CA Nîmes, ch. com., 5 octobre 2022, n° 20/02933
NÎMES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
[L] [E]
Défendeur :
[P] [T]
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Christine CODOL
Conseillers :
Madame Claire OUGIER, Madame Agnès VAREILLES
Avocats :
Me Fatos CETINKAYA, SCP JULLIEN PALETIER SERPEGINI, SELARL LEXAVOUE NIMES
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 13 novembre 2020 par Monsieur [L] [E] à l'encontre du jugement prononcé le 7 août 2020 par le tribunal judiciaire de Privas dans l'instance n° 18/01303.
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 29 août 2022 par l'appelant et le bordereau de pièces qui y est annexé.
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 1er août 2022 par Monsieur [P] [T], intimé, et le bordereau de pièces qui y est annexé.
Vu l'ordonnance du 24 mars 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 1er septembre 2022.
* * *
Par acte notarié du 19 mars 2015, la SARL Asya cédait un fonds de commerce de restauration-vente à emporter sis à [Adresse 6], avec le droit au bail résultant d'un acte notarié contracté avec le propriétaire des locaux, appelant.
Par acte d'huissier du 7 septembre 2018, le bailleur faisait délivrer au preneur une sommation d'exécuter des travaux de mise aux normes des lieux loués et de remise en état de la façade, sous peine de faire application de la clause résolutoire prévue au contrat de bail du 13 mars 2015.
Par exploit du 29 mars 2019, le bailleur a fait assigner le preneur en résiliation du bail commercial, tandis que le preneur faisait assigner le bailleur en nullité de congé. Après jonction des deux procédures, le tribunal judiciaire de Privas a, par jugement du 7 août 2020 :
Débouté le bailleur de toutes ses réclamations (résiliation bail, expulsion, indemnité d'occupation, frais de remise en état, indemnité de l'article 700 du code de procédure civile)
Jugé que celui-ci renonçait à invoquer un éventuel congé et/ou refus de renouvellement du bail commercial liant les parties affirmant en sus son droit de repentir,
Jugé par suite sans objet la demande de nullité de congé/non renouvellement (acte du 11 septembre 2017),
Débouté le preneur de toutes ses réclamations (dommages intérêts et exécution de travaux)
Jugé n'y avoir lieu à exécution provisoire,
Condamné le bailleur à payer au preneur la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné le bailleur aux dépens des instances jointes.
Le bailleur a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Dans ses dernières écritures, il demande à la cour de :
Vu l'article L 145-41 du Code de commerce ;
Vu l'article R 123-19 du Code de la construction et de l'habitation ;
Vu les articles PE 4 et PE 6 de l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public ;
Vu l'article R 423-1 du Code de l'urbanisme ;
Vu l'article 1217 du Code civil ;
Vu le bail commercial en date du 13 mars 2015 ;
Vu la sommation d'exécuter en date du 7 décembre 2018 ;
- DECLARER l'appel recevable et bien fondé
- INFIRMER le jugement entrepris en ses chefs de jugement critiqués et le confirmer pour le surplus
Statuant à nouveau sur les chefs de jugement critiqués :
A titre principal :
- CONSTATER la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire prenant effet le 7 février 2019 pour défaut d'exécution de travaux
- CONDAMNER le preneur au paiement d'une indemnité d'occupation égale au loyer global de la dernière année de location majoré de 50%, soit la somme de 1.500€, due mensuellement à compter de mars 2019 jusqu'à libération complète des lieux
A titre subsidiaire :
- PRONONCER la résiliation du bail aux torts exclusifs du preneur, pour manquements graves et persistants à ses obligations contractuelles d'exécution de travaux de mise aux normes et défaut de remise en état de la façade
- CONDAMNER le preneur au paiement d'une indemnité d'occupation égale au loyer global de la dernière année de location majoré de 50%, soit la somme de 1.500€, due mensuellement à compter de la date de résiliation du bail jusqu'à libération complète des lieux
En tout état de cause :
- ORDONNER l'expulsion du preneur et de tous occupants de son chef sous astreinte de 100€ par jour de retard
- DIRE que faute par lui de ce faire, il sera procédé à leur expulsion avec au besoin le concours de la force publique
- PRONONCER l'acquisition du dépôt de garantie au bailleur à titre d'indemnité
- CONDAMNER le preneur au paiement de la somme de 25.327,50€ au titre des frais de remise en état
- CONDAMNER le preneur aux entiers dépens de première instance et d'appel
- CONDAMNER le preneur au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, le bailleur expose que le preneur n'a pas réalisé les travaux mentionnés dans la sommation d'exécuter (dispositif coupe-feu, remise en état de la façade) de sorte que la clause résolutoire s'est appliquée. Il rappelle que le contrat de bail comporte une clause mettant à la charge du preneur tous les travaux de mise aux normes et que tous travaux de transformation de l'immeuble, tels que le changement de couleur d'une façade, nécessitaient son accord préalable, lequel n'a pas été sollicité par le preneur.
Le bailleur expose également que le preneur devait mettre en place un dispositif d'extraction d'air conforme à son activité et non pas installer un tubage dans un ancien conduit et qu'il est responsable des dégâts constatés dans la cave causés par les ruissellements d'eau provenant du restaurant.
Subsidiairement, le bailleur soutient que les manquements décrits précédemment sont graves en ce qu'ils compromettent la sécurité de l'immeuble et perdurent depuis plusieurs années, de sorte que la résiliation judiciaire du bail doit être prononcée, avec toutes conséquences de droit.
Le preneur forme appel incident pour voir condamner le bailleur au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts en remboursement des frais d'expertise judiciaire et en dédommagement des nuisances d'ores et déjà subies, outre l'indemnisation de ses frais non compris dans les dépens pour un montant de 7 000 euros au total.
Le preneur fait valoir qu'il ne peut réaliser de plafond coupe-feu tant que le bailleur n'a pas exécuté les travaux de réhabilitation de l'immeuble, lequel présente un risque d'effondrement, constaté par voie d'expertise judiciaire.
Il soutient que les travaux de peinture de la façade ne constituent que des travaux d'amélioration et d'entretien ne nécessitant pas l'accord du bailleur. Il précise qu'en tout état de cause, il a repeint sa devanture dans la couleur d'origine afin de satisfaire son bailleur.
Il fait valoir que l'expert judiciaire a préconisé un conduit de fumée neuf, devant être monté jusqu'en toiture, à la charge du bailleur, le preneur devant, quant à lui, réaliser le tubage. Or, le conduit de fumée n'est toujours pas réalisé et le preneur argue de son impossibilité à exécuter ces travaux alors qu'il n'a pas accès à la totalité du bâtiment.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Aucune prétention n'est formée sur le congé délivré par le bailleur ou le droit au renouvellement du preneur. Par conséquent, la cour n'est pas saisie de ces demandes.
Sur l'application de la clause résolutoire :
Le bailleur a invoqué deux manquements dans la sommation d'exécuter visant la clause résolutoire datée du 7 décembre 2018: un conduit d'évacuation de fumée non conforme aux normes ainsi que l'absence de plafond coupe-feu respectant les normes incendie d'une part et une modification de façade sans avoir recueilli l'autorisation du bailleur d'autre part.
Le bail contient une clause de destination tous commerces et le bailleur n'est tenu que des travaux permettant au preneur d'user des lieux. Il appartient à ce dernier de réaliser les travaux supplémentaires en accord avec l'usage spécifique qu'il prétend donner aux lieux. (Civ. 3, 6 mars 2012 pourvoi 11-14.156). Par conséquent, tant le conduit de fumée que le tubage de l'extracteur sont à la charge du preneur et il doit effectuer les travaux nécessaires, après avoir reçu l'accord du bailleur pour son intervention portant sur des pièces non louées.
Cependant, le preneur invoque une exception d'inexécution.
En effet, une expertise judiciaire déposée le 24 septembre 2018 a constaté que la cuisine du restaurant est équipée d'une hotte en acier inoxydable avec un moteur d'extraction situé dans la hotte. Le tubage de l'extraction traverse les étages dans un ancien conduit de fumée, en partie démoli. L'expert relève que le conduit de fumée doit être continu, coupe-feu 2 heures et doit déboucher en toiture. Or la toiture a besoin d'être reprise et l'expert préconise un remplacement intégral avec chaînage en tête de mur.
Le constat de la nécessité de refaire la toiture n'est pas discuté, les désaccords des parties portant uniquement sur les responsabilités de la détérioration du conduit de fumée.
A cet égard, le bailleur ne justifie pas avoir effectué la grosse réparation que constitue le remplacement de la toiture, réparation qui est légalement à sa charge. Dès lors, le preneur est recevable à invoquer une exception d'inexécution, l'extracteur devant déboucher dans une toiture apte à le recevoir.
De même, il est vain de réclamer au preneur de réaliser un plafond coupe-feu alors que l'expert a constaté que le plafond existant du restaurant est affecté par les coulures d'eau en partie arrière, parce que le couvert des locaux n'est pas assuré par le propriétaire : la charpente est en partie pourrie et la couverture est totalement hors d'usage, des trous étant visibles à l''il nu.
Le preneur est là aussi fondé à invoquer l'exception d'inexécution.
En ce qui concerne les travaux de peinture de la façade, le bail met à la charge du preneur les peinture extérieures qui doivent être maintenues en parfait état de fraîcheur. Un changement de couleur de peinture ne transforme pas les lieux loués et le bailleur est mal fondé à invoquer la clause du bail relative aux transformations. Le changement de couleur de peinture de la devanture s'inscrit dans les travaux de rafraichissement que peut librement effectuer le preneur, sous réserve de se conformer à la réglementation administrative en la matière.
Toujours est-il que le bailleur ne se prévaut - dans la sommation d'exécuter - que de l'absence d'autorisation donnée à ces travaux de peinture extérieure, ce qui est contraire aux stipulations du bail, de sorte que la clause résolutoire n'est pas acquise.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur la résiliation judiciaire :
Les manquements du preneur en matière de mise aux normes sont uniquement dus à la carence du bailleur qui ne respecte pas son obligation de délivrance en n'assurant pas le clos et le couvert des lieux loués. Un arrêté de péril ordinaire a d'ailleurs été pris par le président de la communauté des communes le 25 janvier 2019.
Ils ne justifient par conséquent pas la résiliation judiciaire du bail commercial.
En ce qui concerne la peinture extérieure, il ressort des pièces produites, en particulier du constat d'huissier communiqué par le bailleur, qu'un ravalement de la façade de l'immeuble est nécessaire. En effet, l'enduit à la chaux est très ancien et doit être repris avant de supporter une quelconque peinture. Le bailleur indique d'ailleurs dans ses écritures qu'il projette un ravalement de la totalité de la façade de l'immeuble.
Dans ce contexte, une couleur de peinture dysharmonieuse, qui a vocation à disparaître prochainement en raison de ce prochain ravalement de façade, ne constitue pas un manquement suffisamment grave de nature à faire prononcer la résiliation judiciaire du bail, quand bien même la couleur choisie par le preneur ne correspond pas aux prescriptions administratives.
Il s'ensuit que le bailleur doit être débouté de l'ensemble de ses demandes, le jugement étant confirmé en toutes ses dispositions de ces chefs.
Sur l'appel incident :
Ainsi que le relève le bailleur, le preneur ne justifie pas des préjudices allégués : la facture de démontage des fenêtres et volets est adressée à la communauté des communes et il n'est pas justifié de son règlement par le preneur.
Les frais d'expertise sont compris dans les dépens.
Aucun justificatif n'est communiqué de nature à démontrer les désagréments invoqués.
Le preneur sera par conséquent débouté de sa demande de dommages intérêts.
Sur les frais de l'instance :
Le bailleur, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance, lesquels comprendront les frais de l'expertise judiciaire du 24 septembre 2018.
Il devra payer au preneur une somme équitablement arbitrée à 2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement étant en outre confirmé sur les frais irrépétibles exposés en première instance.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare fondée l'exception d'inexécution invoquée par Monsieur [T],
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions dévolues à la cour.
Dit que Monsieur [E] supportera les dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront les frais de l'expertise judiciaire du 24 septembre 2018 et payera à Monsieur [T] une somme de 2500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.