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Décisions

Cass. crim., 10 septembre 2008, n° 08-80.589

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dulin

Rapporteur :

Mme Labrousse

Avocat :

SCP Gatineau

Paris, du 14 déc. 2007

14 décembre 2007

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 432-14, 432-17 du code pénal, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Hugues X... coupable du délit d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics, et l'a condamné de ce chef ;

"aux motifs que comme l'a dit le tribunal administratif, les objets des contrats litigieux étaient très proches ; que ces contrats ont été conclus avec deux sociétés appartenant au même groupe, toutes deux dirigées par Daniel Y... ; que Grégoire de Z..., en charge des travaux, ainsi qu'il résulte de l'avenant du 24 novembre 1998, a expliqué qu'après avoir travaillé pour la société Matignon, il était devenu, en janvier 1999, salarié de la société Experts et Commissaires, qu'il avait conservé, en quittant la société Matignon, les dossiers qu'il avait en portefeuille, dont celui de la mairie de Bussy Saint-Georges ; qu'il avait été successivement payé par la société Matignon et la société Experts et Commissaires, qu'il y avait eu « refacturation » entre les deux entités ; que s'agissant de l'intention délictueuse, les contrats litigieux ont été passés verbalement les lettres de mission ne faisant que matérialiser ces accords et les délibérations les entérinant n'intervenant qu'a posteriori, le 31 décembre 1998 ; qu'aucun cahier des charges n'a été préalablement rédigé ; que le contrat du 1er octobre 1998 de la société Matignon, renouvelable mensuellement par tacite reconduction ne prévoyait aucune durée des travaux à effectuer, aucun taux horaire pour leur rémunération ; que si en revanche, l'avenant du 24 décembre 1998 stipulait que le taux horaire des honoraires à percevoir par la société Experts et commissaires serait de 60 000 francs HT par mois, aucune estimation du volume et du coût prévisible des prestations n'était non plus effectuée, alors que, sur une durée de 12 mois, le montant annuel de ces honoraires devait s'élever à 868 370 francs TTC, soit un chiffre excédant non seulement le seuil de 300 000 francs, mais celui de 700 000 francs au-delà duquel il ne peut y avoir recours, comme il a été néanmoins décidé par Hugues X..., à la procédure de marché négocié ; que le représentant de la Direction de la concurrence et de la répression des fraudes a lui-même relevé qu'au regard d'un montant facturé 289 440 francs sur quatre mois, c'est le chiffre 868 320 francs qui aurait dû déterminer le choix de la procédure à adopter ; qu'il a souligné qu'Hugues X... avait persisté dans ses errements, nonobstant « tous les moyens amiables (conseils, mise en demeure, saisine du tribunal administratif) mis en oeuvre avant d'en arriver au pénal » ; qu'étant encore observé que c'est par l'intermédiaire de son collaborateur Philippe A... qu'Hugues X... est entré en relations avec Daniel Y... ; que, jusqu'en mars 1999, il a été convenu avec celui-ci que Philippe A..., qui ne pouvait être rémunéré par la mairie – le nombre de collaborateurs du maire de Bussy Saint-Georges étant limité par le chiffre de la population de cette commune, alors inférieur à 10 000 habitants – serait payé par la société Experts et commissaires, laquelle facturerait ensuite cette mise à disposition à la municipalité, l'infraction apparaît constituée en tous ses éléments ; qu'Hugues X... avait nécessairement conscience d'enfreindre les règles du code des marchés publics, et par suite de favoriser les sociétés de Daniel Y... ;

"alors, d'une part, que le délit de favoritisme ne peut être constitué que si son auteur a commis un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics ; qu'en se bornant à relever qu'il est reproché à Hugues X... d'avoir « éludé les dispositions du code des marchés publics » en fractionnant le marché public relatif à l'audit organisationnel et financier de la commune, sans même indiquer quelles dispositions précises auraient été violées, la cour d'appel n'a pas légalement caractérisé la matérialité de ce délit au regard des textes visés au moyen ;

"alors, d'autre part, que la conclusion de différents contrats ne saurait constituer un fractionnement illégal du marché contraire au code des marchés publics que pour autant qu'est clairement établie l'existence d'une opération unique dont l'évaluation initiale n'était pas sincère dans le but d'échapper à la procédure d'appel d'offres ; qu'en l'espèce, il résulte clairement des faits rappelés par la décision attaquée que les différentes missions confiées aux sociétés Matignon et Experts et commissaires étaient intervenues successivement permettant à Hugues X... de s'apercevoir de la situation désastreuse de la mairie au fur et à mesure de la réalisation des différents contrats ; que c'est ainsi qu'après des travaux ponctuels effectués par la société Matignon puis l'audit social et financier de l'association Cal Amitié effectué par la société Experts et commissaires, était apparue la nécessité de procéder à une restructuration complète des services administratifs et comptables de la mairie, et que cette restructuration avait pris une telle ampleur qu'elle avait conduit à la procédure de marché négocié ; qu'en l'état de ces missions distinctes, révélant la découverte progressive par Hugues X... de la situation catastrophique dans laquelle se trouvait sa mairie, la cour d'appel ne pouvait se borner à relever la seule «proximité» des objets des contrats litigieux pour en déduire implicitement l'existence d'une opération unique destinée à fractionner frauduleusement le marché en s'abstenant de toute motivation sur le caractère sincère ou non de l'évaluation initiale ; que le fractionnement du marché ne pouvant être considéré comme irrégulier qu'à la condition que l'évaluation initiale n'ait pas été sincère, la cour d'appel ne pouvait légalement entrer en voie de condamnation à l'égard d'Hugues X... en s'abstenant de toute motivation sur cette condition essentielle, sans priver sa décision de base légale ;

"alors, encore qu'il résultait de l'ancien article 104-I du code des marchés publics, dont la violation est sanctionnée par l'article 432-14 du code pénal, que les travaux, fournitures ou services dont la valeur n'excède pas, pour le montant total de l'opération, un seuil de 700 000 francs (TTC), doivent être passés après une mise en concurrence préalable ; que dès lors que les conclusions du prévenu faisaient expressément valoir que la société Experts et commissaires n'avait perçu en 1998 et 1999 que la somme totale de 653 941,44 francs, inférieure au seuil de 700 000 francs au-delà duquel il était nécessaire de procéder à la procédure d'appel d'offres, la cour d'appel ne pouvait s'abstenir d'y répondre en se fondant exclusivement sur des motifs hypothétiques et inopérants qu'au regard d'un montant facturé 289 440 francs sur 4 mois, le montant annuel des honoraires de la société Experts et Commissaires aurait dû s'élever à 868 320 francs ; qu'en se bornant à prendre en considération le montant total hypothétiquement facturable de l'opération sans même répondre au chef péremptoire des conclusions du prévenu l'invitant à considérer le montant global de l'opération effectivement facturé à la commune, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;

"alors, en outre, que le délit de favoritisme n'est constitué que si son auteur a procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait se contenter de constater l'irrégularité du recours à la procédure de marché négocié concernant l'audit organisationnel et financier de sa commune, sans pour autant caractériser un quelconque avantage injustifié ; que dès lors qu'il n'est pas contesté que la procédure d'appel à la concurrence avait été faite dans les formes légales, - la régularité formelle du marché n'ayant jamais été contestée- , et qu'aucun autre candidat qu'Experts et Commissaires ne s'était présenté, la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de rechercher si, en l'absence de concurrence réelle compte tenu des circonstances de l'espèce, la procédure litigieuse avait procuré un avantage injustifié à la société Experts et Commissaires, sans priver sa décision de base légale ;

"alors, enfin, que le délit de favoritisme est un délit intentionnel qui suppose que soit démontrée la volonté du prévenu de violer, en connaissance de cause les dispositions législatives ou réglementaires relatives à la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics, dans le but de favoriser un candidat ; qu'en se bornant à déduire cette intention de la seule méconnaissance du code des marchés publics alors même que le prévenu faisait valoir qu'il n'avait aucun intérêt à favoriser Daniel Y... et ses sociétés puisqu'il ne le connaissait pas avant son élection à la mairie et qu'il n'entretenait plus aucune relation avec lui depuis que les missions des sociétés Matignon et Experts et commissaires avaient pris fin, la cour d'appel n'a pas caractérisé le dol spécial exigé par le texte d'incrimination consistant dans la démonstration d'une volonté délibérée du maire de favoriser un candidat, et privé de ce fait sa décision de base légale" ;

Attendu que, pour déclarer Hugues X..., maire de Bussy Saint-Georges, coupable de favoritisme, pour avoir illégalement fractionné le marché relatif à l'audit organisationnel et financier de cette commune, en attribuant un premier contrat, par lettre du 1er octobre 1998, à la société d'expertise comptable Matignon, un second contrat, par lettre de mission du même jour, modifiée par un avenant du 24 novembre 1998 à la société Experts et commissaires, et un troisième, par marché négocié, en date du 12 mai 1999, à cette même société, l'arrêt relève que ces contrats, dont les objets étaient très proches, ont été conclus avec des sociétés appartenant au même groupe, dont le dirigeant était commun et ont été exécutés par le même salarié, rémunéré successivement par les deux sociétés, refacturant entre elles leurs prestations ; que les juges ajoutent que, même si le montant des honoraires effectivement payés par la commune, au titre de l'avenant du 24 novembre 1998, s'est élevé à 289 440 francs sur quatre mois, le prévenu, en l'absence de toute estimation du volume et du coût prévisible des prestations, ne pouvait recourir à la procédure du marché négocié, le montant annuel des honoraires excédant le seuil de 700 000 francs ; que les juges retiennent enfin que le prévenu avait nécessairement conscience d'enfreindre les règles du code des marchés publics et de favoriser les sociétés attributaires, dont le dirigeant rémunérait un de ses collaborateurs ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il se déduit qu'en fractionnant le marché litigieux, d'un montant supérieur au seuil de 700 000 francs et dont l'attribution imposait le recours à une procédure d'appel d'offres, le prévenu a nécessairement attribué un avantage injustifié aux sociétés attributaires, par un acte contraire à l'article 104-1 10° du code des marchés publics alors applicable, la cour d'appel qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance, justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.