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Décisions

Cass. com., 29 juin 1999, n° 96-16.860

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Leclercq

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

Me Blondel, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Rennes, 1re ch. B, du 11 avr. 1996

11 avril 1996

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Caisse régionale de Crédit agricole des Côtes-d'Armor (la banque) a reçu la somme de 500 000 francs de la société SOFI en vue d'une augmentation de capital ;

que cette somme a, d'abord, été versée à un compte d'affectation spéciale, puis quelques jours plus tard a été virée sur le compte courant de la société Boivalor ; que celle-ci ayant déposé son bilan, quelques semaines plus tard, et l'augmentation projetée de son capital n'ayant pas été réalisée, la société SOFI a fait assigner la banque en remboursement de la somme versée et à des dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de sa condamnation à restitution, alors, selon le pourvoi, d'une part, que nulle disposition légale n'impose à une banque de s'assurer que le projet d'augmentation de capital a lieu et que, selon l'article 61, alinéa 2, de la loi du 24 juillet 1966, dans sa rédaction applicable au litige, le retrait des fonds provenant des souscriptions peut être effectué par le mandataire de la société trois jours francs après leur dépôt sans que le banquier ait l'obligation d'informer le souscripteur de ce retrait ou d'obtenir son accord ; qu'en statuant dès lors comme elle le fait, en faisant peser sur le banquier des obligations n'ayant aucune source légale ou contractuelle et sans constater l'existence d'un usage en ce sens, la cour d'appel viole l'article précité, ensemble l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait affirmer que la banque avait agi dans son intérêt et à son seul profit pour combler partiellement le découvert de la société Boivalor, cependant que dans ses conclusions du 26 septembre 1994, la banque faisait valoir que par arrêt du 11 avril 1991 la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes avait estimé que le Crédit agricole n'avait tiré aucun profit de l'opération ; qu'en effet, la chambre d'accusation avait retenu "que le bénéficiaire des fonds a bien été la société qui a pu ainsi assurer ses échéances de septembre et non pas la banque puisque durant cette même période, représentant des créanciers de la société Boivalor, on ne note pas de réduction sensible du découvert bancaire consenti à la société" ; d'où il suit qu'en statuant comme elle le fait, la cour d'appel méconnaît l'autorité s'attachant à ces constatations et appréciations et partant viole l'article 4 du Code de procédure pénale ; et alors, enfin, que le juge doit se prononcer à partir de certitudes sans pouvoir extrapoler ; que la cour d'appel constate que le virement litigieux a été effectué le 8 septembre, à la suite d'un entretien téléphonique entre le représentant de la société Boivalor et la banque ;

qu'elle constate encore que le 10 septembre la banque a eu connaissance de l'existence des pertes de la société Boivalor ; qu'en affirmant dès lors que la banque avait connaissance de la situation de la société Boivalor antérieurement au 10 septembre au motif péremptoire qu'au cours de l'entretien téléphonique antérieur à cette date " la situation de la société n'a pu qu'être évoquée", sans que cette affirmation au contenu imprécis soit étayée par le moindre élément de preuve, la cour d'appel ne justifie pas légalement son arrêt au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que, selon l'arrêt, la banque, bien qu'informée de la destination des fonds, les a débloqués peu après leur dépôt en compte d'affectation spéciale sans s'assurer de la réalisation de l'augmentation de capital pour laquelle elle les avait reçus ;

qu'ainsi il a caractérisé la faute de la banque, indépendamment du motif visé par la troisième branche du moyen ;

Attendu, en second lieu, que la décision de non-lieu évoquée à la deuxième branche du moyen n'ayant pas autorité de chose jugée, le grief est inopérant ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que l'arrêt condamne la banque pour résistance abusive, à payer des dommages-intérêts pour un montant de 30 000 francs ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans caractériser la faute de la banque dans l'exercice de son droit d'ester en justice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes-d'Armor à payer à la société SOFI la somme de 30 000 francs, l'arrêt rendu le 11 avril 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.