Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 10-12.278
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bailly
Avocats :
SCP Baraduc et Duhamel, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Piwnica et Molinié
Vu leur connexité, joint les pourvois n° C 10-12.278 à D 10-12.325, F 10-12.327 à A 10-12.414, C 10-12.416 à J 10-12.445, M 10-12.447 à P 10-12.495, R 10-12.497 à R 10-12.564, S 10-12.566 à V 10-12.593, X 10-12.595 à U 10-12.661, W 10-12.663 à X 10-12.710, Z 10-12.712 à H 10-12.719, Q 10-12.749 à F 10-12.764, D 10-12.831 à E 10-12.832, H 10-12.834, J 10-12.836, Y 10-12.849 à Z 10-12.850, G 10-12.950 à C 10-12.991, E 10-12.993 à E 10-13.016, H 10-13.018 à H 10-13.041, J 10-13.043 à V 10-13.076, X 10-13.078 à Y 10-13.125, A 10-13.127 à A 10-13.173, C 10-13.175 à D 10-13.199, F 10-13.201 à F 10-13.224, G 10-13.226 à P 10-13.254, R 10-13.256 à R 10-13.279, T 10-13.281 à X 10-13.331, Z 10-13.333 à N 10-13.391, Q 10-13.393 à V 10-13.398, J 10-13.411 à G 10-13.433, N 10-13.483 à R 10-13.486 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société Métaleurop Nord, filiale à 99 % de la société Métaleurop SA, devenue depuis la société Recylex, exploitait à Noyelles-Godault une unité de production et de commercialisation de métaux non ferreux ; qu'envisageant de reconvertir cette unité dans le recyclage des métaux non ferreux, la société Métaleurop a préparé, en 2001 et 2002, un projet de restructuration de l'entreprise et de plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'une procédure de redressement judiciaire ayant été ouverte le 28 janvier 2003 à l'égard de la société Métaleurop Nord, ensuite convertie le 10 mars 2003 en liquidation judiciaire, les liquidateurs judiciaires ont licencié le 21 mars suivant tous les salariés, pour motif économique ; que quatre cent soixante-dix salariés licenciés ont engagé des procédures prud'homales contre les sociétés Métaleurop Nord et Recylex, pour obtenir réparation d'un préjudice lié à la perte d'une chance de conserver leur emploi et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'ils se sont ensuite désistés de leurs demandes en ce qu'elles étaient formées contre la société Métaleurop Nord ; que le 13 novembre 2003, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Recylex, un plan de redressement étant ensuite arrêté le 24 novembre 2005 ;
Sur le premier moyen des pourvois de la société Recylex et le second moyen des pourvois de l'AGS, réunis :
Attendu que la société Recylex et l'AGS font grief aux arrêts de juger que cette société avait la qualité de co-employeur des salariés de la société Métaleurop Nord et de reconnaître ces derniers créanciers à son égard d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen de la société Recylex :
1°/ que la qualité de co-employeur peut être reconnue à une société juridiquement distincte d'une autre, employeur, quand est caractérisée entre elles une confusion d'intérêts, d'activités et de direction ; qu'à l'égard des salariés qui s'en prévalent pour en tirer des conséquences juridiques à leur profit, la condition de co-employeur commande que soit caractérisé un lien de subordination entre chacun des salariés pris individuellement et la société considérée par l'exécution d'un travail sous son autorité, la société devant exercer de manière effective le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les éventuels manquements de ses subordonnés ; qu'ayant relevé qu'il n'était pas utilement discuté que la société employeur, la Métaleurop Nord, avait conservé pour l'essentiel la maîtrise de la gestion quotidienne des relations individuelles de travail, la cour d'appel, qui a jugé que la reconnaissance de la qualité de co-employeur à la société Métaleurop ne nécessitait pas la preuve d'un lien de subordination personnel avec chacun des salariés, a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2°/ que la qualité de co-employeurs de deux sociétés juridiquement distinctes ne peut être retenue que s'il est caractérisé entre ces sociétés une confusion d'intérêts, d'activités et de direction ; que la confusion devant être établie à ce triple point de vue sans pouvoir se déduire d'une simple communauté d'intérêts économiques, la cour d'appel, qui s'est bornée à constater une confusion des directions des deux entreprises sans faire ressortir une confusion de leurs intérêts et, qui plus est, de leurs activités par une imbrication excédant ce qui participe de la communauté organisée d'intérêts et d'activités entre une société mère et sa filiale, n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la qualification de co-employeur de la société Métaleurop et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ; et alors, selon le moyen de l'AGS, que la qualité d'employeurs conjoints d'un même salarié implique l'existence d'un lien de subordination entre chacun des prétendus employeurs et le salarié ; que des relations étroites entre sociétés ne suffisent pas à démontrer la qualité d'employeurs conjoints en l'absence d'exécution d'un travail sous l'autorité des employeurs qui doivent disposer du pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements du subordonné ; qu'en retenant la qualité d'employeur de la SA Métaleurop sans l'avoir précisément caractérisée, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté qu'au-delà de la communauté d'intérêts et d'activités résultant de l'appartenance à un même groupe, qui se manifestait par la décision de restructuration de la filiale prise au niveau de la direction de la société mère, par l'existence de dirigeants communs et par la tenue de la trésorerie de sa filiale par la société Métaleurop laquelle assurait également le recrutement des cadres de Métaleurop Nord et la gestion de leur carrière, la société mère s'était directement chargée de négocier un moratoire à la place et pour le compte de sa filiale, que les cadres dirigeants de la Métaleurop Nord, recrutés par la société mère, étaient placés sous la dépendance hiérarchique directe d'un dirigeant de cette dernière, à laquelle ils devaient rendre compte régulièrement de leur gestion, et que la société Métaleurop décidait unilatéralement de l'attribution de primes aux cadres de direction de sa filiale, la cour d'appel a pu en déduire qu'il existait une confusion d'intérêts, d'activités et de direction entre les deux sociétés, se manifestant notamment par une immixtion dans la gestion du personnel de la filiale et qu'en conséquence la société Métaleurop était co-employeur du personnel de sa filiale, sans qu'il soit nécessaire de constater l'existence d'un rapport de subordination individuel de chacun des salariés de la société Métaleurop Nord à l'égard de la société mère ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen des pourvois de la société Recylex :
Attendu que la société Recylex fait grief aux arrêts de la condamner au paiement de dommages-intérêts, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que l'obligation de reclassement est une obligation de moyens qui n'incombe qu'à l'employeur et lui impose, avant de procéder à un licenciement économique, de rechercher un reclassement pour les salariés concernés au sein de l'entreprise ou du groupe auquel celle-ci appartient, l'effectivité de cette recherche conditionnant, si elle n'aboutit pas, le bien-fondé du licenciement que l'employeur prononce ; que l'obligation de reclassement ne pouvant, ainsi conçue, peser sur une société qualifiée de co-employeur qui n'a pas procédé elle-même à des licenciements économiques, cette dernière ne saurait rétrospectivement se voir reprocher de ne pas avoir entrepris une recherche de reclassement quand sa qualité de co-employeur n'a été retenue, à la demande des salariés licenciés, que postérieurement à la rupture de leur contrat de travail ; qu'en considérant cependant que la société Métaleurop, déclarée co-employeur des salariés de la société Métaleurop Nord licenciés par les mandataires-liquidateurs de celle-ci, avait manqué à l'obligation de reclassement pour mettre à sa seule charge l'indemnité allouée à chacun des salariés pour leur licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-4 et L. 1235-3 du code du travail ;
Mais attendu que le licenciement économique prononcé par l'un des co-employeurs mettant fin au contrat de travail, chacun d'eux doit en supporter les conséquences, notamment au regard de l'obligation de reclassement ; que la cour d'appel, qui a retenu qu'aucun reclassement n'avait été recherché au sein du groupe et qu'il n'était pas justifié d'une impossibilité de reclasser les salariés licenciés, en a exactement déduit que la société Recylex, en sa qualité de co-employeur, devait indemniser les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse, peu important que sa qualité de co-employeur n'ait été reconnue qu'après les licenciements ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique des pourvois incidents de MM. X... et B... :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens, qui ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois ;
Sur le premier moyen des pourvois de l'AGS, pris en sa première branche :
Attendu que l'AGS fait grief aux arrêts de retenir sa garantie au titre des créances indemnitaires des salariés contre la société Recylex, alors, selon la première branche du premier moyen, que l'AGS garantit les créances résultant de la rupture du contrat de travail intervenue soit pendant la période d'observation, soit dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession, soit dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation, soit pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours suivant la fin de ce maintien de l'activité ; que la cour d'appel a constaté que les salariés avaient été licenciés par les mandataires liquidateurs le 21 mars 2003 et que la société Métaleurop SA avait été admise au bénéfice du redressement judiciaire le 13 novembre 2003 ; qu'en disant néanmoins le CGEA IDF Ouest tenu à garantir la créance des salariés au titre de la rupture de leur contrat de travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 3253-8 du code du travail ;
Mais attendu que les créances indemnitaires des salariés résultant d'un licenciement prononcé, sans cause réelle et sérieuse, avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Recylex, co-employeur des salariés, la garantie de l'AGS était acquise en application du 1° de l'article L. 3253-8 du code du travail ;
Que le moyen est inopérant ;
Mais sur la seconde branche du premier moyen des pourvois de l'AGS :
Vu l'article L. 3253-8 du code du travail ;
Attendu qu'il résulte du dispositif des arrêts que la garantie de l'AGS est appliquée à l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Qu'en statuant ainsi, alors que cette créance ne résulte ni de l'exécution, ni de la rupture des contrats de travail mais d'une procédure judiciaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu que la Cour est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige par application de la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils appliquent la garantie de l'AGS aux indemnités allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les arrêts rendus le 18 décembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi de ce chef ;
Dit que la garantie de l'AGS ne s'applique pas aux sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.