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Décisions

Cass. 1re civ., 25 mars 2020, n° 18-24.931

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Cass. 1re civ. n° 18-24.931

24 mars 2020

#1 ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 MARS 2020

M. K... S..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° W 18-24.931 contre l'arrêt rendu le 7 février 2018 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. C... S..., domicilié [...] ,

2°/ à la société France télévisions, société anonyme, dont le siège est [...] ,

3°/ à la société DMLS TV, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , anciennement dénommée AMV productions, venant aux droits de la société DMLS TV,

4°/ à la société Gamma-Rapho, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Girardet, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de M. K... S..., de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés France télévisions et DMLS TV, de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Gamma-Rapho, après débats en l'audience publique du 25 février 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Girardet, conseiller rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

#2 1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 7 février 2018), le 14 septembre 2013, lors de l'émission intitulée "Hier encore", la société France télévisions a diffusé une photographie représentant un portrait du chanteur O... X....

2. Prétendant que F... S... en était l'auteur, MM. K... et C... S..., ses ayants droit, ont assigné en contrefaçon et indemnisation la société France télévisions pour n'avoir ni sollicité leur autorisation ni mentionné le nom de F... S....

3. La société DMLS TV, producteur exécutif, est intervenue volontairement à l'instance et a appelé en garantie la société Gamma-Rapho, dont elle déclare détenir les droits sur la photographie litigieuse. Celle-ci a, à titre incident, sollicité la condamnation de MM. K... et C... S... au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

4. Cette dernière demande a été accueillie.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

#3 5. M. K... S... fait grief à l'arrêt de le condamner, ainsi que M. C... S..., à payer à la société Gamma-Rapho la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts et diverses sommes en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil ; qu'en accueillant, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, la demande de la société Gamma-Rapho tendant à voir M. K... S... condamné à lui verser des dommages-intérêts en raison des insinuations contenues dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel a violé l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il y a lieu de donner acte à la société Gamma-Rapho de ce qu'elle renonce, à l'égard de M. K... S..., au bénéfice des chefs de l'arrêt critiqués par le second moyen.

7. Ce grief est donc devenu sans objet.

#4 Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. K... S... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, ainsi que celles de M. C... S..., alors « que la présomption de la titularité des droits d'exploitation, dont peut se prévaloir la personne morale qui commercialise sous son nom une oeuvre, n'est opposable qu'aux tiers poursuivis en contrefaçon et ne vaut pas à l'égard de celui qui revendique la qualité d'auteur sur cette oeuvre ; qu'en l'espèce M. K... S... revendiquait la qualité d'auteur de F... S... sur la photographie litigieuse et agissait lui-même en contrefaçon de droits d'auteur ; qu'en retenant dès lors à son encontre la présomption de titularité des droits d'exploitation de la société Gamma-Rapho, la cour d'appel a violé l'article L. 113-5 du code de propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. En l'absence d'indivisibilité des dispositions de l'arrêt prononcées à l'égard de M. K... S... et de M. C... S..., le moyen est irrecevable en ce qu'il porte sur les chefs de dispositif rejetant les demandes de ce dernier et le condamnant au paiement de diverses sommes.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle :

#5 10. Il résulte de ce texte qu'en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation, paisible et non équivoque, de l'oeuvre par une personne physique ou morale sous son nom fait présumer à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre du droit de propriété incorporelle d'auteur.

11. Pour rejeter les demandes de M. K... S..., l'arrêt retient que, si l'auteur de la photographie litigieuse est vraisemblablement F... S..., celui-ci n'en a jamais exploité les droits, que la plaque de verre dont elle est le support, a toujours été détenue par la production du film ''Les Lumières de Paris'', puis par le fonds Keystone et, en dernier lieu, par la société Gamma-Rapho, et que la détention de cette plaque, associée à une détention paisible et non équivoque pendant des décennies permettent d'établir la titularité du droit d'auteur de la société Gamma-Rapho.

12. En statuant ainsi , alors que M. K... S... revendiquait la qualité de titulaire des droits d'auteur sur l'oeuvre photographique, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. Dans la mesure où, d'une part, la société Gamma-Rapho a déclaré renoncer au bénéfice du chef de l'arrêt critiqué par le second moyen, d'autre part, il n'existe pas de solidarité entre les dispositions relatives à M. K... S... et celles intéressant M. C... S..., seule la cassation du chef de l'arrêt rejetant les demandes de M. K... S... est encourue.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen, la Cour :

DONNE ACTE à la société Gamma-Rapho de sa renonciation aux condamnations pécuniaires prononcées par l'arrêt attaqué contre M. K... S... ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. K... S... dirigées contre la société Gramma-Rapho, l'arrêt rendu le 7 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Gramma-Rapho aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille vingt.

Annexe

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour M. S...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, confirmant le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Strasbourg du 24 février 2016, rejeté les demandes formulées par Messieurs K... et C... S... ; et de les avoir condamnés à verser à la société Gamma-Rapho la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'à verser diverses sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « Selon l'article L 113-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l'oeuvre a été divulguée, et instaure une présomption simple au profit du ou des coauteurs, personnes physiques et nullement au profit des personnes morales qui n'ont pas la qualité d'auteur ; qu'en revanche, la personne morale qui, de façon non équivoque, commercialise l'oeuvre sous son nom est présumée titulaire des droits d'exploitation à l'égard des tiers poursuivis en contrefaçon, en l'absence de toute revendication du ou des auteurs ; que la preuve de la paternité de M. F... S... quant à la photographie litigieuse peut résulter d'un faisceau d'indices; en effet, il était le photographe de plateau du film "les lumières de Paris", a son nom sur les photographies du film et sur une photographie de la même série à savoir celle produite en annexe 5 avec le chapeau mexicain sur la tête de O... X.... Cette présomption de paternité est à mettre en parallèle avec la présomption de titularité de droit sur ladite photographie issue du fonds KEYSTONE et cette titularité est parfaitement établie par la plaque de verre, soit l'original, qui ne comporte aucune signature mais qui est détenue depuis plusieurs dizaines d'années par KEYSTONE et ses repreneurs successifs et en dernier lieu par la société GAMMA RAPHO ; que l'oeuvre figurant sur cette plaque a été exploitée dès sa création, par des tiers ; que les consorts S... ne rapportent aucun élément quant à une exploitation de cette photographie par leur père puis par leurs soins, alors qu'elle était régulièrement et largement diffusée sur différents supports ; que dès lors, la photographie litigieuse, si elle est une oeuvre originale dont l'auteur est vraisemblablement M. F... S..., il n'en a jamais exploité les droits et a toujours été détenu par la production et par suite par le fonds KEYSTONE ; que l'origine de cette détention n'est pas parfaitement établie faute de contrat en bonne et due forme. Toutefois, la thèse d'une spoliation de M. F... S... par l'agence RAPHO, puis KEYSTONE, n'est établie par aucun élément. Au contraire, l'agence RAPHO, dont M. S... était salarié selon l'avis de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliation du 17 février 2006 a été elle même victime de spoliation ; que l'agence KEYSTONE a aussi été occupée pendant la seconde guerre mondiale ; que selon le livre "la photographie d'actualité et de propagande sous le régime de Vichy" versé aux débats, les archives de Keystone étaient restées à Paris [...] et passeront l'occupation sans encombre, alors que le siège était réquisitionné par les Allemands (cf page 350). Le frère du fondateur de l'agence, B... T..., qui travaillait à l'agence qui a été transférée à Vichy pendant l'occupation est mort en déportation selon le livre précité (page 350) ; que la détention de la plaque de verre en originale associée à une exploitation paisible et non équivoque pendant des décennies permettent d'établir la titularité du droit d'auteur de la société GAMMA RAPHO qui n'est pas renversée par la reconnaissance de l'existence d'un auteur fut-il M. F... S... ; qu'en conséquence, les demandes de Messieurs K... et C... S... doivent être rejetées et le jugement entrepris est confirmé » ;

1°/ ALORS D'UNE PART, QUE la présomption de la titularité des droits d'exploitation, dont peut se prévaloir la personne morale qui commercialise sous son nom une oeuvre, n'est opposable qu'aux tiers poursuivis en contrefaçon et ne vaut pas à l'égard de celui qui revendique la qualité d'auteur sur cette oeuvre ; qu'en l'espèce M. K... S... revendiquait la qualité d'auteur de F... S... sur la photographie litigeuse et agissait lui-même en contrefaçon de droits d'auteur ; qu'en retenant dès lors à son encontre la présomption de titularité des droits d'exploitation de la société Gamma-Rapho la cour d'appel à violé l'article L. 113-5 du code de propriété intellectuelle ;

2°/ ALORS, D'AUTRE PART, QUE tout jugement doit être motivé et qu'un motif dubitatif équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui était tenu de procéder à une constatation certaine quant à la qualité d'auteur de F... S..., a retenu que la photographie litigieuse était une oeuvre « dont l'auteur est vraisemblablement M. F... S... » ; qu'en statuant ainsi, par un motif dubitatif concernant l'auteur de l'oeuvre, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Messieurs K... et C... S... à payer à la société Gamma-Rapho la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'à verser diverses sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE : « Concernant la demande reconventionnelle de la société GAMMA RAPHO quant à un abus de droit, il résulte de l'ancien article 1382 du code civil que l'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière ; qu'il est invoqué la faute de Messieurs K... et C... S... en ce qu'ils ont commis une erreur délibérée quant à la photographie litigieuse et en raison des insinuations contenues dans les écritures d'appel à l'encontre de Keystone d'avoir appréhendé puis recelé un bien spolié de M. F... S... pendant les lois anti-juives ; qu'en l'espèce, l'erreur des consorts S... quant à la photographie litigieuse n'a pas été commise à hauteur d'appel. L'insinuation commise relève d'un raisonnement de mauvaise foi et d'inanité dans un contexte historique douloureux ne nécessitant pas de polémique particulière quant au litige; qu'elle caractérise une faute qui doit être sanctionné par l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 1 500 euros. » ;

1°/ ALORS QUE les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil ; qu'en accueillant, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, la demande de la société Gamma-Rapho tendant à voir M. K... S... condamné à lui verser des dommages et intérêts en raison des insinuations contenues dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel a violé l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;