Livv
Décisions

CA Lyon, 6e ch., 13 octobre 2022, n° 22/01602

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Everblue France (Sasu)

Défendeur :

Nature et Paysage EV (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mme Allais, Mme Robin

Avocats :

Me Halle, Me Karkour, Me Nouvellet, Me Robert

TJ Lyon, du 7 févr. 2022, n° 20/01449

7 février 2022

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES

La Sasu Everblue France, qui commercialise des équipements de construction et rénovation de piscines, a passé le 5 décembre 2008 un contrat de distribution sélective avec la Sarl Nature et Paysage, dirigée par M. [U], gérant et associé unique.

Par lettre recommandée du 15 octobre 2018, la société Everblue France, qui reproche notamment à la société Nature et Paysage de s'être approvisionnée auprès d'autres fournisseurs, lui a notifié la rupture du contrat de distribution avec un préavis étendu à neuf mois, soit jusqu'au 30 juin 2019.

Depuis lors, la société Everblue France reproche aussi à la société Nature et Paysage et à M. [U] d'avoir commis des actes de contrefaçon et concurrence déloyale et engagé leur responsabilité contractuelle en continuant à faire usage de ses marques et logos après l'expiration du délai de préavis.

Par actes d'huissier de justice du 11 mars 2020, la société Everblue France a fait assigner la société Nature et Paysage et M. [U] à comparaître devant le tribunal judiciaire de Lyon pour, notamment, voir ordonner diverses mesures visant à la cessation de l'usage de sa marque et de ses logos et obtenir diverses indemnités.

La société Nature et Paysage et M. [U] se sont opposés aux demandes et ont, notamment, formé une demande reconventionnelle visant à voir porter à dix-huit mois le délai de préavis, en arguant d'une rupture brutale de la relation commerciale, eu égard à son ancienneté.

Par voie de conclusions incidentes, la société Everblue France a, notamment, demandé au juge de la mise en état :

1 - de déclarer irrecevable la demande reconventionnelle formée par la société Nature et Paysage pour brusque rupture,

2 - de condamner in solidum les défendeurs à produire divers documents, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et infraction constatée dans les 8 jours suivant la signification de l'ordonnance et pour une durée de 3 mois les documents suivants :

- les bilans, comptes de résultat détaillés et liasses fiscales de la société Nature et Paysage pour les exercices clos au 30 juin 2015, 30 juin 2016, 30 juin 2017, 30 juin 2018, 30 juin 2019 et 30 juin 2020 certifiés conformes et sincères par son expert-comptable ;

- le justificatif des investissements de la société Nature et Paysage en matière de marketing, de communication et de référencement depuis le 15 octobre 2018, date de la notification de la rupture du contrat de distribution signé entre les parties, certifiés conformes et sincères par son expert-comptable ;

- les justificatifs des diligences accomplies par la société Nature et Paysage et sa gérance pour nouer de nouveaux partenariats après la rupture du contrat de distribution signé entre les parties à compter du 15 octobre 2018, date de la notification de sa rupture et au cours du préavis de rupture de 9 mois expirant le 30 juin 2019 ;

3 - de condamner in solidum les défendeurs à supprimer toute référence au réseau, marques et enseigne de la société Everblue sur leurs profils sociaux et sur les sites internet, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée ;

4 - de condamner in solidum les défendeurs à lui payer, à titre provisionnel, trois sommes de 15.000 euros assorties des intérêts moratoires capitalisés au taux légal à compter de la date des conclusions, à savoir :

- 15.000 euros à valoir sur ses préjudices patrimoniaux du fait de l'atteinte portée à cinq marques emblématiques de son réseau de distribution,

- 15.000 euros à valoir sur son trouble commercial qui s'infère nécessairement de l'atteinte portée à l'enseigne, aux visuels publicitaires et aux investissements engagés pour promouvoir l'image du réseau Everblue et sa notoriété,

- 15.000 euros à valoir sur ses préjudices extra-patrimoniaux, notamment au titre de la contrefaçon des 5 marques précitées et de l'atteinte à l'enseigne notoire Everblue ;

5 - de condamner in solidum les défendeurs à lui payer 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens avec distraction au profit de son avocat.

En réponse, la société Nature et Paysage et M. [U] ont conclu comme suit :

- à titre principal, débouter la société Everblue de la demande d'irrecevabilité de sa demande reconventionnelle pour rupture abusive ;

- à titre subsidiaire, si la juridiction devait se déclarer incompétente s'agissant de cette demande reconventionnelle, renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Lyon ;

Par voie de conséquence, surseoir à statuer dans l'attente de la decision du tribunal de commerce de Lyon quant à la durée du préavis accordé par la société Everblue France ;

- débouter la société Everblue France de sa demande de communication de pièces sous astreinte et de sa demande de condamnation in solidum de la société Nature et de M. [U] à supprimer toutes références au réseau, marque et enseigne de la société Everblue France sur les profils sociaux et sur les sites internet ;

- débouter la société Everblue France de ses demandes de provisions ;

- la condamner à leur verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Par ordonnance en date du 7 février 2022, le juge de la mise en état de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Lyon :

- a déclaré la société Nature et Paysage irrecevable en sa demande reconventionnelle pour rupture abusive et de durée du préavis,

- s'est déclaré incompétent pour connaitre de la demande reconventionnelle en rupture abusive et de durée du préavis,

- a renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Lyon pour connaître de la demande reconventionnelle en rupture abusive et de durée du préavis,

- a dit qu'une copie du dossier sera transmise au greffe du tribunal de commerce avec une copie de la décision, après production d'une copie de la signification de cette ordonnance et d'un certificat de non-appel ou d'acquiescement à cette décision,

- a ordonné Ie sursis à statuer dans l'attente du jugement définitif du tribunal de commerce de Lyon,

- a rejeté les demandes formées de part et d'autre au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a réservé les dépens de l'incident,

- a dit que l'affaire sera rappelée à la mise en état à la demande de la partie la plus diligente.

La société Everblue France a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la Cour le 28 février 2022, puis par déclaration reçue au greffe le 31 mars 2022.

Les procédures, enrôlées respectivement sous les n° 22/1602 et 22/2437, ont été jointes par décision du président de la chambre du 5 avril 2022.

Sur la requête de l'appelante déposée au greffe de la Cour le 31 mars 2022, le président de la 6ème chambre civile, agissant par délégation du premier président de la cour d'appel, statuant par ordonnance du 4 avril 2022, l'a autorisée à faire assigner les intimés à jour fixe pour l'audience du 13 septembre 2022 à 13h30.

L'appelante a déposé au greffe les assignations délivrées à la société Nature et Paysage et à M. [U], en dates respectives des 15 et 11 avril 2022.

En son assignation complétée par ses dernières conclusions du 9 septembre 2022, la Sasu Everblue France demande à la Cour ce qui suit, au visa des articles 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et son protocole additionnel n° 1 relatif à la protection de la propriété, L.141-3, L.211-10 et D.211-6-1 du code de l'organisation judiciaire, 1er, 2, 3, 11, 32, 122, 125, 132 et suivants, 145, 788 et suivants du code de procédure civile, L.442-4, III et D.442-3 du code de commerce, du Livre VII du code de la propriété intellectuelle, en particulier ses articles L.716-4-6, L. 716-4-8, L. 716-4-9, L. 716-4-10 et L.716-5, II, et des articles 4, 10 et 1240 et suivants du code civil :

- rejeter toutes prétentions contraires comme particulièrement injustes et mal fondées ;

- annuler ou infirmer l'ordonnance d'incident de mise en état rendue le 7 février 2022 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'elle a, après avoir jugé irrecevable la demande reconventionnelle de la société Nature et Paysage et M. [U] :

- décliné la compétence de la juridiction saisie pour statuer sur la demande reconventionnelle de la société Nature et Paysage en rupture abusive et de durée de préavis,

- renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Lyon pour connaître de la demande reconventionnelle en rupture abusive et de durée de préavis,

- dit qu'une copie du dossier sera transmise au greffe du tribunal de commerce de Lyon avec une copie de la décision, après production d'une copie de la signification de cette ordonnance et d'un certificat de non-appel ou de l'acquiescement à cette décision,

- ordonné le sursis à statuer dans l'attente du jugement définitif du tribunal de commerce de Lyon,

- rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens de l'incident,

- dit que l'affaire sera rappelée à la mise en état par la partie la plus diligente ;

Statuant à nouveau,

- constater en tant que de besoin le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal judiciaire de Lyon pour statuer sur la demande reconventionnelle pour brusque rupture et la juger irrecevable ;

- renvoyer la société Nature et Paysage et M. [U] à mieux se pourvoir devant la juridiction consulaire qui serait habile pour connaitre de cette demande ;

- condamner au provisoire et in solidum la société Nature et Paysage et M. [U] à supprimer toute référence au réseau, marques et enseigne de la société Everblue sur leurs profils sociaux et sur les sites internet où la société Nature et Paysage persiste à apparaître en tant que revendeur Everblue, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée commençant à courir dans les 8 jours suivant la signification de la décision à venir et pour une durée de 3 mois ;

- condamner au provisoire et in solidum la société Nature et Paysage et M. [U] à produire, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée dans les 8 jours suivant la signification de la décision à venir et pour une durée de 3 mois, les documents suivants :

' les bilans, comptes de résultat détaillés et liasses fiscales de la société Nature et Paysage pour les exercices clos aux 30/06/2015, 30/06/2016, 30/06/2017, 30/06/2018, 30/06/2019, 30/06/2020 et 30/06/2021, certifiés conformes et sincères par son expert-comptable ;

' le justificatif des investissements réalisés par la société Nature et Paysage en matière de marketing, de communication et de référencement depuis le 15 octobre 2018, date de la notification de la rupture du contrat de distribution qui liait les parties, certifiés conformes et sincères par son expert-comptable ;

' les justificatifs des diligences accomplies par la société Nature et Paysage et sa gérance pour nouer de nouveaux partenariats après la rupture du contrat de distribution signé entre les parties à compter du 15 octobre 2018, date de la notification de sa rupture et au cours du préavis de rupture de 9 mois expirant le 30 juin 2019 ;

- condamner au provisoire et in solidum la société Nature et Paysage et M. [U] à payer à la société Everblue France :

' une provision de 30.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices spécifiques de contrefaçon du fait de l'atteinte portée à cinq marques emblématiques de son réseau de distribution ;

' une provision de 30.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices spécifiques de parasitisme et de concurrence déloyale ;

' et une provision de 20.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices extra-patrimoniaux assortir lesdites provisions des intérêts moratoires capitalisés au taux légal depuis le 6 avril 2021, date de saisine du juge de la mise en état de l'incident de mise en état élevé par la société Everblue France ;

- condamner in solidum la société Nature et Paysage et M. [U] à payer à la société Everblue France une indemnité de procédure de 8.000 euros sur le fondement des articles 700 et 772 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la société Nature et Paysage et M.[U] aux entiers dépens de l'incident de mise en état, tant en première instance, qu'en appel, avec distraction au profit de l'avocat de l'appelante ;

- ordonner le renvoi de l'affaire devant le tribunal judiciaire de Lyon.

Par conclusions du 8 avril 2022, la Sarl Nature et Paysage et [T] [U] demandent à la Cour de statuer comme suit, en visant les articles 83 et suivants du code de procédure civile :

- confirmer l'ordonnance de mise en état du 7 février 2022 du juge de la mise en état près le tribunal Judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions ;

- constater que la demande reconventionnelle de la société Nature et Paysage ne consiste qu'à statuer quant à la durée du préavis accordé par la société Everblue France ;

- renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Lyon ;

- surseoir à statuer dans l'attente de la décision du tribunal de commerce de Lyon quant à la durée du préavis accordé par la société Everblue France ;

- débouter la société Everblue France de sa demande de communication de pièces sous astreinte et de sa demande de condamnation in solidum de la société Nature et Paysage et de M. [U] à supprimer toutes références au réseau, marque et enseigne de la société Everblue France sur les profils sociaux et sur les sites internet ;

- débouter la société Everblue France de ses demandes de provisions ;

- condamner la société Everblue à verser à la société Nature et Paysage et à M. [U] la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le sort de la demande reconventionnelle et le sursis à statuer

En appel, les parties s'accordent pour considérer que la demande reconventionnelle de la société Nature et Paysage, fondée sur l'allégation d'une rupture brutale des relations établies entre les deux sociétés, relève du contentieux des pratiques restrictives de concurrence, ainsi que l'a relevé le juge de la mise en état.

Il ne fait pas non plus débat que, par application combinée des articles L.442-6.5° et III dernier alinéa, ainsi que D.442-3 du code de commerce, complétés par le tableau en annexe 4-2-2 de la partie réglementaire du même code, le tribunal de commerce de Lyon a compétence exclusive pour connaître de la demande de la société Nature et Paysage, qui a son siège social dans le ressort de la cour d'appel de Lyon, dès lors qu'elle est fondée sur l'allégation d'une brusque rupture de la relation commerciale.

Partant, la société Everblue ne conteste pas non plus le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal judiciaire de Lyon, mais reproche au juge de la mise en état de s'être déclaré incompétent pour connaître de la demande reconventionnelle en rupture abusive et de durée du préavis après avoir déclaré la société Nature et Paysage irrecevable en cette demande.

Elle estime que le premier juge a commis un excès de pouvoir en ordonnant une mesure de dessaisissement qu'il ne pouvait pas ordonner à la suite de la fin de non-recevoir. Elle ajoute que le juge a occulté la mesure de disjonction qui était un préalable à tout renvoi devant le tribunal désigné pour connaître une partie du litige.

La société Everblue reproche encore au juge de la mise en état d'avoir refusé les prérogatives qui lui sont attribuées par la loi en ne statuant pas sur ses demandes provisoires et s'estime victime d'un déni de justice. Elle affirme que la rupture prétendument brutale des relations commerciales ne pourrait donner lieu qu'à indemnisation et non à déplacement de la date de la rupture, de sorte qu'elle ne pourrait pas légitimer les actes de contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire.

La société Nature et Paysage et M. [U] répondent que la société ne sollicite pas, dans sa demande reconventionnelle, l'indemnisation d'un préjudice pour brusque rupture du contrat mais la fixation du délai de préavis à une durée de 18 mois.

Ils soutiennent que le premier juge n'a commis aucune violation de la loi ni excès de pouvoir ou déni de justice et rappellent que les juges disposent du pouvoir discrétionnaire d'apprécier l'opportunité du sursis à statuer.

Sur ce, le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel n'est pas une exception d'incompétence mais une fin de non-recevoir d'ordre public. Dès lors que le tribunal judiciaire de Lyon était dépourvu de pouvoir juridictionnel pour connaître de la demande reconventionnelle fondée sur la rupture brutale des relations commerciales, le juge ne pouvait que déclarer cette demande irrecevable, ce qu'il a effectivement fait en réponse à la fin de non-recevoir opposée par la société Everblue.

L'irrecevabilité de la demande excluait que le juge statue sur la compétence du tribunal judiciaire de Lyon à connaître de la demande reconventionnelle et fasse droit à l'exception d'incompétence soulevée, à titre subsidiaire, par la société Nature et Paysage et M. [U], en renvoyant les parties devant le tribunal de commerce de Lyon après avoir, de manière implicite, disjoint la demande reconventionnelle de l'action principale.

La juridiction commerciale n'étant ainsi pas saisie à ce jour, l'ordonnance ne peut qu'être infirmée en sa décision de sursis à statuer en l'attente du jugement définitif du tribunal de commerce de Lyon.

Au surplus, il résulte de l'article L.442-6.5° du code de commerce que la rupture brutale d'une relation commerciale engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, ce qui induit l'allocation de dommages et intérêts. Aucune disposition légale n'autorise le juge à reporter le délai de préavis. En conséquence, le juge de la mise en état ne pouvait pas fonder avec pertinence une décision de sursis à statuer sur un éventuel réhaussement de la durée du préavis par la juridiction commerciale.

Sur la suppression de références à la marque Everblue

L'article L.716-4-6 du code de la propriété intellectuelle donne, notamment, pouvoir à la juridiction civile spécialisée d'interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon.

Par les certificats versés aux débats, la société Everblue justifie de l'enregistrement de sa marque française Everblue, déclinée en plusieurs graphismes, de la marque française Excellence et Sérénité et d'un logo représentant un canard-jouet de bains jaune porteur de lunettes de soleil.

La société Everblue soutient qu'en dépit du temps écoulé, les défendeurs continuent à parasiter la notoriété de sa marque et de son enseigne et à entretenir la confusion avec son réseau de distribution sur différents supports, notamment sur le site officiel de la Fédération des Professionnels de la Piscine et sur leurs profils publics Facebook et Instagram.

Elle verse aux débats la plus récente recherche faite avec le moteur Google le 9 septembre 2022.

La société Nature et Paysage répond qu'elle n'est pas responsable des sites laissant subsister un lien éventuel avec le réseau Everblue. Un tel argument n'est pas recevable dès lors que l'intéressée ne justifie d'aucune démarche auprès de ces sites aux fins de faire supprimer l'association de marque Everblue à sa dénomination.

Elle dénie en outre la persistance de lien sur les réseaux sociaux entre la société Nature et Paysage et le réseau Everblue.

Il ressort des pièces versées aux débats par l'appelante les éléments suivants :

- Les recherches effectuées sur internet à différentes dates, entre le 29 novembre 2019 et le 24 mars 2022, ont fait apparaître le maintien persistant des marques Everblue et /ou du logo canard, associés à la société Nature et Paysage sur de nombreux sites (zodiac-poolcare.fr, guide-piscine.fr, idees-piscine.com, annuaire-inverse-france.com, horairesdouverture24.fr, pagesjaunes.fr, propiscines.fr, reducavenue.com, entreprise42.fr, annuaireloire.fr, piscinespa.com).

- Les recherches effectuées, durant la même période et, en dernier lieu le 9 septembre 2022, sur les profils publics Facebook et Instagram de la société Nature et Paysage ont montré la persistance de références à Everblue, ainsi que de documentations publicitaires Everblue remontant aux années 2016 à 2018.

- Il en va de même du profil public Facebook d'[T] [U], pour les recherches effectuées pendant les mêmes périodes.

Les références à Everblue sur les différents sites professionnels mentionnant Nature et Paysage sont le fruit de ses propres démarches publicitaires lorsqu'elle exerçait son activité de distributeur des produits Everblue. Il lui appartient d'en demander la suppression aux gestionnaires de ces sites et elle ne prétend pas avoir pris une quelconque indicative à cette fin.

Par ailleurs, la société Nature et Paysage peut faire sortir de ses profils publics les anciennes pages Facebook et Instagram contenant les références et logos litigieux, ou les masquer. De même en ce qui concerne les pages Facebook de M. [U].

Le maintien de ces publications, qui laissent croire au public que la société Nature et Paysage commercialise toujours les produits Everblue, constitue à minima une contrefaçon persistante. Il convient donc de faire droit à la demande de suppression présentée par l'appelante. Compte tenu de la résistance des intimés, l'obligation de suppression sera assortie d'une astreinte de 300 euros par jour et par infraction constatée, à l'issue d'un délai de 8 jours à compter de la signification du présent arrêt en ce qui concerne les pages Facebook et Instagram et d'un délai d'un mois en ce qui concerne les sites professionnels, la période d'astreinte étant fixée à 3 mois.

Sur la demande de communication de documents

L'article L. 716-4-8 du code de la propriété intellectuelle donne à la juridiction civile spécialisée le pouvoir d'ordonner toutes les mesures d'instruction légalement admissibles, même si une saisie-contrefaçon n'a pas préalablement été ordonnée.

Le juge de la mise en état exerce tous les pouvoirs nécessaires en matière de communication, d'obtention et de production des pièces en vertu des articles 788 et 789 du code de procédure civile.

1 / Sur les pièces comptables postérieures à l'extinction du contrat

La demande de la société Everblue relative à l'exercice clos au 30 juin 2021 est nouvelle mais recevable, comme étant l'accessoire et le complément nécessaire des autres demandes, au sens de l'article 566 du code de procédure civile.

La société Everblue fait valoir avec justesse que ces pièces sont indispensables pour déterminer l'assiette des préjudices économiques de la concluante au titre de la contrefaçon de marques et de la concurrence déloyale et parasitaire.

Elle rappelle qu'il résulte en effet de l'article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle que l'appréciation des préjudices spécifiques de contrefaçon par la juridiction spécialisée ne se résume pas aux seules pertes subies par la partie plaignante (gains manqués en terme de redevances d'exploitation que la partie plaignante aurait dû percevoir si l'usage de ses marques avait été autorisé), mais doit également prendre en considération, outre le préjudice moral de la victime de la contrefaçon, les bénéfices réalisés par le contrefacteur, ce qui suppose que son chiffre d'affaires et sa marge bénéficiaire soient connus, ce qui n'est pas le cas puisque Nature & Paysage ne publie pas ses comptes sociaux.

En outre, l'appelante rappelle valablement que l'appréciation de l'indemnisation des préjudices spécifiques de concurrence déloyale et parasitaire suppose que le chiffre d'affaires et la marge bénéficiaire de la société Nature et Paysage soient connus, de même que la réalité et la consistance des investissements qu'elle prétend avoir engagé après la rupture du contrat de distribution précité.

Elle rappelle que le préjudice spécifique du parasitisme doit être apprécié en prenant en compte, non seulement la valeur patrimoniale des investissements faits par le parasité et qui ont été détournés, mais aussi l'avantage concurrentiel indû que le parasite s'est octroyé en s'épargnant une dépense nécessaire.

Sur ce, au regard de ces éléments, seuls les éléments comptables permettant de déterminer le chiffre d'affaires et la marge bénéficiaire de la société Nature et Paysage doivent être connus pour déterminer le préjudice de la société Everblue, si la juridiction fait droit à ses moyens. Il y a donc lieu de condamner la société Nature et Paysage à produire les documents correspondants, étant précisé que, quand bien même M. [U] est le gérant de cette société, l'obligation de communication incombe à la seule personne morale.

Compte tenu de la résistance de l'intimée, la mesure de communication sera assortie d'une astreinte journalière de 300 euros à l'issue d'un délai d'un mois et pendant une durée de 3 mois.

En revanche, à ce stade du litige, la société Everblue ne justifie pas d'un motif légitime à connaître les éléments relatifs aux investissements réalisés par la société Nature et Paysage, ainsi que des nouveaux partenariats noués après la rupture du contrat. Il appartient à celle-ci de les produire éventuellement, si elle entend s'en prévaloir devant le juge du fond.

2 / Sur les pièces comptables antérieures à la rupture du contrat

La société Everblue réclame ces pièces au motif qu'elles sont essentielles dans la perspective d'une action des intimés pour rupture brutale, dont elle estime que la possibilité et la potentialité ont été suffisamment établies, tant par leur demande reconventionnelle irrecevable que par le sens de l'ordonnance de mise en état critiquée.

Toutefois, il n'appartient pas au juge de la mise en état d'ordonner la production de pièces en vue d'un litige ne relevant pas de la saisine actuelle du tribunal, qui plus est en vue d'une action susceptible d'être engagée devant une autre juridiction.

De plus, dans la mesure où la juridiction commerciale n'est pas saisie à ce jour, l'appelante prétend se faire remettre des pièces en vue d'un litige purement éventuel et relevant de l'initiative de la partie adverse, laquelle sera conduite à communiquer les éléments comptables à l'appui de sa demande si elle entend rechercher une indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales.

La demande de communication de pièces de ce chef est infondée.

Sur les demandes d'indemnités provisionnelles

L'article 789.3° autorise le juge de la mise en état à allouer une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

L'article 3.3 de la convention passée entre les sociétés Everblue et Nature et Paysage prévoyait qu'en cas de rupture de celle-ci, le distributeur devait cesser de se prévaloir de la dénomination Everblue et retirer l'enseigne dans un délai d’un mois à compter de la mise en demeure adressée par Everblue (précédemment Everblue PMA).

Le courrier de rupture du 15 octobre 2018, reçu le 17 octobre 2018, proposait de fixer la rupture au 30 décembre 2018 tout en proposant de la reporter au 30 juin 2019 sur demande de Nature et Paysage.

Il n'est pas précisé si Nature et Paysage a répondu au courrier en ce sens mais la société Everblue admet dans ses écritures que le délai de préavis a été porté au 30 juin 2019.

Au regard des pièces versées aux débats, il est établi qu'aux 5 et 7 août 2019, date de constats d'huissier de justice, la société Nature et Paysage n'avait pas retiré les enseignes et matériels publicitaires Everblue de ses locaux et ni les logos et associations de la marque Everblue à son nom sur les sites internet.

Par lettre recommandée avec avis de réception signé le 19 octobre 2019, le conseil de la société Everblue a mis en demeure la société Nature et Paysage et M. [U] de, notamment, fournir un engagement écrit de cesser définitivement et sans délai l'usage de l'enseigne, des marques notaires Everblue et, plus généralement, de tout signe distinctif susceptible de créer ou d'entretenir la confusion avec le réseau Everblue sur tout support et à quel titre que ce soit.

Les pièces versées aux débats par Nature et Paysage ne permettent pas de déterminer la date du retrait effectif des enseignes et logos dont l'implantation sur le site de la société avait été constatée le 7 août 2019 par Me [O], huissier de justice à [Localité 3].

Selon une facture de la société d'enseignes Bard, l'installation des nouveaux éléments signalétiques n'est intervenue que le 31 mars 2021. La société Everblue en déduit, sans être contredite, que ce n'est qu'à cette date qu'il a été procédé au retrait de l'enseigne et de la signalétique de sa marque.

Une recherche effectuée sur internet (via le moteur Google) le 29 novembre 2019 faisait apparaître que le site internet de la société Nature et Paysage (nature-et-paysage.fr) faisait encore référence à Everblue dans sa présentation, notamment pour les clichés présentant les locaux de la société.

Cela alors que la société Nature et Paysage justifie avoir fait créer un nouveau logo en janvier 2019 et un nouveau site internet en février 2019.

Par ailleurs, comme il a été dit, les références à Everblue ont été maintenues sur les sites internet et les profils publics Facebook et Instagram de Nature et Paysage et le profil public Facebook de M. [U].

Le constat d'huissier de justice dressé le 22 juin 2020 à la requête de Nature et Paysage, faisant apparaître que le site Everblue laisse faussement croire qu'il existerait un concessionnaire Everblue à [Localité 3] et utilise le cliché d'une piscine réalisée par Nature et Paysage, est inopérant quant aux faits de contrefaçon et concurrence déloyale qui lui sont reprochés par Everblue.

Les actes de contrefaçon des cinq marques ou logos d'Everblue sont caractérisés au regard des dispositions de l'article 713-3-1 du code de la propriété intellectuelle et justifient l'allocation d'une indemnité provisionnelle de 5.000 euros.

En l'absence de préjudice d'exploitation, à défaut d'autres revendeurs des produits Everblue dans le secteur géographique d'activité de Nature et Paysage, il existe bien un préjudice causé par la concurrence déloyale et parasitaire causée par une pratique commerciale trompeuse, détournant les investissements et l'image de marque d'Everblue, ce qui justifie une indemnité provisionnelle de 5.000 euros.

Ces indemnités sont à la charge de Nature et Paysage ; en l'état, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes provisionnelles dirigées contre M. [U], dont la pertinence doit être appréciée par le juge du fond.

La demande provisionnelle fondée sur l'indemnisation de préjudices patrimoniaux est rejetée, l'atteinte à la renommée de l'enseigne et des marques notoires reste à débattre devant le juge du fond, ainsi que l'existence d'un préjudice moral subi par une personne morale à raison de la mauvaise foi reprochée aux parties adverses.

S'agissant d'indemnité provisionnelle, les sommes allouées portent intérêts au taux légal à compter de la présente décision qui les détermine et non pas à compter de la demande portée par les conclusions adressées au juge de la mise en état, les dispositions de l'article 1231-6 du code civil n'étant pas applicables à la demande indemnitaire provisionnelle.

Sur les demandes accessoires

La société Nature et Paysage, partie perdante en principal dans la présente instance d'appel, doit en supporter les dépens, les dépens de l'incident devant le premier juge devant suivre le sort des dépens du fond.

L'avocat de la société Everblue demande la 'distraction' des dépens à son profit, terme employé dans l'ancien code de procédure civile qui n'est plus en vigueur depuis 1972. Il s'avère qu'il entend en réalité bénéficier du droit de recouvrement direct des dépens prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ce qui doit lui être accordé sur sa simple demande dès lors que le ministère d'avocat est obligatoire dans la procédure d'appel et que la partie adverse est condamnée au paiement des dépens.

La société Nature et Paysage et M. [U] conservent la charge des frais irrépétibles qu'ils ont exposés et la société Nature et Paysage doit indemniser la société Everblue de ses propres frais à hauteur de 3.000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme l'ordonnance rendue le 7 février 2022 par le juge de la mise en état de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'elle a :

- déclaré la Sarl Nature et Paysage irrecevable en sa demande reconventionnelle pour rupture abusive et de durée du préavis,

- et réservé les dépens de l'incident ;

Réforme l'ordonnance en ses autres dispositions et, statuant à nouveau,

Déclare la Sarl Nature et Paysage et [T] [U] irrecevables en leurs demandes de renvoi des parties devant le tribunal de commerce de Lyon et de sursis à statuer ;

Condamne la Sarl Nature et Paysage à supprimer toute référence au réseau, marques et enseigne de la société Everblue sur ses profils publics Facebook et Instagram, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et par infraction constatée commençant à courir dans les 8 jours suivant la signification du présent arrêt et pour une durée de 3 mois ;

Condamne [T] [U] à supprimer toute référence au réseau, marques et enseigne de la société Everblue sur son profil public Facebook, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et par infraction constatée commençant à courir dans les 8 jours suivant la signification du présent arrêt et pour une durée de 3 mois ;

Condamne la Sarl Nature et Paysage à faire supprimer toute référence au réseau, marques et enseigne de la société Everblue France sur les sites internet, notamment : zodiac-poolcare.fr, guide-piscine.fr, idees-piscine.com, annuaire-inverse-france.com, horairesdouverture24.fr, pagesjaunes.fr, propiscines.fr, reducavenue.com, entreprise42.fr, annuaireloire.fr et piscinespa.com, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et par infraction constatée commençant à courir un mois suivant la signification du présent arrêt et pour une durée de 3 mois ;

Condamne la Sarl Nature et Paysage à communiquer à la Sasu Everblue France, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et par infraction constatée dans le mois suivant la signification du présent arrêt et pour une durée de 3 mois, les bilans, comptes de résultat détaillés et liasses fiscales de la Sarl Nature et Paysage pour les exercices clos aux 30/06/2019, 30/06/2020 et 30/06/2021, certifiés conformes et sincères par son expert-comptable ;

Condamne la Sarl Nature et Paysage à payer à la Sasu Everblue France :

' une indemnité provisionelle de 5.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices spécifiques de contrefaçon du fait de l'atteinte portée à cinq marques emblématiques de son réseau de distribution ;

' une indemnité provisionnelle de 5.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices spécifiques de parasitisme et de concurrence déloyale ;

Condamne la Sarl Nature et Paysage aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Carole Halle ;

Condamne la Sarl Nature et Paysage à payer à la Sasu Everblue France une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.