CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 9 septembre 2022, n° 21/13297
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Diffulice (Sté)
Défendeur :
Chanel (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lehmann
Conseillers :
Mme Marcade, Mme Bohee
Avocats :
Me Teytaud, Me Marcus-Mandel, Me Boccon-Gibod, Me Dahan
Vu le recours formé le 13 juillet 2021 par la société de droits suisse Diffulice contre la décision du 3 juin 2021 par laquelle le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) a rejeté l'opposition qu'elle a formée le 22 septembre 2020 sur la base de la marque internationale désignant l'Union européenne BODY MINUTE déposée le 16 octobre 2015 et enregistrée sous le n°1278209, à la demande d'enregistrement de la marque française verbale LA MINUTE MODE AVION n°20 4 662 318 déposée le 1er juillet 2020 par la société Chanel.
Vu les dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par la société Diffulice le 16 mai 2022.
Vu les dernières conclusions de la société Chanel déposées au greffe et notifiées le 9 mai 2022.
Vu les observations écrites du directeur général de l'INPI en vue de l'audience du 19 mai 2022.
Le ministère public ayant été avisé.
SUR CE,
La société Diffulice demande à la cour d'annuler la décision rendue le 3 juin 2021 par le directeur général de l'INPI, critiquant celle-ci en ce qu'elle n'a pas retenu la similarité entre les signes en présence alors que l'élément MINUTE présente un caractère distinctif élevé eu égard aux produits de beauté et des services afférents, la marque BODY MINUTE étant en outre notoire, un risque de confusion existant entre les marques BODY MINUTE et LA MINUTE MODE AVION qui sont déposées pour des produits et services identiques et similaires.
La société Chanel sollicite quant à elle de la cour, de débouter la société Diffulice de ses demandes et de confirmer la décision ayant rejeté l'opposition.
Sur la demande de rejet des pièces communiquées par la société Chanel
La société Diffulice sollicite le rejet des débats des pièces numérotées 12 et 16 communiquées par la société Chanel devant la cour saisie d'un recours en annulation sans effet dévolutif, ces pièces n'ayant pas été produites dans le cadre de la procédure d'opposition.
La société Chanel réplique que ces pièces sont 'des pièces de contexte' en réponse à des arguments de la requérante et en lien avec des moyens déjà présentés dans le cadre de la procédure d'opposition, la pièce n°12 composée d'articles définissant le 'mode avion' librement accessibles sur internet, illustre son propos tenu devant l'INPI quant à la définition de cette expression et la pièce n°16 montre différentes procédures impliquant les marques 'MINUTE'.
Néanmoins, le recours exercé contre une décision du directeur général de l'INPI se prononçant sur une opposition étant dépourvu d'effet dévolutif et ne portant que sur l'appréciation de la validité de la décision administrative au regard des éléments qui ont été soumis et débattus dans le cadre de la procédure d'opposition et sur le fondement desquelles cette décision a été prise, les documents non mis aux débats au cours de la procédure d'opposition ne peuvent être pris en compte, quel que soit leur contenu.
Ainsi, les pièces de la société Chanel numérotées 12 et 16 produites pour la première fois devant la cour seront écartées des débats.
La décision déférée qui a reconnu que les produits et services revendiqués par les deux marques en présence qui appartiennent aux catégories des produits cosmétiques et de services de soins et de beauté, étaient pour partie identiques et pour d'autres similaires n'est pas critiquée par la requérante.
Les signes en présence BODY MINUTE pour la marque antérieure, et LA MINUTE MODE AVION pour la demande d'enregistrement contestée, n'étant pas identiques, il convient de rechercher s'il existe entre les signes en présence un risque de confusion, incluant le risque d'association, qui doit être apprécié globalement à la lumière de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. Cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques en tenant compte notamment des éléments distinctifs de celles-ci.
Le signe contesté reprend à la marque antérieure le terme MINUTE, précédé du mot BODY dans le marque antérieure, introduit par l'article LA et suivi de l'expression MODE AVION dans le signe contesté.
La distinctivité du terme MINUTE appliqué aux produits cosmétiques et services de soins et de beauté désignés dans la marque antérieure n'est pas discutée. En revanche, il n'apparaît pas présenter un caractère distinctif élevé comme le soutient la requérante, ce caractère distinctif ou notoire n'étant nullement caractérisé, le modèle économique retenu et cité dans un ouvrage consacré aux clés du management de la marque dont la date d'édition n'est pas connue (pièce 5), l'implantation de plusieurs franchisés en France (pièce 7) et les quelques articles de presse fournis par la requérante (pièces 8) comportant des encarts publicitaires concernant les produits BODY MINUTE datés de 2014 et 2015 étant insuffisants à démontrer la connaissance de la marque BODY MINUTE par une partie significative du public concerné, au jour du dépôt de la demande d'enregistrement contestée. En outre, la circonstance, à supposer démontrée, que la société Diffulice a été la première à utiliser le mot MINUTE pour des produits de beauté et des services afférents, et est titulaire d'une famille de marques comprenant ce mot dont il n'est pas démontré la présence sur le marché, est à cet égard inopérante.
Or, ainsi que l'a pertinemment relevé le directeur général de l'INPI, visuellement le signe contesté est composé d'une expression composée de quatre mots totalisant dix-sept lettres alors que le signe antérieur est formé de deux termes de dix lettres en tout, ces signes se différenciant par leur longueur et leur structure. Phonétiquement, les signes en présence se distinguent par leur rythme, le signe contesté comportant six temps, alors que quatre temps composent la marque antérieure et sont diffèrents par leur sonorité d'attaque, le mot MINUTE étant placé en début d'expression dans le signe contesté et en deuxième position dans la marque antérieure. Enfin, intellectuellement, le signe contesté est constitué d'une expression formée selon les règles grammaticales habituelles, le terme MINUTE étant précédé de l'article défini LA et suivi d'un objet MODE AVION qui renvoie à la fonctionnalité du téléphone portable, cette expression évoquant un moment de déconnexion, alors que la marque antérieure constituée de la juxtaposition des mots BODY et MINUTE évoque l'immédiateté avec laquelle les soins esthétiques sont prodigués à l'instar des autres expressions constituées sur le même modèle telles 'clé minute'.
Il ressort de ce qui précède que le terme MINUTE perd dans la marque contestée sa position distinctive autonome dans un ensemble conceptuellement différent, malgré sa situation en début d'expression.
Aussi, les ressemblances ci-avant relevées sont insuffisantes à caractériser un risque de confusion ou d'association pour le public entre les signes en présence, celui-ci ne pouvant considérer que la marque seconde est une déclinaison de la marque antérieure et rattacher les deux marques à une origine commune, ce malgré l'identité et la similarité des produits en présence. A cet égard, la famille de marques composées du terme MINUTE telles HAIR MINUTE, NAIL MINUTE ... dont se prévaut la requérante ne peut être prise en considération, seule la marque antérieure BODY MINUTE fondant l'opposition et le signe constituant la demande contestée n'étant pas construit sur le même modèle.
Le recours contre la décision du directeur général de l'INPI doit en conséquence être rejeté.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ecarte des débats les pièces numérotées 12 et 16 de la société Chanel,
Rejette le recours formé par la société Diffulice contre la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle du 3 juin 2021,
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffier aux parties et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.