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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 4 octobre 2022, n° 20/03094

MONTPELLIER

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

[T] [N] épouse [M]

Défendeur :

[R] [S]

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

SCP GIPULO - DUPETIT - MURCIA, SELARL CÉLINE DONAT &amp, Me Karine MENICHETTI

Perpignan, du 30 juin 2020

30 juin 2020

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre, et par Madame Hélène ALBESA, greffier.

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

Par acte sous seing privé en date 7 avril 2015, [T] [N] épouse [M] a donné à bail commercial à l'EURL Broderie Sang et Or, ayant pour gérante [R] [S], un immeuble de deux étages sur rez-de-chaussée et courette, ainsi qu'un garage attenant, situés à [Localité 8] (Pyrénées-Orientales) [Adresse 4], pour une durée de 9 ans, du 7 avril 2015 au 30 avril 2024.

Le 30 novembre 2015, Mme [S] a, par courrier recommandé, demandé à Mme [M] l'autorisation de sous-louer pour un usage d'habitation une partie des locaux à un certain [W] [H], qui aura également la jouissance du garage attenant à l'immeuble ; par contrat du 1er janvier 2016, l'EURL Broderie Sang et Or représentée par Mme [S] a ainsi sous-loué à M. [H] une partie des locaux et le garage attenant pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, moyennant le paiement d'un loyer mensuel de 634 euros.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 2 janvier 2017, Mme [S] a informé Mme [M] qu'elle avait donné congé à M. [H], étant dans l'obligation de faire une liquidation de l'EURL Broderie Sang et Or, détentrice du droit au bail.

Par jugement du 1er février 2017, le tribunal de commerce de Perpignan a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'EURL Broderie Sang et Or, Mme [Z] étant désignée aux fonctions de liquidateur.

Par courriers recommandés des 14 février et du 27 mars 2017, le liquidateur a demandé, en vain, à M. [H] de s'acquitter des loyers dus et de quitter les lieux ; parallèlement, il a, par courrier du 27 mars 2027, informé Mme [M] qu'il n'entendait pas poursuivre le contrat de bail commercial conclu avec l'EURL Broderie Sang et Or et que la résiliation prenait effet à la réception dudit courrier.

Par ordonnance du 8 novembre 2017, le juge des référés du tribunal d'instance de Perpignan, que Mme [M] avait saisi, a prescrit l'expulsion de M. [H] et de son épouse et, le 25 juin 2018, la propriétaire a pu reprendre possession des lieux.

Par courrier du 17 juillet 2018, Mme [M] a, par l'intermédiaire de son conseil, mis Mme [S] en demeure de lui régler la somme de 24 496,16 euros au titre de la perte de loyers subie à compter de février 2017, des frais d'huissier et honoraires d'avocat engagés et de son préjudice moral lié à l'impossibilité d'usage de son bien.

Mme [S] a répondu, le 14 septembre 2018, qu'elle avait été autorisée par la propriétaire à sous-louer les lieux et n'avait donc commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.

Par exploit du 21 décembre 2018, Mme [M] a fait assigner Mme [S] devant le tribunal de commerce de Perpignan en responsabilité et indemnisation de son préjudice.

Le tribunal, par jugement du 30 juin 2020, a :

- déclaré l'action irrecevable car prescrite,

- condamné Mme [N] épouse [M] aux dépens de l'instance.

Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a relevé que Mme [M] avait, le 7 avril 2015, autorisé la sous-location d'une partie des locaux, que la locataire avait elle-même, pour satisfaire à l'article 10 du contrat de bail, sollicité l'autorisation de sous-louer par courrier recommandé du 30 novembre 2015 distribué le 4 décembre suivant et que l'action introduite par exploit du 21 décembre 2018 était donc prescrite en application des dispositions de l'article L. 223-23 du code de commerce.

Mme [M] a régulièrement relevé appel, le 27 juillet 2020, de ce jugement en vue de sa réformation.

Elle demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées le 14 octobre 2020 via le RPVA et au visa de l'article L. 223-22 du code de commerce et des articles 1240 et 1241 du code civil, de :

(')

- dire et juger que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité de Mme [S] en sa qualité de dirigeant social, doit être fixé à la date de la connaissance du fait dommageable par Mme [M], soit le 2 janvier 2017, et subsidiairement à la date de commission du fait dommageable en l'occurrence l'établissement d'un contrat de sous-location à destination d'habitation en date du 1er janvier 2016,

- dire et juger que l'assignation devant le tribunal de commerce délivrée le 21 décembre 2018 est intervenue avant l'expiration du délai de 3 ans,

- en conséquence, débouter Mme [S] de sa demande tendant à voir dire prescrite l'action de Mme [M],

- donner acte à Mme [M] qu'elle conteste formellement avoir apposé sa signature au bas de la pièce n°14 du bordereau de Mme [S], à savoir un « état des lieux à la prise de possession en date du 7 avril 2017 »,

- dire et juger que le document n'étant pas signé de la main de Mme [M], il ne peut lui être opposé, qu'il n'est pas établi par Mme [S] de ce que les lieux loués l'aient été à destination, même partielle, d'habitation, qu'en établissant le 1er janvier 2016 un contrat de sous-location à destination d'habitation d'une partie des locaux que l'EURL Broderie Sang et Or louait à Mme [M], en infraction aux clauses du bail commercial, sans accord de la bailleresse et en faisant faussement état d'un accord écrit exprès qui lui aurait été donné à cette fin le 1er janvier 2016, Mme [S] a commis une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité, incompatible avec un exercice normal de ses fonctions de dirigeant social de l'EURL Broderie Sang et Or et que la faute commise par Mme [S] engage sa responsabilité personnelle envers Mme [M] en raison du préjudice en découlant,

- condamner en conséquence Mme [S] à payer à Mme [M] les sommes suivantes :

' 13 300 euros au titre de la perte de jouissance du bien loué du mois d'avril 2017 au mois de juin 2018,

' 2116,16 euros au titre des frais d'huissier pour l'expulsion du sous-locataire,

' 1230 euros au titre des honoraires d'avocat pour l'expulsion du sous-locataire,

' 5 000 euros au titre du préjudice moral,

- dire et juger que lesdites sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018, date de la mise en demeure,

- condamner Mme [S] à payer à Mme [M] une indemnité de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Mme [S] aux entiers dépens d'instance.

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- l'action n'est pas prescrite puisque le dommage à l'origine de l'action en responsabilité est le contrat de sous-location à destination d'habitation signé le 1er janvier 2016 par Mme [S], dont elle n'a eu connaissance que par le courrier de cette dernière en date du 2 janvier 2017,

- Mme [S] a commis une faute détachable de ses fonctions de gérante de l'EURL Broderie Sang et Or et engagé sa responsabilité personnelle à son égard justifiant l'octroi de dommages et intérêts, dès lors qu'elle a conclu un contrat de sous-location à usage d'habitation dans le cadre d'un bail principal exclusivement commercial sans son autorisation et qu'elle a fait mention, de manière mensongère dans le contrat de sous-location, d'un accord écrit de sa part, ce qui est constitutif d'un faux et usage de faux,

- c'est uniquement la présence de M. [H] dans les lieux, lequel se prévalait du contrat de sous-location lui ayant été abusivement octroyé, qui a fait obstacle à ce qu'elle puisse reprendre immédiatement possession de son bien, sachant qu'il n'existe pas dans l'immeuble, disposant d'une entrée unique, une partie habitable indépendante du local commercial.

Mme [S], dont les conclusions ont été déposées par le RPVA le 30 octobre 2020, sollicite de voir, au visa des articles 223-22 et suivants du code de commerce :

A titre liminaire,

- constater que l'action engagée par Mme [M] le 21 décembre 2018 est prescrite, eu égard au point de départ du fait dommageable, soit le 30 novembre 2015,

- en conséquence, confirmer le jugement rendu par les premiers juges,

- dire et juger l'action engagée par la partie demanderesse irrecevable,

A titre principal,

- constater que Mme [S] n'a commis aucune faute intentionnelle détachable de ses fonctions de dirigeant,

- dire et juger les demandes formulées à son encontre par Mme [M] infondées,

- en conséquence, confirmer le jugement de première instance querellé en ce qu'il a rejeté l'ensemble de l'argumentaire développé par Mme [M],

- rejeter les demandes formulées par la partie demanderesse comme étant infondées,

A titre subsidiaire,

- constater que Mme [M] ne rapporte aucunement la preuve de l'existence du préjudice qu'elle prétend avoir subi,

- en conséquence, rejeter les demandes de condamnation formulées à l'encontre de Mme [S] quant au versement de dommages et intérêts au bénéfice de Mme [M],

A titre infiniment subsidiaire,

- constater l'état d'impécuniosité de Mme [S],

- en conséquence, accorder à la concluante des délais de paiement sur une période de deux années,

- dire et juger que les règlements échelonnés s'imputeront en priorité sur le capital,

En tout état de cause,

- constater que Mme [S] est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle,

- rejeter les demandes formulées par la partie demanderesse sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre le charge des entiers dépens.

Elle expose en substance que :

- l'action est prescrite puisque la situation dénoncée par Mme [M] a été portée à sa connaissance le 4 décembre 2015, date à laquelle elle a reçu le courrier lui indiquant son intention de sous-louer les locaux à M. et Mme [H] à usage d'habitation, et avait donc jusqu'au 4 décembre 2018 pour engager une action,

- Mme [M] était parfaitement informée du projet de contrat de sous-location, aucun faux n'ayant été établi par elle relativement à la mention de cet accord dans le contrat de sous-location,

- l'état des lieux est compatible avec la conclusion d'un contrat à usage d'habitation puisque l'immeuble dispose d'un appartement comportant notamment une cuisine, un séjour et une salle de bain et de deux entrées séparées, permettant d'accéder l'une à l'habitation, l'autre à la boutique,

- Mme [M] ne rapporte pas la preuve qu'elle était en mesure de relouer immédiatement son bien à la suite de la résiliation du bail commercial,

- elle pouvait en outre relouer le local commercial dès son départ, l'appartement, bien que figurant dans l'assiette du bail commercial, étant indépendant du local commercial.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 27 mai 2022.

MOTIFS de la DECISION :

Aux termes de l'article L. 223-22 du code de commerce : « Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion (') » ; l'article L. 223-23 du même code dispose que l'action en responsabilité prévue par ce texte se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.

En l'occurrence, la responsabilité de Mme [S], en sa qualité de gérante de l'EURL Broderie Sang et Or, est recherchée pour avoir, sans autorisation de la bailleresse, sous-loué une partie des locaux faisant l'objet du bail commercial conclu le 7 avril 2015.

Il résulte cependant des pièces produites que par courrier du 22 novembre 2015, Mme [M], propriétaire de l'immeuble du [Adresse 4], a donné à Mme [S] l'autorisation de sous-louer une partie des locaux, lui demandant de l'avertir de la sous-location, par courrier recommandé, spécifiant notamment les nom, prénom et qualité du sous-locataire, ainsi que le montant du loyer, et que par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 30 novembre 2015, Mme [S], en sa qualité de gérante de l'EURL Broderie Sang et Or, a informé Mme [M] de son intention de sous-louer une partie des locaux sur les deux étages de l'immeuble en tant qu'habitation à un certain [W] [H], qui y logera avec sa femme et leur bébé (sic), moyennant la somme de 500 euros de janvier à mars 2016 et de 634 euros à compter d'avril 2016, correspondant aux deux tiers du prix du bail.

Mme [M] conteste avoir reçu ce courrier du 30 novembre 2015 et prétend qu'elle n'a eu connaissance de la sous-location qu'à la réception du courrier lui ayant été adressé le 2 janvier 2017 par Mme [S] pour l'informer du congé délivré à M. [H].

Pour autant, le courrier du 30 novembre 2015 a bien été envoyé à l'adresse de Mme [M], que celle-ci avait indiqué dans son courrier du 22 novembre 2015 ([Adresse 3]), et il est communiqué l'avis de réception de ce courrier signé le 4 décembre 2015 ; la signature figurant sur cet avis de réception est identique à celle apposée sur le contrat de bail commercial du 7 avril 2015 sous le nom de Mme [M], précédée de la mention « Pp » (par procuration) ; il convient donc de considérer que Mme [M] a bien été informée, à la date du 4 décembre 2015, de l'identité du sous-locataire et des conditions de la sous-location, ce dont il résulte que l'action en responsabilité, qu'elle a engagée par exploit du 21 décembre 2018, l'a été plus de trois ans après le fait dommageable ; c'est donc à juste titre que le premier juge a déclaré l'action prescrite.

Succombant sur son appel, Mme [M] doit être condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 30 juin 2020,

Condamne [T] [N] épouse [M] aux dépens d'appel,

Constate que [R] [S] est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle par décision n° 2020/010895 du 28 octobre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle établi au siège du tribunal judiciaire de Montpellier.