CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 28 février 2013, n° 11/04495
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SELARL YVON PERIN & JEAN-MICHEL BORKOWIAK
Défendeur :
C. SAULNIER, AUCHAN FRANCE (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR
Conseillers :
Madame Dominique LONNE, M. Dominique PONSOT
Avocats :
ASS AARPI AVOCALYS, Me Jean-louis GUIN, SCP SILLARD ET ASSOCIES, Me Pierre GREFFE
Vu l'appel interjeté par Maître Yvon PERIN de la SELARL Yvon PERIN & Jean-Michel BORKOWIAK, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS ANDERES BRODERIES,du jugement rendu le 19 mai 2011 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui :
- lui a donné acte de son intervention volontaire en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS ANDERES BRODERIES,
- déclaré recevables les demandes de la SAS ANDERES BRODERIES,
- condamné la SA AUCHAN à payer à la société ANDERES BRODERIES la somme de 1 € de dommages-intérêts,
- fixé à 1 € la créance de la SAS ANDERES BRODERIES sur la société STARISSIMA, représentée par son liquidateur Maître SAULNIER, tenue in solidumavec la société AUCHAN en vertu de la condamnation prononcée précédemment,
- fait interdiction à la SA AUCHAN FRANCE et à la SA STARISSIMA, représentée par son liquidateur Maître SAULNIER, de procéder à toute commercialisation des soutiens-gorge comportant une reproduction du dessin référencé VG 2207 par la SAS ANDERES BRODERIES, sous astreinte de 200 € par infraction constatée,
- ordonné la SA AUCHAN FRANCE et à la SA STARISSIMA, représentée par son liquidateur Maître SAULNIER, de rappeler les soutiens-gorge comportant une reproduction du dessin référencé VG 2207 des circuits commerciaux et de procéder, à leurs frais, à leur destruction, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification du jugement,
- s'est réservé la liquidation des astreintes éventuelles,
- condamné in solidum la SA AUCHAN FRANCE et la SA STARISSIMA, représentée par son liquidateur Maître SAULNIER, aux dépens ainsi qu'à verser 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à la SAS ANDERES BRODERIES ;
Vu les dernières conclusions signifiées les 24 et 30 novembre 2011 par lesquelles Maître Yvon PERIN de la SELARL Yvon PERIN & Jean-Michel BORKOWIAK, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS ANDERES BRODERIES, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris sur le montant des dommages-intérêts et les mesures accessoires, demande à la cour de :
- ordonner, sous astreinte de 2.000 € par jour de retard, à la société STARISSIMA, représentée par son liquidateur Maître SAULNIER, de communiquer le nom et l'adresse du ou des producteurs, fabricants, fournisseurs des marchandises en cause, les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues et commandées ainsi que le prix obtenu pour les marchandises en cause,
- condamner in solidum les sociétés AUCHAN FRANCE et STARISSIMA, représentée par son liquidateur Maître SAULNIER, à lui payer la somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon,
- ordonner de ce chef l'inscription au passif de la société STARISSIMA,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir,
-condamner in solidum les sociétés AUCHAN FRANCE et STARISSIMA, représentée par son liquidateur Maître SAULNIER, à lui payer la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et ordonner de ce chef l'inscription au passif de la société STARISSIMA, -condamner in solidum les sociétés AUCHAN FRANCE et STARISSIMA, représentée par son liquidateur Maître SAULNIER, aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 7 octobre 2011 aux termes desquelles la SA AUCHAN FRANCE prie la cour de réformer le jugement déféré et de :
- dire que la société ANDERES BRODERIES n'est titulaire d'aucun droit de propriété intellectuelle sur le dessin de dentelle en cause,
- dire qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon à l'encontre de la société ANDERES BRODERIES,
- constater que la société ANDERES BRODERIES n'a subi aucun préjudice du fait de la commercialisation des sous-vêtements acquis auprès de la société STARISSIMA,
- débouter la SA ANDERES BRODERIES de l'ensemble de ses demandes,
- à titre subsidiaire, dire que la société STARISSIMA devra la garantir de toutes les sommes qui pourraient être prononcées à son encontre,
- fixer le montant de la créance de la société AUCHAN FRANCE au passif de la société STARISSIMA à hauteur des condamnations qui seraient prononcées à son encontre,
- en tout état de cause, condamner solidairement la société ANDERES BRODERIES, représentée par son liquidateur la SELARL Yvon PERIN & Jean-Michel BORKOWIAK et la société STARISSIMA, représentée par son liquidateur Maître SAULNIER à lui verser la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
SUR QUOI, LA COUR
Sur la procédure
Considérant que la société STARISSIMA n'a pas constitué avocat ; que les dernières conclusions de la société ANDERES BRODERIES lui ont été signifiées le 25 novembre 2011 à l'adresse de son liquidateur, Maître SAULNIER ; qu'il sera donc statué par arrêt de défaut ;
Que la société AUCHAN ne justifie pas avoir signifié ses écritures à la société STARISSIMA ; que la cour n'est donc pas régulièrement saisie de l'appel en garantie par elle formé à l'encontre de la société STARISSIMA ;
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Considérant que la société ANDERES BRODERIES se prévaut des droits de propriété intellectuelle sur un dessin de broderie référencé VG 2207 qu'elle déclare avoir créé en 2005, caractérisé en ce qu'il comporte des motifs de fleurs sur des lignes courbes et des figures géométriques particulières également disposées sur des lignes courbes ;
Que le 9 février 2005, elle a déposé ce dessin sous enveloppe Soleau à l'INPI;
Que reprochant à la société AUCHAN FRANCE de présenter sur son catalogue et de commercialiser un soutien-gorge sur lequel est apposé une broderie reproduisant servilement son dessin, la société ANDERES BRODERIES a fait procéder à un constat d'achat dans le magasin à l'enseigne AUCHAN, situé à La Défense, le 22 février 2008 ;
Que le 27 mars 2008, elle fait pratiquer une saisie-contrefaçon au siège social de la société AUCHAN qui lui a révélé que les modèles argués de contrefaçon avaient été acquis auprès de la société STARISSIMA ;
Qu'au vu des éléments ainsi recueillis, la société ANDERES BRODERIES a assigné la société AUCHAN France et la société STARISSIMA en contrefaçon devant le tribunal de commerce de Nanterre qui, par jugement du 13 novembre 2009, s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Nanterre ;
Qu'en cours de procédure, la société STARISSIMA a fait l'objet d'une procédure collective qui a abouti à sa liquidation judiciaire ;
Que par jugement du 3 mars 2011, le tribunal de commerce de Saint Quentin a prononcé la liquidation judiciaire de la société ANDERES BRODERIES ;
- Sur la titularité des droits d'auteur
Considérant que la société AUCHAN FRANCE soutient que la présomption de titularité des droits d'auteur ne peut bénéficier qu'à la personne physique sous le nom de laquelle l'oeuvre a été divulguée et non à une personne morale de sorte la société ANDARES BRODERIES ne peut prétendre être l'auteur de la broderie litigieuse ; qu'elle ajoute que la société ANDARES BRODERIES ne justifie pas de la commercialisation de ce dessin ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre a été divulguée ;
Que la présomption instituée par ce texte s'étend à toute personne physique ou morale qui a révélé l'oeuvre à la connaissance du public et l'exploite sous son nom, quelle que soit la qualification de l'oeuvre ;
Considérant, en l'espèce, que la société ANDARES BRODERIES a procédé au dépôt à l'INPI, le 9 février 2005, d'une enveloppe Soleau, contenant le modèle de broderie litigieux, sous la référence VG 2207 ; qu'elle justifie, par la production d'une attestation de son expert comptable datée du 30 avril 2008 avoir facturé des échantillons de ce dessin en mars et avril 2005 à trois sociétés ; que les factures correspondantes, que ce mandataire certifie avoir vérifiées, sont annexées ;
Que les premiers juges ont exactement relevé que ces transmissions du dessin à des sociétés tierces en vue d'une exploitation par celles-ci constituent des actes d'exploitation du dessin en cause, même s'ils sont restreints ;
Que la société ANDERES BRODERIES est donc présumée être titulaire des droits d'auteur sur le dessin portant la référence VG 2207 ;
Sur l'originalité du dessin
Considérant que la société AUCHAN FRANCE conteste l'originalité du dessin faisant valoir que la société ANTARES BRODERIES ne caractérise pas les éléments propres à le faire bénéficier de la protection accordée par le droit d'auteur ; qu'elle soutient que ce dessin a été exploité, dès le mois de juillet 2004, avant le dépôt de l'enveloppe Soleau, par une société chinoise ;
Que la société ANTARES répond que ce dessin qui combine entre eux différents motifs selon un agencement et une composition particulière présente une configuration propre et reconnaissable traduisant une préoccupation ornementale et un parti pris esthétique ; qu'elle fait valoir que les pièces produites par la société AUCHAN sont dépourvues de force probante pour démontrer que le dessin litigieux aurait été conçu en 2004 et divulgué en Chine ;
Considérant que la société ANTARES BRODERIES caractérise le dessin de broderie, visé au dépôt sous le N°VG 2207, par la réunion des éléments suivants : des motifs de fleurs sur des lignes courbes et des figures géométriques particulières également disposées sur des lignes courbes ;
Considérant que la combinaison de motifs floraux stylisés et de figures géométriques alternant des formes rondes et carrées de tons contrastés foncés et clairs, disposés en quinconce sur des lignes courbes, traduit un effort créatif et un parti pris esthétique qui portent l'empreinte de la personnalité de son auteur ;
Considérant que, pour contester l'originalité du dessin et, par la même, la qualité d'auteur de la société ANDERES BRODERIES, la société AUCHAN FRANCE verse aux débats des pièces produites devant le tribunal de commerce de Nanterre, par son fournisseur, la société STARISSIMA ; que figure sur ces documents un dessin de broderie dans lequel se retrouvent les éléments caractéristiques du dessin référencé VG 2207,
Mais considérant que l'ensemble de ces documents sont constitués de simples photocopies ; que les pièces communiquées sous les numéros 4, 5 et 7 sont rédigés en langue chinoise et ne sont pas datées ; que la pièce numéro 3, rédigée en anglais, intitulée «carnet», n'est pas datée ; que la pièce numéro 6, également rédigée en anglais et datée du 18 novembre 2004, qui représente le dessin litigieux, sous la référence 575, est insuffisante, en l'absence d'autres éléments, pour combattre la date certaine résultant du dépôt sous enveloppe Soleau du dessin de la société ANDERES BRODERIES et établir l'antériorité de la création par la société chinoise ;
Qu'il s'ensuit que la combinaison des éléments caractéristiques précédemment décrite du dessin portant la référence VG 2207 lui confère le caractère d'originalité requis pour bénéficier de la protection du droit d'auteur accordée par le Livre I du CPI ;
Sur la contrefaçon
Considérant que la société ANTARES BRODERIES reproche aux sociétés AUCHAN FRANCE et STARISSIMA d'avoir commis des actes de contrefaçon en important, faisant fabriquer, offrant à la vente et en commercialisant des modèles de sous-vêtements sur lesquels le dessin est reproduit de manière servile ;
Que la société AUCHAN FRANCE ne conteste pas que le dessin de broderie ornant les sous-vêtements qu'elle commercialise reproduit à l'identique le dessin appartenant à la société ANDARES BRODERIES ;
Que l'importation, la fabrication, la mise sur le marché et la commercialisation de sous-vêtements féminins reproduisant servilement les caractéristiques du dessin appartenant à la société ANDERES BRODERIES constituent des actes de contrefaçon ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant qu'il ressort du procès-verbal de saisie contrefaçon que la société STARISSIMA a vendu au moins 10.172 pièces du modèle litigieux à la société AUCHAN et que celle-ci a commercialisé au moins 5.796 pièces ; que ce modèle a été reproduit sur le prospectus publicitaire de la société AUCHAN parmi l'ensemble des produits alimentaires et vestimentaires commercialisés par celle-ci, avec une offre promotionnelle attractive ; qu'il importe peu que le dessin litigieux ne soit pas nettement identifiable sur ce catalogue, le consommateur ayant la possibilité de visualiser le modèle en magasin ;
Que la mise sur le marché d'articles contrefaits de qualité médiocre et à bas prix a eu pour effet de déprécier et de banaliser le dessin créé par la société ANDERES BRODERIES et ainsi de porter atteinte au pouvoir attractif de ce produit et de détourner les acheteurs potentiels de la broderie originale ;
Qu'en l'état de ces éléments, il convient d'évaluer à la somme de 80.000 € le montant des dommages-intérêts alloués à la société ANDARES BRODERIES en réparation du préjudice commercial et d'atteinte à la valeur du dessin subi du fait des actes de contrefaçon ; que la société AUCHAN et la société STARISSIMA seront tenues in solidum à réparation, la cour fixant la créance de la société ANDARES BRODERIES sur cette dernière à 80.000 € ;
Considérant que les mesures d'interdiction et de rappel des produits contrefaits prononcées par les premiers juges seront confirmées ; qu'il n'y a lieu de faire droit à la demande de communication sous astreinte des noms et adresses des producteurs, fabricants et fournisseurs du produit ;
Qu'en revanche, il sera fait droit à la demande de publication selon les modalités précisées au dispositif du présent arrêt ;
Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par la société AUCHAN France ;
Qu'il sera alloué à ce titre à la société ANDARES BRODERIES la somme complémentaire de 10.000 € ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt de défaut,
Dit que la cour n'est pas saisie de l'appel en garantie formée par la société AUCHAN FRANCE à l'encontre de la société STARISSIMA,
Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts et en ce qu'il a rejeté la demande de publication,
Le réformant sur ces points et statuant à nouveau,
Condamne la société AUCHAN FRANCE à payer à la société ANDARES BRODERIES représentée par son liquidateur, Maître Yvon PERIN de la SELARL Yvon PERIN & Jean-Michel BORKOWIAK, la somme de 80.000 € (QUATRE VINGT MILLE EUROS) à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon,
Fixe à la somme de 80.000 € (QUATRE VINGT MILLE EUROS le montant de la créance de la société ANDARES BRODERIES à l'encontre de la société STARISSIMA, représentée par son liquidateur, Maître Christian SAULNIER,
Dit que la société AUCHAN FRANCE et la société STARISSIMA, représentée par son liquidateur, Maître Christian SAULNIER, sont tenues in solidum au paiement des dommages-intérêts,
Autorise la société ANDARES BRODERIES à publier le dispositif du présent arrêt dans 3 journaux ou revues de son choix, aux frais in solidum des intimées, sans que le coût des publications ne puisse excéder la somme globale de 12.000 € HT(DOUZE MILLE EUROS),
Y ajoutant,
Condamne la société AUCHAN FRANCE à payer à la société ANDARES BRODERIES représentée par son liquidateur, Maître Yvon PERIN de la SELARL Yvon PERIN & Jean-Michel BORKOWIAK la somme complémentaire de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Fixe la créance de la société ANDARES BRODERIES au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la société STARISSIMA, représentée par son liquidateur, Maître Christian SAULNIER à la somme de 10.000 € (DIX MILLE EUROS),
Condamne la société AUCHAN FRANCE aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Dit que la société STARISSIMA, représentée par son liquidateur, Maître Christian SAULNIER, sera tenue in solidum avec la société AUCHAN FRANCE aux dépens ,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévuesau deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président et par Madame Josette NEVEU, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.