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Décisions

Cass. civ., 27 mai 1914

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Baudouin

Rapporteur :

M. de Couder

Avocat général :

M. Ménllon

Avocats :

Me Mainlle, Me Labbé

Cass. civ.

27 mai 1914

LA COUR :

Sur le premier moyen du pourvoi :

Attendu que si, dans le dispositif de leurs conclusions d'appel, les consorts Clarac ont demandé à la cour de « dire et juger que Fernand Clarac et ses héritiers n'ont aucune responsabilité personnelle vis-à-vis de la succession Quennesson », c'était uniquement pour soutenir, avec le jugement dont ils demandaient, sur ce point, la confirmation, qu'en tant qu'associé ayant fait partie de la société commerciale en nom collectif Dorn et Clarac, dont Quennesson avait été associé commanditaire, Fernand Clarac était couvert, pour ses engagements sociaux, par la prescription de cinq ans édictée par l'art. 64 c. com., et qu'étant devenu liquidateur de la société, il ne pouvait plus être poursuivi qu'à raison de cette qualité que les consorts Clarac limitaient encore plus nettement le terrain de la discussion en précisant « que leur responsabilité (comme celle de leur auteur) ne saurait être envisagée que s'ils étaient détenteurs actuels de tout ou partie de biens ayant appartenu à l'ancienne société et jusqu'à concurrence des biens détenus »

Attendu qu'il ne résulte pas des qualités de l'arrêt attaqué qu'ils aient prétendu, ainsi que le soutient le pourvoi, que le curateur à la succession vacante de Quennesson les aurait à tort assignés directement, et qu'il aurait dû se conformer aux dispositions de l'art. 22 c. com., qui n'admet de recours, de la part des créanciers d'une société en nom collectif contre les associés, qu'autant qu'il a été jugé, contradictoirement avec les représentants de la société, qu'il s'agit d'une dette sociale et, d'autre part, que la société elle-même a été invitée à payer par un acte équivalent à une mise en demeure que cette fin de non-recevoir, préalable à toute exception de prescription, puisqu'elle était relative à la recevabilité même de l'action, n'a pas été examinée, parce qu'elle n'a pas été opposée que, tout au contraire, en acceptant le débat au fond et en excipant seulement de la prescription, les consorts Clarac ont, par là même, reconnu le caractère d'engagement social à l'obligation dont l'exécution était poursuivie contre eux qu'il en résulte que le moyen, étant nouveau et mélangé de fait et de droit, doit être déclaré non recevable ;

Mais sur le second moyen Vu l'art. 64 c. com.;

Attendu qu'il y a lieu, pour l'application de cet article, de distinguer, en la personne de l'associé liquidateur, deux qualités différentes qu'il est tenu, comme associé, des obligations qui pèsent sur les autres associés et bénéficie au même titre qu'eux, pour les actions qui en dérivent, de la prescription de cinq ans que les actions qui sont dirigées contre lui, en tant que liquidateur, se prescrivent par trente ans, de même que celles qui seraient données contre un liquidateur étranger que l'art 64 susvisé, en disposant que « toutes actions contre les associés non liquidateurs sont prescrites cinq ans après la fin ou la dissolution de la société », n'implique pas que contre les associés liquidateurs toutes actions indistinctement doivent être régies par la prescription trentenaire qu'une telle interprétation serait contraire à l'esprit comme à la lettre de cette disposition qu'en effet, le maintien de l'obligation de l'associé liquidateur, poursuivi, après cinq ans, par les créanciers sociaux, comme responsable du passif social, ne se conçoit pas sans la faculté, qui lui serait réservée, de recourir contre ses coassociés pour les contraindre au payement de la dette commune jusqu'à concurrence de leur part contributive que la conséquence nécessaire de ce recours serait que, contrairement à la volonté du législateur, nettement exprimée dans l'art. 64, qui attache à la prescription édictée une libération complète et définitive, les associés non liquidateurs pourraient être poursuivis et condamnés à raison de dettes sociales remontant à plus de cinq ans qu'enfin cette solution ferait aux créanciers sociaux une situation différente suivant que le liquidateur serait un associé ou un étranger ;

Attendu qu'à l'action intentée contre eux par le curateur à la succession vacante de Quennesson en payement d'une somme de 54 434 fr. 16 cent., prix de marchandises vendues par ce dernier à la Société Dorn Clarac, les héritiers de celui-ci ont opposé la prescription de cinq ans après la fin ou la dissolution de la société, édictée par l'art. 64 c. com., dans les rapports des créanciers sociaux avec les anciens associés ;

Attendu que, pour repousser cette exception et faire droit à la demande, l'arrêt attaqué s'est fondé sur ce que, bien qu'il s'agît d'une dette sociale et que la Société en nom collectif Dorn et Clarac eût pris fin le 21 avr. 1892, c'est-à-dire depuis plus de cinq ans, les consorts Clarac n'en restaient pas moins tenus des dettes sociales, comme l'eût été leur auteur lui-même, parce que ce dernier avait été nommé liquidateur de la société que même après le décès de Clarar, la liquidation s'était continuée et n'était pas encore terminée lors de l'introduction de l'instance que l'associé liquidateur demeure, quant à la durée de sa responsabilité, soumis aux principes du droit commun, pour toutes actions pouvant être exercées par les créanciers de la société qu'il n'est point appelé à bénéficier de la prescription exceptionnelle édictée par l'art. 64 c. com. que cette disposition, par la précision de ses termes, ne prête à aucune ambiguïté et n'est susceptible d'aucune distinction ni extension dans son application ;

Attendu qu'en statuant ainsi, ledit arrêt a violé l'article de loi susvisé ;

Par ces motifs, casse, renvoie devant la cour d'appel de la Guadeloupe.