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Décisions

Cass. crim., 13 décembre 1995, n° 94-82.512

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocats :

Me Choucroy, Me Baraduc-Bénabent, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Paris, du 7 avr. 1994

7 avril 1994

Sur les faits et la procédure ;

Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que Didier Y..., auteur-compositeur de musique de variétés, et Robert A..., aujourd'hui décédé, ont créé pour être interprétée par Patricia B... une chanson intitulée " Mademoiselle chante le blues " ; qu'en vue de la production d'un disque, Bernard D..., qui a procédé à l'orchestration de la chanson, a fait appel au trompettiste Pierre X... afin qu'il exécute des improvisations de jazz " dans le style de Louis Armstrong " ; qu'après mixage de la bande sonore enregistrée, les morceaux de trompette solo improvisés par lui ont été intercalés entre les couplets chantés par Patricia B... ;

Que la partition de l'oeuvre a fait l'objet d'un dépôt à la SACEM par les auteurs de la chanson et l'arrangeur sans que soit mentionnée la participation de Pierre X... ;

Attendu que, sur plainte avec constitution de partie civile de ce dernier, qui faisait valoir que son nom n'apparaissait sur la pochette du disque ni comme coauteur de l'oeuvre enregistrée ni comme artiste interprète et qu'il ne percevait aucune redevance sur l'utilisation de sa prestation musicale, Didier Y..., Bernard D..., Bernard Z..., producteur du phonogramme, et Joël E..., réalisateur technique, ont été poursuivis pour contrefaçon ; que les 2 derniers ont, en outre, été poursuivis sur le fondement de l'article 426-1 du Code pénal, devenu l'article L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle, pour avoir fixé, reproduit ou mis à la disposition du public un phonogramme sans l'autorisation de l'artiste interprète et sans versement de la rémunération qui lui est due ;

Attendu que les prévenus ont été définitivement relaxés, l'auteur-compositeur de la chanson et l'arrangeur, par les premiers juges, le producteur et le réalisateur technique du disque, par l'arrêt attaqué ;

En cet état :

Sur la recevabilité contestée du pourvoi de la partie civile :

Attendu qu'après avoir énoncé que les morceaux de trompette improvisés par Pierre X... portent la marque de son style propre et présentent le caractère d'une création originale, les juges d'appel lui reconnaissent la qualité d'auteur d'une composition musicale ;

Que la partie civile en déduit qu'elle est coauteur de la chanson enregistrée sur phonogramme, laquelle constitue, selon elle, une oeuvre de collaboration, propriété commune des coauteurs ;

Attendu que Didier Y..., auteur compositeur de la chanson, se prévalant du défaut de mise en cause par Pierre X... des ayants droit du coauteur des paroles décédé et de la société d'édition cessionnaire de leurs droits d'exploitation, conclut, comme il l'avait fait devant les juges du fond, à l'irrecevabilité de l'action civile et en conséquence du pourvoi ;

Attendu que, s'il résulte de l'article L. 113-3 du Code de la propriété intellectuelle que le coauteur d'une oeuvre de collaboration qui prend l'initiative d'agir en justice pour la défense de ses droits patrimoniaux est tenu, à peine d'irrecevabilité de sa demande, de mettre en cause les autres auteurs de cette oeuvre, cette règle ne fait pas obstacle à la recevabilité de la constitution de partie civile de Pierre X... du chef de contrefaçon ; qu'il s'ensuit que son pourvoi est recevable ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 510, 512, 592 et 802 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué mentionne que la Cour était composée lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt de M. Martinez, président, assisté de Mme Bertolini, président et de Mme Magnet, conseiller ;

" alors que la chambre des appels correctionnels est composée d'un président et de 2 conseillers ; que la preuve de cette composition doit résulter de l'arrêt ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt que la Cour était composée de 2 présidents et d'un conseillers ; qu'ainsi, la composition de la Cour était irrégulière " ;

Attendu que les mentions de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la composition de la chambre des appels correctionnels était régulière au regard des prescriptions de l'article 510 du Code de procédure pénale ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 425 à 429 anciens du Code pénal abrogés, L. 111-2, L. 212-1 et suivants, L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que Didier Y..., Bernard Z... et Joël E... ne sont pas coupables de contrefaçon au mépris des droits de l'auteur et a débouté la partie civile de ses demandes ;

" aux motifs qu'il ressort du rapport d'expertise que M. X... " est auteur d'une oeuvre originale de création personnelle, protégeable et qui comporte la marque de sa personnalité et de son style propre et qu'il est l'auteur d'une composition musicale " ; qu'il résulte du rapport d'expertise, la nécessité de reconnaître à M. X... la qualité d'artiste interprète telle que définie par la loi du 3 juillet 1985, en raison de l'importance et de la qualité des solo de trompette qu'il a interprétés dans la chanson " Mademoiselle chante le blues " ; qu'il n'est pas établi que Didier Y..., Bernard Z... et Joël E... se soient rendus coupables du délit d'émission d'une composition musicale au mépris des droits de l'auteur ; qu'il appartenait à M. X..., musicien professionnel, de déclarer immédiatement à la SACEM sa composition musicale et d'exiger, lors de son improvisation, le 6 mars 1987, que soit rédigée une feuille de présence ; qu'il paraît aussi étonnant qu'il n'ait pas pensé protéger immédiatement ses droits, alors qu'il s'est contenté d'encaisser la somme de 2 000 francs en rémunération de sa prestation pour ne porter plainte qu'une année plus tard environ ;

" que Didier Y... qui n'était ni l'auteur matériel du disque et de sa diffusion aurait pu déclarer Pierre X... comme auteur de la musique de trompette mais qu'il semble que rien dans les usages professionnels existant dans la musique de variétés faisait obligation à Didier Y..., de faire cette déclaration à la SACEM au lieu et place de Pierre X... ;

" que cette démarche aurait dû s'imposer à Bernard D... qui a complètement occulté l'oeuvre d'auteur de Pierre X... lors de sa déclaration à la SACEM comme arrangeur, mais qu'il convient de rappeler que celui-ci est totalement hors de la cause en appel ;

" qu'il n'apparaît pas qu'il appartenait à Bernard Z... producteur profane du disque de 45 tours et à Joël E... réalisateur technique et négociateur auprès des distributeurs, de faire la déclaration à la SACEM au lieu et place de Pierre X... ;

" alors que, d'une part, est un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi ; que celle-ci protège l'oeuvre du seul fait de sa création, qu'aucune formalité n'est nécessaire pour acquérir le titre d'auteur et obtenir le bénéfice de la protection légale ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la partie civile est l'auteur d'une oeuvre originale de création personnelle protégeable et qui comporte la marque de sa personnalité ; que cette oeuvre devait être protégée indépendamment de toute déclaration par le demandeur à la SACEM ; qu'en subordonnant l'infraction de contrefaçon à la déclaration préalable par M. X... de sa composition musicale originale, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des dispositions visées au moyen ;

" alors, d'autre part, que la reproduction d'une oeuvre de collaboration sans l'autorisation des coauteurs suffit à caractériser l'élément matériel de l'infraction ; qu'en l'espèce, il importait peu de savoir si les prévenus auraient dû faire la déclaration à la SACEM au lieu et place de M. X... dès lors que celui-ci est en droit de revendiquer la protection prévue par la loi du 3 juillet 1985 ; qu'ainsi, les infractions de contrefaçon visées par les articles L. 335-2, L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle sont réalisées dans tous les éléments à l'égard de Bernard Z..., Didier Y... et Joël E... ;

" alors, enfin, qu'en matière de contrefaçon, la bonne foi ne se présume pas, qu'il incombe au contrefacteur d'en administrer la preuve ; qu'en se bornant à affirmer l'absence d'élément intentionnel, après avoir constaté l'existence même du fait matériel, la Cour a entaché sa décision de contradiction et méconnu la présomption de mauvaise foi "

Sur la recevabilité du moyen en ce qu'il concerne Bernard Z... et Joël E... :

Attendu que les premiers juges n'ont pas reconnu à Pierre X... la qualité d'auteur d'une oeuvre originale et ont en conséquence relaxé l'ensemble des prévenus du délit de contrefaçon ; qu'ils ont en revanche condamné Bernard Z... et Joël E... pour fixation d'un phonogramme en violation des droits d'artiste interprète de la partie civile ; que ces 2 derniers, ainsi que le ministère public à leur encontre seulement ont relevé appel de la décision ; que la partie civile a, pour sa part, limité son recours à Didier Y... ;

Attendu que, les juges du second degré n'ayant pas été saisis, par application des dispositions des articles 509 et 515 du Code de procédure pénale, de l'action civile en contrefaçon dirigée contre Bernard Z... et Joël E..., le moyen, en ce qu'il conteste, du point de vue des intérêts civils, la relaxe prononcée de ce chef à leur égard en cause d'appel, n'est pas recevable ;

Sur le moyen en ce qu'il concerne Didier Y... :

Vu lesdits articles ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour relaxer Didier Y... du délit d'édition d'une composition musicale au mépris des droits de l'auteur, seule infraction poursuivie contre lui, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci, auteur-compositeur de la chanson, n'est ni " l'auteur matériel " du disque ni le responsable de sa diffusion ; que les juges relèvent qu'il appartenait à la partie civile, musicien professionnel, qui n'a perçu qu'un cachet de 2 000 francs en contrepartie de sa prestation en studio d'enregistrement, de déclarer immédiatement sa composition musicale à la SACEM et de revendiquer aussitôt sa qualité d'auteur ; qu'ils ajoutent " qu'il semble que rien dans les usages professionnels existant dans la musique de variétés ne faisait obligation à Didier Y... de faire cette déclaration à la SACEM au lieu et place de Pierre X... " ;

Mais attendu qu'en se déterminant de la sorte, par des motifs de surcroît dubitatifs, sans rechercher si l'auteur-compositeur n'avait pas, par le dépôt à la SACEM de la chanson telle qu'enregistrée, accompli un acte d'exploitation de l'oeuvre sans le consentement de la partie civile et en méconnaissance de ses droits de coauteur, ce qui caractérise la contrefaçon dans sa matérialité et implique que, sauf preuve contraire, le délit a été commis sciemment, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 426-1 ancien du Code pénal, L. 212-1 et suivants, L. 335-4 du Code de propriété intellectuelle, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé Bernard Z... et Joël E... des chefs des délits de fixation, reproduction, communication ou mise à la disposition du public d'un phonogramme sans l'autorisation de l'artiste interprète au titre de la copie privée, de la communication publique et de la télédiffusion des phonogrammes et a débouté la partie civile de ses demandes ;

" aux motifs que, pour ce qui a trait aux délits de fixation, reproduction, commercialisation ou mise à la disposition du public d'un phonogramme sans l'autorisation de l'artiste interprète et d'omission de verser la rémunération due à l'artiste interprète ou titre de la copie privée, de la commercialisation publique et de la télé-diffusion des phonogrammes, ils ne sont pas non plus établis à l'encontre de Bernard Z... et de Joël E... en raison de leur rôle secondaire, le premier n'étant pas un professionnel de la musique de variétés et le second n'étant qu'un technicien chargé de contrôler la qualité de l'enregistrement n'éditant pas lui-même ;

" qu'il est très regrettable, comme l'a reconnu Didier Y..., que le nom de Pierre X... ne figure pas sur les pochettes accompagnant les disques ou les cassettes, alors que José C..., guitariste, qui a une partie moins importante, y figure, du moins sur les Compact Disc ;

" que, compte tenu des éléments de fait et de droit de l'affaire et de l'absence d'élément intentionnel de la part des trois prévenus, la Cour se trouve dans l'impossibilité de remplir M. X..., partie civile, de ses droits qui paraissent légitime et qui paraissent relever davantage de la compétence de la juridiction civile ;

" alors que, d'une part, tous ceux qui ont concouru à l'exécution d'un phonogramme doivent s'assurer que les lois et règlements relatifs aux droits des artistes interprètes sont respectés ; qu'en l'espèce, Joël E... (réalisateur technique) a pris en charge l'entière réalisation du disque 45 tours, ainsi que sa négociation auprès du distributeur pendant 3 mois de collaboration avec Bernard Z..., producteur et responsable es qualités de la préservation des droits de l'artiste interprète ; que la cour d'appel ne pouvait se borner à faire état du rôle prétendument secondaire des 2 prévenus dès lors qu'il leur incombait en tant que professionnels de s'assurer que les lois et règlements relatifs aux droits des artistes interprètes avaient été respectés ; qu'elle a ainsi statué par motifs erronés, inopérants et n'a pas légalement justifié sa décision ;

" alors, d'autre part, que la bonne foi ne se présume pas, que lorsque le délit de contrefaçon est établi dans sa matérialité, le prévenu qui en conteste l'élément intentionnel a la charge de justifier de sa bonne foi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui se borne à affirmer l'absence d'élément intentionnel, sans justifier la bonne foi des prévenus, a méconnu la règle gouvernant la matière ;

" alors, enfin, que les juges du fond doivent réparer le préjudice actuel, personnel et certain trouvant sa source dans l'information ; que la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les règles de l'action civile, après avoir reconnu la qualité d'artiste interprète de la partie civile et des droits qui y sont attachés, déclarer qu'elle se trouve dans l'impossibilité de remplir la partie civile de ses droits " qui paraissent légitimes qui paraissent relever davantage de la compétence de la juridiction civile " ; qu'elle a ainsi statué par des motifs, tout à la fois contradictoires et hypothétiques " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour relaxer Bernard Z... et Joël E... des délits de fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public d'un phonogramme sans l'autorisation de l'artiste interprète et sans versement de la rémunération qui lui est due, les juges d'appel, qui n'ont pas exclu le cumul des droits voisins reconnus aux artistes interprètes avec les droits d'auteur de Pierre X... sur son improvisation, relèvent que les prévenus n'ont joué qu'un rôle secondaire, le premier, producteur du disque, n'étant pas un professionnel de la musique de variétés, le second, réalisateur, n'étant qu'un technicien chargé de contrôler la qualité de l'enregistrement ; que les juges en déduisent que les infractions ne sont pas établies, en l'absence d'élément intentionnel ;

Mais attendu qu'en se déterminant par ses seuls motifs, alors que, comme en matière de contrefaçon, l'existence de l'élément intentionnel résulte de la matérialité du délit, sauf preuve par le prévenu de sa bonne foi, la cour d'appel, qui n'a pas recherché s'il appartenait au producteur du phonogramme, responsable en cette seule qualité de la première fixation de l'enregistrement, voire au réalisateur technique, de s'assurer du respect des droits de l'artiste interprète, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est derechef encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 avril 1994, mais en ses seules dispositions civiles relatives au délit de contrefaçon poursuivi contre Didier Y..., et aux délits prévus par l'article 426-1 du Code pénal lors applicable poursuivis contre Bernard Z... et Joël E... ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.