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Décisions

CJUE, 3e ch., 20 octobre 2022, n° C-604/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

ROI Land Investments Ltd

Défendeur :

FD

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jürimäe

Juges :

M. Safjan, M. Piçarra, M. Jääskinen, M. Gavalec

Avocat général :

M. Richard de la Tour

Avocat :

Me von Kirchbach

CJUE n° C-604/20

19 octobre 2022

LA COUR (troisième chambre),

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), et paragraphe 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6, ci-après le « règlement Rome I »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ROI Land Investments Ltd (ci-après « ROI Land ») à FD au sujet du refus de ROI Land, responsable en vertu d’un accord de garantie envers FD des obligations découlant d’un contrat de travail, conclu entre le second et une filiale de la première, de payer des créances résultant de ce dernier contrat.

Le cadre juridique

Le règlement no 1215/2012

3 Les considérants 4, 14, 15 et 18 du règlement no 1215/2012 énoncent :

« (4) Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de garantir la reconnaissance et l’exécution rapides et simples des décisions rendues dans un État membre sont indispensables.

[...]

(14) D’une manière générale, le défendeur non domicilié dans un État membre devrait être soumis aux règles de compétence nationales applicables sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie.

Cependant, pour assurer la protection des consommateurs et des travailleurs, pour préserver la compétence des juridictions des États membres dans les cas où elles ont une compétence exclusive et pour respecter l’autonomie des parties, certaines règles de compétence inscrites dans le présent règlement devraient s’appliquer sans considération de domicile du défendeur.

(15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.

[...]

(18) S’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales. »

4 L’article 4 de ce règlement dispose :

« 1. Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

2. Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées sont soumises aux règles de compétence applicables aux ressortissants de cet État membre. »

5 L’article 6 dudit règlement prévoit :

« 1. Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application de l’article 18, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25.

2. Toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui est domicilié[e] sur le territoire d’un État membre, peut, comme les ressortissants de cet État membre, invoquer dans cet État membre contre ce défendeur les règles de compétence qui y sont en vigueur [...] »

6 L’article 17, paragraphe 1, sous c), du même règlement, qui figure dans la section 4, relative à la « [c]ompétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », du chapitre II de celui-ci, dispose :

« En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5) :

[...]

c) lorsque [...] le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités. »

7 L’article 18 du règlement no 1215/2012, qui figure dans la même section 4, énonce, à son paragraphe 1 :

« L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l’autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié. »

8 La section 5, intitulée « Compétence en matière de contrats individuels de travail », du chapitre II de ce règlement comprend, notamment, les articles 20 et 21 de celui-ci. Ledit article 20 est libellé comme suit :

« 1. En matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6, de l’article 7, point 5), et, dans le cas d’une action intentée à l’encontre d’un employeur, de l’article 8, point 1).

2. Lorsqu’un travailleur conclut un contrat individuel de travail avec un employeur qui n’est pas domicilié dans un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, l’employeur est considéré, pour les contestations relatives à leur exploitation, comme ayant son domicile dans cet État membre. »

9 L’article 21 dudit règlement est libellé comme suit :

« 1. Un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait :

[...]

b) dans un autre État membre :

i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou

ii) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur.

2. Un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant les juridictions d’un État membre conformément au paragraphe 1, point b). »

10 L’article 63, paragraphe 1, du même règlement prévoit :

« Pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là o[ù] est situé :

a) leur siège statutaire ;

b) leur administration centrale ; ou

c) leur principal établissement. »

11 L’article 80 du règlement no 1215/2012 dispose :

« Le présent règlement abroge le règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1)]. Les références faites au règlement abrogé s’entendent comme faites au présent règlement et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe III. »

Le règlement Rome I

12 Le considérant 7 du règlement Rome I énonce :

« Le champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au [règlement no 44/2001] et au règlement (CE) no 864/2007 du Parlement et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) [(JO 2007, L 199, p. 40)]. »

13 L’article 6 de ce règlement, relatif aux « [c]ontrats de consommation », dispose, à son paragraphe 1 :

« Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci-après le “consommateur”), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après le “professionnel”), agissant dans l’exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :

a) exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou

b) par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci,

et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 ROI Land, une société domiciliée au Canada, exerce une activité relevant du secteur immobilier.

15 FD, domicilié en Allemagne, travaillait pour ROI Land depuis le mois de septembre 2015 en tant que « Deputy vice president investors relations » (vice-président délégué des relations avec les investisseurs). FD et ROI Land ayant décidé de « transférer » leur relation contractuelle à une société suisse qui devait encore être créée, ils sont convenus, au cours du mois de novembre 2015, de résilier rétroactivement le contrat de travail les liant.

16 Le 14 janvier 2016, la société R Swiss AG a été créée en vertu du droit suisse. ROI Land est la société mère de cette nouvelle structure.

17 Le 12 février 2016, FD a conclu avec R Swiss un contrat de travail écrit (ci-après le « contrat de travail en cause ») portant engagement du premier en qualité de directeur et prévoyant le versement en sa faveur d’une prime d’entrée en fonction de 170 000 dollars des États-Unis (USD) (environ 153 000 euros) ainsi que, en plus d’autres prestations, d’un salaire mensuel de 42 500 USD (environ 38 000 euros). Il a également été convenu avec ROI Land d’un accord de prêt (loan agreement) antidaté au 1er octobre 2015 avec pour objet l’octroi d’un prêt en faveur de FD à hauteur de 170 000 USD (environ 153 000 euros). L’objet de cet accord devait être de transformer la rémunération due à FD pour une durée de quatre mois au titre du contrat de travail en un prêt à rembourser à ROI Land, le montant devant être versé à FD sous la forme de la prime d’entrée en fonction à verser par R Swiss en application du droit fiscal suisse.

18 Le même jour, FD et ROI Land ont signé un accord en vertu duquel la seconde était directement tenue envers le premier des obligations découlant du contrat de travail conclu avec R Swiss (ci-après l’« accord de garantie »). Cet accord comprenait les dispositions suivantes :

« Article 1er

[ROI Land] a créé pour la distribution en Europe une filiale, [R Swiss]. Le directeur est le cadre dirigeant de cette entreprise. Conformément à cette prémisse, [ROI Land] déclare ce qui suit :

Article 2

[ROI Land] a la responsabilité pleine et entière de l’exécution des obligations en ce qui concerne les contrats de [R Swiss] sur la base de la collaboration de son directeur avec [R Swiss]. »

19 Le 11 juillet 2016, R Swiss a licencié FD. Ce dernier a contesté son licenciement devant l’Arbeitsgericht Stuttgart (tribunal du travail de Stuttgart, Allemagne), dans le ressort duquel se trouvait le lieu où FD accomplissait habituellement son travail, à savoir Stuttgart (Allemagne). Cette juridiction en a constaté la nullité par un jugement du 2 novembre 2016, devenu définitif. Ladite juridiction a, par ailleurs, condamné R Swiss à verser à FD la somme de 255 000 USD (environ 230 000 euros) en tant que prime d’entrée en fonction ainsi que la somme de 212 500 USD (environ 191 000 euros) au titre de sa rémunération pour les mois d’avril à août 2016. R Swiss ne s’est pas conformée à ce jugement. Au début du mois de mars 2017, une procédure de faillite a été engagée à l’égard de R Swiss en vertu du droit suisse, mais elle a été suspendue du fait de l’absence d’actifs.

20 FD a alors introduit un autre recours devant les juridictions allemandes, qu’il estime compétentes, à tout le moins du fait de la compétence spéciale en matière de contrats conclus par un consommateur. Ce recours vise à faire condamner ROI Land, notamment, au paiement des sommes que R Swiss lui devait, conformément au jugement de l’Arbeitsgericht Stuttgart (tribunal du travail de Stuttgart) du 2 novembre 2016, ainsi qu’au paiement d’un montant de 595 000 USD (environ 536 000 euros) au titre de la rémunération mensuelle que cette dernière aurait dû lui verser pour les mois de septembre 2016 à novembre 2017. À l’appui de ce recours, FD a invoqué l’accord de garantie.

21 L’Arbeitsgericht Stuttgart (tribunal du travail de Stuttgart) a rejeté ce recours comme étant irrecevable au motif qu’il n’était pas internationalement compétent pour connaître de l’affaire. Sur appel de FD, le Landesarbeitsgericht Baden-Württemberg (tribunal supérieur du travail du Land de Bade-Wurtemberg, Allemagne) a réformé le jugement de l’Arbeitsgericht Stuttgart (tribunal du travail de Stuttgart) et a fait droit au recours, en confirmant, à cette occasion, la compétence des juridictions allemandes. ROI Land a formé un pourvoi en Revision devant la juridiction de renvoi, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne). Cette dernière s’interroge sur la question de savoir si les juridictions allemandes sont compétentes pour statuer sur le recours de FD et, dans l’affirmative, quelle est la loi applicable à la relation juridique entre les parties au principal.

22 S’agissant de cette relation juridique, la juridiction de renvoi souligne que l’accord de garantie constitue un engagement unilatéral que FD pouvait invoquer sans qu’il soit nécessaire de constater, au préalable, une défaillance de R Swiss, que ROI Land n’a pas été subrogée dans les droits et obligations de R Swiss en tant qu’employeur partie au contrat de travail en cause et que, sans l’accord de garantie, aucun contrat de travail n’aurait été conclu entre FD et R Swiss.

23 C’est dans ces conditions que le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les dispositions combinées de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), et paragraphe 2, du [règlement no 1215/2012] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’un travailleur peut poursuivre une personne morale qui n’est pas son employeur et qui n’est pas domiciliée, au sens de l’article 63, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, sur le territoire d’un État membre, mais qui, en vertu d’un accord de garantie, est directement responsable vis-à-vis du travailleur en ce qui concerne les droits découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec un tiers, devant la juridiction du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement ou a accompli dernièrement son travail dans le cadre de la relation de travail avec le tiers si en l’absence d’accord de garantie le contrat de travail avec le tiers n’aurait pas été conclu ?

2) L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que la réserve relative à l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 exclut l’application d’une règle de compétence au titre du droit national de l’État membre qui permet au travailleur de poursuivre une personne morale qui est directement responsable à son égard dans les circonstances décrites dans la première question en ce qui concerne des droits découlant d’un contrat individuel de travail avec un tiers, et ce en tant que “successeur en droit” de l’employeur, devant la juridiction compétente du lieu d’accomplissement habituel du travail, lorsqu’une telle compétence n’existe pas en vertu de l’article 21, paragraphe 2, et paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 1215/2012 ?

3) En cas de réponse négative à la première question et de réponse [affirmative] à la deuxième question :

a) L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que la notion d’“activité professionnelle” recouvre l’activité salariée dans le cadre d’une relation de travail ?

b) En cas de réponse [affirmative], l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens qu’un accord de garantie sur la base duquel une personne morale est directement responsable en ce qui concerne les droits d’un travailleur découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec un tiers constitue un contrat conclu à une fin qui peut être imputée à son activité professionnelle ?

4) Si, en conséquence des réponses aux questions qui précèdent, la juridiction de renvoi devait être internationalement compétente pour trancher le litige :

a) L’article 6, paragraphe 1, du [règlement Rome I] doit-il être interprété en ce sens que la notion d’“activité professionnelle” recouvre l’activité salariée dans le cadre d’une relation de travail ?

b) En cas de réponse [affirmative], l’article 6, paragraphe 1, du [règlement Rome I] doit-il être interprété en ce sens qu’un accord de garantie, sur la base duquel une personne morale est directement responsable vis-à-vis d’un travailleur en ce qui concerne les droits découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec un tiers, constitue un contrat que le travailleur a conclu à une fin qui peut être imputée à son activité professionnelle ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

24 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), et paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’un travailleur peut attraire devant la juridiction du dernier lieu où, ou à partir duquel, il a accompli habituellement son travail une personne, domiciliée ou non sur le territoire d’un État membre, avec laquelle il n’est pas lié par un contrat de travail formel, mais qui est, en vertu d’un accord de garantie dont dépendait la conclusion du contrat de travail avec un tiers, directement responsable envers ce travailleur de l’exécution des obligations de ce tiers.

25 À cet égard, il convient de rappeler que, pour les litiges relatifs aux contrats de travail, les dispositions du chapitre II, section 5, du règlement no 1215/2012, dont relève l’article 21 de celui-ci, énoncent une série de règles qui, ainsi qu’il ressort du considérant 18 de ce règlement, ont pour objectif de protéger la partie contractante la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables aux intérêts de cette partie (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Petronas Lubricants Italy, C 1/17, EU:C:2018:478, point 23 et jurisprudence citée).

26 L’article 21 du règlement no 1215/2012 dispose, à son paragraphe 2, qu’un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant les juridictions d’un État membre conformément au paragraphe 1, sous b), dudit article.

27 Le paragraphe 1, sous b), i), du même article prévoit qu’un employeur peut être attrait devant la juridiction du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail.

28 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 19, point 2, du règlement no 44/2001 que les notions juridiques que cette disposition contient doivent recevoir une interprétation autonome afin de garantir l’application uniforme des règles de compétence établies par ce règlement dans tous les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a., C 168/16 et C 169/16, EU:C:2017:688, points 47 et 48).

29 Dans ce contexte, il importe de rappeler que, dans la mesure où, conformément à l’article 80 du règlement no 1215/2012, celui-ci abroge et remplace le règlement no 44/2001, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ce dernier règlement vaut également pour le règlement no 1215/2012 lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes » (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Tibor-Trans, C 451/18, EU:C:2019:635, point 23 et jurisprudence citée), d’autant que cet article 80 précise que « [l]es références faites au [règlement no 44/2001] s’entendent comme faites au [règlement no 1215/2012] et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe III [de ce dernier règlement] ». Or, il ressort de cette annexe que l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 correspond à l’article 19, point 2, du règlement no 44/2001. Il en résulte que, à l’instar de cette dernière disposition, il convient d’interpréter l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 de manière autonome.

30 S’agissant de l’article 21 du règlement n° 1215/2012, il convient de préciser que, ainsi qu’il ressort des points 26 et 27 du présent arrêt, cette disposition fixe les règles de compétence des juridictions saisies de litiges « en matière de contrats individuels de travail » opposant un travailleur à son employeur. L’application de ces règles présuppose donc une relation de travail liant le travailleur et son employeur.

31 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la relation de travail, définie selon des critères objectifs, se caractérise essentiellement par la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley, C 603/17, EU:C:2019:310, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

32 Il s’ensuit que, si l’absence d’un contrat formel ne fait pas obstacle à l’existence d’une relation de travail, cette dernière suppose néanmoins un lien de subordination entre le travailleur et son employeur et que l’existence d’un tel lien doit être appréciée dans chaque cas particulier, en fonction de tous les éléments et de toutes les circonstances caractérisant les relations entre les parties (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley, C 603/17, EU:C:2019:310, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).

33 Dans ce contexte, la circonstance qu’une société, telle que ROI Land dans l’affaire au principal, s’est bornée à conclure un accord de garantie avec un travailleur ne saurait suffire à exclure d’emblée que ce travailleur se soit trouvé dans un lien de subordination par rapport à cette société.

34 C’est à la lumière de l’ensemble de ces éléments qu’il revient à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente à cet effet, de procéder aux vérifications factuelles pertinentes et d’apprécier si, dans les circonstances de ce litige, une relation de travail, caractérisée par l’existence d’un lien de subordination, existait entre FD et ROI Land.

35 Sont notamment pertinentes, dans le cadre de cette appréciation, les circonstances ayant entouré la conclusion de l’accord de garantie entre FD et ROI Land et du contrat de travail en cause entre FD et R Swiss, telles que le fait que, avant de conclure le contrat de travail en cause, FD était lié par un autre contrat de travail avec ROI Land et que le contrat de travail en cause n’aurait pas existé si ROI Land ne s’était pas engagée à l’égard de FD par l’accord de garantie ou encore le fait que cet accord visait précisément à garantir le paiement des créances salariales de FD. Il en va de même de la circonstance selon laquelle la conclusion de ces contrats n’a pas affecté la nature des activités exercées par FD dans un premier temps pour ROI Land et dans un second temps pour R Swiss, laquelle est entièrement détenue par la première.

36 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), et paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’un travailleur peut attraire devant la juridiction du dernier lieu où, ou à partir duquel, il a accompli habituellement son travail une personne, domiciliée ou non sur le territoire d’un État membre, avec laquelle il n’est pas lié par un contrat de travail formel, mais qui est, en vertu d’un accord de garantie dont dépendait la conclusion du contrat de travail avec un tiers, directement responsable envers ce travailleur de l’exécution des obligations de ce tiers, à condition qu’il existe un lien de subordination entre cette personne et le travailleur.

Sur la deuxième question

37 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que la réserve relative à l’application de l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement exclut qu’une juridiction d’un État membre puisse se fonder sur la réglementation de cet État en matière de compétence judiciaire, quand bien même cette réglementation serait plus favorable au travailleur.

38 L’article 6, paragraphe 1, dudit règlement dispose que, si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application de l’article 18, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25 du même règlement.

39 L’article 21, paragraphe 2, du règlement n° 1215/2012 permet, ainsi que cela a été rappelé au point 26 du présent arrêt, d’attraire un employeur qui n’est pas domicilié dans un État membre devant les juridictions d’un État membre, conformément à l’article 21, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1215/2012.

40 À cet égard, il convient de relever que l’article 21 de ce règlement s’insère dans la section 5 du chapitre II de celui-ci, relative à la compétence en matière de contrats individuels de travail, laquelle présente, selon la jurisprudence de la Cour, un caractère non seulement spécifique, mais encore exhaustif (voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2008, Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline, C 462/06, EU:C:2008:299, point 18).

41 Il en découle, d’une part, que tout litige qui concerne un contrat individuel de travail doit être porté devant une juridiction désignée selon les règles de compétence prévues par les dispositions du chapitre II, section 5, de ce règlement et, d’autre part, que ces règles de compétence ne peuvent être modifiées ou complétées par d’autres règles de compétence énoncées dans le même règlement que pour autant qu’une disposition figurant dans cette section 5 opère un renvoi exprès à celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2008, Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline, C 462/06, EU:C:2008:299, point 19).

42 S’agissant de l’articulation du droit national et des règles de compétence prévues par le règlement n° 1215/2012, telle qu’elle ressort de l’article 6, paragraphe 1, de ce dernier, il convient d’observer que cette disposition prévoit, en principe, l’application des règles de compétence nationales lorsque le défendeur n’est pas domicilié dans un État membre. Toutefois, l’emploi de l’expression « sous réserve de » exclut de l’application du droit national les cas relevant des dispositions énumérées. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 83 de ses conclusions, il s’agit là d’une liste exhaustive d’exceptions au principe de l’application des règles de compétence nationales.

43 Cette lecture est confortée par la finalité du règlement n° 1215/2012. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 14, premier alinéa, de ce règlement, en principe, lorsque le défendeur n’est pas domicilié dans un État membre, il est soumis aux règles de compétence nationales applicables sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie.

44 Toutefois, le second alinéa de ce considérant énonce que, pour assurer la protection des consommateurs et des travailleurs, pour préserver la compétence des juridictions des États membres dans les cas où elles ont une compétence exclusive et pour respecter l’autonomie des parties, certaines règles de compétence inscrites dans ce règlement devraient s’appliquer sans considération du domicile du défendeur. Tel est le cas, s’agissant des règles visant à assurer la protection des travailleurs, des dispositions figurant dans le chapitre II, section 5, dudit règlement qui prévoient des règles de compétence applicables, alors que le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre.

45 Il s’ensuit que, lorsque la compétence des juridictions d’un État membre ne découle pas d’une disposition spécifique du règlement no 1215/2012 visée à son article 6, paragraphe 1, tel que l’article 21 de celui-ci, les États membres demeurent libres, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, d’appliquer leur réglementation nationale pour déterminer la compétence judiciaire.

46 En revanche, dès lors que la compétence des juridictions d’un État membre découle effectivement d’une telle disposition spécifique, l’application de cette dernière prime sur les règles nationales de détermination de la compétence, quand même bien celles-ci seraient plus favorables aux travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Markt24, C 804/19, EU:C:2021:134, point 34).

47 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 86 de ses conclusions, cette interprétation est conforme à l’objectif d’unifier les règles de conflit de juridictions, énoncé au considérant 4 du règlement no 1215/2012, ainsi qu’à l’exigence de prévisibilité des règles de compétence, énoncée au considérant 15 de ce règlement.

48 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que la réserve relative à l’application de l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement exclut qu’une juridiction d’un État membre puisse se fonder sur les règles de cet État en matière de compétence judiciaire lorsque les conditions d’application de cet article 21, paragraphe 2, sont réunies, quand bien même ces règles seraient plus favorables au travailleur. En revanche, lorsque les conditions d’application ni dudit article 21, paragraphe 2, ni d’aucune des autres dispositions énumérées à l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement ne sont réunies, une telle juridiction est libre, conformément à cette dernière disposition, d’appliquer lesdites règles pour déterminer la compétence judiciaire.

Sur les troisième et quatrième questions

49 À titre liminaire, il convient de préciser qu’une réponse aux troisième et quatrième questions n’est utile à la juridiction de renvoi que dans l’hypothèse où, à la suite des vérifications qui lui incombent, elle conclurait qu’il n’existe pas de relation de travail entre FD et ROI Land, de sorte que la situation de FD ne relèverait pas de l’article 21 du règlement no 1215/2012.

50 En outre, ainsi qu’il ressort du considérant 7 du règlement Rome I, le champ d’application matériel et les dispositions de celui-ci devraient être cohérents par rapport au règlement no 44/2001. Dans la mesure où ce dernier a été abrogé et remplacé par le règlement no 1215/2012, cet objectif de cohérence vaut également pour celui-ci (arrêt du 10 février 2022, ShareWood Switzerland, C 595/20, EU:C:2022:86, point 34 et jurisprudence citée).

51 Les troisième et quatrième questions se prêtent par conséquent à un examen conjoint.

52 Par celles-ci, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I doivent être interprétés en ce sens que la notion d’« activité professionnelle » recouvre non seulement une activité indépendante, mais également une activité salariée, et, dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à cette question, si, lorsque, dans le cadre d’une telle activité salariée, un accord a été conclu entre le travailleur et une personne tierce à l’employeur mentionné dans le contrat de travail, en vertu duquel cette personne est directement responsable envers le travailleur des obligations de cet employeur découlant du contrat de travail, un tel accord constitue un contrat conclu en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel.

53 En ce qui concerne le premier volet des troisième et quatrième questions, à savoir celui tenant à la question de savoir si une activité salariée est couverte par la notion d’« activité professionnelle », au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I, il convient de relever que, selon la jurisprudence constante de la Cour, seuls les contrats conclus en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel, dans l’unique but de satisfaire aux propres besoins de consommation privée d’un individu, relèvent du régime particulier prévu par lesdits règlements en matière de protection du consommateur en tant que partie réputée faible, alors qu’une telle protection ne se justifie pas en cas de contrat ayant comme but une activité professionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2020, Personal Exchange International, C 774/19, EU:C:2020:1015, point 30 et jurisprudence citée).

54 Il en découle qu’aucune distinction selon que l’activité professionnelle soit une activité indépendante ou salariée ne résulte de cette jurisprudence, selon laquelle il doit seulement être recherché si le contrat est conclu en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel.

55 Partant, il convient de constater qu’une activité salariée relève de la notion d’« activité professionnelle », au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I.

56 Quant au second volet de ces questions, concernant la qualification d’un accord de garantie tel que celui conclu entre FD et ROI Land, il ressort de la décision de renvoi que, en l’occurrence, l’accord de garantie est indissociablement lié à l’activité professionnelle exercée par FD, dès lors que ce dernier n’aurait pas conclu le contrat de travail en cause sans l’accord de garantie.

57 Compte tenu du lien indissociable qui unit l’accord de garantie avec le contrat de travail en cause, il ne saurait être considéré, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 105 de ses conclusions, que celui-ci a été conclu en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel.

58 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I doivent être interprétés en ce sens que la notion d’« activité professionnelle » recouvre non seulement une activité indépendante, mais également une activité salariée. En outre, un accord conclu entre le travailleur et une personne tierce à l’employeur mentionné dans le contrat de travail, en vertu duquel celle-ci est directement responsable envers le travailleur des obligations de cet employeur découlant du contrat de travail, ne constitue pas un contrat conclu en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel pour l’application de ces dispositions.

Sur les dépens

59 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

1) L’article 21, paragraphe 1, sous b), i), et paragraphe 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,

doit être interprété en ce sens que :

un travailleur peut attraire devant la juridiction du dernier lieu où, ou à partir duquel, il a accompli habituellement son travail une personne, domiciliée ou non sur le territoire d’un État membre, avec laquelle il n’est pas lié par un contrat de travail formel, mais qui est, en vertu d’un accord de garantie dont dépendait la conclusion du contrat de travail avec un tiers, directement responsable envers ce travailleur de l’exécution des obligations de ce tiers, à condition qu’il existe un lien de subordination entre cette personne et le travailleur.

2) L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012

doit être interprété en ce sens que :

la réserve relative à l’application de l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement exclut qu’une juridiction d’un État membre puisse se fonder sur les règles de cet État en matière de compétence judiciaire lorsque les conditions d’application de cet article 21, paragraphe 2, sont réunies, quand bien même ces règles seraient plus favorables au travailleur. En revanche, lorsque les conditions d’application ni dudit article 21, paragraphe 2, ni d’aucune des autres dispositions énumérées à l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement ne sont réunies, une telle juridiction est libre, conformément à cette dernière disposition, d’appliquer lesdites règles pour déterminer la compétence judiciaire.

3) L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I),

doivent être interprétés en ce sens que :

la notion d’« activité professionnelle » recouvre non seulement une activité indépendante, mais également une activité salariée. En outre, un accord conclu entre le travailleur et une personne tierce à l’employeur mentionné dans le contrat de travail, en vertu duquel celle-ci est directement responsable envers le travailleur des obligations de cet employeur découlant du contrat de travail, ne constitue pas un contrat conclu en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel pour l’application de ces dispositions.