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Décisions

Cass. com., 5 décembre 1995, n° 93-18.936

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Armand-Prévost

Avocat général :

M. Raynaud

Avocat :

SCP Le Bret et Laugier

Rennes, 7e ch., du 15 juin 1993

15 juin 1993

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 juin 1993), que les époux Y..., précédents locataires du local commercial exploité par Mme E..., étaient restés contractuellement garants de cette dernière vis-à -vis des bailleurs, les époux Z... ;

que Mme E... a été déclarée en liquidation judiciaire le 25 octobre 1989 et que M. X... a été désigné en qualité de liquidateur ;

que les loyers mensuels ont été réglés jusqu'à la fin février 1990 ;

qu'en octobre 1990, les époux Z... ont assigné les époux Y..., C... E... et son liquidateur en paiement des loyers échus entre le 1er mars et le 1er octobre 1990 ainsi que du droit de bail et des loyers à échoir ;

que, par jugement du 15 janvier 1992, le Tribunal a accueilli la demande en ce qui concerne le liquidateur de Mme E..., mais a limité la condamnation des époux Y... à la somme de 8 000 francs, correspondant aux loyers échus entre le 1er mars et le 1er octobre 1990, au motif que les bailleurs avaient commis un abus de droit en se contentant de faire supporter le paiement des loyers aux garants sans prendre aucune initiative pour mettre fin au bail ;

que, le 19 mai 1992, les époux Z... ont alors assigné les mêmes parties en résiliation du bail aux torts du liquidateur et en paiement par celui-ci et par les époux Y... solidairement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts ;

que, par jugement en date du 16 septembre 1992, le Tribunal a prononcé la résiliation du bail, fixé le montant de l'indemnité d'occupation, débouté les époux Z... de leurs demandes contre les époux Y... et les a condamnés à payer à ceux-ci des dommages-intérêts et une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que les époux Z... reprochent à l'arrêt, qui a joint les appels formés contre ces deux jugements, de les avoir confirmés en ce qui concerne les époux Y..., alors, selon le pourvoi, que l'abus de droit suppose une intention de nuire qui doit être expressément constatée ;

qu'il résulte des dispositions d'ordre public des articles 37 et 38 de la loi du 25 janvier 1985 que l'ouverture d'une procédure collective n'entraîne pas la résiliation automatique d'un bail commercial en cours et que le bailleur ne peut, pendant la période d'observation, invoquer le défaut d'exploitation dans les lieux ;

que si M. X... n'a pas payé les loyers échus, en revanche, il poursuivait la cession du droit au bail, qui aurait permis cet apurement, comme le soulignaient les époux Z... dans leurs conclusions et comme l'avait admis le jugement du 16 septembre 1992, accordant un délai au mandataire pour y parvenir ;

que ces données concordantes justifiaient l'attitude d'expectative des époux Z..., bridés par ailleurs quant aux possibilités de résiliation du bail de Mme E... et excluaient nécessairement toute intention de nuire à l'encontre des époux Y..., dont l'engagement comme garants n'était pas limité dans le temps, ce qui était exclusif d'une exécution partielle "pendant une période de temps suffisante" ;

qu'ainsi l'arrêt attaqué n'a retenu un abus de droit et cette limitation dans le temps de l'engagement des garants qu'au prix d'une méconnaissance des effets légaux de ses propres constatations et d'une violation des articles 1134 et 1382 du Code civil, ensemble 37 et 38 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que l'arrêt retient que l'obligation de garantie stipulée à la charge des époux Y... avait pour but de protéger les bailleurs contre les défaillances du cessionnaire ;

qu'en s'abstenant pendant plus de deux ans de provoquer la résiliation du bail malgré le défaut de paiement de loyers échus depuis plus de trois mois après le jugement d'ouverture, tandis que, selon leurs dires, aucune activité n'était plus exercée dans les lieux, et en réclamant la totalité des loyers échus pendant cette période aux époux Y..., lesquels n'avaient pas la possibilité juridique de faire résilier le contrat, les époux Z... n'ont pas exécuté de bonne foi les conventions les liant aux époux Y... dans la mesure où ils ont cherché à faire supporter par ceux-ci la conséquence de leur propre carence ;

qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu estimer que les époux Z... avaient commis un abus de droit en réclamant aux époux Y... le paiement de loyers échus depuis plus de deux ans ;

d'où il suit que le moyen est sans fondement ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.