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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 4 avril 2013, n° 11/13892

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Adora (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Conseillers :

M. Fohlen, M. Prieur

TGI Toulon, du 16 déc. 2010, n° 09/3846

16 décembre 2010

F A I T S - P R O C E D U R E - D E M A N D E S :

Le Domaine du RAYOL, propriété du Conservatoire du Littoral, est géré par l'association ADORA ; celle-ci a engagé :

- le 23 janvier 1995 en qualité de jardinier Monsieur Jean-Michel B., qui est devenu le 1er juillet 1998 <jardinier responsable de l'équipe>, et le 1er janvier 2000 <jardinier chef d'équipe>, et a été licencié le 29 février 2008 ;

- le 28 février 2002 son épouse Madame Lisa B. pour assurer l'accueil du public et des visites guidées.

En 2007 ce Domaine a fait éditer un dvd intitulé 'Les Jardins du Rayol - Voyage en Méditerranée', et précisant 'Un film de Philippe E. et Samuel E. - Une production COM&DIA', étant précisé que COM&DIA est l'enseigne de l'activité de Monsieur E...

Le 29 mai 2009 les époux B. ont assigné l'association ADORA et Monsieur E. devant le Tribunal de Grande Instance de TOULON ; un jugement du 16 décembre 2010 écartant l'atteinte à l'image de Monsieur B. et la qualité d'auteur de celui-ci, et retenant l'absence d'originalité de la photographie prise par Madame B., a au visa des articles 9 et L. 111-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle :

* débouté Monsieur B. et Madame B. de toutes leurs demandes ;

* rejeté les demandes reconventionnelles présentées par l'association ADORA et Monsieur E. ;

* condamné solidairement les 2 premiers à payer aux 2 derniers la somme de 2 000 € 00 en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Les époux Jean-Michel B./Lisa B. ont régulièrement interjeté appel le 4 août 2011. Par conclusions du 23 janvier 2013 ils demandent à la Cour, vu les articles 9, 1382 et 1383 du Code Civil, L. 111-1, L. 112-1, L. 112-2, L. 113-1, L. 113-3, L. 113-7, L. 121-1, L. 121-2 et L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, de :

- constater que :

. Leurs adversaires atteignent au droit à l'image de Monsieur B. ;

. Le texte parlé par ce dernier bénéficie de la protection du droit d'auteur et est son oeuvre ;

. Leurs adversaires ont violé les droits d'auteur tant patrimoniaux que moraux de Monsieur B. en commercialisant le DVD sans son autorisation ;

. Les photographies qui ont été mises en ligne sur le site web de l'association ADORA bénéficient de la protection du droit d'auteur et sont la création de Monsieur B. ;

. Cette association a violé les droits d'auteur de l'intéressé en mettant à la disposition du public ces photographies ;

. La photographie de protea eximia bénéficie de la protection du Code de la Propriété Intellectuelle et est l'oeuvre de Madame B.-B. ;

. L’association ADORA a porté atteinte aux droits d'auteur de cette dernière en diffusant cette photographie sans autorisation et de la manière dont elle l'a fait ;

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il rejette la demande reconventionnelle des défendeurs ;

- ordonner à l'association ADORA et à Monsieur E. de cesser toute utilisation et/ou toute communication ayant trait à la vidéo où apparaît Monsieur B., dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision et sous astreinte de

2 500 € 00 par infraction constatée à l'issue de ce délai ;

- ordonner à l'association ADORA de supprimer de tout support les photographies de Monsieur B. et de Madame B.-B., dans un délai de 10 jours à compter de la signification de la décision et sous astreinte de 2 500 € 00 par jour de retard au-delà de ce délai ;

- condamner conjointement et solidairement l'association ADORA et Monsieur E. à verser aux époux B./B. les sommes de :

. 10 000 € 00 à titre de dédommagement du préjudice matériel subi du fait des agissements illicites des intimés ;

. 15 000 € 00 à titre de dédommagement du préjudice moral subi du fait des agissements illicites des intimés ;

. 10 000 € 00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Concluant le 1er février 2013 Monsieur Samuel E. et l'association ADORA demandent à la Cour de :

- constater que :

. Ils n'ont commis aucune atteinte aux droits à l'image de Monsieur B. :

. Les paroles prononcées par celui-ci dans le DVD ne bénéficient d'aucune protection au titre du droit d'auteur ;

. Monsieur B. n'est ni auteur ni coauteur d'un texte parlé dans le DVD ;

. Eux-mêmes n'ont commis aucune atteinte aux droits d'auteur de Monsieur B. et n'ont commis aucune violation en commercialisant le DVD ;

. Monsieur B. n'est pas recevable en ses demandes de condamnation ;

. Le même ne prouve pas être l'auteur des photographies mises en ligne sur le site web de l'association ADORA ;

. Cette dernière n'a commis aucune violation en mettant en ligne les photographies ;

. Madame B.-B. n'a pas fait la preuve d'une quelconque paternité sur la photographie litigieuse ;

. Cette dernière n'est pas dotée de la moindre originalité et à ce titre ne bénéficie pas de la protection du Code de la Propriété Intellectuelle ;

. Madame B.-B. n'est pas recevable en ses demandes de condamnation de l'association ADORA ;

. L’arrêt dès janvier 2009 de toute commercialisation du DVD a rendu les demandes des époux B./B. obsolètes quant à la cessation de l'utilisation de la vidéo ;

. Cet arrêt prolongé de la commercialisation du DVD pendant 2 ans a compromis l'opération de promotion et de valorisation du Domaine du RAYOL et leur a causé un important préjudice ;

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il rejette leur demande reconventionnelle ;

- dire et juger qu'ils n'ont pas violé les droits de propriété intellectuelle des époux B./B. ;

- condamner ceux-ci à leur payer les sommes de :

. 50 000 € 00 en réparation du préjudice financier subi du fait de l'ensemble de la procédure et de la perte de chiffre d'affaires due à l'arrêt de toute commercialisation du DVD ;

. 15 000 € 00 en réparation du préjudice d'image que ce litige véhicule ;

. 15 000 € 00 en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2013.

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M O T I F S D E L ' A R R E T :

Sur le droit à l'image de Monsieur B. :

Ce droit permet à toute personne de s'opposer à la diffusion de son image sans son autorisation.

Le visionnage du DVD auquel s'est livrée la Cour permet de constater que le nom et la qualité [chef jardinier] de l'intéressé apparaît à 4 reprises :

- au dos de la jaquette couvrant le DVD,

- au générique du début du film précédé de <avec la participation de>,

- lorsque dans le film apparaît Monsieur B. pour la première fois,

- à la fin du générique avec la précision <remerciements>.

Par ailleurs Monsieur B. a volontairement, de façon implicite mais nécessaire, participé à la demande de l'association ADORA dont il était salarié au tournage du film qui à l'évidence est un ensemble cohérent et non un simple repérage des lieux, vu sa durée (environ 1 heure dont les 2/3 avec sa présence et son commentaire) et la participation d'un cameraman et d'un preneur de son ; l'image de l'intéressé est positive (description savante des plantes du domaine du RAYOL in situ) et a été utilisée dans un but pédagogique c'est-à-dire à l'avantage de sa science botanique et à des fins qu'il ne pouvait ignorer (publicité pour l'entreprise où il travaille et qui est ouverte au public). A aucun moment l'association ADORA et Monsieur E. n'ont fait un usage négatif, dévalorisant ou malveillant de l'image de Monsieur B..

Le fait que Monsieur B. n'ait pas autorisé par écrit ce tournage et qu'il n'ait pas été rémunéré ne lui permet pas aujourd'hui de battre monnaie, puisque son image a été utilisée dans le seul cadre pour lequel il avait accepté qu'elle soit captée. C'est donc à bon que le Tribunal de Grande Instance a refusé de reconnaître une atteinte à son image.

Sur le droit d'auteur de Monsieur B. :

Le discours tenu dans ce DVD est un commentaire technique sur les plantes du Domaine du RAYOL qui correspond à celui dont bénéficient les visiteurs ; les diverses attestations produites par Monsieur B. louent ses qualités d'orateur tandis que celles de ses adversaires les appuient sur un texte dudit Domaine. Ce dernier est à l'origine de la prestation réalisée par son salarié laquelle n'a d'originale que la forme (commentaire personnalisé par l'expérience et les voyages) puisque sur le fond l'intéressé participait à une oeuvre initiée et diffusée par l'association ADORA. Enfin Monsieur B. a été filmé et enregistré sur les lieux et durant son temps de travail salarié ce qui signifie qu'il se trouvait dans le cadre de son activité où les droits d'auteur appartiennent à l'employeur qui est l'auteur de la divulgation de ce film et donc le créateur de celui-ci et le titulaire des droits de propriété intellectuelle.

Enfin la Cour constate qu'à l'époque de ce film Monsieur B. n'a pas protesté ni réclamé de sommes, et a attendu d'être licencié pour engager une procédure.

Sur les photographies revendiquées par Monsieur B. :

Il est exact qu'une des 9 photographies de fleurs incluses le 28 janvier 2010 sur le site internet du Domaine du RAYOL (Juniperus oxycedrus) est créditée du nom de l'intéressé, ce qui n'est pas le cas pour les 8 autres. La reproduction de cette photographie même créditée aurait dû être autorisée par Monsieur B. et la carence de l'association ADORA sur ce point constitue une faute en application de l'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, qui ouvre droit à l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de la somme de 200 € 00.

Mais Monsieur B., comme l'a justement retenu le Tribunal de Grande Instance, ne rapporte aucunement la preuve qu'il soit l'auteur de ces 8 photographies non créditées, d'autant qu'elles figurent sur le site internet de l'association ADORA laquelle les a ainsi divulguées au sens de l'article L. 113-1 du même Code, et de plus dans les mentions légales de ce site en a interdit la reproduction.

Le même raisonnement sera appliqué par la Cour pour la photographie de la fleur protea eximia, reproduite sur le dépliant de l'association ADORA pour les journées portes ouvertes des 13/14 décembre 2008 ; la seule affirmation de Madame B.-B. qu'elle en est l'auteur ne repose sur aucun élément, et ne peut renverser la présomption d'auteur attachée à la mention que les photographies de ce dépliant sont créditées au nom de l'association ADORA.

Sur les demandes reconventionnelles des intimés :

Ces derniers, à qui le Tribunal de Grande Instance avait reproché de ne communiquer aucune pièce comptable relatif à l'arrêt prolongé de la commercialisation du DVD pendant 2 ans qui aurait compromis l'opération de promotion et de valorisation du Domaine du RAYOL, montrent la même carence devant la Cour, ce qui rend infondée leur réclamation en appel de dommages et intérêts pour préjudice tant financier que d'image ; au surplus cet arrêt prolongé n'était pas obligatoire du seul fait de l'action engagée par les époux B./B..

Enfin ni l'équité, ni la situation économique des appelants, ne permettent de rejeter en totalité la demande faite par leurs adversaires au titre des frais irrépétibles d'appel.

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D E C I S I O N

La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.

Confirme le jugement du 16 décembre 2010 sauf pour la photographie de la fleur Juniperus oxycedrus.

Juge que cette dernière est l'oeuvre de Monsieur Jean-Michel B. et a été reproduite sans autorisation par l'association ADORA.

Condamne celle-ci à payer à celui-là la somme de 200 € 00 à titre de dommages et intérêts.

Ordonne à l'association ADORA de supprimer de tout support cette photographie dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, et au-delà de ce délai sous astreinte provisoire de 100 € 00 par jour de retard.

Condamne in solidum les époux Jean-Michel B./Lisa B. à payer à l'association ADORA et à Monsieur Samuel E. une indemnité de 4 000 € 00 au titre des frais irrépétibles d'appel.

Rejette toutes autres demandes.

Condamne in solidum les époux Jean-Michel B./Lisa B. aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.