Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14.192
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Avocats :
Me Le Prado, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Piwnica et Molinié, SCP Thouin-Palat et Boucard
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 5 janvier 2015), que, suivant acte authentique du 3 mai 2007, dressé par M. X... (le notaire), M. et Mme Y... (les acquéreurs) ont acquis de la SCI Les Roches blanches (le promoteur), par l'intermédiaire de la société Nexalys (le conseiller financier et fiscal), un bien immobilier en état futur d'achèvement, en vue d'un investissement locatif bénéficiant des dispositions légales de défiscalisation ; que le financement de l'opération a été intégralement assuré par un emprunt souscrit auprès de la caisse de Crédit mutuel Audincourt (le prêteur) ; que les acquéreurs ont confié un mandat de gestion du bien à la société Arcalis et gestion, devenue Terrenciel gestion (le gestionnaire) ; que les acquéreurs ont agi en nullité des contrats de vente, de prêt et de gestion pour dol et en indemnisation ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches, du pourvoi n° M 15-14.192, ci-après annexé :
Attendu que le notaire fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec le promoteur, le prêteur et le gestionnaire, à verser aux acquéreurs une certaine somme à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que, s'il n'est pas tenu d'une obligation de conseil et de mise en garde concernant l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher, le notaire est, en revanche, tenu d'une telle obligation pour que les droits et obligations réciproques légalement contractés par les parties, répondant aux finalités révélées de leur engagement, soient adaptés à leurs capacités ou facultés respectives et soient assortis des stipulations propres à leur conférer leur efficacité, sans que leurs compétences personnelles ni la présence d'un conseiller à leurs côtés ne le dispensent de cette obligation ;
Attendu qu'ayant, d'une part, constaté que les acquéreurs avaient pour objectif de réaliser une opération de défiscalisation ayant pour finalité de financer sans apport, grâce aux seuls avantages fiscaux, l'acquisition d'un appartement, et que tous les professionnels impliqués dans l'opération, par les relations privilégiées tissées entre eux, connaissaient parfaitement les risques très importants qui étaient attachés à l'investissement en raison d'absence de marché locatif local, d'autre part, relevé que le notaire, partenaire habituel du promoteur et du conseiller financier et fiscal, avait été imposé aux acquéreurs comme notaire instrumentaire unique du programme de défiscalisation, dont il connaissait tous les risques financiers, fonciers et économiques, la cour d'appel a pu en déduire que, par son silence et ses manoeuvres, le notaire avait dolosivement failli à son obligation d'information et contribué à tromper les acquéreurs, justifiant ainsi légalement sa décision ;
Attendu, encore, que le mandat liant les acquéreurs au conseiller financier et fiscal n'est pas de nature à décharger le notaire de son obligation ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches, du pourvoi n° R 15-17.370, ci-après annexé :
Attendu que le promoteur fait grief à l'arrêt d'annuler le contrat de vente d'immeuble signé entre les acquéreurs, de le condamner à leur payer une certaine somme contre restitution de l'appartement et de le condamner, in solidum avec le prêteur, le gestionnaire et le notaire, à verser aux acquéreurs une certaine somme à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu'après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que, pour l'exécution du programme de défiscalisation, avait été mis en place un partenariat étroit entre promoteur, conseiller financier et fiscal, prêteur, notaire et gestionnaire, et relevé que le promoteur, qui connaissait les tenants et aboutissants des avantages fiscaux applicables et les conditions dont dépend la sécurité d'une telle opération, avait conclu un mandat avec le conseiller financier et fiscal aux termes duquel le mandataire recrutait, négociait et formalisait les acquisitions des lots, la cour d'appel a pu en déduire que les fautes caractérisées, commises délibérément par le mandataire et constitutives d'un dol, étaient opposables au mandant, comme ayant été accomplies dans les limites du mandat conféré ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° Y 15-18.113, ci-après annexé :
Attendu que le prêteur fait grief à l'arrêt de dire que le consentement des acquéreurs a été vicié par le dol et de le condamner à leur verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu'après avoir constaté que le prêteur avait agi comme partenaire du promoteur et du conseiller financier et fiscal et en qualité de banquier unique imposé pour tout le programme de défiscalisation, dont il connaissait tous les aspects, et relevé qu'il avait été imposé aux acquéreurs qui, jusqu'alors, n'entretenaient pas de relations contractuelles avec lui et qui, dans leurs conclusions, avaient indiqué s'être pliés à un schéma financier et juridique pré-établi, la cour d'appel, sans violer le principe de la contradiction, a fait une exacte appréciation des liens contractuels existant entre les parties et des obligations en découlant ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatrième et cinquième branches, du pourvoi n° M 15-14.192, sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche, du pourvoi n° R 15-17.370 et sur le second moyen, pris en ses première à quatrième branches, du pourvoi n° Y 15-18.113, réunis, ci-après annexés :
Attendu que le notaire et le prêteur font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec le promoteur et le gestionnaire, à verser aux acquéreurs une certaine somme à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, apprécié le préjudice des acquéreurs consistant dans des tracas subis pendant près de cinq ans, dans la nécessité de supporter une procédure de redressement fiscal et de réintégration, et une procédure judiciaire longue, et dans des frais non prévus, les contraignant à effectuer des prélèvements sur leurs revenus modestes ; qu'elle a ainsi caractérisé un préjudice certain distinct de celui réparé par l'annulation du contrat de vente et les restitutions consécutives justifiant, en considération du principe de réparation intégrale, une indemnisation spécifique ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi n° Y 15-18.113, ci-après annexé :
Attendu que le prêteur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser aux acquéreurs une certaine somme à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu'après avoir estimé, par motifs propres et adoptés, que les acquéreurs avaient subi un préjudice moral résultant de la nécessité pour eux de faire face, après un redressement fiscal, aux tracas d'une procédure judiciaire longue, la cour d'appel a pu leur allouer des dommages-intérêts de ce chef, tout en leur accordant une indemnité pour frais irrépétibles, par nature distincte ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.