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Décisions

CA Lyon, 6e ch., 29 septembre 2022, n° 22/00195

LYON

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boisselet

Conseillers :

Mme Allais, Mme Robin

Avocats :

Me Nouvellet, Me Guittet, Me Piquet-Gauthier, Me Willer

TJ Lyon, du 13 déc. 2021, n° 20/06514

13 décembre 2021

FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES :

Suivant acte sous seing privé du 7 février 2008, la société Autofinance, aux droits de laquelle vient la SCI [Adresse 8], a donné à bail à la société [Adresse 5] pour une durée de 9 ans à compter du 1er mars 2008 un local commercial d'une surface d'environ 500 m2 situé en rez-de-chaussée à l'angle de la [Adresse 7] et de la [Adresse 6] à [Localité 3] ainsi qu'un local annexe situé au sous-sol de 58 m² environ et 4 places de stationnement au 1er sous-sol, moyennant un loyer annuel indexé de 114.800 euros hors droits, taxes et charges, payable trimestriellement.

Par jugement du 12 juillet 2016, le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de sauvegarde de la société [Adresse 5], désigné M. [E] [P], gérant de ladite société afin d'exécuter ce plan, et fixé la durée du plan à 10 ans.

Le bail commercial liant les parties a été renouvelé pour une durée de 9 ans à son terme et aux mêmes conditions, en l'absence d'accord du bailleur sur la demande de diminution du loyer annuel formée par le locataire.

Par acte d'huissier de justice du 22 septembre 2020, la société [Adresse 5] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Lyon la SCI [Adresse 8] aux fins de, à titre principal, voir dire nul et de nul effet le commandement de payer du 13 août 2020 visant la clause résolutoire insérée dans le bail commercial liant les parties et ordonner l'annulation des loyers sur la période du 16 mars au 11 mai 2020, en raison de la suspension des obligations respectives des parties pour cause de force majeure, à titre subsidiaire, se voir octroyer des délais de paiement pour se libérer des loyers dus pour la période du 16 mars au 11 mai 2020 et suspendre les effets de la clause résolutoire pendant les délais de paiement considérés, en tout état de cause, condamner la SCI [Adresse 8] à lui payer des dommages et intérêts.

La SCI [Adresse 8] a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir condamner la société [Adresse 5] à lui payer une provision de 155.792,40 euros à valoir sur le montant des loyers impayés et l'indemnité d'occupation des lieux.

La société [Adresse 5] a conclu au débouté de la demande de la SCI [Adresse 8].

Par ordonnance du 13 décembre 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lyon a :

- débouté la SCI [Adresse 8] de sa demande de provision,

- rejeté la demande formée de part et d'autre au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident suivraient le sort de ceux de l'instance au fond.

Par déclaration du 5 janvier 2022, la SCI [Adresse 8] a interjeté appel de la décision.

L'affaire a été fixée d'office à l'audience du 5 juillet 2022 par ordonnance du président de la chambre du 10 janvier 2022 en application de l'article 905 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 28 juin 2022, la SCI [Adresse 8] demande à la Cour, au visa de l'article L. 145-57 du code de commerce, de :

- la déclarer recevable et fondée en son appel,

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a considéré que le paiement provisionnel des loyers échus ne se heurte à aucune contestation sérieuse,

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle :

'l'a déboutée de sa demande de provision,

'a rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société [Adresse 5] à lui payer une provision de 160.222,72 euros à valoir sur le montant des loyers impayés et l'indemnité d'occupation des lieux, montant à actualiser le jour de l'audience,

- condamner la société [Adresse 5] à lui payer une somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance outre une indemnité complémentaire du même montant au titre de la procédure d'appel,

- condamner la société [Adresse 5] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de ses prétentions, la SCI [Adresse 8] fait valoir que :

- si la société [Adresse 5] a saisi le juge des loyers commerciaux afin d'obtenir la fixation du loyer renouvelé à la somme de 92.300 euros hors charges, elle reste redevable à défaut de fixation d'un loyer provisionnel par ce juge de l'ancien loyer tant qu'un nouveau loyer n'a pas été fixé judiciairement,

- suivant décompte actualisé au 28 juin 2022, la société [Adresse 5] lui est redevable de la somme de 160.522,72 euros au titre des loyers échus,

- la société [Adresse 5] ne justifie pas avoir connu un effondrement de son activité en raison des mesures administratives de fermeture liées à la crise sanitaire ni d'un cas de force majeure l'autorisant à suspendre le paiement des loyers, dès lors qu'elle avait encore une activité de vente à emporter,

- le rapport d'expertise privé de Mme [H] du 18 décembre 2017 estimant la valeur locative des locaux donnés à bail à 92.300 euros hors taxes n'est pas suffisant pour considérer qu'il existe une contestation sérieuse quant au montant des loyers.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 24 juin 2022, la société [Adresse 5] demande à la Cour, au visa de l'article 789 du code de procédure civile, de :

- débouter la SCI [Adresse 8] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme non fondées et injustifiées,

- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

- condamner la SCI [Adresse 8] à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI [Adresse 8] aux entiers dépens de l'instance.

A l'appui de ses prétentions, la société [Adresse 5] fait valoir que :

- elle a été frappée de plein fouet au premier trimestre de l'année 2020 par la situation de pandémie et les mesures de fermeture administrative qui en ont résulté ; elle a tenté à plusieurs reprises d'obtenir de son bailleur un accord raisonnable et équitable pour tenir compte de la réalité tant factuelle que juridique de la situation mais en vain, la SCI [Adresse 8] lui ayant fait délivrer de mauvaise foi un commandement de payer visant la clause résolutoire le 13 août 2020,

- proposant à la fois de la restauration sur place et à emporter, elle conteste l'exigibilité des loyers dus pour la période de fermeture administrative du 15 mars au 22 juin 2020 ainsi que pour celle du 30 octobre 2020 jusqu'à la date de réouverture de l'établissement ; par ailleurs, elle n'a pas cessé de régler son loyer, effectuant des versements réguliers sur la base du prix en vigueur à l'expiration du bail, la constitution de l'arriéré au début de l'année 2020 procédant exclusivement des difficultés rencontrées par elle du fait de la crise sanitaire ; enfin, le loyer annuel actuel de 150.043.48 euros au 1er mars 2022 est manifestement surévalué au regard des conclusions de trois expertises, dont une expertise judiciaire de M. [C], qui estime à la somme de 105.186 euros le loyer annuel au 1er avril 2008,

- la SCI [Adresse 8] est manifestement de mauvaise foi, ayant fait appel de l'ordonnance déférée alors qu'elle avait connaissance du prérapport de l'expert judiciaire et n'ayant aucune volonté de lui octroyer des délais de paiement.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 juin 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions écrites susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Aux termes de l'article 789 3° du code de procédure civile, le juge de la mise en état peut accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Il ressort des explications des parties et des pièces versées aux débats que :

- le 26 septembre 2019, la société [Adresse 5] a fait assigner la SCI [Adresse 8] devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Lyon afin de voir fixer à la somme de 92.300 euros hors taxes et hors charges le loyer annuel du bail renouvelé au 1er avril 2008,

- par jugement du 7 janvier 2020, rectifié les 9 juin 2020 et 11 février 2021, le juge des loyers commerciaux a ordonné une expertise judiciaire afin de voir fixer la valeur locative des locaux considérés au 1er avril 2018,

- le rapport d'expertise judiciaire daté du 22 février 2022 fixe à la somme de 105.186 euros hors taxes et hors charges la valeur locative annuelle des locaux au 1er avril 2018,

- le loyer annuel des locaux, qui était de 132.859,20 euros hors taxes et hors charges au 1er avril 2018, a été indexé chaque année.

L'article L. 145-57 du code de commerce dispose que pendant la durée de l'instance relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, le locataire est tenu de continuer à payer les loyers échus au prix ancien ou, le cas échéant, au prix qui peut, en tout état de cause, être fixé à titre provisionnel par la juridiction saisie, sauf compte à faire entre le bailleur et le preneur, après fixation définitive du prix du loyer.

En l'absence de fixation à titre provisionnel du prix de loyer par le juge des loyers commerciaux, la société [Adresse 5] est redevable des loyers échus au prix ancien dans l'attente de la décision sur la fixation du prix du bail. Par ailleurs, le seul fait qu'elle n'ait pas pu exploiter les locaux loués en raison de leur fermeture administrative pendant la crise sanitaire n'est pas de nature à l'exonérer du paiement des loyers exigibles pendant les périodes considérées.

Le décompte de la créance de la SCI [Adresse 8] daté du 28 juin 2022 fait apparaître que:

- le loyer annuel appelé au 1er avril 2022 s'élève à la somme totale de 150.043,48 euros hors taxes hors charges,

- la société [Adresse 5] est redevable au 26 avril 2022 de la somme totale de 160.522,72 euros au titre des loyers échus impayés, taxes et charges incluses.

Néanmoins, cette créance est incertaine, étant susceptible d'une réduction particulièrement importante si le loyer du bail renouvelé est fixé au montant retenu par l'expert à compter du 1er avril 2008. L'obligation au paiement de la société [Adresse 5] étant sérieusement contestable, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a débouté la SCI [Adresse 8] de sa demande de provision.

L'ordonnance sera infirmée quand aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile. Compte tenu de la solution apportée au litige, la SCI [Adresse 8] sera condamnée aux dépens de première instance ainsi que d'appel et conservera la charge de ses frais irrépétibles. Toutefois, l'équité ne commande pas d'allouer une indemnité à la société [Adresse 5] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme l'ordonnance, sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI [Adresse 8] aux dépens de première instance et d'appel ;

Déboute chacune des parties de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette le surplus des demandes.