Livv
Décisions

Cass. com., 22 septembre 2021, n° 19-24.968

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Thouin-Palat et Boucard

Douai, du 3 oct. 2019

3 octobre 2019


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 3 octobre 2019), le capital de la SCI DDD est détenu par plusieurs associés, dont M. [K] et la société Optimale gestion, qui en contrôlent le tiers, et M. [V], la société H2D Optimum et M. [X], qui détiennent les deux tiers restants. La société est gérée par M. [V].

2. Invoquant, d'une part, l'existence d'opérations anormales au profit du groupe majoritaire, d'autre part, l'absence d'accès aux comptes sociaux et enfin, l'impossibilité de présenter des projets de résolution en assemblée générale, M. [K] et la société Optimale gestion ont assigné la société DDD et M. [V] en référé, aux fins d'obtenir la condamnation de la première à payer à la société Optimale gestion une certaine somme correspondant au solde débiteur de son compte courant d'associé, ainsi que la désignation d'un mandataire ad hoc.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. M. [K] et la société Optimale gestion font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du 8 novembre 2018 les ayant déboutés de leur demande de provision, alors :

« 1°/ que le juge peut accorder une provision au créancier dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que tel est le cas lorsque la créance dont il est demandé le remboursement revêt un caractère certain, liquide et exigible ; qu'une créance de compte-courant d'associé, étant remboursable à tout moment, est nécessairement certaine, liquide et exigible ; qu'ayant constaté qu'était mentionnée au passif du bilan de l'exercice clos au 31 décembre 2016 de la société DDD la somme de 26.481,37 euros correspondant au solde du compte-courant d'associé de la SCP Optimale gestion, la cour d'appel ne pouvait considérer que ladite créance était sérieusement contestable sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;

2°/ qu'en affirmant, par des motifs éventuellement adoptés du premier juge, que "compte tenu de la possible évolution de la situation au débit ou au crédit du compte courant litigieux", la créance de la SCP Optimale gestion ne pouvait être évaluée avec certitude, cependant qu'une créance de compte-courant d'associé est remboursable à tout moment et qu'elle avait constaté que le bilan de l'exercice clos au 31 décembre 2016 de la société DDD faisait état d'une créance en compte-courant au bénéfice de la SCP Optimale gestion d'un montant de 26.481,37 euros, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter le caractère non sérieusement contestable de la créance, en violation de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;

3°/ qu'après avoir constaté que la somme de 26.481,37 euros réclamée à titre de provision figurait au passif du bilan de l'exercice clos de la société DDD au 31 décembre 2016, la cour a débouté M. [K] et la société Optimale gestion motifs pris qu'il résultait d'un courrier de l'expert-comptable en date du 10 septembre 2015 que "la réciprocité du compte SCP Optimale Gestion n'a pu être vérifiée dans la comptabilité de cette société" et de l'attestation de l'expert-comptable établie le 19 mai 2016 qu'"il existait une incertitude quant à la cohérence des reports à nouveau. Les comptes annuels n'ont d'ailleurs pas été approuvés et le résultat a été affecté au compte "résultat en instance d'affectation""; qu'en se fondant ainsi sur des pièces faisant état d'irrégularités comptables antérieures au bilan mentionnant la créance réclamée, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants en violation de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;

4°/ que la seule contestation, par la gérance, de sa propre comptabilité ne suffit pas à établir le caractère sérieusement contestable de la créance réclamée par un associé créancier ; qu'en déboutant néanmoins M. [K] et la société Optimale gestion de leur demande de provision motifs pris que la comptabilité antérieure à 2014 a fait l'objet de contestations de la part de M. [V] et de la SCI DDD ou encore que les comptes de l'exercice concerné n'avaient pas été approuvés, la cour d'appel a derechef statué par des motifs inopérants, en violation de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir, par motifs adoptés, énoncé que si les comptes courants d'associés ont pour caractéristique essentielle, en l'absence de convention particulière ou statutaire les régissant, d'être remboursables à tout moment, encore faut-il que la créance de restitution soit certaine, liquide et exigible, l'arrêt retient, par motifs propres, que si M. [K] et la société Optimale gestion font valoir que la constatation de la créance dans les livres de la société DDD avec, au passif du bilan de l'exercice clos au 31 décembre 2016, la mention "C/C Optimale gestion" suffit à faire disparaître la contestation sérieuse, il leur appartient toutefois de justifier du caractère certain et exigible de la créance invoquée, cependant qu'il résulte du courrier de l'expert comptable du 10 septembre 2015 que "la réciprocité du compte SCP Optimale gestion n'a pu être vérifiée dans la comptabilité de cette société" et de l'attestation de l'expert comptable établie le 19 mai 2016 qu'"il existe une incertitude quant à la cohérence des reports à nouveaux. Les comptes annuels n'ont d'ailleurs pas été approuvés et le résultat a été affecté au compte "résultat en instance d'affectation"". En cet état, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a retenu que la créance de la société Optimale gestion, qui ne pouvait être évaluée avec certitude, ne présentait pas un caractère certain et exigible et c'est exactement qu'elle en a déduit, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, qu'il convenait de rejeter la demande de provision formée par M. [K] et la société Optimale gestion.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. M. [K] et la société Optimale gestion font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du 8 novembre 2018 les ayant déboutés de leur demande de désignation d'un administrateur provisoire, alors « qu'après avoir constaté que deux projets de résolutions émis par M. [K] – conformément aux prescriptions statutaires – n'avaient pas été intégrés à l'ordre du jour ni mis au vote lors des assemblées générales qui se sont tenues les 25 mai et 4 septembre 2018, la cour d'appel a affirmé, pour débouter M. [K] et la société Optimale gestion de leur demande de désignation d'un mandataire ad hoc, que "M. [K] pouvait valablement, en sa qualité d'associé minoritaire, contester les décisions prises par ces assemblées générales, ce dont il ne justifie pas en l'espèce" ; qu'en statuant ainsi, par un motif impropre à exclure l'existence d'un manquement du gérant à ses obligations statutaires commandant la désignation d'un mandataire ad hoc, la cour d'appel a violé l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'entrée en vigueur du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 :

7. Selon ce texte, le président du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

8. Pour rejeter la demande de désignation d'un mandataire ad hoc, l'arrêt retient que, s'il n'est pas contesté que les deux projets de résolution émis par M. [K] les 15 mai et 28 août 2018 n'ont pas été intégrés à l'ordre du jour ni mis au vote lors des assemblées générales des 25 mai et 4 septembre 2018, M. [K] pouvait toutefois valablement, en sa qualité d'associé minoritaire, contester les décisions prises par ces assemblées générales, ce dont il ne justifie pas en l'espèce.

9. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l'existence d'un manquement du gérant à ses obligations statutaires justifiant la désignation d'un mandataire ad hoc, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de désignation d'un « administrateur provisoire » et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 3 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée.