CA Rennes, 9e ch., 27 novembre 2013, n° 12/02372
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Guingamp Sexage (SNC)
Défendeur :
MSA Armorique, Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Professions Libérales, Caisse Mutuelle Régionale d'Assurance Maladie et Maternité des Non Salariés, Régime Social des Indépendants, Caisse d'Assurance Maladie des Professions Libérales de Province
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schamber
Conseillers :
M. Pedron, Mme Le Quellec
FAITS ET PROCÉDURE :
Créée en 1988, la société en nom collectif X, avait initialement pour objet social 'l'exploitation, en qualité de locataire-gérant, de l'entreprise de sexage de poussins, de dindonneaux, de pintadeaux, de canetons et autres volailles appartenant à M. D et situé <ADRESSE>.
Cette société a engagé MM. A, B et C, en qualité de sexeurs salariés, respectivement le 1er février 1996, le 1er décembre 1999 et le 6 mars 2000. Ces salariés ont été affiliés à la Mutualité Sociale Agricole des Côtes-d'Armor (MSA).
Consécutivement à la résiliation du contrat de location-gérance, avec effet rétroactif au 1er août 1988, les statuts de la société ont été modifiés pour les mettre en accord avec une exploitation directe.
Par acte du 16 septembre 1999 la SNC X a conclu avec la société à responsabilité limitée Z une convention d'assistance, dont l'exposé des motifs comporte les énonciations suivantes :
'La société SNC X, société de droit français, est dirigée et exclusivement composée de sexeurs qualifiés de nationalité japonaise et coréenne, peu au fait des obligations administratives, comptables et juridiques inhérentes à toute entreprise située sur le territoire national. La société Z se propose d'assister la société SNC X notamment dans l'exécution et le suivi de ces obligations légales et réglementaires. C'est ainsi que les parties se sont rapprochées pour définir et arrêter les termes et conditions de leur collaboration, dans le cadre de la présente convention d'assistance'.
Par une lettre de ses avocats, en date du 21 mars 2001, la SNC X a informé la MSA du fait que MM. A, B et C sont devenus associés de cette société. Les intéressés ayant alors sollicité une affiliation en tant que non salarié, la MSA a fait procéder à une enquête au terme de laquelle le contrôleur, M. Thierry N., dans ses rapports datés du 25 septembre et du 9 octobre 2001, concluait que le statut de commerçant revendiqué par les intéressés ne correspond pas à la réalité puisqu'ils travaillent au sein d'un service organisé sous la direction de M. Y.
Par lettres du 9 janvier 2002, la MSA a alors notifié, tant à MM. A, B et C, qu'à la SNC X, sa décision de maintenir aux intéressés le statut de salariés de cette société.
Saisie tant par MM. A, B et C, que par la SNC X, la commission de recours amiable, par décisions du 26 mars 2002, a maintenu les affiliations des intéressés au régime agricole en qualité de salariés agricoles.
Le tribunal des affaires de sécurité sociale des Côtes d'Armor a été saisi des litiges le 21 mai 2002. Par trois jugements rendus le 17 mars 2003, il a rejeté les contestations et confirmé les décisions de la commission de recours amiable en ce qu'elle a dit que MM. A, B et C doivent rester affiliés en tant que salariés au régime agricole, sans fixer de limite temporelle aux effets de ces décisions.
Le tribunal a estimé que s'il est établi que le 12 janvier 2001ces trois salariés sont devenus associés minoritaires de la société en nom collectif qui était leur employeur, chacun d'eux s'étant vu attribuer 5 parts sociales représentant 7,14 % du capital, il est aussi avéré qu'ils ont continué à travailler comme auparavant, sans aucune participation à la gestion de la société, avec une rémunération sensiblement équivalente, et sur les instructions de M. Y. Pour retenir que l'activité en cause est de nature agricole, le tribunal a estimé que le sexage des poussins, opéré une journée après l'éclosion, opération destinée à différencier les poussins mâles des poussins femelles, est l'acte premier du cycle de l'élevage, conditionnant la suite du cycle biologique, dont la maîtrise est différente d'un sexe à l'autre, le fait que le sexage soit confiée à des entreprises extérieures aux élevages étant indifférent à la qualification de cette activité.
Sur l'appel interjeté par MM. A, B et C, ainsi que par la SNC X le 1er avril 2003, la cour de ce siège, par arrêt du 26 mai 2004, a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de l'information judiciaire en cours sur des faits de travail dissimulé par dissimulation d'emplois salariés dans le cadre de l'activité de la SNC X.
Par arrêt du 18 juin 2009, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Rennes a reconnu M. Sylvain W, M. Philippe Y et la SARL Z coupables, notamment de la prévention suivante :
'Pour avoir à Graces (22) et Laval (53), du 1er octobre 1999 à courant mars 2004, étant employeur de salariés spécialisés dans le sexage des volailles faussement qualifiés de travailleurs indépendants, omis intentionnellement de procéder à la déclaration nominative préalable à l'embauche et omis intentionnellement de remettre un bulletin de paie lors du paiement de la rémunération'.
Cet arrêt n'ayant été cassé qu'en ses dispositions relatives aux peines prononcées, la MSA, après que la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Rennes ait définitivement statué sur les peines, a demandé la réinscription au rôle de l'affaire pendante devant la chambre sociale relativement à l'affiliation de MM. A, B et C à la MSA, en tant que salariés agricoles.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par ses conclusions, auxquelles s'est référé et qu'a développées son avocat lors des débats, MM. A, B et C, ainsi que la société Guingamp sexage, venant aux droits de la société X, demandent à la cour, par voie de réformation des jugements déférés, d'annuler les décisions de la MSA relatives à l'affiliation de MM. A, B et C au régime des salariés agricoles et de condamner la caisse à leur payer une somme de 6.000 € au titre des frais exposés pour leur défense.
Les appelants font valoir que l'activité de sexage, qui correspond à une intervention ponctuelle, en fin de production et avant commercialisation, n'est pas un acte nécessaire à la maîtrise de l'exploitation d'un cycle biologique, ce qui explique que cette activité soit exercée par des personnes extérieures à l'exploitation agricole. Ils en déduisent qu'il s'agit d'une activité d'expertise et de conseil de nature non agricole, au sens de l'article L. 311-1 du code rural. Ils rappellent que réunis le 28 septembre 2001 en assemblée générale extraordinaire, les associés de la société X, dont MM. A, B et C, ont pris acte de la démission de M. Sylvain W, dont les parts ont été réparties entre les associés restants, qui se sont tous déclarés cogérants. Ils en déduisent que la présomption de non salariat, telle qu'édictée par l'article L. 120-3 du code du travail, devait produire ses effets, et ceci d'autant plus qu'aux termes de l'article L. 221-1 du code de commerce les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçants et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales et que selon l'article R. 241-2 du code de la sécurité sociale est considéré comme employeur ou travailleur indépendant tout associé d'une société en nom collectif. Les appelants soutiennent que si la chambre sociale s'estime liée par la décision des juridictions pénales, elle ne pourrait que constater que les coemployeurs de MM. A, B et C étaient MM. W et Y, ainsi que la SARL Z, mais non pas la société X. Les appelants indiquent que le 18 avril 2006, les cogérants de la société X ont résilié le contrat d'assistance qui la liait à la SARL Z, et que depuis lors tous les autres associés ont le statut de travailleurs non-salariés, si bien que rien ne justifie qu'il n'en soit pas de même pour MM. M. et K., M. K. ayant entre temps quitté l'entreprise. Ils affirment que le rapport d'enquête invoqué par la MSA est sans valeur probante pour ne pas avoir été signé par le contrôleur.
Par ses écritures, auxquelles s'est référé et qu'a développées son mandataire lors des débats la Mutualité Sociale Agricole d'Armorique, venant aux droits de la Mutualité Sociale Agricole des Côtes d'Armor, demande à la cour de reconnaître à MM. A, B et C le statut de salarié agricole pour la période s'étant écoulée entre le 1er octobre 1999 et le 1er mars 2004, et de confirmer les jugements dans cette mesure.
La MSA réplique que l'affiliation au régime agricole ne dépend ni de la forme de la société ni de la qualité de ses membres, mais de son objet. Rappelant qu'aux termes de l'article L. 722-2 du code rural et de la pêche maritime sont considérés comme travaux agricoles ceux qui entrent dans le cycle de la production animale ou végétale, la MSA soutient que l'opération de sélection des poussins d'un jour, rémunérée à la pièce et effectuée dans le but de différencier les femelles destinées à devenir des poules pondeuses des mâles, destinés à l'engraissement, est une activité agricole par nature. Elle rétorque que le caractère fictif du statut de commerçant de MM. A, B et C a été retenu par les juridictions pénales, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Rennes ayant considéré, pour retenir la culpabilité de MM. W et Y, ainsi que de la SARL Z, du chef de travail dissimulé, par des dispositions devenues irrévocables, que la situation de dépendance économique des sexeurs démontre qu'ils n'étaient en réalité que des salariés des sociétés de sexage, dont la gérance de fait était assurée par la SARL Z.
Par ses écritures, auxquelles s'est référé et qu'a développées son mandataire lors des débats, le Régime Social des Indépendants (RSI), indiquant ne pas revendiquer l'affiliation de MM. A, B et C, conclut à la confirmation des jugements déférés.
Régulièrement convoquées, la Caisse Nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), la Caisse d'Assurance Maladie des Professions Libérales Province et la Caisse Mutuelle Régionale d'Assurance Maladie et Maternité des Non-Salariés, ne se sont pas fait représenter.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'article L. 311-1 du code rural, relatif à la définition des activités agricoles, dispose que sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation.
En outre, l'article L. 722-2 du même code, relatif à la définition des travaux agricoles, dans la cadre de l'organisation générale des régimes de protection sociale des professions agricoles, énonce que sont considérés comme travaux agricoles les travaux qui entrent dans le cycle de la production animale ou végétale.
Dans le cas d'espèce, pendant la période litigieuse, désormais circonscrite par la MSA à la période qui s'est écoulée entre le 1er octobre 1999 et le 1er mars 2004, MM. A, B et C exerçaient, au sein de la société X une activité de sexage, consistant à se rendre dans les exploitations agricoles d'élevage de poussins ou autres jeunes volailles, afin de les trier, dès le lendemain de leur naissance, en fonction de leur sexe et de leur destination, avant leur vente.
S'agissant ainsi d'une opération de sélection, indispensable à l'achèvement du cycle de la production animale en cause, ces sexeurs, dans le cadre de l'exécution de leurs tâches, accomplissaient bien des travaux agricoles, au sens des textes susvisés, si bien que c'est à juste titre que les premiers juges ont admis cette circonstance pour les rattacher à un régime de protection sociale des professions agricoles.
Il résulte des trois rapports d'enquête, dont la MSA produit des exemplaires revêtus de la signature de leur auteur, M. Thierry N., contrôleur, qu'entre leurs dates respectives d'embauche et le 12 janvier 2001, date à laquelle ils ont pris la qualité d'associés de la société en nom collectif X, MM. A, B et C étaient déclarés par cette société en qualité de salariés.
Le fait qu'ils soient devenus associés de cette société le 12 janvier 2001, avec leur immatriculation corrélative au registre du commerce, faisait présumer, par application de l'ancien article L. 120-3 du code du travail qu'ils n'étaient plus salariés, leur qualité d'associés leur ayant, au contraire, conféré la qualité de commerçant, par application de l'article L. 221-1 du code de commerce.
Il n'en reste pas moins que si les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés sont présumées ne pas être liées par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à cette immatriculation, l'organisme de sécurité sociale qui estime qu'elles devaient lui être affiliées, peut rapporter la preuve de l'existence d'un contrat de travail, dont la qualification dépend des conditions effectives de l'exercice de l'activité.
Les décisions des juridictions pénales ont, au civil, l'autorité de la chose jugée à l'égard de tous, en ce qui concerne l'existence du fait incriminé, sa qualification, et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé. Cette autorité de la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale.
En l'espèce, MM. W et Y, ainsi que la SARL Z, ont été poursuivis au pénal, pour la période du 1er octobre 1999 au mois de mars 2004, du chef de travail dissimulé, pour avoir fait travailler, notamment les sexeurs de la société X, sous le statut fictif de travailleur indépendant. Dans son arrêt du 18 juin 2009, qui n'a été cassé et annulé qu'en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées, si bien que les déclarations de culpabilité sont devenues irrévocables le 15 mars 2011, date de l'arrêt de la Cour de cassation, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Rennes, à l'issue de l'analyse des éléments de fait réunis au cours de l'information judiciaire, a, pour asseoir sa déclaration de culpabilité, conclu son raisonnement dans les termes suivants :
'Considérant que la législation du travail est d'ordre public ; qu'au delà d'un hypothétique accord des sexeurs, leur dépendance juridique et économique démontre qu'ils n'étaient en réalité que les salariés des sociétés de sexage dont la gérance revenait à la SARL Z, qui au travers du rachat du fonds de commerce et du contrat d'assistance possédait la totale maîtrise des décisions commerciales, financières, de recrutement et de gestion, ce qui constituait au demeurant sa seule activité'.
Il ressort de ces motifs, qui s'imposent au juge civil comme étant le soutien nécessaire de la déclaration de culpabilité, que pendant la période couverte par la prévention, mais qui ne concerne MM. A, B et C qu'à compter du 12 janvier 2001, les sexeurs de la société X étaient liés à cette société, par un contrat de travail, en dépit de leur qualité d'associés, dès lors que la gérance de fait était assurée par la société SARL Z, et par MM. W et Y, et que leur qualité de cogérants était purement fictive.
Si les premiers juges ont donc, à juste titre, admis que les intéressés devaient être affiliés à la MSA en qualité de salariés agricoles, leurs jugements seront néanmoins réformés pour en limiter les effets à la période qui s'est écoulée entre le 12 janvier 2001 et le 1er mars 2004.
Parties perdantes, les appelants sollicite en vain le bénéfice de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe,
Infirme les jugements déférés ;
Et statuant à nouveau,
Dit que MM. A, B et C avaient la qualité de salariés agricoles du 12 janvier 2001au 1er mars 2004 ;
Rejette la demande des appelants fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.