CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 16 septembre 2015, n° 13/15909

Suivant acte sous seing privé du 6 juillet 1970, la société [...] (SCI) a donné à bail en renouvellement de baux antérieurs à la société Paris Magenta, aujourd'hui dénommée Paris Magenta Strasbourg, pour une durée de neuf années à compter du 6 mars 1969, des locaux commerciaux à usage d'hôtel meublé situés [...].

Le bail a été depuis lors renouvelé à plusieurs reprises.

Par jugement du 18 janvier 2010, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a constaté que par l'effet du congé avec offre de renouvellement délivré par la bailleresse le 11 février 2008, le bail s'est renouvelé à compter du 1er octobre 2008, a écarté la règle du plafonnement les locaux étant monovalents et désigné un expert aux fins de donner son avis sur la valeur locative.

L'expert Bernard P. a procédé à sa mission et déposé son rapport le 20 janvier 2012.

Suivant acte sous seing privé du 24 septembre 2012, la société Paris Magenta Strasbourg a cédé le fonds de commerce exploité dans les lieux loués à la société Rouge Palace

Par jugement contradictoire du 5 juin 2013, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a :

-fixé à la somme de 98.500 euros en principal par an, le loyer du bail renouvelé depuis le 1er octobre 2008, concernant les locaux situés [...],

-dit que le loyer d'un montant de 98.500 euros en principal par an n'est exigible qu'à compter du 10 avril 2009,

-condamné la société Rouge Palace à payer à la SCI du [...], les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés à compter du 22 mai 2009,

-prononcé la mise hors de cause de la société Paris Magenta Strasbourg,

-ordonné l'exécution provisoire,

-débouté les parties du surplus de leurs demandes,

-dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné chacune des parties par moitié aux dépens qui incluront le coût de l'expertise.

La société [...] (SCI ) a relevé appel de ce jugement le 31 juillet 2013 ; par dernières conclusions, signifiées le 11 mai 2015, elle en poursuit l'infirmation en ce qu'il met hors de cause la société Paris Magenta Strasbourg et demande à la cour de juger que la société Paris Magenta Strasbourg est débitrice des arriérés de loyers à compter du 10 avril 2009 jusqu'au 23 septembre 2012, de condamner cette dernière au paiement des intérêts au taux légal sur les loyers arriérés à compter de l'assignation du 11 juin 2009, depuis chaque date d'exigibilité, jusqu'au 23 septembre 2012, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, de dire qu'à défaut d'exercice par les parties de leur droit d'option prévu à l'article L. 145-57 du code de commerce, l'arrêt à intervenir constituera un titre exécutoire conforme aux dispositions des articles L. 111-2, L. 111-3 et L. 111-6 du code des procédures civiles d'exécution, de condamner in solidum les sociétés intimées aux dépens d'appel dont distraction ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.

La société Rouge Palace (SAS), intimée, par d'uniques écritures du 17 décembre 2013, entend faire constater l'acquiescement de la société [...] au jugement du 5 juin 2013 en ce qu'il fixe à la somme de 98.500 euros en principal par an à compter du 10 avril 2009, le loyer du bail renouvelé depuis le 1er octobre 2008 concernant les locaux situés [...] et demande, en toute hypothèse, la condamnation de la société appelante aux entiers dépens d'appel et au paiement d'une somme de 1.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile .

La société Paris Magenta Strasbourg, intimée, par dernières écritures signifiées le 7 avril 2015, prie la cour de confirmer le jugement entrepris en qu'il la met hors de cause, de rejeter les demandes de la société appelante et de condamner celle-ci à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts, à titre subsidiaire, de condamner la société Rouge Palace à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, en tout état de cause, de condamner la société [...] et la société Rouge Palace à lui verser, respectivement, la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens dont distraction .

SUR CE :

La société appelante critique le jugement déféré en celle de ses dispositions mettant hors de cause la société Paris Magenta Strasbourg ;

Cette dernière, à l'inverse, maintient sa demande de mise hors de cause au soutien de laquelle elle invoque la clause de l'acte de cession du fonds de commerce du 24 septembre 2012 ainsi énoncée : 'Si aucun accord amiable ne permettait d'aboutir à la régularisation d'un protocole, le cessionnaire reprendra la poursuite de la procédure en cours devant le tribunal de grande instance de Paris concernant la fixation du prix du loyer annuel du bail.

Le règlement de l'arriéré de loyers dans les conditions rappelées (clause énonciation du bail) résultant de l'augmentation du prix du loyer judiciaire ou amiable sera totalement pris en charge par le cessionnaire qui s'y oblige sans recours possible à l'endroit du cédant' ;

Or, l'acte de cession du fonds de commerce du 24 septembre 2012 a été passé entre d'une part, la société Paris Magenta Strasbourg (la cédante) et, d'autre part, la société Rouge Palace (la cessionnaire), qui en sont les seules signataires;

Les conventions n'ayant d'effet qu'entre les parties contractantes ainsi qu'il est disposé à l'article 1165 du code civil, c'est à juste raison que la société bailleresse [...], qui est tiers à la cession du fonds de commerce, soutient que la clause par laquelle la société cédante se décharge de sa dette locative sur la société cessionnaire ne lui est pas opposable ;

C'est en vain que la société Paris Magenta Strasbourg souligne la présence, mentionnée à l'acte, du conseil de la société [...], ou encore, l'absence d'opposition de la société bailleresse à la cession qui lui aurait été dûment notifiée ;

Il demeure en effet que la société [...] n'a, d'aucune manière, consenti à libérer la société Paris Magenta Strasbourg de sa dette à son égard et si elle a accepté la société Rouge Palace comme nouveau locataire, elle ne l'a pas pour autant acceptée comme nouveau débiteur, substitué en lieu et place de son débiteur originaire, pour le paiement des loyers échus antérieurement à la cession du fonds de commerce du 24 septembre 2012 ;

La clause de l'acte de cession invoquée par la société Paris Magenta Strasbourg ne peut ainsi avoir pour effet d'éteindre sa dette à l'égard de la société [...] et n'a de force obligatoire que dans ses rapports avec la société Rouge Palace, sa cocontractante à l'acte de cession ;

Il s'ensuit que la société [...] est fondée à voir dire que la société Paris Magenta Strasbourg est débitrice des arriérés de loyers à compter du 10 avril 2009 jusqu'au 23 septembre 2012 et à poursuivre sa condamnation au paiement des intérêts au taux légal sur les loyers arriérés à compter de l'assignation introductive d'instance du 11 juin 2009, depuis chaque date d'exigibilité et jusqu'au 23 septembre 2012, avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;

Il s'infère des développements qui précèdent que si la société [...] ne peut se voir opposer la reprise de dette décidée entre les parties à la cession de fonds de commerce du 24 septembre 2012, elle ne peut davantage s'en prévaloir ;

Le jugement doit être en conséquence infirmé en ce qu'il condamne la société Rouge Palace à payer à la société [...] les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés à compter du 22 mai 2009 ;

La société Paris Magenta Strasbourg, partie à l'acte de cession, est fondée quant à elle à s'en prévaloir pour demander à être garantie par la société Rouge Palace du paiement des arriérés de loyers du 10 avril 2009 au 23 septembre 2009 et des intérêts afférents ;

Il n'y a pas lieu de 'dire' les effets d'un éventuel défaut d'exercice par les parties du droit d'option prévu à l'article L. 145-57 du code de commerce ;

Il s'infère du sens de l'arrêt que la société appelante est fondée en son appel et que la demande de dommages-intérêts formée par la société Paris Magenta Strasbourg à son encontre pour procédure abusive ne saurait prospérer ;

L'équité ne commande pas de faire droit aux demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en celles de ses dispositions :

-prononçant la mise hors de cause de la société Paris Magenta Strasbourg,

-condamnant la société Rouge Palace à payer à la SCI [...] les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés à compter du 22 mai 2009,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déboute la société Paris Magenta Strasbourg de sa demande de mise hors de cause,

Dit que la société Paris Magenta Strasbourg est est débitrice des arriérés de loyers à compter du 10 avril 2009 jusqu'au 23 septembre 2012,

Condamne la société Paris Magenta Strasbourg à payer à la société [...] les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés dus depuis chaque date d'exigibilité et jusqu'au 23 septembre 2012, à compter de l'assignation introductive d'instance du 11 juin 2009 avec capitalisation des dits intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du code civil,

Condamne la société Rouge Palace à relever et garantir la société Paris Magenta Strasbourg du paiement des arriérés de loyers à compter du 10 avril 2009 et jusqu'au 23 septembre 2012 ainsi que des intérêts afférents,

Rejette toutes demandes contraires aux motifs de l'arrêt,

Condamne in solidum les sociétés Paris Magenta Strasbourg et Rouge Palace aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.