CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 21 novembre 2013, n° 12/08313
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Benhaim, Josette Benhaim (SNC)
Défendeur :
Alliance Healthcare Répartition (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Me Olivier, Me Rouch, Me Olivié, Me Grandin
FAITS ET PROCEDURE
La société Alliance Healthcare Répartition (la société AHR) a pour activité la vente et la livraison des produits pharmaceutiques et de parapharmacie aux officines de pharmacie. Dans ce domaine, il s'est instauré la coutume selon laquelle 1e mode de commande des produits est rarement écrit, les produits livrés font l'objet d'une facture systématique valant bon de commande. Ces factures sont ensuite récapitulées par un relevé décadaire. Selon les volumes commandés, des remises commerciales sont accordées.
La société en nom collectif Josette Benhaïm (la société Benhaïm), dont Mme Benhaïm est gérante associée, qui exploite une pharmacie dans le 18ème arrondissement de Paris, a été, de longue date, cliente de la société IFP, devenue la société AHR. Jusqu'en 2008, il a été opéré une compensation entre certaines factures impayées et les remises qui lui étaient accordées par la société AHR. Le 23 septembre 2009, la société AHR a, par lettre recommandée, réclamé à la société Benhaïm le paiement du solde de deux relevés décadaires, demeurés impayés, l'un du 10 juillet 2004, pour 24 871,44 euros, l'autre du 30 juin 2005, pour 16 000 euros.
La société Benhaïm a, par lettre du 20 octobre 2009, contesté le montant de la créance en invoquant le bénéfice de remises commerciales complémentaires pour les années 2007 et 2008 et la déduction de frais divers qui lui avaient été facturés de manière qu'elle estimait indue, alors qu'elle avait demandé à ne plus bénéficier des services correspondants.
Par assignation du 18 février 2011, la société AHR l'a, ainsi que Mme Benhaïm, fait assigner en paiement de diverses sommes devant le tribunal de commerce de Paris.
Par un jugement du 30 mars 2012, le tribunal de commerce de Paris a :
- déclaré recevables les demandes formulées à l'encontre de Mme Benhaïm et en conséquence l'a déclarée solidaire de la société Benhaïm ;
- condamné solidairement Mme Benhaïm et la société Benhaïm à payer à la société Alliance Healthcare Répartition la somme de 33 542,04 euros TTC, majorée des intérêts conventionnels à compter du 18 février 2011, ordonnant l'imputation par priorité sur les intérêts dus, conformément à l'article 1254 du code civil ;
- ordonné l'anatocisme ;
- condamné solidairement Mme Benhaïm et la société Benhaïm à payer à la société Alliance Healthcare Répartition la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- condamné solidairement Mme Benhaïm et la société Benhaïm à payer à la société Alliance Healthcare Répartition aux dépens.
Vu l'appel interjeté le 3 mai 2012 par Mme Benhaïm et la société Benhaïm à l'encontre de la société Alliance Healthcare Répartition ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 4 juillet 2013 par Mme Benhaïm et la société Benhaïm, par lesquelles il est demandé à la Cour, notamment de :
- réformer le jugement et, statuant à nouveau :
- débouter la société Alliance Healthcare Répartition de ses demandes ;
- déclarer irrecevables les demandes formulées à l'encontre de Mme Benhaïm
- débouter la société Alliance Healthcare Répartition de sa demande à hauteur de 3 065,48 euros au titre des frais pour services annexes ;
- dire et juger que le taux de remise commerciale de 2,60 % doit être appliqué et constater que la société Benhaïm est créancière de la somme de 11 866,84 euros pour l'année 2007 et de 18 567,08 euros pour l'année 2008 et que dès lors la créance de la société Benhaïm est inexistante ;
En conséquence,
- condamner la société Alliance Healthcare Répartition à verser aux appelantes la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive
A titre subsidiaire
- condamner la société Alliance Healthcare Répartition à indemniser la société Benhaïm à hauteur des remises commerciales non perçues, soit la somme de 30 433,92 euros à titre de dommages-intérêts pour ne pas avoir exécuté le contrat de bonne foi ;
- ordonner la compensation de cette somme avec les arriérés de factures impayés
- dire et juger qu'il n'y a pas lieu à application de la clause pénale et au taux d'intérêt majoré, en l'absence d'application des conditions générales de vente aux relations entre les parties
- En tout état de cause les supprimer en application du pourvoir modérateur du juge tiré de l'article 1152 du code civil ;
En tout état de cause
- condamner la société AHR à payer à chacune des appelantes la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société AHR aux entiers dépens de première instance et d'appel
La société Benhaïm et Mme Benhaïm soutiennent que les frais au titre des services annexes n'ont jamais fait l'objet de facturation pendant toute la durée des relations contractuelles et que leur gratuité participait par conséquent des accords établis entre les parties. Elles précisent que Mme Benhaïm a informé la société AHR de son refus de bénéficier des services annexes dès 2009 en raison de ce qu'ils devenaient payants.
Elles soutiennent que la société AHR a appliqué, pendant la durée des relations commerciales, une remise a minima de 2,60 % sur le chiffre d'affaires réalisé au titre des achats au cours de l'année de référence et que cette remise était directement imputée sur les factures impayées ce qui constituait la loi des parties. Elles ajoutent que la société Alliance Healthcare Répartition a unilatéralement cessé d'appliquer ce taux pour les années 2007 et 2008 et qu'en tout état de cause, elle ne justifie nullement du calcul des remises commerciales accordées ni de l'impératif législatif qui lui aurait imposé de déroger à la loi des parties. Elles demandent, en conséquence, l'application de la remise de 2,6 % sur les sommes payées en 2007 et 2008 et la déduction d'autant des sommes dont la société AHR réclame le paiement.
Les appelantes font aussi valoir que la société AHR en modifiant unilatéralement les taux de remises commerciales et sans l'en informer préalablement, n'a pas exécuté le contrat de bonne foi et qu'elle a commis un abus, dont elle doit l'indemniser à concurrence du montant du total de remises perdues soit 30 433,92 euros.
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 juillet 2013 par la société Alliance Healthcare Répartition, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf à faire courir les intérêts conventionnels sur la somme de 30 492 euros à compter de la mise en demeure adressée le 23 septembre 2009 ;
- condamner les appelantes à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société AHR oppose que Mme Benhaïm a été assignée en qualité de gérante associée de la société Benhaïm. Elle rappelle qu'en cette qualité Mme Benhaïm doit répondre solidairement des dettes sociales et qu'elle l'a poursuivie après que les poursuites contre la SNC se sont révélées vaines.
Elle constate que les appelantes ne contestent pas devoir les sommes réclamées au titre des relevés de factures décadaires et que compte tenu des versements sporadiques effectués, elle est encore créancière d'une somme de 33 499,38 euros. Elle demande que les intérêts soient fixés à compter de la date de la mise en demeure qui a été délivrée le 23 septembre 2009 et fait valoir qu'il n'existe aucune raison de réduire la clause pénale.
L'intimée conteste ne pas avoir facturé les frais annexes à tout le moins à partir de 2007. Elle admet que Mme Benhaïm a précisé en octobre 2009 ne pas vouloir bénéficier des services annexes, mais soutient que la facturation de ceux-ci avant le mois d'octobre 2009 était légitime et qu'ils sont dus par les appelantes.
S'agissant des remises commerciales contractuelles, elle explique que la société Benhaïm et Mme Benhaïm étaient parfaitement informées des taux applicables et des montants concernés que la société Benhaïm a acceptés par le renouvellement de ses commandes. Elle explique avoir maintenu ces remises en dépit des difficultés de paiement en raison de l'ancienneté de ses relations avec Mme Benhaïm. S'agissant du taux de remise de 2,6 %, elle conteste le calcul présenté par les appelantes et précise qu'il n'existait aucun accord contractuel sur le montant de cette remise qui, en tout état de cause, serait interdit par la réglementation.
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'action à l'égard de Mme Benhaïm
Il résulte de l'article L. 221-1, alinéa 2, du code de commerce que les créanciers d'une société en nom collectif ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire. Or, il n'est pas contesté que la société AHR a fait délivrer à la société Benhaïm, le 28 janvier 2011, une sommation de payer la somme de 42 481,74 euros et que cette sommation de payer est demeurée vaine.
Il en résulte qu'elle est bien fondée à agir contre la société Benhaïm et Mme Benhaïm, sans qu'importe le fait que la sommation du 28 janvier 2011, précitée, ait concomitamment été délivrée à Mme Benhaïm en sa qualité de gérante associée.
Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
Sur les sommes dues
La société Benhaïm et Mme Benhaïm ne contestent pas les montants impayés au titre des relevés décadaires des 10 juillet 2004 et 31 juin 2005, soit, respectivement, 28.871, 44 euros et 16 000 euros. Elles soutiennent que de ces montants doivent être déduits, d'une part, des remises non comptabilisées pour les années 2007 et 2008, d'autre part, des frais comptabilisés pour services annexes, facturés de façon indue.
Sur les remises
La société Benhaïm et Mme Benhaïm affirment qu'il a existé un accord entre les parties pour que les remises commerciales s'imputent directement sur les factures impayées de sorte que les factures non réglées étaient directement compensées par les remises commerciales.
Elles indiquent qu'il était convenu, de fait, entre les deux sociétés que les remises commerciales s'élèveraient à un montant global de 2,60 % du chiffre d'affaires réalisé au titre des achats de l'année de référence. Elles font valoir à ce sujet que ce taux de remise a été appliqué dès le début de la relation commerciale et que c'est en raison de ce taux que la société Benhaïm a décidé de s'engager et de poursuivre les relations commerciales avec ce fournisseur, de manière exclusive. Elles précisent qu'elles ont fait connaître à la société AHR leur désaccord à la modification unilatérale du taux de remise.
Il résulte cependant du tableau des remises commerciales accordées par la société AHR à Mme Benhaïm, durant les années 2005 à 2008, d'une part, que les taux globaux de remises variaient chaque mois, ce qui s'explique par le fait, non contesté, que les taux varient en fonction des catégories de produits livrés, d'autre part, que si les taux ont oscillé entre 2,89 % et 2,38 % en 2005, ils ont amorcé une baisse sensible en 2006 (entre 1,95 % et 2,62) poursuivie en 2007 (1,9 et 0,94), et accentuée en 2008, tout au moins jusqu'au mois de mai, après lequel les relations avec la société Benhaïm ont été interrompues (0,49 à 0,10). Il résulte de ces observations qu'il n'existait pas d'accord pour que la société Benhaïm bénéficie d'un montant de prime gobal de 2,60 %
De plus, la société Benhaïm et Mme Benhaïm ne démontrent pas qu'elles aient contesté ces variations et cette diminution. En effet, la première protestation élevée par Mme Benhaïm, sous l'enseigne de la pharmacie, n'est intervenue que le 8 juillet 2008, soit bien après les évolutions de taux sous-mentionnées, et cette lettre ne mentionne d'ailleurs ni les remises, ni les taux qui auraient été contestés, mais seulement « mes conditions commerciales ».
Par ailleurs, les conditions générales de vente, figurant au verso de chaque facture, précisent, à l'article 12-2 que les remises ne sont dues que « sous la condition expresse que la société ait été effectivement créditée, aux échéances convenues, de l'intégralité de toutes les sommes dues par le client » et à l'article 1, alinéa 5, que « Le fait que la société ne se prévale pas à un moment donné de l'une quelconque des présentes conditions générales de vente ne peut être interprété comme valant renonciation à se prévaloir ultérieurement de l'une quelconque de ces conditions ».
L'examen des factures permet de constater qu'elles comportaient, de plus, au recto, un encart selon lequel « Le client reconnaît que la présente facture a été établie après qu'il a pris connaissance des conditions générales qui lui ont été remises et qui figurent au verso (...) ». Elles sont donc opposables à la société Benhaïm.
En conséquence de ce qui précède, il résulte des paiements de factures non contestées, en 2007 et 2008, que la société Benhaïm a accepté, d'une part, les réductions des remises, d'autre part, les conditions générales de vente figurant au verso des factures, selon lesquelles l'octroi de ces remises était conditionné par l'absence de retard de paiement. Dès lors, la société AHR est bien fondée à soutenir qu'elle pouvait diminuer les taux de remises en raison des impayés antérieurs que la société Benhaïm ne conteste pas et que par ailleurs, ces baisses de taux ont été acceptées. Dans ces circonstances, la société Benhaïm ne peut prétendre, d'une part, que les sommes dues au titre des relevés impayés de 2004 et 2005 doivent être compensées par les remises dont elle aurait été privée en 2007 et 2008, d'autre part, que la société AHR aurait commis une faute en modifiant les taux de remises.
Sur les frais des services annexes
La société AHR ne conteste pas devoir rembourser à l'appelante une somme de 3 006, 62 euros au titre des frais pour services annexes. La société Benhaïm soutient, cependant, qu'il convient d'ajouter à cette somme celle de 58,86 euros trop perçue par la société AHR. Elle précise à ce sujet que les services annexes n'ont jamais été facturés et qu'il existait un accord entre elle et la société AHR sur ce point.
Cependant, l'examen des factures concernant ces services et produites par la société AHR, permet de constater que contrairement à ce qu'indiquent les appelantes, si certains des services étaient fournis gratuitement, d'autres, comme le service de maintenance de télétransmission, étaient facturés. Dès lors, la société Benhaïm et Mme Benhaïm ne peuvent soutenir que la facturation de ces frais de services annexes a constitué une violation d'un accord de gratuité entre les parties. Elles ne démontrent pas que la somme de 58,86 euros, dont elles demandent la déduction des sommes dues à la société AHR, ait été trop versée par la société Benhaïm. Leur demande sur ce point doit être rejetée et le jugement doit être confirmé.
Sur la clause pénale
Les conditions générales de vente prévoyaient à l'article 13 que le montant des sommes qui ne seraient pas payées à la date de leur exigibilité seraient majorées, à titre de clause pénale, d'une indemnité forfaitairement fixée à 10 % de ces sommes toutes taxes comprises.
L'application de cette clause qui aboutit à ajouter la somme de 3 049, 28 euros aux sommes dues par la société Benhaïm n'est pas excessive et ce, quand bien même la société AHR n'a pas invoqué des conditions générales de vente pendant les 30 années qu'ont duré les relations commerciales. C'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté la demande de la société Benhaïm tendant à la modération du taux prévue par cette clause.
Sur les intérêts
Il convient, enfin, d'appliquer aux sommes dues le taux d'intérêt conventionnel fixé à trois fois le taux d'intérêt légal et de fixer le point de départ de ces intérêts à la date de la mise en demeure du 23 septembre 2009, dès lors que les conditions générales de vente précitées précisaient que ces intérêts commenceraient à courir à compter des échéances impayées.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
La société Benhaïm et Mme Benhaïm qui succombent dans leurs demandes principales ne sont pas fondées à invoquer que la procédure diligentée par la société AHR serait abusive. Leur demande sur ce point doit donc être rejetée.
Sur les frais irrépétibles
La société AHR a dû pour défendre ses droits exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge. En conséquence, la société Benhaïm et Mme Benhaïm seront condamnées à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
DIT recevable l'action de la société Alliance Healthcare Répartition à l'encontre de Mme Benhaïm ;
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts à la date du 18 février 2011 ;
Statuant à nouveau de ce chef
DIT que les intérêts sur la somme de 33 542,04 euros commenceront à courir à compter du 23 septembre 2009 ;
CONDAMNE la société Benhaïm et Mme Benhaïm, solidairement, à verser à la société Alliance Healthcare Répartition la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes demandes autres, plus amples, ou contraires des parties ;
CONDAMNE la société Benhaïm et Mme Benhaïm solidairement aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.