Cass. crim., 12 juillet 2022, n° 21-83.805
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Violeau
Avocat général :
M. Aubert
Avocat :
SARL Cabinet Munier-Apaire
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 11 novembre 2019, M. [X] [L] a porté plainte pour des faits de violences avec arme.
3. Le 5 décembre 2019, le procureur de la République a autorisé, pour une durée de huit jours, la géolocalisation des lignes téléphoniques de MM. [R] [Y] et [K] [D], identifiés comme étant susceptibles d'être les auteurs de ces violences.
4. Le même jour, le juge des libertés et de la détention, sur la requête du procureur de la République, a autorisé la perquisition de leur domicile sans leur assentiment.
5. Le 13 décembre 2019, le juge des libertés et de la détention a autorisé la prolongation de la géolocalisation.
6. M. [Y] a été interpellé à son domicile le 7 janvier 2020, puis placé en garde à vue pour des faits de violences volontaires avec arme en réunion et de dégradation volontaire.
7. Au cours de la garde à vue, il a précisé avoir été ivre au moment des faits.
8. Après ouverture d'une information judiciaire, M. [Y] a été mis en examen des chefs de violences volontaires en état d'ivresse sans incapacité totale de travail et dégradation volontaire.
9. Le 8 juin 2020, il a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de l'autorisation de géolocalisation en temps réel prise à son encontre, de l'autorisation de perquisition sans assentiment de son domicile et des actes subséquents.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
10. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches
Enoncé du moyen
11. Le moyen, en ses première et quatrième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de l'autorisation de géolocalisation en temps réel prise à l'encontre de M. [Y] et des actes subséquents, alors :
« 1°/ que l'article 230-33 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, est inconventionnel en ce qu'il donne compétence au procureur de la République, dont la mission est de diriger l'enquête et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser, sans un contrôle préalable par une autorité indépendante, une mesure de géolocalisation en temps réel - qui constitue une ingérence grave dans la vie privée du suspect - dans le cadre d'une enquête, en particulier dans le cadre d'une enquête préliminaire ; qu'en l'espèce, sur le fondement de ce texte, la géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique de M. [Y] a été autorisée, dans le cadre d'une enquête préliminaire, par décision du procureur de la République du 5 décembre 2019 ; qu'en rejetant la requête de l'exposant tendant à l'annulation de l'autorisation de cette mesure, la chambre de l'instruction a violé l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°/ que l'article 230-33 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, dispose que « la décision du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction est écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations [de géolocalisation] sont nécessaires » ; qu'il en résulte que la motivation de la nécessité des opérations de géolocalisation doit figurer dans la décision même du procureur de la République qui autorise ces opérations et, le cas échéant, dans la décision du juge des libertés et de la détention qui prolonge lesdites opérations ; qu'en se bornant à retenir que la nécessité de la mesure de géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique de M. [Y] était effective au moment de l'autorisation et s'était trouvée amplifiée par les faits de l'espèce, sans vérifier si les décisions du procureur de la République et du juge des libertés et de la détention, qui ont autorisé puis prolongé cette mesure, étaient motivées par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que l'opération de géolocalisation était nécessaire, cependant que l'existence de cette motivation au sein même de ces décisions était contestée par M. [Y] dans sa requête en annulation, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 230-33 du code de procédure pénale et violé les articles 591 et 593 du même code. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
12. Par arrêt de ce jour (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 20-86.652, publié au Bulletin), la Cour de cassation a jugé que le grief pris de la violation des exigences européennes en matière de conservation et d'accès aux données de connexion ainsi que de celles énoncées à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas d'ordre public et doit avoir été soumis aux juges du fond pour être recevable devant la Cour de cassation.
13. En l'espèce, M. [Y] n'a pas soulevé devant la chambre de l'instruction le grief pris de la violation des textes susvisés.
14. En conséquence, le grief est irrecevable.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
15. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'insuffisance de motivation de la mesure de géolocalisation, l'arrêt attaqué énonce, en substance, qu'indépendamment de la stabilité du domicile de M. [Y], il convenait, en vue d'éviter les risques de fuite, de déperdition des preuves et de concertation entre les protagonistes, de réaliser, dans la mesure du possible, une opération d'interpellations concomitantes.
16. C'est à tort que la chambre de l'instruction a rejeté ce moyen s'agissant de l'autorisation du procureur de la République, alors qu'il résulte des pièces de la procédure soumises au contrôle de la Cour de cassation qu'il s'est borné à autoriser le recours à cette mesure par une motivation stéréotypée sans se référer à des circonstances de fait.
17. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure pour les motifs qui suivent.
18. En premier lieu, la nullité n'est pas encourue en application de l'article 802 du code de procédure pénale, dans la mesure où M. [Y] n'a ni justifié ni même allégué une atteinte à ses intérêts, aucune localisation en temps réel n'ayant été effectuée en vertu de l'autorisation délivrée par le procureur de la République.
19. En second lieu, ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui analyse les éléments de fait et de droit justifiant la nécessité de la mesure, sur le fondement de laquelle M. [Y] a été géolocalisé, répond aux prescriptions de l'article 230-33 du code de procédure pénale.
20. Dès lors, le grief doit être écarté.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche et sur le second moyen
Enoncé des moyens
21. Le premier moyen, en sa troisième branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de l'autorisation de géolocalisation en temps réel prise à l'encontre de M. [Y] et des actes subséquents, alors :
« 3°/ que pour qu'il puisse être recouru à une mesure de géolocalisation en temps réel dans le cadre d'une enquête, l'article 230-32 du code de procédure pénale exige que l'enquête porte sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en l'espèce, à la date à laquelle la géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique de M. [Y] a été autorisée, aucune des qualifications pouvant être retenues à son encontre ne lui faisait encourir une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en rejetant néanmoins la requête de l'exposant aux fins d'annulation de l'autorisation de cette mesure de géolocalisation et des actes subséquents, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé et l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales . »
22. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de l'autorisation de procéder à des mesures de perquisition sans assentiment au domicile M. [Y] et des actes subséquents, alors « que pour qu'il puisse être recouru à une mesure de perquisition sans assentiment dans le cadre d'une enquête préliminaire, l'article 76, alinéa 4, du code de procédure pénale exige que l'enquête porte sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en l'espèce, à la date à laquelle la perquisition sans assentiment du domicile de M. [Y] a été autorisée, aucune des qualifications pouvant être retenues à son encontre ne lui faisait encourir une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en rejetant néanmoins la requête de M. [Y] aux fins d'annulation de l'autorisation de cette perquisition et des actes subséquents, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé et l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales . »
Réponse de la Cour
23. Les moyens sont réunis.
24. Pour écarter les moyens de nullité selon lesquels ni la mesure de géolocalisation ni la perquisition sans assentiment ne pouvaient être ordonnées au regard des faits susceptibles d'être reprochés à l'intéressé, l'arrêt attaqué énonce en substance que ces mesures ont été autorisées dans le cadre d'une enquête diligentée notamment des chefs de violences volontaires sans incapacité totale de travail avec arme, ces faits pouvant également être aggravés par la circonstance de la réunion.
25. Les juges relèvent que la géolocalisation était justifiée par la nécessité de procéder aux interpellations simultanées de MM. [Y] et [D].
26. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance et de contradiction, la chambre de l'instruction a justifié sa décision et n'a pas encouru les griefs allégués.
27. En effet, lorsque l'enquête est diligentée pour des faits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement, conformément aux exigences des articles 76 et 230-32 du code de procédure pénale, les mesures prévues par ces dispositions peuvent être mises en oeuvre, quelles que soient les qualifications retenues à l'issue de l'enquête à l'égard de chacune des personnes impliquées.
28. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
29. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.