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Décisions

CA Amiens, 1re ch. sect. 2, 14 juin 2011, n° 09/03280

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Daniel (Epoux)

Défendeur :

Herriberry, Miart, Pont Royal Fleurs (SARL), Demailly

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. de Lageneste

Conseillers :

Mme Lorphelin, Mme Dubaele

Avoués :

SCP Tetelin-Marguet Et De Surirey, Me Caussain, SCP Selosse Bouvet - Andre

Avocats :

Me Tetard, Me Lelong

TGI Senlis, du 5 mai 2009

5 mai 2009

DECISION :

Exorde

M.et Mme Lucien DANIEL ont le 20 février 1985 donné à bail commercial un local situé à Nogent sur Oise (60) à M. Jean-Luc MIART. Ce bail a, par acte du 21 janvier 1995, été reconduit entre les parties pour neuf ans à compter du 1er mars 1994 pour se terminer au plus tard le 28 février 2003.

Le 4 mai 1998 M. MIART a cédé son fonds à une Sarl PONT ROYAL FLEURS, dont la gérante, Mme Claire HERRIBERRY, s'est portée caution du paiement des loyers et charges.

Par contrat de cession de parts du 12 novembre 2002, Mme HERRIBERRY et son associé ont transmis la totalité des parts de Sarl PONT ROYAL FLEURS à M.Franck DEMAILLY et son associée. Par acte séparé du même jour, M. Franck DEMAILLY s'est porté caution du paiement des loyers envers le bailleur.

Le 1er mars 2003 ce bail initial a été reconduit par tacite reconduction pour une nouvelle période de neuf ans expirant le 28 février 2012.

A compter du 1er août 2003, la Sarl PONT ROYAL FLEURS cessait le paiement des loyers.

Suite à un commandement de payer non suivi d'effet présenté le 11 février 2004 la résiliation de ce bail, à compter du 11 mars 2004, a été constatée par ordonnance du 5 octobre 2004 du juge des référés de Senlis, confirmée sur ce point par arrêt de la cour de ce siège en date du 23 mars 2006.

La cour ayant refusé, dans le cadre d'un référé, de statuer sur les condamnations au titre des loyers ou indemnités d'occupation, les époux DANIEL, par actes initiés le 19 février 2007, ont assigné M. MIART, la Sarl PONT ROYAL FLEURS et Mme HERRIBERRY en paiement solidaire (outre intérêts et frais) :

' des loyers impayés du 1er août 2003 au 31 mars 2004 soit 8.382 € ;

' des indemnités d'occupation pour la période du 1er avril 2004 au 31 octobre 2006, soit : 38.400 €.

Mme HERRIBERRY a, par acte du 8 novembre 2007, appelé M. DEMAILLY, assisté de son curateur, en garantie.

Par jugement entrepris du 5 mai 2009 du tribunal de Senlis, le tribunal a :

' Débouté les époux DANIEL de leur demande contre M. MIART et Mme HERRIBERRY.

' Renvoyé la cause et les parties concernant l'action suivie contre M. DEMAILLY dans l'attente d'un supplément d'information sur son état mental.

Les époux DANIEL ont fait appel de cette décision et reprennent leurs demandes exposées devant le premier juge. M. MIART et Mme HERRIBERRY concluent à confirmation. M. DEMAILLY demande le renvoi devant le premier juge.

Action contre la Sarl PONT ROYAL FLEURS

Débitrice tant des loyers que des indemnités d'occupation réclamées, la Sarl PONT ROYAL FLEURS sera condamnée au paiement des loyers impayés du 1er août 2003 au 31 mars 2004, soit 8.382 €, et des indemnités d'occupation pour la période du 1er avril 2004 au 31 octobre 2006, soit 38.400 €, comme réclamé par les époux DANIEL.

Garantie de M. MIART

Conformément à la décision rendue par le premier juge, M.MIART invoque n'être pas redevable des loyers impayés qui ont commencé à courir à compter du 1er août 2003 estimant qu'ayant cédé son fonds le 4 mai 1998, il ne devait garantie que pour la période de neuf ans en cours lors de cette cession, cette période de neuf ans expirant, conformément au contrat du 21 janvier 1995, «le 28 février 2003».

La cour, conformément aux observations des appelants, relève cependant que le contrat de reconduction du bail conclu le 21 janvier 1995 entre les époux DANIEL et M.MIART dispose (page 6, § Cession) «le cessionnaire devant solidairement avec le preneur être tenu au paiement des loyers et à l'exécution des conditions du présent bail de manière à ce que le bailleur puisse agir directement contre lui si bon lui semble sans préjudice de son droit de poursuivre directement le preneur.

En outre tous ceux qui seront devenus successivement cessionnaires du bail (') demeureront tenus envers le bailleur, solidairement entr'eux et avec les preneurs au paiement des loyers et à l'exécution des conditions du bail pendant toute la durée de celui-ci alors même qu'ils ne seraient plus dans les lieux».

Cette clause est reprise à l'identique dans le contrat de cession de bail du 4 mai 1998 conclu entre M. MIART cédant et la Sarl PONT ROYAL FLEURS (p.3).

Il apparaît que le terme «cessionnaire» que comporte cette clause est à l'évidence impropre, puisque, si l'on prend ce terme dans son acception immédiate, cette clause revient à dire que le cessionnaire est solidaire avec lui même, ce qui n'a aucun sens. Aussi, en application de l'article 1156 du c.civil («On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes»), il s'induit qu'à la place du mot cessionnaire deux fois employé, c'est le mot cédant qui devra être lu.

Cette clause impose donc au cédant, en l'occurrence M.MIART, de garantir les loyers dus par le cessionnaire.

Elle n'exprime aucunement que sa période de validité est limitée à l'expiration de la période de neuf ans en cours. Au contraire la formule «l'exécution des conditions du bail pendant toute la durée de celui-ci» établit que la commune intention des parties était d'étendre la validité de cette clause jusqu'à la fin du bail, par delà ses reconductions successives. Aussi, le bail se poursuivant à l'identique lorsqu'il est reconduit tacitement, comme cela a été le cas lors de la reconduction du 1er mars 2003, M.MIART est, comme garant, redevable des loyers impayés échus pendant cette période. Ces loyers courent, ainsi qu'il résulte de l'arrêt définitif de la cour d'appel du 23 mars 2006, du 1er août 2003 au 31 mars 2004 soit 8.382 € outre intérêts, comme demandé.

En revanche portée de cette clause est expressément limitée à «la durée de celui-ci (de ce bail)». Il en résulte qu'elle exclut que le cédant doit les indemnités d'occupation courant du 1er avril 2004 au 31 octobre 2006, par définition ultérieures à la résiliation du bail, intervenue le 11 mars 2004 ainsi qu'il résulte de l'arrêt définitif précité du 23 mars 2006. Au surplus si cette clause s'applique expressément aux «loyers et à l'exécution des conditions du présent bail» elle ne saurait s'entendre à des indemnités dont la cause et la nature juridique sont distinctes et dont l'ampleur résulte de l'exécution tardive par les bailleurs de la décision d'expulsion ordonnée dès le 5 octobre 2004 par le juge des référés de Senlis.

Les époux DANIEL seront donc déboutés de leur demande de 38.400 € au titre de ces indemnités d'occupation en ce qu'elle est dirigée contre M. MIART.

Garantie de Mme HERRIBERRY

La garantie de Mme HERRIBERRY ne saurait être fondée sur la clause précitée du bail, reprise dans le contrat de cession du 4 mai 1998. En effet cette clause, imposant la garantie des loyers impayés aux cédants successifs du fonds comme il a été vu, n'engage à ce titre que la Sarl PONT ROYAL FLEURS et non Mme HERRIBERRY.

En revanche Mme HERRIBERRY s'est portée caution des engagements de la Sarl PONT ROYAL FLEURS par l'article 24 de ce contrat de cession ainsi libellée «Aux présentes intervient Mademoiselle HERRIBERRY Claire (') laquelle déclare donner au bailleur sa caution personnelle et solidaire pour le paiement du loyer et des charges et de l'exécution des clauses du bail susvisé» (p.16).

Mme HERRIBERRY conteste le caractère probatoire de cet article faute de remplir les conditions de l'article 1326 du c civ, qui exige une mention manuscrite en chiffre et en lettres de la caution.

Il n'est pas établi, comme il est invoqué par les époux DANIEL, que cet engagement présente un caractère commercial, pouvant donc être prouvé par tous moyens en application de l'article L.110-3 du c.comm. En effet, nonobstant leurs affirmations sur ce point, sa qualité de gérante d'une Sarl ne confère pas d'office à Mme HERRIBERRY la qualité de commerçante ; or les époux DANIEL n'offrent pas d'établir qu'elle se livre personnellement et usuellement à des actes de commerce.

En revanche Mme HERRIBERRY ayant paraphé chaque page de cet acte et signé celui-ci, la page comportant la clause précitée figurant sur la page revêtue de sa signature complétée de la mention «bon pour caution», ce document vaut commencement de preuve par écrit au sens de l'article 1347 du c.civil. Par ailleurs sa qualité de gérante de la société, qui lui confère nécessairement la connaissance des conséquences de sa gestion, le passif dont il lui est demandé compte étant ultérieur à son engagement, apporte la preuve extrinsèque de la connaissance qu'elle avait de la portée de son engagement lors de sa souscription, alors même que cet engagement ne serait pas limitativement spécifié dans l'acte.

Cette clause n'étant pas limitée dans le temps elle doit, elle aussi, s'entendre de l'ensemble des loyers dus par la Sarl PONT ROYAL FLEURS, fût-ce après la cession de parts du 12 novembre 2002, l'acte ne mettant pas fin expressément à son engagement, ou la reconduction tacite du bail du 1er mars 2003.

Ainsi Mme HERRIBERRY est, elle aussi, garante envers les époux DANIEL des loyers dus par la Sarl PONT ROYAL FLEURS.

En revanche portée de cette clause, expressément limitée au «paiement du loyer et des charges», exclut implicitement, pour les motifs sus-énoncés, les indemnités d'occupation courant ultérieurement à la résiliation du bail. Les époux DANIEL seront donc déboutés de leur demande à ce titre.

Action contre M. DEMAILLY

Le tribunal a sursis à statuer sur l'obligation de M. DEMAILLY tenu comme caution de la Sarl PONT ROYAL FLEURS dans l'attente de renseignements complémentaires sur son état de santé mentale.

Les époux DANIEL, ainsi que M. MIART et Mme HERRIBERRY qui concluent subsidiairement à sa garantie, demandent qu'il soit statué sur cette question et que M.DEMAILLY, soit, nonobstant le sursis à statuer ordonné par le tribunal, condamné au paiement ou, pour les garants, au remboursement de ces sommes. M. DEMAILLY demande le renvoi de cette question devant le premier juge.

Il apparaît toutefois que le premier juge a, à ce jour, statué sur cette question et que, par jugement du 22 mars 2011, rendu pendant l'instance d'appel ultérieurement aux dernières conclusions des parties, versé aux débats par les époux DANIEL, il a déclaré nul l'acte de cession des parts de la Sarl PONT ROYAL FLEURS conclu le 12 novembre 2002 entre Mme HERRIBERRY et M.DEMAILLY et partant le cautionnement de ce dernier. Ainsi le tribunal ayant vidé sa saisine, la cour ne peut lui renvoyer la connaissance de l'affaire.

La cour ne dispose pas d'éléments permettant de savoir si ce jugement est définitif ou s'il est frappé d'appel. Au surplus les parties, et notamment le principal intéressé M. DEMAILLY, n'ont pas re-conclu postérieurement à cette décision. Aussi la cour se limitera-t-elle à un sursis à statuer jusqu'à ce que sa saisine, par un appel spécifique de cette décision ou des conclusions motivées de reprise d'instance, lui permette de traiter des actions suivies contre M. DEMAILLY.

Demandes accessoires

Dans la mesure où ils ont partiellement échoué en leur appel, l'équité ne commande pas d'indemniser les époux DANIEL des frais irrépétibles qu'ils ont pu exposer.

De même chaque partie supportera les dépens de première instance et d'appel et qu'elle a jusqu'à ce jour engagés.

P A R C E S M O T I F S

Statuant par décision contradictoire,

INFIRME dans toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

CONDAMNE in solidum la Sarl PONT ROYAL FLEURS, M. MIART et Mme HERRIBERRY à payer à M.et Mme DANIEL la somme de HUIT MILLE TROIS CENT QUATRE VINGT DEUX EUROS (8.382 €) outre intérêts légaux à compter du 19 février 2007 au titre des loyers impayés.

CONDAMNE la Sarl PONT ROYAL FLEURS à payer à M.et Mme DANIEL la somme de TRENTE HUIT MILLE QUATRE CENTS EUROS (38.400 €) outre intérêts légaux à compter du 19 février 2007 au titre des indemnités d'occupation.

DEBOUTE les époux DANIEL de leur demande de paiement des indemnités d'occupation à l'encontre de M. MIART et de Mme HERRIBERRY.

SURSOIT A STATUER concernant la demande des parties à l'encontre de M. DEMAILLY jusqu'à ce qu'un appel ait été interjeté à l'encontre la décision précitée du 22 mars 2011 ou qu'elle ait été saisie de conclusions de reprises d'instance motivées. ORDONNE d'ici là la radiation de l'affaire du rôle des affaires en cours.

DEBOUTE les parties de leurs demandes accessoires, LAISSE à leur charge les dépens de première instance et d'appel qu'ils ont engagés.