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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 20 septembre 2018, n° 18/00097

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Carval (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Vercruysse, Mme Aldigé

TGI Lille, du 24 oct. 2017, n° 17/00808

24 octobre 2017

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé en date du 13 janvier 2005, M. Pierre D. aux droits duquel sont intervenus M. et Mme D., a donné à bail à Mme Anne-Marie T. veuve D., un local commercial sis [...] pour y exploiter une activité de débit de boissons pour un loyer annuel de 6 600 euros HT, payable par trimestre et d'avance.

Par acte du 30 juillet 2014, la SCI Carval a acheté le local commercial.

Par acte sous seing privé en date du 8 août 2011, Mme Anne-Marie T. veuve D. a vendu à M. Michel D. son fonds de commerce de débit de boissons exploité au [...].

Le 5 octobre 2011, la réitération de l'acte a été régularisée et enregistrée au service impôt entreprise du Grand Lille Est.

Par acte en date du 17 septembre 2012, M. Michel D. a cédé son fonds de commerce à Mme Fouzia K..

Par lettre recommandée en date du 27 janvier 2017, suite à des impayés de loyers et charges, la SCI Carval s'est rapprochée de Mme Fouzia K. et M. Lahoucine N. afin qu'ils justifient de leur qualité à occuper les lieux.

Par lettre recommandée en date du 10 février 2017, M. N. a indiqué que Mme Fouzia K. a acquis le fonds de commerce de M. D. et qu'il venait aux droits de Mme K. pour avoir acquis ses parts le 30 avril 2014.

Par acte d'huissier en date du 12 avril 2017, la SCI Carval a fait délivrer un commandement de payer à Mme K. visant la clause résolutoire du bail.

Le 27 avril 2017, Mme Anne-Marie T. veuve D. a reçu une dénonciation du commandement de payer délivré à la demande de la SCI Carval.

Par assignation en date du 07 juillet 2017, la SCI Cavarl a fait assigner en référé Mme Fouzia K. et M. Lahoucine N. ainsi que Mme Anne-Marie T. veuve D. et M. Michel D. devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille aux fins de résiliation du bail et paiement.

Par ordonnance en date du 24 octobre 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille a :

-condamné in solidum Fouzia K. et Lahoucine N. ainsi que Anne-Marie T. veuve D. et Michel D. à payer à la SCI Carval la somme provisionnelle de 17'997,10 euros correspondant aux loyers impayés au 10 octobre 2017,

-constaté la résolution du bail au 12 mai 2017,

-ordonné si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de Fouzia K. ou de tous occupants de son chef des locaux situés au [...],

-fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 665,66 euros par mois et condamné in solidum Mme K. Fouzia à payer mensuellement à la SCI Carval cette indemnité d'occupation provisionnelle à compter du 12 mai 2017 et ce, jusqu'à libération effective des lieux,

-autorisé Anne-Marie T. veuve D. à s'acquitter de sa dette en 24 mensualités, exigibles le 1er du mois suivant la signification de la présente décision, la 24ème étant augmentée des intérêts échus,

-dit qu'en cas de non-paiement d'une mensualité à son échéance, la totalité de la dette sera exigible sans nouvelle mise en demeure,

-condamné Mme Fouzia K. et M. Lahoucine N., Mme D., M. D. in solidum à payer à la SCI Carval la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-rejeté toute demande plus ample ou contraire,

-condamné in solidum Fouzia K. et Lahoucine N. ainsi que Anne-Marie T. veuve D. et Michel D. aux dépens, en ce compris les frais du commandement de 210,09 euros.

Par déclaration d'appel en date du 29 décembre 2017, seule Mme Anne-Marie T. veuve D. a interjeté appel de cette décision quant aux dispositions suivantes de l'ordonnance du 24 octobre 2017 :

'-condamné in solidum Fouzia K. et Lahoucine N. ainsi que Anne-Marie T. veuve D. et Michel D. à payer à la SCI Carval la somme provisionnelle de 17'997,10 euros correspondant aux loyers impayés au 10 octobre 2017,

fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 665,66 euros par mois et condamné in solidum Mme K. Fouzia à payer mensuellement à la SCI Carval cette indemnité d'occupation provisionnelle à compter du 12 mai 2017 et ce, jusqu'à libération effective des lieux,

-autorisé Anne-Marie T. veuve D. à s'acquitter de sa dette en 24 mensualités, exigibles le 1er du mois suivant la signification de la présente décision, la 24ème étant augmentée des intérêts échus,

condamné Mme Fouzia K. et M. Lahoucine N., Mme D., M. D. in solidum à payer à la SCI Carval la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-rejeté toute demande plus ample ou contraire,

-condamné in solidum Fouzia K. et Lahoucine N. ainsi que Anne-Marie T. veuve D. et Michel D. aux dépens, en ce compris les frais du commandement de 210,09 euros.'

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 23 avril 2018, Mme Anne-Marie T. veuve D. demande à la cour d'appel au visa des articles 700, 808, 809 et 905 du code de procédure civile1134 du code civil et l'article 1104 nouveau du code civil de':

-infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :

-condamné Madame Anne-Marie T. in solidum à payer à la SCI Carval la somme provisionnelle de 17 997,10 euros correspondant aux loyers impayés au 10 octobre 2017,

-a condamné in solidum sans préciser qu'il s'agit uniquement de Mme K. Fouzia et de M. N. à payer mensuellement à la SCI Carval cette indemnité d'occupation provisionnelle à compter du 12 mai 2017 et ce, jusqu'à la libération effective des lieux,

-autorisé Anne-Marie T., veuve D. à s'acquitter de sa dette en 24 mensualités, exigibles le 1er du mois suivant la signification de la présente décision, le 24ème étant augmentée des intérêts échus,

-dit qu'en cas de non-paiement d'une mensualité à son échéance, la totalité de la dette sera exigible sans nouvelle mise en demeure,

-condamné Mme D. in solidum à payer à la SCI Carval la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

-rejeté toute demande plus ample ou contraire,

-condamné in solidum Anne Marie T. veuve D. aux dépens, en ce compris les frais du commandement de 210,09 euros

Statuant à nouveau,

A titre principal,

-juger qu'en raison de l'existence de difficultés sérieuses les demandes excédaient les pouvoirs du juge des référés,

En conséquence débouter la SCI Carval de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

-limiter sa garantie à deux termes de loyers impayés, soit à un montant de 1 331,32 euros,

-débouter la SCI Carval de ses autres demandes,

En tout état de cause,

-condamner in solidum la SCI Carval, Fouzia K., Lahoucine N. et Michel D. à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Mme Anne-Marie T. veuve D. fait valoir que :

-sa garantie est limitée à la durée du bail initial qui a pris fin dès l'acceptation de la cession du fonds de commerce par Monsieur D. et les nouvelles dispositions liant celui-ci à Monsieur D. s'apparentent à un nouveau bail commercial

-le bail initial d'une durée de neuf ans a, en tout état de cause, pris fin le 21 janvier 2014

-la SCI Carval est entièrement responsable du montant de la dette dont elle réclame le paiement en ayant laissé des impayés s'accumuler pendant plus de deux ans sans aviser le cessionnaire de la situation ce qui est de nature à engager la responsabilité du bailleur

-il ne peut être réclamé aucune somme au titre de la clause pénale contractuelle qui ne présente aucun caractère certain dans son montant puisque ce dernier est susceptible d'être minoré

Par dernières conclusions signifiées le 22 mars 2018, la SCI Carval demande à la cour d'appel au visa des articles 1103 du code civil et 700 du code de procédure civile de':

-confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné solidairement Mme T. veuve D. au règlement du solde locatif, aux frais irrépétibles et aux dépens,

-infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a limité la condamnation de Mme T. veuve D. à la somme de 17 997,10 euros,

Statuant de nouveau,

-condamner Mme T. veuve D. à lui payer'la somme de 20 156,75 euros TTC,

et la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les frais et dépens de la procédure.

La SCI Carval réplique que :

-au titre de la clause de garantie solidaire entre tous les cessionnaires successifs, insérée dans le bail qui se poursuit actuellement, la responsabilité de Madame D. est acquise quant au paiement des loyers, charges et indemnités d'occupation dus par le preneur

-Madame D. ne peut invoquer sa responsabilité alors même qu'elle s'est abstenue de réaliser les formalités élémentaires de l'article 1690 du code civil quant à l'acte de cession du fonds de commerce qui prévoyait la signification du transport du bail au bailleur

-le défaut d'information en temps utile du cédant est sans effet sur son obligation à garantie

-en conséquence, Madame D. est responsable des carences de son cessionnaire et de tout cessionnaire successif

-Madame D. ne justifie pas d'un préjudice lié à l'absence d'information quant aux impayés

-la sanction du défaut d'information n'est pas la déchéance de la garantie mais celle du droit aux intérêts

-la clause pénale est clairement insérée dans le bail et est donc applicable

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens, il est renvoyé aux dernières écritures des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 808 du code de procédure civile dispose que dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 809 précise ensuite que le président du tribunal de grande instance peut toujours et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

En application de l'article 1134 code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Par ailleurs, selon les articles 6 et 9 du code de procédure civile, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires à leur succès.

Il résulte des pièces versées à la procédure que Mme D. a cédé, le 5 octobre 2011, son fonds de commerce à M. D., lequel l'a ensuite cédé à Mme K. le 10 septembre 2012.

L'article 7-2 §4 du bail en date du 13 janvier 2005 stipule en cas de cession du fonds de commerce que « le preneur reste garant solidaire, sans pouvoir opposer le bénéfice de la discussion ou de division, du cessionnaire et des cessionnaires successifs, tant pour le paiement des loyers que pour l'exécution de toutes les clauses et conditions du bail.

Tous ceux qui seront devenus successivement cessionnaires du bail demeureront tenus envers le bailleur, solidairement entre eux et avec le preneur, au paiement des loyers et à l'exécution des conditions du bail, pendant toute la durée de celui-ci et alors même qu'ils ne seraient plus dans les lieux et auraient même cédé leur droits (') ».

Aux termes de ces dispositions, chaque cédant demeure garant des cessionnaires successifs de son fonds tant que le bail se poursuit.

Mme Anne-Marie D. demeure donc garante du respect des clauses et conditions du bail cédé à M. Michel D. et d' éventuel cessionnaire de son fonds, jusqu'au terme du bail.

Mme Anne-Marie D., contrairement à ce qu'elle invoque, n'établit pas qu'un nouveau bail a été signé lorsqu'elle a cédé son fonds de commerce à M. Michel D..

Pour se voir exonérer de son obligation contractuelle de garantie, l'appelante reproche au bailleur, au visa de l'article 1134 du code civil, son inaction persistante, aucune action n'ayant été engagée à l'égard du preneur défaillant et aucune information relative aux incidents de paiement du cessionnaire ne lui étant parvenue du bailleur alors qu'il est réclamé à Mme D. une provision équivalente à plus de 30 mois de loyers et charges.

Il résulte du décompte produit par le bailleur que le premier impayé date du mois d'août 2014 et le commandement de payer délivré au preneur le 12 avril 2017 a été notifié à Mme D. le 27 avril 2017. Aucun règlement n'est intervenu du preneur depuis le mois de novembre 2015.

En l'absence de sanction spécifique prévue par la loi, la garantie du cédant ne joue pas en cas de négligence fautive du bailleur. Le bailleur qui n'avertit pas le garant du non-paiement des loyers par le cessionnaire et qui laisse s'accumuler la dette sans agir est susceptible de perdre totalement ou partiellement son recours car le poids de sa faute n'a pas à peser sur le cédant alors même que le bailleur bénéficie dans le bail d'une clause résolutoire.

Mme D. produit un courrier de M. D. en date du 29 septembre 2011 donnant son accord à la cession du bail entre elle-même et M.D.. Cependant, aux termes de l'acte d'acquisition par la SCI Carval du local commercial en date du 30 juillet 2014, il est mentionné que le local commercial est loué à Mme D..

Le bailleur oppose l'absence de signification de la cession du bail. Il n'appartient pas au juge des référés de statuer sur cette question ni davantage sur l'existence d'une faute du bailleur de nature à avoir une influence sur le montant des sommes susceptibles de lui être allouées.

Dans la mesure où la demande de la SCI Carval et celle de Mme D. sont liées et doivent être examinées ensemble puisqu'elles sont susceptibles d'avoir une influence sur la solution du litige, il y a lieu de constater que la question soumise par Mme D. relève du fond du litige et ne peut donc être résolue par le juge des référés ce qui constitue une contestation sérieuse relative à l'ensemble du litige.

La demande de provision présentée par la SCI Carval est sérieusement contestable, et ne relève pas des pouvoirs du juge des référés.

La décision déférée sera infirmée et la SCI Carval sera déboutée de ses demandes à l'égard de Mme D.. Si aucune condamnation en paiement de l'indemnité d'occupation provisionnelle à l'égard de Mme D. n'apparaît au dispositif de l'ordonnance, cette demande a été formulée initialement par le bailleur qui sera également débouté de celle-ci.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Il y a lieu de condamner la SCI Carval à verser à Mme D. la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; l'intimée sera déboutée de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Dans les limites de l'appel interjeté par Mme D.,

Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :

-'condamné Anne-Marie T. veuve D. à payer à la SCI Carval la somme provisionnelle de 17'997,10 euros correspondant aux loyers impayés au 10 octobre 2017,

-autorisé Anne-Marie T. veuve D. à s'acquitter de sa dette en 24 mensualités, exigibles le 1er du mois suivant la signification de la présente décision, la 24ème étant augmentée des intérêts échus,

-condamné Mme D., à payer à la SCI Carval la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné Anne-Marie T. veuve D. aux dépens, en ce compris les frais du commandement de 210,09 euros.'

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déboute la SCI Carval de sa demande à l'égard de Mme Anne-Marie T. veuve D. en paiement de la somme provisionnelle de 20 156,75 euros, d'une indemnité d'occupation provisionnelle mensuelle, de sa demande en paiement des frais irrépétibles de première instance et d'appel et des dépens de première instance,

Condamne la SCI Carval à verser à Mme D. la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la SCI Carval aux dépens de la procédure d'appel.