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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 6 novembre 2019, n° 17/03091

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Buona Pizza (SARL)

Défendeur :

Locamidi (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Penavayre

Conseillers :

M. Truche, M. Sonneville

T. com. Toulouse, du 27 avr. 2017, n° 20…

27 avril 2017

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé en date du 22 novembre 2000, la SCI LOCAMIDI a donné à bail à la SARL BUONA PIZZA des locaux situés [...] pour une durée de 9 années.

Par acte sous seing privé en date du 22 février 2007, la SARL BUONA PIZZA a cédé son fonds de commerce, ainsi que ledit bail, à la SARL MAEL TEAM.

Depuis le 1er décembre 2009, le bail se poursuit tacitement en l'absence de congé délivré.

Le bail conclu avec la SCI LOCAMIDI comporte une clause indiquant que « le cédant, et éventuellement les cédants successifs, resteront toujours garants et répondants, solidairement avec leur propre acquéreur, des conséquences dommageables pour le bailleur de l'inexécution, par les cessionnaires, des conditions du bail, et tout particulièrement, du paiement des loyers et des accessoires ».

La SARL MAEL TEAM a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire selon jugement d'ouverture du 16 juillet 2015.

Les 22 juillet et 18 août 2015, des commandements de payer ont été signifiés à la SARL BUONA PIZZA à la requête de la SCI LOCAMIDI.

Par acte extrajudiciaire en date du 9 septembre 2015, la SCI LOCAMIDI a assigné la SARL BUONA PIZZA devant le tribunal de commerce de TOULOUSE afin de voir:

- condamner la SARL BUONA PIZZA au paiement de la somme de 45.597,89 €, modifiée en cours d'instance à la somme de 57.624,28 €, au titre des loyers et charges impayés, augmentés des pénalités et intérêts de retard ;

-ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

-condamner la SARL BUONA PIZZA à payer 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

En défense, la SARL BUONA PIZZA a invoqué la responsabilité du bailleur, lequel avait fait preuve selon elle d'une inertie particulièrement fautive en laissant la dette de loyers s'accumuler pendant près de quatre années consécutives :

- sans mettre en oeuvre la moindre mesure afin d'en limiter le montant,

- et sans informer la garante de l'existence d'impayés.

Par jugement du 27 avril 2017, le tribunal de commerce de TOULOUSE a condamné la SARL BUONA PIZZA à payer à la SCI LOCAMIDI la somme de 45.937,19 € ainsi que la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens.

La SARL BUONA PIZZA a relevé appel de cette décision par déclaration du 2 juin 2017.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures du 28 mars 2018, la SARL BUONA PIZZA demande à la cour au visa des articles 1134 (nouvel article 1194) , 1147 (nouvel article 1231-1) et 1343-5 (ancien article 1244-1) du Code Civil, L145-16-1 et L145-16-2 du Code de Commerce, de réformer le jugement déféré dans toutes ses dispositions et:

- de juger que par sa négligence, la SCI LOCAMIDI a laissé la dette locative de la SARL MAEL TEAM s'aggraver dans des proportions exorbitantes ;

- de juger que la SCI LOCAMIDI a eu un comportement fautif envers la SARL BUONA PIZZA en s'abstenant de l'informer des impayés de loyers et de charges,

- de juger que la SCI LOCAMIDI subit nécessairement un préjudice ;

à titre principal,

- de condamner la SCI LOCAMIDI à payer à la SARL BUONA PIZZA des dommages et intérêts correspondant au préjudice subi par cette dernière et à la somme réclamée par la SCI LOCAMIDI, soit à ce jour la somme de 53.238,62 €,

- juger que les dommages et intérêts qui seront alloués viendront en compensation avec la somme dont elle serait jugée redevable à l'égard de la SCI LOCAMIDI ;

à titre subsidiaire,

- de constater qu'elle n'a été informée de l'arriéré de loyers qu'en mars 2015 et qu'en conséquence elle ne peut être tenue qu'au paiement de l'arriéré de loyers correspondant à la période du 19/03/2015 (date du compromis de vente) au 16/07/2015, soit la somme de 5.046,38 € ;

- de constater que la SCI LOCAMIDI ne rapporte pas la preuve que la décision d'admission de créance dont elle se prévaut inclut les pénalités de retard (1.400 €) et les intérêts de retard (6.050,92 €) qu'elle réclame,

en conséquence,

- de juger que les sommes réclamées au titre des pénalités de retard et les intérêts de retard ne sont pas dues,

- de constater qu'elle n'a pas les capacités financières pour payer le montant des loyers impayés et que la SCI LOCAMIDI n'est manifestement pas dans le besoin compte tenu de l'antériorité de la dette, qu'elle s'est abstenue de réclamer jusqu'à ce jour ;

- d'accorder les plus larges délais de paiement à la SARL BUONA PIZZA, à savoir sur deux années avec application d'un taux d'intérêt réduit au taux légal ;

en tout état de cause,

- de condamner la SCI LOCAMIDI aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'à payer à la SARL BUONA PIZZA la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures du 7 février 2018 contenant appel incident, la SCI LOCAMIDI demande à la cour:

- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société BUONA PIZZA de ses demandes à son encontre et retenu qu'elle est tenue à paiement en vertu de son engagement solidaire,

- de réformer le jugement sur le montant de la condamnation, et de condamner la société BUONA PIZZA à lui payer la somme de 53 238,62€ arrêtée au 30 septembre 2015, soit:

* 50 173,37€ à titre de loyers et charges de retard,

* 1400€ de pénalités de retard,

* 6050,92€ d'intérêts de retard,

moins le versement du liquidateur pour 4 385,66€,

à titre subsidiaire,

- de dire et juger que la SARL BUONA PIZZA est irrecevable en ses contestations en application des articles L624-3-1 et R624-8 alinéa 4 du code de commerce,

- de la débouter en conséquence de l'intégralité de ses demandes,

- de condamner la SARL BUONA PIZZA à lui payer la somme de 53 238,62€,

- à encore plus titre subsidiaire, si la cour retenait un préjudice subi par la SARL BUONA PIZZA, de dire qu'elle ne pourrait être indemnisée qu'au titre d'une perte de chance, soit une somme inférieure aux sommes dues au titre de la garantie solidaire,

- en tout état de cause, de rejeter la demande de délais de paiement et de condamner la SARL BUONA PIZZA à payer la somme de 3000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

La cour pour plus ample exposé des faits , de la procédure, des demandes et moyens des parties, se réfère expressément à la décision entreprise et aux dernières conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité du bailleur

La créance de la société LOCAMIDI dans la liquidation de la SARL MAËL TEAM a, suivant avis du 16 novembre 2015, été admise à concurrence de 55.140,04 €.

L'état des créances a été déclaré au greffe et publié au BODACC le 9 décembre 2015, tout intéressé ayant la possibilité de contester cet état devant le juge commissaire dans le délai d'un mois à compter de cette publication.

La SARL BUONA PIZZA indique expressément dans ses écritures qu'elle ne conteste pas l'existence et le montant de la créance de la société LOCAMIDI. Elle fait en revanche valoir qu'elle peut soulever toutes les exceptions qui lui sont personnelles et invoquer la responsabilité du créancier, même si la créance principale a été admise au passif.

La clause de garantie du cédant a pour effet de le rendre partie au contrat de bail et codébiteur solidaire du cessionnaire, et non caution. La SARL BUONA PIZZA peut dès lors obtenir réparation du préjudice qu'elle subit du fait de la faute commise à son égard par le bailleur, en revanche, elle ne peut se prévaloir ni des dispositions de l'article 2037 du code civil en cas de perte du bénéfice de subrogation, ni de l'obligation d'information due à la caution en cas de défaillance de l'emprunteur.

La SARL BUONA PIZZA reproche à la société LOCAMIDI un manquement à son devoir de loyauté, pour avoir attendu 4 ans pour l'actionner, sans rien faire pour éviter l'aggravation de la dette locative, alors qu'il lui était aisé de mettre en jeu la clause résolutoire, et pour ne pas l'avoir informé des premiers impayés ni de la conclusion d'un plan d'apurement, ni du non respect de ce plan.

Il résulte du détail du compte MAEL TEAM qu'au 20 décembre 2011, la dette locative était de 11 004€, et qu'un protocole d'accord avait été signé entre la société MAEL TEAM et la société LOCAMIDI le 19 décembre 2011 prévoyant le prélèvement d'une somme de 917€ le premier de chaque mois pendant 12 mois.

Les décomptes produits par l'intimé montrent que ce protocole n'a pas été respecté, et qu'à compter de janvier 2013, plus aucun versement n'a été enregistré.

Un acte de cession du fonds sous condition suspensive en date du 19 mars 2015, au profit de Monsieur C., cessionnaire, en réalité la SARL BUONA PIZZA selon les propres écritures de cette dernière, fait état d'un arriéré de loyers de 42 837€ TTC, devant être apuré par prélévement sur le prix de cession.

Le premier commandement de payer a été signifié à la SARL BUONA PIZZA par la SCI LOCAMIDI le 22 juillet 2015, alors que la liquidation judiciaire de la société MAEL TEAM venait juste d'être prononcée.

Il n'est pas contesté que les dispositions de l'article L. 145-16-1 du code de commerce issu de la loi n°2014-126 du 18 juin 2014, aux termes duquel si la cession du bail commercial est accompagnée d'une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, ce dernier informe le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d'un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée par celui-ci, ne sont pas applicables au bail conclu entre la société LOCAMIDI et la SARL BUONA PIZZA.

La société LOCAMIDI verse cependant au dossier des copies de courriers intitulées 'information simple' sur le modèle suivant:

'veuillez prendre connaissance du courrier que nous adressons ce jour à la société MAEL TEAM.

Ce courrier vous est adressé à titre d'information en tant que cédant'.(Suit la clause de garantie solidaire du bail commercial)

'La dette est à ce jour de.....' (Suit le montant cumulé de la dette).

La SARL BUONA PIZZA conteste avoir reçu ces courriers, prétendant n'avoir reçu de la part de la société LOCAMIDI une information sur le montant de la dette que par un courrier du 7 avril 2015 par lequel cette dernière, informée du projet de cession du fonds de commerce, indiquait ne pas vouloir préempter, la dette locative s'élevant alors à la somme de 44.834,19€.

Elle relève dans ces courriers certaines incohérences quant au montant des sommes réclamées que la société LOCAMIDI impute à son système informatique.

En tout état de cause, en l'absence de clause du contrat et de disposition légale applicable, la société LOCAMIDI n'avait pas d'obligation d'information à l'égard de la SARL BUONA PIZZA.

La responsabilité de la société LOCAMIDI ne peut donc être engagée du fait d'un défaut d'information.

En revanche, la SARL BUONA PIZZA peut invoquer une négligence du bailleur dans le recouvrement de sa créance, ayant provoqué un accroissement anormal de la dette, et l'ayant mis dans l'impossibilité de faire face à ses obligations.

Il n'est en effet justifié d'aucune mise en demeure ou commandement de payer délivré à la société MAEL TEAM antérieurement à son placement en liquidation judiciaire en juillet 2015.

Les courriers adressés à la société MAEL TEAM, prétendument joints aux courriers d'information qui auraient selon la société LOCAMIDI été adressés à la SARL BUONA PIZZA, ne sont pas produits.

La société LOCAMIDI justifie son inaction par l'attente de la concrétisation de la cession du fonds, qui n'a pas abouti en l'absence de levée de la condition suspensive d'obtention d'un prêt.

Cette cession au prix de 65 000€ pouvait effectivement permettre de parvenir à l'apurement de la dette, et la société LOCAMIDI observe à juste titre qu'une période d'information, de réflexion et de pourparlers a nécessairement précédé la formalisation de cet acte, d'autant plus que les gérants des deux sociétés étaient beaux- frères, et par ailleurs tous deux cautions solidaires du prêt contracté par la SARL MAEL TEAM pour le rachat du fonds de commerce de la SARL BUONA PIZZA . Toutefois, cette période n'a pu durer 3, voire 4 ans, or l'examen du compte détaillé montre que la société MAEL TEAM avait accumulé une dette importante en décembre 2011, n'a pas respecté le protocole d'accord conclu pour l'apurer, puis a été défaillante de manière continue à compter de janvier 2013, sans que la société LOCAMIDI ne prenne une quelconque mesure pour recouvrer sa créance, ou mettre fin au bail.

Cette inertie dont elle ne peut rejeter l'entière responsabilité sur le preneur et son garant, est constitutive d'une faute à l'égard de la SARL BUONA PIZZA, dont l'expert comptable indique qu'elle est dans l'incapacité de supporter le paiement de la somme réclamée, au risque de mettre en péril sa pérennité.

Du fait de l'existence d'une clause résolutoire à défaut de paiement du loyer, le préjudice de la SARL BUONA PIZZA du fait de l'inaction du créancier ne se limite pas à une perte de chance.

Le préjudice en résultant pour la SARL BUONA PIZZA, au regard du délai d'action admissible et du projet de cession sera évalué aux deux tiers de la dette.

Sur le montant de la somme réclamée

La somme réclamée correspond à la somme de 57.624,28 € incluant les pénalités et intérêts de retard, dont à déduire celle de 4 385,66€ perçue par le mandataire liquidateur.

La SARL BUONA PIZZA observe que la créance n'a été admise qu'à hauteur de 55.140,04 €, et qu'en outre la société LOCAMIDI ne peut se prévaloir des pénalités de retard et intérêts qu'elle réclame.

La clause de garantie concerne le paiement des loyers et des accessoires, de sorte que la société LOCAMIDI peut réclamer les pénalités de retard et les intérêts.

A l'origine, la créance déclarée était de 45 597,89€ sauf mémoire, était joint à la déclaration un détail de la créance au 7 août 2015 (pièce 7), soit:

* 39 167,76€ à titre de loyers et charges de retard,

* 1320€ de pénalités de retard,

* 5110,13€ d'intérêts de retard.

Il était précisé que la déclaration ne prenait pas en compte les dépens, les commandements et états commerciaux, et les intérêts jusqu'au remboursement intégral du passif.

L'admission de créance à hauteur de 55 140,04€ indique que le dépôt de garantie de 1 158,61€ est déduit de la créance, il est précisé: 'caution de la société BUONA PIZZA SARL: créance déclarée pour 45 937,19€'.

Cette dernière somme a été retenue par les premiers juges comme apparaissant sur 'l'avis du commandement à la caution', or cet avis mentionne des loyers, intérêts et pénalités, outre frais d'exécution, pour 45 851,19€.

La société LOCAMIDI explique qu'elle avait omis, dans son assignation et sa déclaration de créance, les loyers de l'année 2015, ce qui explique le différentiel entre la déclaration et l'admission.

Les clés n'ayant été rendues que le 30 septembre 2015, le loyer de septembre, soit 1 179,56€, était dû par le liquidateur de la SARL BUONA PIZZA.

Faute de détail de ce qui est inclus dans la déclaration de créance rectifiée, dans l'admission de créance, et dans le règlement du mandataire liquidateur, la cour retiendra le montant de l'admission soit 55 140,04€, qui a autorité de la chose jugée à l'égard des deux parties, dont à déduire le versement du liquidateur soit 4 385,66€.

Ainsi après compensation entre la créance et les dommages et intérêts, la SARL BUONA PIZZA sera condamnée au paiement d'une somme de 16 918,13€ (50 754,38€/3).

Sur la demande de délais de paiement

Aux termes de l'article 1244-1, devenu 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Il peut également ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

En considération de l'attestation de l'expert comptable de la SARL BUONA PIZZA qui fait état d'un chiffre d'affaire mensuel de l'ordre de 45 000€, sans précisions sur le résultat, de la réduction de la dette à un tiers des sommes réclamées, et de la durée de la procédure, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.

Sur l'article 700 du CPC et les dépens

Chacune des parties conservera ses dépens de première instance et d'appel, l'équité ne justifiant pas l'application à l'espèce des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirmant la décision déférée, statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevable l'action en responsabilité de la SARL BUONA PIZZA à l'encontre de la SCI LOCAMIDI ,

Dit que la créance de la SCI LOCAMIDI s'élève à 50 754,38€,

Dit que la SCI LOCAMIDI est redevable envers la SARL BUONA PIZZA de dommages et intérêts correspondant aux deux tiers de cette somme,

En conséquence, après compensation, condamne la SARL BUONA PIZZA à payer à la SCI LOCAMIDI la somme de 16 918,13€,

Dit n'y avoir lieu à délais de paiement,

Déboute les parties de toute autre demande,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chacune des parties conservera ses dépens de première instance et d'appel.