d'une résiliation anticipée, le 7 décembre 2015, par le liquidateur du cessionnaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il s'évinçait que la société Silco n'étant plus redevable d'aucun « loyer » à compter de la résiliation du bail, la société Carnivar ne pouvait pas l'être davantage en l'absence d'une stipulation expresse en ce sens, a violé l'article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. La SCI conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le grief est nouveau.
9. Cependant, la société Carnivar soutenait devant la cour d'appel que la clause de garantie solidaire était limitée au paiement des loyers, à l'exclusion de toute autre somme.
10. Le grief, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt des juges du fond, est, par ailleurs, de pur droit.
11. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1202, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
12. Aux termes de ce texte, la solidarité ne se présume point ; il faut qu'elle soit expressément stipulée.
13. Pour condamner la société Carnivar au paiement d'une certaine somme au titre des loyers dus jusqu'au 9 avril 2018, l'arrêt retient que le renouvellement du bail n'a pas fait disparaître l'obligation de garantie à laquelle la société Carnivar est soumise en application du bail, et ce malgré la cession du fonds de commerce.
14. En statuant ainsi, alors que, en l'absence de stipulation expresse contraire, la solidarité ne peut s'appliquer qu'aux loyers impayés à la date de la résiliation du bail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles le bail avait, le 7 décembre 2015, été résilié par le liquidateur de la société Silco, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Carnivar à payer à la société civile immobilière [Adresse 2] la somme de 201 600 euros, l'arrêt rendu le 10 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.