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Décisions

Cass. crim., 13 décembre 2000, n° 99-86.876

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Roger

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Me Guinard

Lyon, du 15 sept. 1999

15 septembre 1999

LA COUR,

Vu les mémoires produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que, le 29 avril 1994, le commissaire du Gouvernement près la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes a informé le procureur de la République de Saint-Etienne que le marché conclu le 8 janvier 1994 entre la commune de La Tour-en-Jarez et la société Gerland Routes avait été passé postérieurement à la réalisation de la plus grande part des travaux de voirie concernés, après un simulacre de mise en concurrence avec les entreprises du secteur ; qu'il a indiqué, en outre, que ce marché participait d'une opération de plus grande ampleur qui avait fait l'objet d'une fragmentation artificielle dans le but d'échapper aux règles de passation prévues par le Code des marchés publics ; qu'il a précisé que des factures avaient été établies par des filiales de la société Gerland Routes bien qu'elles n'aient pas réalisé les travaux concernés ;

Attendu que ces pratiques ont également été dénoncées par un contribuable et confirmées par un rapport établi, le 26 septembre 1994, par la Mission interministérielle d'enquête sur les marchés (MIEM), laquelle évoquait l'existence, à la date des faits, dans l'entreprise Gerland Routes, d'une " instruction " relative à la procédure de facturation à en-tête d'une autre société du groupe ; que la MIEM avait dénombré 27 filiales pouvant être utilisées dans ce cadre et relevé que les sociétés Neri et SGTVR, respectivement dirigées par Philippe Y... et Roger Z..., dépourvues de personnel, avaient été constituées pour contourner la réglementation ;

Attendu qu'à l'issue de l'information, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, Francis A..., maire de la commune, pour octroi d'avantages injustifiés et complicité de faux portant sur quatre factures d'un montant global de 903 698 francs, Philippe Y... et Roger Z..., pour faux, Philippe X..., président de la société Gerland Routes, pour faux et usage ;

Que le tribunal correctionnel a déclaré les quatre prévenus coupables des faits qui leur étaient imputés ; que, toutefois, les juges ont considéré que les factures relatives à des travaux réellement exécutés par la société Gerland ne constituaient pas des faux et ont relaxé Philippe X... de ce chef ;

Attendu que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris, aggravé les peines et infirmé la relaxe partielle prononcée en faveur de Philippe X... ;

En cet état :

Sur le moyen unique de cassation proposé pour Francis A..., pris de la violation des articles 432-14 du Code pénal, 321 du Code des marchés publics, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Francis A... coupable du délit d'octroi d'avantage injustifié ;

" aux motifs que le fait qu'il y ait eu plusieurs intervenants dans le cadre de cette opération (EDF, France Télécom, Gaz de France, société Stéphanoise des Eaux) ne pouvait en aucune façon autoriser Francis A... à s'affranchir des règles édictées pour la passation des marchés publics, en fractionnant artificiellement le marché dit de " l'amélioration de l'entrée du bourg ", pour contourner les dispositions restrictives de l'article 321-1 du Code des marchés publics, en cherchant à dissimuler ce procédé par l'acceptation de facturation de la part de sociétés n'ayant effectué aucune intervention sur le chantier en cause et enfin en organisant une procédure de mise en concurrence de pure façade pour la dévolution de travaux publics déjà attribués et dans leur quasi-totalité déjà exécutés ; qu'il convient en effet de relever que la convocation du conseil municipal adressée le 14 décembre 1993 fixe un ordre du jour prévoyant l'examen d'un marché négocié avec la société Gerland avant même la décision du conseil municipal autorisant les travaux et fixant leur mode de dévolution et que la délibération du 18 décembre 1993 autorise le maire à retenir la procédure de marché négocié alors qu'ultérieurement, lors de l'ouverture des plis, seule la proposition de la SA Gerland s'est révélée inférieure au seuil de 700 000 francs nécessitant le recours à la procédure d'appel d'offres ; qu'il résulte des éléments ci-dessus rappelés et non contestés par Francis A... que ce dernier, en sa qualité de maire de la commune de La Tour-en-Jarez, a bien sciemment octroyé à la SA Gerland Routes un avantage injustifié en lui confiant la réalisation de travaux pour le compte de ladite commune sans respecter les règles du Code des marchés publics qui en deçà du seuil de 300 000 francs ne l'autorisaient pas à traiter sans marché, et lui imposaient, eu égard au coût estimé de l'opération (800 000 francs), de recourir à une procédure d'appel d'offres ; que le privilège, ainsi accordé à la société Gerland constitue bien un acte contraire aux dispositions législatives garantissant la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés communaux ;

" 1° alors que, d'une part, l'infraction d'octroi d'avantage injustifié suppose, pour être constituée, qu'une personne investie d'un mandat électif ait procuré ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives et réglementaires qui ont pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés passés par les collectivités locales ; qu'il en résulte que la seule constatation de l'irrégularité des modalités de la passation d'un marché public ne suffit pas à caractériser le délit ; qu'en déduisant cependant la culpabilité de Francis A... de la seule circonstance que le recours à une procédure d'appel d'offres, nécessaire compte tenu du montant estimé des travaux, avait été omis, sans expliquer autrement l'avantage injustifié octroyé à la société Gerland, attributaire du marché, et dont il était constaté qu'elle s'était révélée moins disante à l'issue d'une consultation d'entreprises informelle, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément matériel du délit ;

" 2° alors que, d'autre part, pour considérer que les règles qui ont pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics avait été méconnue, l'arrêt attaqué retient qu'en vue d'éviter le recours à une procédure d'appel d'offres, Francis A... a fractionné artificiellement le marché dit de " l'amélioration de l'entrée du bourg " ; qu'en se déterminant ainsi sans rechercher si les divers travaux confiés à la société Gerland ne correspondaient pas à des opérations distinctes répondant à des objets différents et au titre desquelles intervenaient plusieurs maîtres d'ouvrages, de sorte qu'ils ne pouvaient pas être regardés comme les différents éléments d'une seule et même opération artificiellement fractionnée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ;

Attendu que, pour déclarer Francis A... coupable d'octroi d'avantages injustifiés, la cour d'appel relève, notamment, par motifs propres et adoptés, que l'intéressé, ancien ingénieur responsable d'une société de travaux publics, a reconnu qu'il avait fractionné le marché pour éviter d'avoir recours à la procédure d'appel d'offres, s'agissant de travaux d'un montant supérieur à 300 000 francs, qu'il avait honoré des factures émises par des filiales de la société Gerland, qui n'avaient pourtant fourni aucune prestation et, qu'en 1992, il avait déjà eu recours à cette même société par le procédé des facturations par filiales ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'il résulte de ces constatations que les divers travaux confiés à la société Gerland Routes ne correspondaient pas à des opérations distinctes répondant à des objets différents et que la procédure choisie par le prévenu a eu pour conséquence directe d'écarter de l'accès au marché des candidats potentiels, créant ainsi au bénéfice de la société Gerland Routes une inégalité de traitement injustifiée, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués ;

Que, dès lors, le moyen ne peut être admis ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Philippe Y..., Roger Z... et Philippe X... : (Publication sans intérêt) ;

Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Philippe Y... et Roger Z... : (Publication sans intérêt) ;

Sur le quatrième moyen de cassation proposé pour Philippe X... :

(Publication sans intérêt) ;

Mais sur le troisième moyen de cassation proposé pour Philippe X... : (Publication sans intérêt) ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le cinquième moyen de cassation proposé en faveur de Philippe X... :

I. Sur le pourvoi en ce qu'il est formé par Francis A..., Philippe Y... et Roger Z... ;

Le REJETTE ;

II. Sur le pourvoi en ce qu'il est formé par Philippe X... ;

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions concernant ce demandeur l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 15 septembre 1999, Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Chambéry.