Cass. com., 19 octobre 2022, n° 21-17.653
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Comte
Avocats :
SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 avril 2021), à la suite de la cession judiciaire du 7 août 2012 de la société Outillex à la société Usinex, la société Schneider Electric France (la société Schneider), qui entretenait une relation de sous-traitance avec la première, a confié à la seconde des prestations industrielles. Par jugement du 27 janvier 2015, la société Usinex a été mise en redressement judiciaire.
2. Après avoir, en 2016, réduit les commandes qu'elle confiait à la société Usinex, la société Schneider a notifié à celle-ci, le 21 avril 2017, l'arrêt de leur relation commerciale au 31 décembre 2018.
3. Par jugement du 29 août 2017, la société Usinex a été placée en liquidation judiciaire. La cessation d'activité a été prononcée le 22 novembre 2017.
4. Reprochant à la société Schneider la rupture brutale d'une relation commerciale établie ayant directement causé la liquidation judiciaire de la société Usinex, M. [O] et la société AJ Partenaires, agissant respectivement en qualité de liquidateur judiciaire et d'administrateur judiciaire de celle-ci, l'ont assignée en paiement de dommages et intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Schneider fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a procédé au 1er janvier 2016 à une rupture partielle brutale et sans préavis des relations commerciales établies entre les parties et de la condamner à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, les sommes de 431 918,50 euros à titre de dommages et intérêts et de 40 000 euros au titre de la reprise de stock de pièces, et de rejeter toutes ses demandes, alors « que la baisse du volume du chiffre d'affaires des commandes passées ne présente aucun caractère fautif si elle résulte d'une baisse subie ou de difficultés rencontrées par le partenaire commercial, ou encore de la conjoncture économique ; qu'en retenant que la société Schneider avait rompu partiellement et abusivement ses relations commerciales avec la société Usinex le 1er janvier 2016 en raison d'une baisse des commandes et investissements constatés à partir de cette même date, après avoir pourtant relevé, pour cette même année 2016, la réalité d'une baisse sensible de commandes subies par cette même société Schneider, la non-réalisation de projets importants et l'existence de risques quant à l'avenir, ainsi que la corrélation directe existant entre ces éléments et la baisse d'investissements auprès de la société Usinex pour cette même période, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des considérations, inopérantes, tirées des choix stratégiques qui, selon elle, auraient dû, alors, être ceux de la société Schneider, et qui auraient dû consister en une poursuite plus importante de ses investissements auprès de la société Usinex, n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations en violation de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »
Réponse de la Cour
6. Après avoir constaté que la société Schneider avait demandé à la société Usinex courant 2015, pour faire face à d'importantes commandes à venir, des investissements particuliers, de prendre, à court terme, des mesures pour résorber son retard et d'avoir, à moyen terme, les capacités d'honorer ces commandes, engageant ainsi la société Usinex dans une réorganisation de la production par un plan d'investissement en matériel et en personnel et dans la constitution d'un important stock de pièces, l'arrêt relève d'abord que la société Schneider a réduit ses commandes auprès de la société Usinex à partir de 2016 de près de 50 % par rapport à 2015, revenant au niveau de 2013. Il relève ensuite que la non-réalisation de ces commandes exceptionnelles s'est doublée d'un désengagement patent de la société Schneider pour son sous-traitant, se traduisant notamment par le refus de lui confier des productions temporaires, cependant que ce dernier s'était préparé à la perspective de telles commandes sur l'incitation de son donneur d'ordre. Il considère enfin que la chute des commandes entre 2015 et 2016 est plus importante que la baisse du chiffre d'affaires, pour la société Schneider elle-même, du département d'activité concernée, qui a été de 10 % entre 2015 et 2016.
7. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la baisse des commandes par la société Schneider auprès de la société Usinex n'était pas principalement due à l'absence des commandes importantes que la première attendait et qu'ainsi, la société Schneider avait volontairement réduit les commandes en 2016 sans y être contrainte par la baisse de sa propre activité, la cour d'appel a pu considérer que la rupture était brutale.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. La société Schneider fait grief à l'arrêt de dire que les parties avaient noué une relation commerciale établie depuis 2005 et de la condamner à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, les sommes de 431 918,50 euros à titre de dommages et intérêts et de 40 000 euros au titre de la reprise de stock de pièces, et de rejeter toutes ses demandes, alors « qu'en matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties ; qu'en déduisant, en l'espèce, l'existence d'une prétendue commune intention des parties de poursuivre la relation commerciale telle qu'elle avait été développée par la société Outillex du seul constat que les relations entre la société Schneider et la société Usinex reprenaient de façon identique celles qui avaient existé, auparavant, avec la société Outillex, sans constater aucun autre élément démontrant la réalité d'une commune intention des parties en ce sens, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :
10. Il résulte de ce texte qu'en matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties.
11. Pour considérer que la durée de la relation commerciale établie entre les sociétés Schneider et Usinex est de douze années, l'arrêt retient qu'à la suite de la reprise des éléments d'actifs de la société Outillex par la société Usinex, la relation commerciale de celle-ci avec la société Schneider était spécialisée dans la réalisation d'assemblage de trois types de matériels et que cette activité était, pour près de 80 % du chiffre d'affaires, réalisée par le département « Ecofit » de la société Schneider. Il ajoute que le volume de chiffre d'affaires réalisé sur les exercices 2010/2011 par la société Outillex avec la société Schneider est comparable à celui réalisé ensuite par la société Usinex avec la société Schneider après la reprise des actifs en cause en 2012. Il en déduit que la poursuite de l'activité suivant les mêmes volumes et la même nature des produits principalement pour le département « Ecofit » de la société Schneider met en évidence la commune intention des parties de poursuivre la relation commerciale établie depuis 2005.
12. En statuant ainsi, sans caractériser la commune intention des parties de poursuivre la relation commerciale antérieure et fixer la durée du préavis en considération d'un tel point de départ, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il dit que les parties ont noué une relation commerciale établie depuis 2005, condamne la société Schneider Electric France à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, M. [O] et la société AJ Partenaires, la somme de 431 918,50 euros à titre de dommages et intérêts, condamne la société Schneider Electric France à payer à la société Usinex, représentée par ses liquidateur et administrateur judiciaires, M. [O] et la société AJ Partenaires, la somme de 40 000 euros au titre de la reprise de stock de pièces, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 7 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.