Cass. 1re civ., 20 mars 2019, n° 18-21.124
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, revendiquant la qualité de coauteurs des oeuvres divulguées sous le nom de M. U... K... , dit K..., artiste plasticien et peintre, et réalisées entre 1998 et 2012 au sein de l'Atelier [...], qu'ils avaient mis à la disposition de ce dernier, M. et Mme R... l'ont assigné aux fins de voir qualifier ces oeuvres d'oeuvres de collaboration et en licitation-partage ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses cinquième et septième branches, et sur le troisième moyen, ci-après annexés :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et sixième branches :
Attendu que M. et Mme R... font grief à l'arrêt de dire qu'ils n'ont pas la qualité de coauteurs des oeuvres citées au dispositif du jugement, dont M. K... est le seul auteur, de rejeter leurs demandes à ce titre et de les condamner à restituer les oeuvres correspondantes à M. K..., alors, selon le moyen :
1°/ qu'est dite de collaboration l'oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ; que, si la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée, revêt la qualité de coauteur toute personne qui, ayant contribué à sa réalisation, y a imprimé la trace de sa personnalité ; qu'en l'occurrence, la cour d'appel a constaté qu'entre 1997 et 2012, plus de huit cents oeuvres originales avaient été créées au sein de l'Atelier [...] et divulguées sous le nom de K..., que M. K... n'avait fait que des visites ponctuelles et qu'il était attesté par des tiers qu'en l'absence de M. K..., M. et Mme R... assuraient toutes les étapes de la création, de la captation des affiches dans la rue au marouflage des affiches sur les toiles, en passant par le cadrage et les lacérations ; qu'en énonçant, cependant, pour dénier à M. et Mme R... la qualité de coauteurs, qu'ils n'identifiaient pas précisément, au sein de la production de l'Atelier [...], les oeuvres portant l'empreinte de leur personnalité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 111-1, L. 113-1 et L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que, si la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée, revêt la qualité de coauteur toute personne qui, ayant contribué à sa réalisation, y a imprimé la trace de sa personnalité ; qu'en énonçant, pour dénier à M. et Mme R... la qualité de coauteurs, qu'ils ne justifiaient pas avoir été présents lors de toutes les captations, quand la qualité de coauteurs devait leur être reconnue pour tous les tableaux réalisés au moyen d'affiches choisies par leurs soins, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 111-1, L. 113-1 et L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ qu'ayant constaté que, dans l'oeuvre de M. K..., dont l'originalité n'est pas contestée, l'activité créatrice de l'auteur commençait par la sélection des matériaux bruts, ce dont il se déduisait nécessairement que le choix des affiches lacérées participait à la démarche artistique, révélant la personnalité de son ou ses auteurs, la cour d'appel, qui a retenu, pour dénier à M. et Mme R... la qualité de coauteurs, qu'ils ne justifiaient pas que leurs captations auraient été le résultat d'un choix esthétique de leur part, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant les articles L. 111-1, L. 113-1 et L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle ;
4°/ qu'ayant constaté que plusieurs tiers avaient attesté que M. et Mme R... participaient au cadrage et aux lacérations des affiches, voire les réalisaient seuls en l'absence de M. K..., sans pour autant identifier des oeuvres précises, la cour d'appel, qui a néanmoins retenu, pour dénier à M. et Mme R... la qualité de coauteurs des oeuvres réalisées au sein de l'Atelier [...], qu'ils n'avaient « apporté aucun élément pour corroborer l'affirmation » selon laquelle ils avaient participé au cadrage et aux lacérations des affiches, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant les articles L. 111-1, L. 113-1 et L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle ;
5°/ qu'en se bornant à relever que les pièces produites démontrent qu'à la suite de son cadrage M. K..., qui revendique celle-ci comme étant toujours faite par lui seul, inscrivait des mesures très précises qui correspondaient à la taille finale du tableau, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à démontrer que M. K... avait procédé au cadrage de l'ensemble des tableaux d'affiches lacérées réalisées au sein de l'Atelier [...], à l'exclusion de M. et Mme R... , a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1, L. 113-1 et L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'après avoir exactement retenu, par motifs adoptés, que la présomption simple de titularité dont bénéficie celui sous le nom duquel l'oeuvre est divulguée ne s'oppose pas à ce que d'autres personnes se voient reconnaître la qualité de coauteurs, s'il est démontré, de leur part, un apport effectif à la création de l'oeuvre exprimant l'empreinte de leur personnalité, l'arrêt énonce que M. et Mme R... soutiennent avoir collaboré au processus créatif des tableaux dits en affiches lacérées, constitué, selon eux, de cinq étapes distinctes : le choix et la captation de l'affiche dans la rue, le cadrage de l'affiche, qui comprend le redécoupage et les lacérations, la fabrication des châssis et leur entoilage, le marouflage de l'affiche cadrée sur le châssis entoilé avec les lacérations finales, et, enfin, l'inscription du titre de l'oeuvre au dos du tableau ; qu'il relève, en premier lieu, qu'il résulte des différents témoignages versés aux débats que les séances d'arrachage ne donnaient lieu à aucune sélection préalable des affiches lacérées, le choix entre les matériaux étant défini à l'atelier par M. K... lui-même ; que l'arrêt indique, en deuxième lieu, que, dès 1949, soit bien antérieurement à sa rencontre avec M. et Mme R... , M. K... avait défini sa démarche artistique comme une démarche appropriative consistant à collecter dans l'espace public des affiches déjà lacérées par l'effet du temps ou des passants anonymes, de sorte que l'affirmation de M. et Mme R... selon laquelle des lacérations étaient systématiquement effectuées sur les affiches brutes est contraire au dessein poursuivi par l'artiste et, au demeurant, non établie par les attestations qu'ils produisent ; qu'il ajoute, en troisième lieu, que les pièces du dossier démontrent que M. K..., qui n'a pas cessé de venir à son atelier au cours de la période allant de 1997 à 2012, inscrivait, à l'issue de son cadrage, des mesures très précises qui correspondaient à la taille finale du tableau, M. et Mme R... n'apportant quant à eux aucun élément justifiant qu'ils auraient procédé au cadrage des oeuvres revendiquées ; qu'il énonce, enfin, que le découpage des châssis et l'entoilage sont des actes techniques, qui ne relèvent pas de la création artistique, et que les attestations produites établissent que l'opération dite du marouflage est une opération d'encollage purement technique ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, caractérisant l'absence d'apport personnel dérivant d'une activité créatrice de M. et Mme R... , la cour d'appel a jugé, à bon droit, que ces derniers ne pouvaient se voir reconnaître la qualité de coauteurs des oeuvres litigieuses ; que le moyen n'est fondé en aucun de ses griefs ;
Mais sur le premier moyen :
Vu les articles 71, 72 et 564 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande de M. et Mme R... tendant à voir juger qu'ils sont propriétaires de dix-sept tableaux, l'arrêt retient que cette prétention, fondée sur l'existence d'une libéralité qui leur aurait été consentie par M. K..., ne se rattache pas à l'action qu'ils ont exercée sur le fondement du droit d'auteur, pour se voir reconnaître la qualité de coauteurs des oeuvres réalisées au sein de l'Atelier [...], et que, dès lors, elle constitue une demande nouvelle en cause d'appel ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'invocation par M. et Mme R... d'une donation leur ayant conféré la propriété matérielle des oeuvres litigieuses constituait une défense au fond tendant au rejet de la demande reconventionnelle en restitution formée par M. K... et pouvait ainsi être présentée en tout état de cause, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche, qui est recevable :
Vu l'article 4 du code civil ;
Attendu que, pour rejeter la demande de M. et Mme R... tendant à voir ordonner le partage en valeur des oeuvres indivises, l'arrêt retient que, quand bien même ces oeuvres sont constituées physiquement de pièces distinctes, il ne saurait être porté atteinte à leur intégrité en opérant un partage en nature et qu'il ne peut pas être procédé à un partage financier, faute de tout élément sur leur valeur ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du quatrième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de M. et Mme R... portant sur la restitution des dix-septs tableaux en leur possession dont ils revendiquent la propriété et que le tribunal leur a ordonné de remettre à M. U... K... et en ce qu'il rejette leur demande tendant à voir ordonner le partage en valeur des oeuvres indivises, l'arrêt rendu le 11 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.