CA Paris, 4e ch. A, 7 novembre 2007, n° 06/14734
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
COMITE INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE, INSTITUT NATIONAL DE L'ORIGINE ET DE LA QUALITE (INAO)
Défendeur :
CSR (SA), ORANGINA SCHWEPPES HOLDING (Sté), JFA (Sté), PERNOD RICARD (SA), SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. CARRE-PIERRAT
Conseillers :
Mme ROSENTHAL-ROLLAND, Mme CHOKRON
Avoués :
SCP HARDOUIN, SCP LAGOURGUE - OLIVIER, SCP FANET - SERRA
Avocats :
SELARL ESCANDE, Me Annick LECOMTE, BCTG et associés
Vu l'appel interjeté, le 4 août 2006, par le COMITE INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE, ci-après le CIVC, et l'INSTITUT NATIONAL DES APPELLATIONS D'ORIGINE, ci-après l'INAO, d'un jugement rendu le 10 mai 2006 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :
* débouté les appelants de leur demande de nullité de la marque internationale CHAMPOMY, déposée le 18 décembre 1990 à l'OMPI sous le n° 564 584,
* dit que les appelants ne rapportent pas la preuve que l'accord du 9 janvier 1991 conclu avec la société PERNOD RICARD contient une condition relative à une interdiction de dépôt du terme CHAMPOMY comme marque à l'étranger,
* débouté les appelants de leur demande de résiliation de l'accord du 9 janvier 1991,
* dit que les dispositions de l'article L. 716-5 alinéa 4 du Code de la propriété intellectuelle ne sont pas applicables à une appellation d'origine,
* déclaré les appelants recevables à agir en nullité des marques françaises n° 1 595 175 et n° 1 595 176 dont est titulaire la société SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED, et les a déboutés de leurs demandes en nullité de ces marques,
* débouté les appelants de leurs demandes en nullité de la marque CHAMPOMY n° 3 028 958 pour les services et produits des classes 16,18, 21,25, 28 et 30, des marques françaises CHAMPOMY FUNNY ROSY et CHAMPOMY FUNNY ROSE, enregistrées sous les n° 01 3 116 928 et 01 3 116 929 pour désigner les produits et services de la classe 32, et de la marque française CHAMPOMY MAGIC SHOW n° 3 021 596,
* condamné in solidum les appelants à payer la somme de 1.000 euros à chacune des sociétés PERNOD RICARD, CSR, PAMPRYL et ORANGINA PAMPRYL et à la société SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ,
* débouté les parties du surplus de leurs demandes,
* condamné les appelants aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 10 septembre 2007, par lesquelles le COMITE INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE et l'INSTITUT NATIONAL DE L'ORIGINE ET DE LA QUALITE, ci-après l'INAO, venant aux droits de l'INSTITUT NATIONAL DES APPELLATIONS D'ORIGINE, poursuivant la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit que les dispositions de l'article L. 716-5, alinéa 4, du Code de la propriété intellectuelle ne sont pas applicables à une appellation d'origine et qu'en conséquence ils sont recevables à agir en nullité des marques CHAMPOMY n° 1 595 175 et CHAMPOMY LA BOISSON DE LA FETE n° 1 595 176, demandent à la cour de l'infirmer pour le surplus, et de :
* juger que les sociétés PERNOD RICARD, COMPAGNIE FINANCIERE CSR, JFA, anciennement dénommée PAMPRYL et ORANGINA SCHWEPPES HOLDING, anciennement dénommée ORANGINA PAMPRYL et SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED, n'ont pas respecté les termes de l'accord conclu le 9 janvier 1991 ; que cet accord est donc résilié à leurs torts exclusifs,
* juger que l'usage du terme CHAMPOMY par les sociétés PERNOD RICARD, COMPAGNIE FINANCIERE CSR, JFA, anciennement dénommée PAMPRYL et ORANGINA SCHWEPPES HOLDING, anciennement dénommée ORANGINA PAMPRYL et SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED, pour désigner une boisson pétillante à base de jus de pommes constitue une évocation du nom de l'appellation d'origine contrôlée CHAMPAGNE qui conduit à en détourner et en affaiblir la notoriété,
* interdire en conséquence, en application des articles L. 643-1 du Code rural (anciennement L. 641-2) et L. 115-6 (anciennement L. 115-5) du Code de la consommation, l'usage aux sociétés PERNOD RICARD, COMPAGNIE FINANCIERE CSR, JFA, anciennement dénommée PAMPRYL et ORANGINA SCHWEPPES HOLDING, anciennement dénommée ORANGINA PAMPRYL et SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED, de la dénomination CHAMPOMY pour désigner cette boisson où toutes autres,
* assortir cette interdiction d'une astreinte de 10'000 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la cour se réservant le pouvoir de liquider les astreintes éventuellement encourues,
* juger que les marques CHAMPOMY n° 1 595 175, CHAMPOMY LA BOISSON DE LA FETE n° 1 595 176, CHAMPOMY n° 3 028 958, CHAMPOMY MAGIC SHOW n° 3 021 596, CHAMPOMY FUNNY ROSY n° 01 3 116 928 et CHAMPOMY FUNNY ROSE n° 01 3 116 926, portent atteinte par l'usage de la dénomination CHAMPOMY à l'appellation d'origine CHAMPAGNE dont la protection relève de l'ordre public et constitue un usage légalement prohibé, et ceci pour tous les produits et services visés aux dépôts,
* en application des dispositions des articles L. 711-3 à L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, prononcer la nullité desdites marques et dire que les termes de la décision à intervenir seront transcrits au Registre national des marques,
* juger que par l'usage fautif du terme CHAMPOMY associé à l'image du champagne, les sociétés PERNOD RICARD, COMPAGNIE FINANCIERE CSR, JFA, anciennement dénommée PAMPRYL et ORANGINA SCHWEPPES HOLDING, anciennement dénommée ORANGINA PAMPRYL et SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED ont causé à l'ensemble des ressortissants du CIVC un préjudice qui ne saurait être évalué à moins de 100'000 euros,
* juger que l'atteinte ainsi portée a également causé, en soi, un préjudice aux appellations d'origine contrôlées françaises qui ne sauraient être lui-même évalué à moins de 100'000 euros,
* condamner solidairement les sociétés PERNOD RICARD, COMPAGNIE FINANCIERE CSR, JFA, anciennement dénommée PAMPRYL et ORANGINA SCHWEPPES HOLDING, anciennement dénommée ORANGINA PAMPRYL et SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED, à réparer ces préjudices, en payant d'une part 100'000 euros à l'INAO et 100'000 euros au CIVC,
* en tout état de cause, juger que les sociétés PERNOD RICARD, COMPAGNIE FINANCIERE CSR, JFA, anciennement dénommée PAMPRYL et ORANGINA SCHWEPPES HOLDING, anciennement dénommée ORANGINA PAMPRYL sont tant irrecevables que mal fondées en leur demande de réparation du préjudice qui résulterait pour elles d'une réforme du jugement entrepris,
* juger qu'ils ne forment en cause d'appel aucune demande nouvelle à l'égard de la société SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED qui exploite dans les conditions ci-dessus décrites les marques CHAMPOMY litigieuses et qui commercialise aujourd'hui le produit ainsi désigné,
* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 10 journaux ou revues, aux frais des intimées considérées solidairement, sans que le coût de chaque insertion ne soit inférieur à 5.000 euros H.T.,
* condamner les intimées solidairement à payer à l'INAO d'une part et au CIVC d'autre part, la somme de 20'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;
Vu les uniques conclusions, en date du 22 mars 2007, par lesquelles la société SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED, demande à la cour de :
* constater que le CIVC et l'INAO n'avaient formé en première instance à son encontre qu'une demande d'interdiction d'usage des marques dont ils poursuivaient par ailleurs l'annulation,
* juger irrecevables les demandes nouvelles qu'ils forment en appel à son encontre tant aux fins de résiliation de l'accord verbal du 9 janvier 1991 qu'aux fins de condamnation à des dommages et intérêts en réparation d'un usage abusif,
* sur le fond, constater qu'en prétendant avoir licitement donné l'autorisation d'utiliser le terme CHAMPOMY, les appelants font l'aveu que ce terme ne pouvait constituer une usurpation de l'appellation d'origine contrôlée CHAMPAGNE,
* constater qu'en tout état de cause aucun risque de confusion avec l'appellation d'origine contrôlée CHAMPAGNE, au pouvoir évocateur par rapport à celle-ci, n'est susceptible de résulter des signes constituant les marques querellées, qui doivent être considérées en faisant abstraction de leurs conditions d'exploitation, d'ailleurs irréprochables,
* juger que, dès lors, ces marques ne reproduisaient un signe contraire à l'ordre public au sens de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, ni une appellation d'origine contrôlée au sens de l'article L. 711-4-d du même Code, et qu'il n'y a donc pas lieu de les annuler et, par voie de conséquence, de lui interdire l'usage de la dénomination CHAMPOMY,
* condamner in solidum le CIVC et l'INAO à lui payer la somme de 15'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Vu les ultimes conclusions signifiées le 23 août 2007, aux termes desquelles les sociétés PERNOD RICARD, COMPAGNIE FINANCIERE CSR, JFA et ORANGINA SCHWEPPES HOLDING, anciennement dénommée ORANGINA PAMPRYL, demandent à la cour de :
¤ à titre principal,
* constater que l'INAO et le CIVC ont renoncé à leur demande de nullité de la marque internationale CHAMPOMY, déposée le 18 décembre 1990 à l'OMPI sous le n° 564 584 et, en tant que de besoin, confirmer le jugement entrepris sur ce point,
* confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que les appelants ne rapportent pas la preuve que l'accord du 9 janvier 1991 conclu avec la société PERNOD RICARD contient une condition relative à une interdiction de dépôt du terme CHAMPOMY comme marque à l'étranger, ainsi que de leur demande de résiliation de l'accord du 9 janvier 1991 et de leur demande en nullité des marques françaises n° 1 595 175 et n° 1 595 176 dont est titulaire la société SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED, de la marque CHAMPOMY n° 3 028 958 pour les services et produits des classes 16,18, 21,25, 28 et 30, les marques françaises CHAMPOMY FUNNY ROSY et CHAMPOMY FUNNY ROSE, enregistrées sous les n° 01 3 116 928 et 01 3 116 929 pour désigner les produits et services de la classe 32, et la marque française CHAMPOMY MAGIC SHOW n° 3 021 596, condamné in solidum les appelants à payer la somme de 1.000 euros à chacune des sociétés PERNOD RICARD, CSR, PAMPRYL et ORANGINA PAMPRYL et à la société SCHWEPPES INTERNATIONAL LIMITED au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
* infirmer le jugement déféré, en ce qu'il a débouté la société PERNOD RICARD de sa demande reconventionnelle et, statuant à nouveau, condamner in solidum l'INAO et le CIVC à lui verser la somme de 100'000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
¤ à titre subsidiaire, et pour le cas où la cour estimerait devoir annuler tout ou partie des marques CHAMPOMY :
* dire que l'INAO et le CIVC ont engagé leur responsabilité civile à l'égard de la société PERNOD RICARD et lui ont causé un dommage, en remettant en cause leur renonciation à constater la validité des marques CHAMPOMY, douze années après leur dépôt, et plus de dix années après avoir accepté quelles soient exploitées, dans l'intention avérée de nuire à la société PERNOD RICARD en faisant obstacle à la cession desdites marques ou en la privant d'effet et de désigner un expert afin de déterminer le préjudice qu'elle a subi,
¤ en tout état de cause,
* condamner in solidum l'INAO et le CIVC à payer à chacune des sociétés concluantes la somme de 10'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :
* au cours de l'année 1989, la société CSR PAMPRYL, filiale de la société PERNOD RICARD, ayant entrepris la commercialisation d'un jus de pomme gazéifié destiné aux enfants, a déposé sous la dénomination CHAMPOMY les marques suivantes :
¤ françaises :CHAMPOMY, le 24 mars 1988, sous le n° 915 843, enregistrée sous le n° 1 595 175, renouvelée le 13 mars 1998 pour désigner les boissons de la classe 32 et CHAMPOMY LA BOISSON DE LA FETE, le 13 juin 1989, sous le n° 136 756, enregistrée sous le n° 1 595 176, renouvelée le 3 juin 1999, pour désigner les boissons de la classe 32,
¤ internationale CHAMPOMY, enregistrée le 18 décembre 1990, sous le n° 564 584, désignant les boissons de la classe 32 et ayant pour origine la marque française précitée CHAMPOMY,
* la société PERNOD RICARD a, le 12 mai 2000, déposé la marque dénominative CHAMPOMY, enregistrée sous le n° 00 3 028 958, pour désigner des produits des classes 16,18, 21,25, 28 et 30 et, le 7 avril 2000, une marque semi figurative CHAMPOMY MAGIC-SHOW, enregistrée sous le n° 00 3 021 596, pour désigner les produits des classes 25 et 28, ainsi que, le 8 août 2001, la marque dénominative CHAMPOMY FUNNY ROSY, enregistrée sous le n° 01 3 116 959, pour désigner des boissons de la classe 32 et, le 8 août 2001, la marque dénominative CHAMPOMY FUNNY ROSE, enregistrée sous le n° 01 3 116 929, pour désigner des boissons non alcoolisées de la classe 32,
* l'INAO et le CIVC exposent qu'un accord serait intervenu au cours d'une réunion tenue le 9 janvier 1991 avec les représentants du GROUPE PERNOD RICARD, et que selon cet accord, purement verbal, leur renonciation sous condition de contester les marques CHAMPOMY n'aurait concerné que la France et que la condition de cette renonciation aurait été que tout soit entrepris au niveau de l'étiquetage et de la publicité du produit CHAMPOMY pour que cesse toute référence au champagne,
* les appelants font en outre valoir, en premier lieu, que les sociétés intimées n'auraient pas entrepris les actions nécessaires pour faire cesser toute référence au champagne dans l'étiquetage et la publicité du produit CHAMPOMY et que, tout au contraire, elles auraient, en 2001, entrepris une nouvelle campagne publicitaire renforçant et amplifiant, selon eux, l'évocation du champagne par le produit CHAMPOMY et, en second lieu, que, au cours de cette même année, ces sociétés auraient créé un effet de gamme en déposant de nouvelles marques,
* c'est dans ces circonstances que le CIVC et l'INAO ont engagé la présente procédure ;
* sur l'accord du 9 janvier 1991 :
Considérant qu'il est expressément renvoyé au jugement déféré quant aux circonstances de fait et aux échanges intervenus entre les parties antérieurement à la réunion du 9 janvier 1991, dont la relation précise qui en est faite, est exempte de critique ; qu'il est, en outre, constant que l'accord intervenu au cours de cette réunion n'a pas été matérialisé par un écrit, de sorte qu'il convient d'en déterminer la portée au regard des éléments de preuve contradictoirement versés aux débats par les parties ;
Et considérant que :
* dans une note interne, en date du 10 janvier 1991, le directeur du CIVC a indiqué que cet organisme et l'INAO avaient demandé aux représentants de la société PERNOD RICARD de prendre les mesures capables de faire cesser toute confusion publicitaire ou autre, avec le CHAMPAGNE, en précisant, ils nous ont donné des assurances en ce sens,
* Patrick RICARD, président du groupe PERNOD RICARD, a, le 5 mars 1991, écrit au président du CIVC A l'issue d'une réunion tenue le 9 janvier 1991 dans les locaux de l'INAO, il nous a été indiqué que cet Institut et le CIVC n'avaient plus d'observations à formuler à propos de la dénomination CHAMPOMY pour autant que l'étiquetage et la publicité ne fassent aucune référence au Champagne,
* Pierre Marie CHATEAUNEUF, directeur juridique du groupe PERNOD RICARD, a, le 13 janvier 1991, attesté par écrit A l'issue de cette réunion, les représentants de l'INAO et du CIVC ont indiqué qu'ils renonçaient à toute contestation de notre marque CHAMPOMY en France, compte tenu del'engagement pris par CIDRESIS et SOPALGY REUNIS de ne plus faire référence au Champagne dans la publicité de CHAMPOMY ;
Qu'il se déduit de ces documents qu'un accord est intervenu entre les parties selon lequel l'INAO et le CIVC renonçaient à contester les marques incluant le signe CHAMPOMY sous la condition que l'étiquetage des produits exploités sous l'une de ces marques et que la publicité qui en était faite ne fasse plus référence au CHAMPAGNE ;
Or considérant qu'il résulte des documents versés aux débats que les sociétés intimées se sont abstenues de cesser toute référence au CHAMPAGNE dans l'étiquetage et la publicité des produits vendus sous les marques incluant le signe CHAMPOMY ;
Qu'en effet, il convient de relever :
* en premier lieu, un article publié dans la revue CHALLENGES du mois de mai 2000, intitulé UN CHAMPOMY SINON RIEN, avec en sous-titre : Comment, déguisé en Champagne, le jus de pomme de PERNOD-RICARD est devenu le must des fêtes d'enfants,
* en deuxième lieu, la parution dans le FIGARO ECONOMIE, daté du 9 avril 1996, d'un article intitulé CHAMPOMY : LE CHAMP' DES ENFANTS aux termes duquel il est indiqué : l'idée germe alors de concevoir un produit spécifique pour enfants, une boisson qui leur serait réservée et leur permettrait de ' faire la fête' au même titre que les adultes avec le champagne, à partir du savoir-faire de l'entreprise, c'est à dire la pomme,
* en troisième lieu, dans le cadre d'une opération promotionnelle relative aux poupées BARBIE, LE CLUB BARBIE a fait réaliser la publicité suivante :
* en quatrième lieu, la société PERNOD RICARD a, en juin 2001, fait réaliser, par la société BDDP, un spot publicitaire intitulé LES ENFANTS, visionné par la Cour, qui représente des enfants célébrant des événements heureux, tels des anniversaires, des courses de voitures en bois, des matchs de football et au cours desquels les bouteilles de CHAMPOMY sont utilisées comme le seraient des bouteilles de champagne,
* en cinquième lieu, un article du magazine CB NEWS, daté du 11 au 17 juin 2001, intitulé BDDP et fils évente CHAMPOMY et dans lequel il est écrit : En 2001 les bambins s'émancipent. Ils festoient quand bon leur semble et imitent les parents en buvant cet ersatz de Champagne à chaque grande occasion,
* en sixième lieu, la revue AVANTAGES, du mois de décembre 2001, présente le CHAMPOMY, de la manière suivante : Les faux champagnes pour enfants étaient blancs et à la pomme. FUNNY ROSY est rosé, à base de jus de raisin et de framboise, sans sucre ajouté et sans alcool, mais avec bulles légères et bouchon sauteur en liège,
* en septième lieu, le magazine TELE LOISIRS, diffusé en décembre 2001, a publié un article intitulé CHAMPAGNE POUR CULOTTES COURTES qui mentionne Rosé et plein de bulles, dans une élégante bouteille à goulot doré comme le champagne qui fait suite à un article paru, au mois de novembre, dans le même magazine selon lequel le CHAMPOMY est présenté comme Une nouvelle boisson d'enfants pétillante et rose comme le champagne rosé ;
Considérant que les sociétés intimées ne sauraient s'exonérer de leur responsabilité motif pris que seuls des articles de presse seraient invoqués à leur encontre dont le contenu rédactionnel refléterait en réalité la pensée de journalistes, friands de rapprochement 'accrocheurs' qui ne traduiraient ni la perception d'un produit par les consommateurs, ni surtout le message véhiculé pour la promotion de ce produit, alors que, d'abord, ces articles font suite, pour certains d'entre eux, à des entretiens accordés par des représentants de la société PERNOD RICARD assurant la promotion de leurs produits, démarche marketing usuelle, les journalistes se bornant à s'en faire l'écho et que, ensuite, cette société a fait tourner un spot publicitaire, en toute connaissance de cause, qui se trouve être l'élément central autour duquel des opérations de promotion publicitaires se sont articulées, en direction des jeunes consommateurs, mais également de la presse pour inciter les journalistes à porter leur attention sur le produit CHAMPOMY ; qu'il suffit, en effet, de rapprocher la date à laquelle le spot publicitaire a été tourné et diffusé, en juin 2001, de celle de la parution des articles précités qui s'inscrivent donc dans une stratégie, somme toute banale, de marketing ;
Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que, contrairement à l'appréciation portée par les premiers juges, les sociétés intimées n'ont pas respecté les termes de l'accord verbal conclu le 9 janvier 1991 qui doit donc être résilié à leurs torts exclusifs ; qu'il convient, en conséquence, d'infirmer sur ce point le jugement déféré ;
* sur l'annulation des marques et l'interdiction de toute utilisation de signes composés en tout ou partie du terme CHAMPOMY :
Considérant que L'INSTITUT NATIONAL DE L'ORIGINE ET DE LA QUALITE, venant aux droits de L'INSTITUT NATIONAL DES APPELLATIONS D'ORIGINE, établissement public placé sous la tutelle du ministère chargé de l'agriculture, a notamment pour mission de reconnaître, contrôler, promouvoir et défendre tant en France qu'à l'étranger les appellations d'origine et LE COMITE INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE, institué par la loi du 12 avril 1941 modifiée, a notamment pour mission d'assurer la protection des intérêts collectifs des groupements de base qu'il représente qui comprennent l'ensemble des professionnels participant à la production, la récolte, l'élaboration et la commercialisation des vins de Champagne ;
Qu'il résulte des dispositions législatives et réglementaires propres à chacun de ces organismes qu'ils sont recevables à ester en justice relativement à tous faits de nature à porter atteinte à l'appellation d'origine CHAMPAGNE ;
Considérant, en droit, que, selon les dispositions de l'article L-643-1 du Code rural, auquel renvoie l'article L.-115-6 du Code de la consommation, le nom qui constitue l'appellation d'origine ou toute autre mention l'évoquant ne peuvent être employés pour aucun produit similaire (...) ni pour aucun autre produit ou service lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d'affaiblir la notoriété de l'appellation d'origine ;
Qu'il se déduit du texte précité que le bien-fondé de l'action engagée par les appelants ne doit pas s'apprécier au regard de l'imitation et du risque de confusion, critères applicables aux cas de conflit entre deux marques, mais en prenant en considération ceux d'évocation et de détournement de notoriété d'une appellation d'origine, de sorte qu'il n'y a lieu de rechercher s'il existe un risque de confusion entre les produits ;
Considérant que si effectivement il s'évince des documents versés aux débats, notamment ceux précédemment examinés par la Cour, que la société PERNOD RICARD, d'abord, par l'utilisation du signe CHAMPOMY proche de celui de CHAMPAGNE, ensuite par les campagnes publicitaires inscrivant le produit litigieux dans une perspective festive, ou encore par l'adoption d'une bouteille en tout point semblable à celle dédiée aux vins de CHAMPAGNE, a eu une approche marketing manifestement fondée, non pas, comme elle le soutient en des termes provoquants, sur l'univers des champs de pommes, mais bien sur l'évocation de ce produit de luxe ;
Que, toutefois, il convient au cas particulier de l'espèce de prendre en compte que, contrairement à l'argumentation des appelants, la société PERNOD RICARD a, par une exploitation ininterrompue de près de vingt ans ayant rencontré un réel succès commercial, fait émerger un univers propre autour de son produit, à savoir celui d'un monde enfantin festif connu de plusieurs générations ; qu'il pourrait d'ailleurs être conféré à cet univers particulier un caractère initiatique à l'égard des vins de CHAMPAGNE, puisque que quittant le monde de l'enfance, le consommateur de CHAMPOMY, ayant apprécié cette boisson à bulles, et sans même avoir recours à une analyse psychanalytique de l'influence consciente ou inconsciente des souvenirs enfantins, sera naturellement enclin de fêter les circonstances heureuses de son existence avec les produits vinicoles d'exception du terroir champenois ;
Qu'il s'ensuit que l'usage du signe CHAMPOMY, depuis 1989, n'était plus susceptible, au jour de l'introduction de la présente instance, de constituer un quelconque risque de détournement ni même d'affaiblissent de la notoriété attachée aux vins de CHAMPAGNE ;
Qu'il convient donc de confirmer, par substitution de motifs, le jugement déféré en ce qu'il a débouté les appelants de leur demande en nullité des différentes marques CHAMPOMY ;
* sur les autres demandes :
Considérant que la demande formée par le CIVC et l'INAO relativement à la résiliation de l'accord du 9 janvier 1991 ayant été accueillie, il convient de rejeter la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive de la société PERNOD RICARD ;
Considérant, en outre, qu'il n'y a pas lieu à autoriser la publication du présent arrêt et que l'équité ne commande pas de faire application, en l'espèce, des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté l'INAO et le CIVC de leurs demandes en nullité des marques n° 1 595 175 et n° 1 595 176, CHAMPOMY n° 3 028 958, CHAMPOMY FUNNY ROSY et CHAMPOMY FUNNY ROSE, n° 01 3 116 928 et 01 3 116 929 et CHAMPOMY MAGIC SHOW n° 3 021 596,
L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau,
Prononce la résiliation de l'accord du 9 janvier 1991 aux torts exclusifs des sociétés intimées,
Rejette toutes autres demandes,
Dit que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens de première instance et d'appel.