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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 15 mars 2000, n° 2000/04127

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Atticus Management Ltd (Sté)

Défendeur :

Groupe André (SA), Nice Capital Valeurs (SA), Europe de Participations Industrielles (SA), Lille Royale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Conseillers :

Mme Charoy, M. Pellegrin

Avoués :

Me Huyghe, SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP d'Auriac & Guizard

Avocats :

Me de Montalembert, Me Martel, Me Pisani, Me Brochier, Me Martin

CA Paris n° 2000/04127

14 mars 2000

Le 22 février 2000 la société ATTICUS MANAGEMENT Ltd (La société ATTICUS) a fait assigner devant le président du tribunal de commerce Jean- Claude SARAZIN, président du directoire de la société GROUPS ANDRE, Francine VANNER, présidente de la société NICE CAPITAL VALEURS, la société GROUPS ANDRE, la société NICE CAPITAL VALEURS pour voir notamment :

- déclarer recevable la société ATTICUS, agissant en qualité de société de gestion du fonds d’investissement NR ATTICUS LIMITED, en son action individuelle engagée en qualité de représentant de NR ATTICUS Ltd tant à titre personnel que dans l’intérêt social de la société GROUPE ANDRE,

- faire interdiction à Jean-Claude SARAZIN, Francine VANNER et plus généralement à l’ensemble des dirigeants des deux sociétés GROUPE ANDRE et NICE CAPITAL VALEURS ainsi qu’à ces sociétés de procéder à la cession des titres d’autocontrôle de la société GROUPE ANDRE détenus tant directement par cette société qu’indirectement au travers de sa filiale la société NICE CAPITAL VALEURS jusqu’à l’issue de l’assemblée générale de la société GROUPE ANDRE du 29 février 2000 ;

- à toute fins utiles, ordonner jusqu’à cette assemblée la mise sous séquestre de ces titres.

Par jugement en état de référé du 1er mars 2000, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit les demandes de la société ATTICUS irrecevables,

-déclaré recevable l’intervention volontaire des sociétés EUROPEENNE DE PARTICIPATIONS INDUSTRIELLES (E.P.I.) et LILLE ROYALE,

- débouté la société ATTICUS de ses demandes,

- précisé que la cession d’actions d’autocontrôle, si elle a lieu, devra être effectuée dans une parfaite transparence vis-à-vis des actionnaires,

La société ATTICUS a interjeté appel de cette décision le 1er mars 2000 et a été autorisée à assigner à jour fixe les intimes devant la cour d’appel ;

Cette assignation a été signifiée le 2 mars 2000.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 7 mars 2000, la société ATTICUS demande notamment à la cour de reformer l’ordonnance, d’accueillir ses demandes initiales en interdiction de la cession des titres d’autocontrôle de la société GROUPE ANDRE et mise sous séquestre de ces titres, de faire interdiction à tout éventuel cessionnaire des titres d’autocontrôle de faire usage de ses droits de vote à l’assemblée générale à venir de la société GROUPE ANDRE fixée en définitive au 5 avril 2000 ;

La Société GROUPE ANDRE, la société NICE CAPITAL VALEURS, Jean- Claude SARAZIN et Francine VANNER ont fait signifier le 6 mars 2000 des conclusions contenant appel incident.

Les intimes demandent à la cour, notamment :

- à titre principal de déclarer la société ATTICUS irrecevable en ses demandes pour défaut d’intérêt à agir,

- subsidiairement de confirmer le jugement, de déclarer la société ATTICUS mal fondée en ses demandes et d’ordonner la mainlevée immédiate du séquestre des actions d’autocontrôle détenues par les sociétés GROUPE ANDRE et NICE CAPITAL VALEURS résultant en dernier lieu d’une ordonnance prononcée le 1er mars 2000 par le premier président de la cour d’appel.

Le 6 mars 2000, la société E.P.I., la société LILLE et Jean-Louis DESCOURS, actionnaires de la société GROUPE ANDRE, ont fait signifier des conclusions d’intervention volontaire par lesquelles ils demandent notamment à la cour :

- de les déclarer recevables et bien fondées en cette intervention,

- de confirmer le jugement,

- de débouter la société ATTICUS de ses demandes.

Sur la recevabilité des demandes de la société ATTICUS

Considérant que pour contester cette recevabilité, la société GROUPE ANDRE fait valoir qu’ATTICUS ne cherche, par la mesure sollicitée, qu’à favoriser son projet de prise de contrôle du conseil de surveillance de la société intimée ;

Considérant qu’en vertu de l’article 31 du nouveau code de procédure civile, faction en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès d’une prétention ; que satisfait à cette condition le porteur de titres d’une société par actions qui, en se fondant sur diverses circonstances susceptibles de corroborer sa thèse, invoque notamment une atteinte à ses droits d’actionnaires ; que l’appréciation de la pertinence de cette thèse et de la valeur probante des documents produits touche au fond des demandes, sans affecter la recevabilité de celles-ci ; que la fin de non-recevoir doit dès lors être rejetée ;

Sur le bien fondé des demandes de la société ATTICUS

Considérant qu’il résulte des pièces versées aux débats :

qu’au cours des derniers mois de l’année 1999 et au début de l’année 2000, le fonds d'investissement NR ATTICUS dont la gestion est assurée par la société ATTICUS a pris des participations dans la capital de la société GROUPE ANDRE et disposait ainsi, au mois de février 2000, de 30,53 % du capital de cette société et de 32,9 % de ses droits de vote ;

qu’ATTICUS a manifesté l’intention , dès le 4 février 2000, de solliciter la désignation de mandataires sociaux au sein de la société GROUPE ANDRE et a adressé à cette société des projets de résolution tendant à la nomination de quatre nouveaux membres au conseil de surveillance du GROUPE ANDRE compose de neuf personnes ;

que par lettre du 21 février 2000 le Président du directoire de la société GROUPE ANCRE a fait connaitre à NR ATTICUS son intention de céder les actions d’autocontrôle de la société ;

que le 22 février 2000 la société ATTICUS a présenté une requête au président du tribunal de commerce de Paris non seulement pour être autorisée à assigner GROUPE ANDRE en référé d’heure à heure afin d’obtenir les mesures qui ont donné lieu à la décision attaquée, mais aussi pour obtenir à titre conservatoire l’interdiction de cession des titres d’autocontrôle de la société GROUPE ANDRE ;

qu’une ordonnance de mise sous séquestre de ces titres, jusqu’à la décision de référé, a été prononcée le même jour par le président du tribunal de commerce ;

que le 23 février 2000 , la société GROUPE ANDRE a demandé et obtenu le report de l’assemblée générale des actionnaires prévue pour le 29 février 2000, cette assemblée étant actuellement fixée au 5 avril prochain ;

Considérant que pour conclure à l’infirmation du jugement de référé et justifier ses prétentions, la société ATTICUS soutient que la société GROUPE ANDRE, en faisant reporter la réunion de l’assemblée générale et en décidant subitement de vendre ses actions d’autocontrôle selon des modalités non précisées, alors en outre qu’elle n’a pas le droit de procéder à une telle cession, a accompli des manoeuvres susceptibles de permettre aux dirigeants et à certains actionnaires de disposer d’un actif de la société dans leur intérêt personnel ; qu’elle estime que l’opération ayant été menée dans des conditions de conformité à l’intérêt social douteuses et au mépris du devoir de neutralité des dirigeants, les mesures sollicitées doivent être accueillies, principalement sur le fondement de l’article 872 du nouveau code de procédure civile ou même sur celui de l’article 873 alinéa 1er ;

Considérant qu’il existe manifestement en l’espèce un différend, au sens du premier de ces textes, lié à la volonté exprimée par la société ATTICUS, sinon de prendre le contrôle de la société GROUPE ANDRE, du moins d’en surveiller la gestion et à celle des dirigeants actuels de l’entreprise visée de réaliser une opération de cession d’actions qu’ils estiment conforme à l’intérêt social ;

Considérant cependant que la constatation d’un tel différend ne suffit pas à justifier la mise sous séquestre et l’interdiction de cession des actions d’autocontrôle de la société GROUPE ANDRE ;

Considérant en effet que, compte tenu de la nature provisoire ou conservatoire de son intervention, la juridiction des référés ne doit prononcer que les mesures strictement nécessaires à la préservation des intérêts d’une partie, sans porter à l’autre une atteinte excessive et illégitime à ses prérogatives ;

Considérant que le droit dont bénéficie tout actionnaire de céder ses actions, de récupérer le montant de son investissement et celui de la plus-value éventuelle est reconnu également pour les actions dites d’autocontrôle par l’article 217-2 de la loi du 24 juillet 1966 selon lequel la cession ou le transfert de ces actions peut être effectue “par tous moyens” ; qu’à supposer que le Règlement 89-03 de la Commission des Opérations de Bourse (C.O.B.) apporte des restrictions à l’exercice de cette faculté, conforme au droit commun de la liberté contractuelle, elles ne sauraient s’appliquer en l’espèce puisque la cession envisagée n’intervient pas en période d’offre publique d’achat ;

Considérant qu’il convient d’observer que, tout en contestant aujourd’hui le droit de GROUPE ANDRE de céder ses actions d’autocontrôle, la société ATTICUS en avait pourtant sollicite la mise en oeuvre à son profit le 2 février 2000, avant de rétracter son offre pour des raisons étrangères à la validité de l’opération ; que la juridiction des référés ne saurait en toute hypothèse, ni se prononcer sur la régularité au regard de l’article 217-11 alinéa 2 de la loi du 24 juillet 1966 de l’acquisition par la société NICE CAPITAL VALEURS d’une partie des actions d’autocontrôle de GROUPE ANDRE, la qualité de prête-nom attribuée par l’appelant à cette filiale ne pouvant être présumée, ni préjuger de la conformité de l’opération envisagée aux buts poursuivis par l’assemblée générale des actionnaires qui avait antérieurement autorisé l’acquisition des titres d’autocontrôle ;

Considérant que si les dirigeants d’une société doivent en toutes circonstances s’abstenir d’exercer leurs prérogatives à des fins purement personnelles, il ne peut à priori être pose en principe que la cession par GROUPE ANDRE de ses actions d’autocontrôle portera atteinte à l’intérêt de cette société ; que l’appréciation d’une atteinte éventuelle à cet intérêt, qui ne se confond pas avec celui de quelques actionnaires ou groupes d’actionnaires, dépendra des conditions, notamment financières, dans laquelle interviendra la cession ;

Considérant qu’il n’est pas non plus interdit aux dirigeants d’une société de tenter de combattre l’action engagée par certains associés pour, apparemment, modifier la politique de l’entreprise, dès lors qu’ils le font par des moyens licites et dictés par le souci de défendre l’intérêt de la société ;

Considérant que sur ce point, à la volonté manifestée par ATTICUS d’améliorer (la) performance “opérationnelle de GROUPE ANDRE et “son positionnement sur le marché de la distribution” (La Tribune, 22 février 2000), la société GROUPE ANDRE oppose l’amélioration de la trésorerie et le financement du développement de l’entreprise qui découleront, selon elle, d’une cession des titres d’autocontrôle au cours actuel de bourse ;

Considérant que la société ATTICUS ne saurait, au prétexte qu’elle conteste la conformité de la cession à l’intérêt social, priver GROUPE ANDRE du droit de la réaliser ; que l’arbitrage de ce conflit, l’appréciation de la légitimité et de la sincérité des objectifs ainsi affiches appartiennent, non au juge des référés saisi préventivement qui ne dispose pas des preuves démontrant la fausseté évidente de l’une ou l’autre thèse, mais à la collectivité des associés, aux acteurs du marché boursier, sous le contrôle des juridictions du fond compétentes ;

Considérant en outre que l’atteinte invoquée par ATTICUS aux droits des actionnaires, notamment à celui d’obtenir une représentation dans les instances dirigeantes conforme à l’importance de ses participations dans le capital de la société, n’est qu’éventuelle ; qu’en effet, compte tenu des dispositions de la loi du 2 juillet 1996 relatives aux transactions sur les marches règlementés, de celles des articles 4-1-31 et 4.1.32 du Règlement général du Conseil des Marchés Financiers, du contrôle exerce par les autorités boursières, des régies de transparence et d’information du public prévues par les textes susvisés pour les opérations réalisées hors marché règlementé, ATTICUS conserve la possibilité, soit d’acquérir lui-même les actions d’autocontrôle mises sur le marché, soit de contester la transaction devant la juridiction compétente, notamment en cas de cession à vil prix, et de faire sanctionner le détournement de pouvoir dont le preuve pourrait ainsi être rapportée ;

Considérant que, malgré l’apparente précipitation de la décision de vente des actions d’autocontrôle, il ne peut être présumé que les dirigeants du GROUPE ANDRE, négligeant l’intérêt général, agiront dans l’unique dessein de favoriser une catégorie d’actionnaires au détriment des autres ; qu’ATTICUS, dont les participations dans le capital social de GROUPE ANDRE conservent une importance particulière, ne démontre pas non plus que la cession l’empêchera nécessairement de réaliser son projet de désignation de nouveaux membres du conseil de surveillance ; que l’indétermination actuelle des conditions de la cession, les droits ou garanties dont bénéficiera en toute hypothèse ATTICUS à l’instar des autres investisseurs potentiels impliquent que ne puissent être accueillies des mesures qui constitueraient une restriction injustifiée au principe de la liberté des transactions et qui aboutiraient, non à préserver les intérêts d’une partie dans l’attente d’une décision sur le litige, mais à trancher le différend en faveur de cette partie ;

Considérant que, non fondées au regard de l’article 872 du nouveau code de procédure civile, les mesures sollicitées ne le sent pas non plus en vertu de l’article 873 du même code ; qu’aucun fait ou acte susceptible de constituer un trouble manifestement illicite n’a été pour l’instant accompli ; que les circonstances et incertitudes précédemment relevées quant aux modalités de la cession envisagée par GROUPE ANDRE privent le péril invoqué de son caractère d’imminence requis pour la mise en oeuvre de mesures de référé ; qu’ainsi la décision attaquée doit être confirmée et la mesure de séquestre provisoire prononcée par le délégué du premier président de la cour d’appel doit être levée ;

Considérant que l’application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile n’est justifiée qu’a regard des intimés ;

Considérant que la société ATTICUS, qui succombe en son appel, doit être condamnée aux dépens ;

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable l’appel formé par la société ATTICUS MANAGEMENT Ldt,

Confirme la décision déférée,

Ordonne en conséquence la mainlevée immédiate du séquestre des actions d’autocontrôle détenues par la société GROUPE ANDRE et la société NICE CAPITAL VALEURS,

Condamne la société ATTICUS MANAGEMENT Ltd à payer à la société GROUPE ANDRE, la société NICE CAPITAL VALEURS, Jean-Claude SARAZIN, Francine VANNER, ensemble, la somme de 50.000 francs au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne la société ATTICUS MANAGEMENT Ltd aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du nouveau code de procédure civile.