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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 7 janvier 2014, n° 12/05041

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kennedy III, Thorez (SCI)

Défendeur :

BAB (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mme Calot, Mme Orsini

Avocats :

Me Ferchaux-Lallement, Me Demont, Me Ricard, Me Choukrioune, Me Doukhan

TGI Nanterre, du 5 juill. 2012, n° 10/15…

5 juillet 2012

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Statuant sur l'appel interjeté par M. John Kennedy III et la SCI Thorez contre le jugement rendu le 5 juillet 2012 par le tribunal de grande instance de Nanterre, qui a :

- débouté M. John Kennedy III et la SCI Thorez de leurs moyens d'irrecevabilité

- constaté la réalisation en exécution de l'ordonnance de référé du 27 mai 2009 des travaux visés dans le commandement du 23 décembre 2008

- dit que la clause résolutoire est censée ne jamais avoir joué et que tous actes postérieurs à la réalisation des travaux le 28 février 2010, sont sans effet

- dit sans effet les commandements de faire des 11 juillet 2008 et du 20 février 2009 ainsi que tous actes subséquents s'y rapportant

- débouté M. John Kennedy III et la SCI Thorez de leurs demandes

- débouté la société Bab de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

- condamné in solidum M. John Kennedy III et la SCI Thorez à payer à la société Bab la somme de 2. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- ordonné l'exécution provisoire de la décision

- condamné in solidum M. John Kennedy III et la SCI Thorez aux dépens.

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Par acte sous seing privé en date du 22 décembre 1981, Mme Allaire et M. John Kennedy III ont donné aux époux Hamai à bail commercial divers locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble sis [...] pour une durée de 3, 6, 9 années à compter du 1er octobre 1981.

Par acte sous seing privé en date du 2 janvier 1991, l'indivision Portes-Kennedy a donné à M. Bouzid Ouchene et à M. Bruno Ouchene à bail commercial ces locaux pour une durée de 3, 6, 9 années à compter du 1er octobre 1990.

Suivant acte sous seing privé en date du 25 janvier 1992, M. Bruno Ouchene a cédé au profit de M. Amar Guendoul, ses droits de copropriété indivis sur le fonds de commerce.

Par acte sous seing privé en date du 6 juillet 1995, M. Bouzid Ouchene et M. Amar Guendoul ont cédé à la société Sab, représentée par M. Segai, son gérant, le fonds de commerce comprenant le droit au bail.

Par acte sous seing privé en date du 16 novembre 1999, l'indivision Portes-Kennedy a renouvelé au profit de la société Sab le bail commercial pour une durée de 3, 6, 9 années à compter du 1er octobre 1999, moyennant un loyer annuel en principal de 44. 600 francs.

La Sci Thorez est venu aux droits de Mme Allaire en vertu d'un acte notarié en date du 18 décembre 2002.

Par acte du 30 avril 2008, la société Sab a cédé son fonds de commerce de bar-restaurant sous l'enseigne 'Au bar de la gare' dont le droit au bail, à la société Bab (représentée par M. Ahmed Berbri), la cession étant faite à charge par le cédant de rester garant et répondant solidaire de son cessionnaire tant du paiement des loyers que de l'entière exécution des conditions du bail, avec la précision que le cédant met et subroge le cessionnaire dans les droits et actions dont il est bénéficiaire à raison du bail.

A la suite de la délivrance de trois commandements de faire visant la clause résolutoire les 23 décembre 2008, 11 juillet 2008 et 20 février 2009, la société Bab a assigné les bailleurs en octobre 2010 en opposition auxdits commandements.

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Vu les dernières écritures en date du 5 février 2013, de M. John Kennedy III et de la SCI Thorez, appelants, par lesquelles, par infirmation du jugement entrepris, ils demandent, de dire irrecevable la demande de la société intimée eu égard aux décisions rendues les 2 novembre 2010, 27 mai 2009 et 12 mars 2010, subsidiairement, la dire mal-fondée, de confirmer l'acquisition de la clause résolutoire suite à la délivrance des commandements de faire, dire qu'il est constant que dans le délai de la clause résolutoire, la locataire ne s'est pas conformée aux clauses strictes de son bail et n'a pas mis fin aux infractions visées aux commandements de faire, constater acquise au bailleur la clause résolutoire dont s'agit, en conséquence, ordonner l'expulsion de la société Bab sous astreinte journalière de 500 euros , dire que la vente du mobilier et du matériel se trouvant dans les lieux sera effectuée conformément aux dispositions des articles 107 à 116 du décret du 31 juillet 1992, la condamner au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle d'avance d'un montant de 2. 000 euros, dire que cette indemnité d'occupation sera révisable, constater acquis au bailleur le dépôt de garantie conformément à la clause contractuelle, la condamner au paiement d'une indemnité de 25. 000 euros pour procédure abusive, la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 8. 000 euros et aux entiers dépens ;

Vu les dernières écritures en date du 10 décembre 2012, de la société Bab, intimée, par lesquelles elle demande la confirmation du jugement, de la recevoir en son appel incident, de condamner les bailleurs in solidum au paiement de la somme de 15. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité de procédure de 12. 000 euros et les entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 3 octobre 2013.

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Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux conclusions déposées par les parties qui développent leurs prétentions et leurs moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur l'irrecevabilité de la demande de la société Bab

Considérant que les appelants soutiennent que la demande de la société Bab serait irrecevable en ce qu'elle tend à infirmer trois décisions judiciaires définitives déjà prononcées constatant l'acquisition de la clause résolutoire (une décision du juge de l'exécution le 2 novembre 2010 et deux ordonnances de référé les 27 mai 2009 et 12 mars 2010) constatant l'acquisition de la clause résolutoire, alors que la société intimée réplique à juste titre que les deux ordonnances de référé n'ont pas au principal l'autorité de la chose jugée, qu'elle ne formule pas de nouvelles demandes de délais pour exécuter les travaux, mais conteste la validité des commandements délivrés eu égard à l'absence de responsabilité du cessionnaire au titre des agissements du cédant ;

Que le jugement déféré qui a visé l'article 488 alinéa 1er du code de procédure civile sera confirmé en ce qu'il a déclaré la société Bab recevable en ses demandes en opposition aux commandements de faire qui lui ont été délivrés par les bailleurs ;

- Sur le bien-fondé de la demande des bailleurs en acquisition de la clause résolutoire

* sur le commandement délivré le 23 décembre 2008 relatif à la remise des lieux dans leur état d'origine par la suppression des évacuations des WC en PVC, le rebouchage de la voûte des caves et le remplacement de la canalisation commune en fonte

Considérant que les appelants font valoir que la société intimée reconnaît expressément avoir acquiescé aux termes des ordonnances de référé et du jugement du juge de l'exécution en date du 2 novembre 2010, faute d'appel interjeté et en exécutant les travaux de remise en état, alors que la société intimée réplique qu'elle a satisfait au dispositif de l'ordonnance de référé du 27 mai 2009 en procédant au raccordement des WC par une évacuation en fonte et non plus en PVC le 28 février 2010, ainsi qu'il résulte de la facture du 10 mars 2006 visée par l'avis technique de la société Lamy Expertise en date du 3 juin 2010 ;

Que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a constaté la réalisation en exécution de l'ordonnance de référé du 27 mai 2009 des travaux visés dans le commandement du 23 décembre 2008 et dit que la clause résolutoire est censée ne jamais avoir joué et que tous actes postérieurs à la réalisation des travaux le 28 février 2010, sont sans effet ;

* sur les commandements délivrés le 11 juillet 2008 et le 20 février 2009 relatifs à la remise des lieux dans leur état d'origine conformément aux plans initiaux des locaux, à la réaffectation à usage d'habitation des deux pièces du fond, à la restitution de la jouissance d'une mansarde et d'un grenier, à la remise des lieux dans leur état d'origine en replaçant l'ancienne devanture

Considérant que les appelants soutiennent que les clauses de l'acte de cession du 30 avril 2008 renvoient aux clauses du renouvellement du bail en date du 22 décembre 1981 (renouvelé le 16 novembre 1999) qui prévoient en pages 5 et 6 que le preneur, en cas de cession totale du droit au bail à un successeur, restera garant et répondant avec son cessionnaire et tous occupants successifs pour le paiement des loyers et accessoires et l'exécution des clauses et charges du bail, que selon les clauses du bail cédé, la société Bab, cessionnaire, est garante et répondante solidaire avec tous les occupants successifs des lieux du non-respect des clauses du bail, que celle-ci a laissé perduré les infractions au bail pendant sa période d'exploitation et en est personnellement à l'origine, que les ordonnances de référé sont définitives, qu'ils estiment que les cessions successives d'un bail commercial opèrent transmission des obligations en découlant au dernier titulaire du contrat qui devient débiteur envers le bailleur des dégradations causées par ses prédécesseurs ;

Que la société intimée réplique que le cessionnaire d'un bail n'est nullement garant des infractions au bail commis par le cédant ou les précédents cédants, que le changement de distribution et d'affectation des locaux est très largement antérieur à sa prise de possession, que les commandements ne sauraient en aucune façon emporter acquisition de la clause résolutoire ;

Considérant qu'en vertu des clauses contractuelles insérées à l'acte de cession du bail commercial en date du 30 avril 2008, la cession est faite à charge par le cédant de rester garant et répondant solidaire de son cessionnaire tant du paiement des loyers que de l'entière exécution des conditions du bail, avec la précision que le cédant met et subroge le cessionnaire dans les droits et actions dont il est bénéficiaire à raison du bail à charge par le cessionnaire notamment, de prendre les lieux loués dans leur état actuel et de les rendre en fin de bail en bon état, d'exécuter et accomplir toutes les stipulations du bail à la décharge du cédant ;

Qu'il en résulte que les clauses de l'acte de cession ne renvoient nullement aux clauses du renouvellement du bail en date du 22 décembre 1981 au titre des modalités de cession, puisque les dispositions postérieurement énoncées dans l'acte du 30 avril 2008 sont divergentes et qu'elles doivent prévaloir, excluant ainsi tout procédé d'interprétation par analogie ;

Que la désignation contractuelle des lieux (' au rez-de-chaussée : à gauche de la porte d'entrée, une salle de café sur rue, couloir donnant sur le vestibule commun de l'immeuble, cuisine et deux chambres à la suite, WC, au sous-sol : caves sous la boutique portant les numéros 3 et 4, installation de l'eau, du gaz et de l'électricité' ) est la reprise de celle mentionnée d'une part, dans l'acte de 'renouvellement du bail' du 22 décembre 1981 au profit des époux Hamai, à l'exception de la cave n°2, d'autre part, dans les avenants de révision n°1 et n°2 du 30 janvier 2008 du bail commercial à effet du 1er octobre 1999 au profit de la société Sab ;

Que selon le courrier adressé le 9 janvier 2009 à la société Bab par M. Joubert, administrateur de biens pour le compte des bailleurs, la cession de commerce reprend les avenants de révision d'octobre 2002 et d'octobre 2005 (non produits devant la cour) et la désignation des lieux reste conforme aux plans de 1936 ( en fait du 2 mars 1935) ;

Mais considérant que la pièce 42 (courrier du 2 janvier 2009 adressé par le gérant de la société Bab à M. Joubert précisant que ce dernier avait décidé de récupérer la mansarde et le grenier et qu'il avait délibérément rectifié l'original de la promesse de vente signée en janvier 2008 stipulant le détail des locaux qui faisait partie du bail de 1995) et la pièce 50 des appelants ( courrier du 18 avril 2008 de M. Joubert, administrateur de biens au service juridique de la société Castim Immobilier, faisant observer qu''en page 3 de votre projet que la désignation comporte à tort un grenier et une mansarde au 4ème étage qui ne figurent pas dans les derniers avenants' ), laissent présumer que la transformation des deux chambres en cuisine, réserve et WC avec démolition de la cloison séparative et reconstruction de nouvelles cloisons, évoquée dans le commandement de faire du 11 juillet 2008, a été réalisée avant que la société locataire ne prenne possession des lieux suite à la cession de bail du 30 avril 2008 et que les transformations litigieuses ne peuvent dès lors lui être imputées ;

Que ces présomptions au sens de l'article 1353 du code civil, sont confortées par les attestations produites par la société intimée relatant que la société Bab n'a jamais fait procéder à un quelconque changement de distribution des lieux depuis 1996 et alors que celle-ci a acquis le fonds de commerce en l'état sans qu'un état des lieux soit établi ;

Que la pièce 52 des appelants (taxe d'habitation 2012) qui mentionne qu'un appartement appartenant à 'Thorez' d'une superficie de 22 m2 situé [...] est occupé par la société Dab, prise d'entrée dans les lieux le 7 juillet 2008, ne vaut que dans les rapports des bailleurs avec l'administration fiscale et est sans incidence sur les obligations contractuelles des parties résultant de l'acte de cession ;

Qu'il s'ensuit que si la société intimée est subrogée dans les droits et obligations du cédant relativement au bien en vertu du contrat de cession de bail du 30 avril 2008, il ne pouvait lui être reproché à faute par les bailleurs pour obtenir la résiliation du bail eu égard aux manquements imputables aux précédents preneurs ;

Que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit sans effet les commandements de faire des 11 juillet 2008 et du 20 février 2009 ainsi que tous actes subséquents s'y rapportant et débouté M. John Kennedy III et la SCI Thorez de leurs demandes ;

- Sur l'appel incident de la société Bab

Considérant que la société intimée expose qu'elle a subi d'importants préjudices financiers du fait de l'acharnement procédurier des bailleurs qui n'ont pas été pris en compte par les premiers juges (trois procédures de référé, procédure devant le juge de l'exécution, nombreux commandements), qu'elle n'a jamais pu exploiter sereinement son fonds et qu'elle a perdu du chiffre d'affaire et du bénéfice et sollicite la somme de 15. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Considérant que l'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus de droit que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol ;

Que l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute ;

Que l'accumulation de procédure peut constituer un abus du droit d'agir en justice lorsque rien ne la justifie ou qu'elle traduit une attitude procédurière exceptionnelle ;

Qu'en l'absence en l'espèce de faits de nature à faire dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice, la société intimée sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et le jugement sera confirmé de ce chef ;

- Sur l'article 700 du code de procédure civile

Considérant qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué une indemnité de procédure de 2. 000 euros au profit de la société Bab ;

Qu'il lui sera accordé une indemnité complémentaire en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions

Y ajoutant

CONDAMNE in solidum M. John Kennedy III et la SCI Thorez à payer à la Sarl Bab la somme de 8. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

REJETTE toute autre demande

CONDAMNE M. John Kennedy III et la SCI Thorez aux entiers dépens incluant l'ensemble des procédures de référé, des deux procédures au fond et des frais d'appel qui seront recouvrés en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.