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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 12 janvier 2021, n° 15/19803

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Productions Alleluia (SARL)

Défendeur :

Librairie Artheme Fayard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Bohee, Mme Lehmann

Avocat :

Selarl Recamier Avocats Associes

TGI Paris, 3e ch. sect. 2, du 4 sept. 20…

4 septembre 2015

Monsieur Gérard M. est l'exécuteur testamentaire de Jean F., auteur-compositeur- interprète décédé le 13 mars 2010, qui l'a également investi de l'exercice de son droit moral d'auteur sur l'ensemble de ses oeuvres.

La société PRODUCTIONS ALLELUIA est titulaire des droits d'exploitation sur les oeuvres de Jean F., en vertu de contrats de cession et d'édition conclus avec l'artiste.

La société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD a publié en septembre 2010 un ouvrage à vocation biographique intitulé 'Jean F. 'Je ne chante pas pour passer le temps'', signé par l'écrivain Daniel P. :

Cet ouvrage reproduisant, selon eux, sans leur consentement, 131 extraits de chansons dont Jean F. est l'auteur-compositeur ou l'auteur du texte ou celui de la musique, outre en page de couverture le titre d'une de ses chansons, M. M. et la société PRODUCTIONS ALLELUIA, après avoir tenté une solution amiable, ont, par actes du 19 avril 2013, fait assigner la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD en contrefaçon par violation du droit moral d'auteur de Jean F. et des droits patrimoniaux dont la société PRODUCTIONS ALLELUIA est cessionnaire.

Par jugement contradictoire rendu le 4 septembre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que M. M. est irrecevable à agir sur le fondement du droit moral pour les '26" oeuvres suivantes :

- 'Oscar et Irma', 'Vivre en flèche' et 'Sa montagne' dont Jean F. n'a ni écrit les paroles ni composé la musique,

- 'Si je mourais là-bas', 'Pablo mon ami','Epilogue', 'Qui vivra verra', 'Carco', 'Devine','Les oiseaux déguisés', 'Elle','Lorsque s'en vient le soir', 'Chambres d'un moment', 'Odeur des myrtils', 'J'entends j'entends', 'Nous dormirons ensemble', 'Que serais-je sans toi','Au bout de mon âge' ,'C'est si peu dire que je t'aime',' Heureux celui qui meurt d'aimer',' Un jour, un jour', 'Robert le Diable', ' Les poètes', ' Le malheur d'aimer', ' Dans le silence de la ville', 'Le tiers chant', oeuvres composites dont Louis A. est l'auteur de l'oeuvre préexistante,

- 'L'éloge du célibat', 'Autant d'amour, autant de fleurs', 'La cervelle','Et pour l'exemple', 'Maria', oeuvres composites dont Pierre F., Henri B., Bernard D., Philippe P. et Jean-Claude M. sont respectivement les auteurs de l'oeuvre pré-existante,

- rejeté la fin de non-recevoir à l'encontre de la société PRODUCTIONS ALLELUIA,

- dit qu'en reproduisant sur la couverture de la biographie de Jean F. le titre d'une de ses chansons 'Je ne chante pas pour passer le temps' sans son autorisation, la société FAYARD a commis une atteinte aux droits patrimoniaux d'auteur de la société PRODUCTIONS ALLELUIA,

- condamné la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD à payer à la société PRODUCTIONS ALLELUIA la somme de 5 000 euros en réparation de l'atteinte à ses droits patrimoniaux,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et au paiement à la société PRODUCTIONS ALLELUIA de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 7 octobre 2015, M. M. et la société PRODUCTIONS ALLELUIA ont interjeté appel de ce jugement.

En cause d'appel sont intervenus volontairement, à titre accessoire, aux cotés des appelants :

- M. Guy T., auteur,

- M. Jean R., ayant droit et exécuteur testamentaire de Louis A.,

- M. Henri G., auteur,

- Mme Michelle F. dite Michelle S., auteure, et ayant droit d'Edith D. dite Claude D.,

- Mme Isabelle F.-W., ayant droit de Pierre F.,

- Mme Yvette C., ayant droit de Bernard D.,

- M. Philippe C., ayant droit de Georges C..

Par ordonnance du 7 juin 2016, le conseiller de la mise en état a rejeté l'incident formé par la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD tendant à la caducité de la déclaration d'appel et condamné cette société aux dépens.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 4 novembre 2019, M. M., la société PRODUCTIONS ALLELUIA, Mmes Michelle F. dite Michelle S., Isabelle F.-W., Yvette C., MM. Guy T., Jean R., Henri G., et Philippe C. demandent à la cour :

- de déclarer recevables et bien fondées les interventions volontaires de MM. et Mmes Guy T., Jean R., Henri G., Michelle F. dite Michelle S., Isabelle F.-W., Yvette C. et Philippe C.,

- de confirmer le jugement, sauf en ce qu'il a :

- déclaré M. M. irrecevable sur le fondement du droit moral attaché à 26 oeuvres de Jean F.,

- décidé, pour les autres oeuvres de Jean F. objet du débat, que leur utilisation par la LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD relevait de l'exception de courte citation,

- jugé que l'utilisation du titre 'Je ne chante pas pour passer le temps' ne portait pas atteinte au droit moral dont M. M. est titulaire

- rejeté les mesures d'interdiction et de publication sollicitées,

- statuant à nouveau :

- de déclarer M. M. parfaitement recevable à agir sur le fondement du droit moral attaché aux oeuvres de Jean F. listées aux termes des présentes,

- de dire qu'en reproduisant sans autorisation de M. M. et de la société PRODUCTIONS ALLELUIA, dans l'ouvrage intitulé 'Jean F. - 'Je ne chante pas pour passer le temps''' de M. Daniel P. des extraits de 130 chansons listées aux termes des présentes, la LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD a commis des actes de contrefaçon par violation du droit moral d'auteur de Jean F. et des droits patrimoniaux dont la société PRODUCTIONS ALLELUIA est cessionnaire,

- de condamner la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD à payer, en réparation des préjudices découlant de la reproduction des extraits des oeuvres de Jean F. :

- à M. M., au titre du droit moral de Jean F., la somme de 25 000 €,

- à la société PRODUCTIONS ALLELUIA, au titre des droits patrimoniaux dont elle est titulaire sur les oeuvres listées aux termes des présentes, celle de 15 000 €,

- d'ordonner la publication par extrait du dispositif du jugement et de l'arrêt dans cinq revues ou journaux au choix de M. M. et de la société PRODUCTIONS ALLELUIA et aux frais de la LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD à raison de 5 000 € HT par insertion,

- de faire interdiction à la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD de poursuivre la commercialisation de l'ouvrage 'Jean F. - 'Je ne chante pas pour passer le temps'' de M. Daniel P., tant que seront maintenus les extraits d'oeuvres listées aux termes des présentes, et ce sous astreinte de 1 000 € par infraction constatée à compter de l'arrêt à intervenir,

- de condamner la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD aux entiers dépens de l'instance et d'appel, qui pourront être recouvrés par la SELARL RECAMIER, avocats, et au paiement à M. M. et à la société PRODUCTIONS ALLELUIA de la somme de 8 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4 transmises le 4 juin 2019, la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD demande à la Cour de :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- jugé M. M. irrecevable à agir, au titre du droit moral, pour les œuvres dont Jean F. est le compositeur et dont Michelle S., Claude D., Georges C., Henri G. et Guy T. sont les auteurs,

- jugé M. M. irrecevable à agir, au titre du droit moral, pour les œuvres dont Jean F. est le compositeur et Louis A. l'auteur,

- rejeté l'intégralité des demandes formulées par M. M. et la société PRODUCTIONS ALLELUIA, fondées sur de prétendues contrefaçons constituées par la reproduction d'extraits de chansons de Jean F. au sein de l'ouvrage M. P. publié par la LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD,

-rejeté les demandes d'interdiction formulées par M. M. et la société PRODUCTIONS ALLELUIA,

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit qu'en reproduisant sur la couverture de la biographie de Jean F. le titre de l'une de ses chansons ('Je ne chante pas pour passer le temps') sans son autorisation, la LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD a commis une atteinte aux droits patrimoniaux des PRODUCTIONS ALLELUIA,

- condamné la LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD aux dépens et à payer aux PRODUCTIONS ALLELUIA la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuant à nouveau :

- de débouter M. M. et la société PRODUCTIONS ALLELUIA de toutes leurs demandes, comme étant irrecevables et, en tout état de cause, mal fondées,

- d'ordonner la restitution à la LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD des sommes versées par elle à M. M. et aux PRODUCTIONS ALLELUIA par application du jugement entrepris, à savoir la somme de 10 000 euros,

- de les condamner aux dépens dont distraction au profit de Maître Anne V. sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile,

- de condamner M. M. et les PRODUCTIONS ALLELUIA à payer à la LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est du 19 novembre 2019.

MOTIFS,

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les interventions volontaires

Il convient, au vu de l'article 330 du code de procédure civile, de recevoir les interventions volontaires de MM. et Mmes Guy T., Jean R., Henri G., Michelle F. dite Michelle S., Isabelle F.-W., Yvette C. et Philippe C..

Sur les chefs du jugement non contestés

La cour constate que le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a :

- dit M. M. irrecevable à agir sur le fondement du droit moral pour les trois oeuvres suivantes dont Jean F. n'a ni écrit les paroles ni composé la musique : 'Oscar et Irma', 'Vivre en flèche' et 'Sa montagne' (cf. page 17 des conclusions des appelants),

- rejeté la fin de non-recevoir de la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD à l'encontre de la société PRODUCTIONS ALLELUIA.

Le jugement sera par conséquent confirmé sur ces points pour les justes motifs qu'il comporte.

Sur la recevabilité à agir de M. M. au titre du droit moral d'auteur de Jean F.

La société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD soulève l'irrecevabilité des demandes de M. M. en ce qu'elles portent sur 68 chansons dont les paroles, seules citées dans l'ouvrage, ne sont pas l'oeuvre de Jean F., M. M. ne justifiant pas être titulaire du droit moral sur les textes de ces oeuvres composites.

Les appelants soutiennent que M. M. est recevable à agir au titre du droit moral d'auteur de Jean F. pour 127 chansons (ne contestant pas le jugement en ce qu'il a dit M. M. irrecevable pour les 3 chansons précitées : 'Oscar et Irma', 'Vivre et flèche' et 'Sa montagne').

L'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle dispose :

'Est dite de collaboration l'oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.

Est dite composite l'oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière (...)'.

L'article L 113-3 du même code prévoit : L'oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs. Les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord (...). L'article L. 113-4 précise : L'oeuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'oeuvre préexistante.

L'oeuvre de collaboration suppose la réunion de trois éléments à savoir des participants personnes physiques, dont la contribution leur donne la qualité d'auteurs, et dont la participation est concertée c'est-à-dire relevant d'une communauté d'inspiration et d'un mutuel contrôle.

Il est constant que les chansons, selon les conditions de leur création, peuvent constituer soit des oeuvres de collaboration, lorsque le texte des paroles et la musique ont été conçus l'un par rapport à l'autre dans une communauté d'inspiration, soit des oeuvres composites.

Les appelants arguent qu'une chanson est un tout, une oeuvre entière et distincte des éléments qui la composent, et que tous les textes cités dans la biographique'Jean F. 'Je ne chante pas pour passer le temps'' le sont en tant que textes de chansons de Jean F.. Ils en déduisent que quand bien même certaines chansons revendiquées seraient des oeuvres composites, la chanson de Jean F. incorporant un texte préexistant, M. M. serait néanmoins recevable à exercer le droit moral d'auteur de Jean F. au titre de la reproduction du texte préexistant.

Mais dès lors que les reprises litigieuses contenues dans l'ouvrage de Daniel P. sont exclusivement textuelles, M. M. est irrecevable, en application de l'article L.113-4 précité, à se prévaloir de droits sur la reproduction de textes ou de poèmes préexistants dans la rédaction desquels Jean F. ne serait aucunement intervenu et qui sont eux-mêmes protégés par le droit d'auteur, peu important que ces textes ou poèmes aient été ensuite incorporés dans des chansons composées par Jean F..

Afin d'apprécier la recevabilité de M. M. à agir au titre du droit moral d'auteur de Jean F., il convient de distinguer comme suit les chansons revendiquées.

' 59 chansons dont Jean F. est à la fois le compositeur et l'unique parolier : Ma vie mais qu'est-ce que c'est, Fredo la nature, L'homme sandwich, La Boldochévique, Mon Palais, Nul ne guérit de son enfance, Eh l'amour, Nuit et brouillard, Les enfants terribles, La montagne, Le jour où je deviendrai gros, Je ne chante pas pour passer le temps, La voie lactée, Le sabre et le goupillon, C'est toujours la première fois, On ne voit pas le temps passer, En groupe, en ligue, en procession, Pauvre Boris, La liberté est en voyage, Mourir au soleil, Ce qu'on est bien mon amour, A Santiago, Les guérilleros, Pauvres petits c..., Indien, Tu es venu, Au printemps de quoi rêvais-tu, Ma France, L'idole à papa, Camarade, Dix-sept ans, Intox, Les demoiselles de magasin, Sacré Félicien, Mis à part, Les touristes partis, Je vous aime, Si j'étais peintre ou maçon, Une femme honnête, Hou hou ! Méfions-nous !, Un air de liberté, Un jeune, Le fantôme, Le bilan, L'amour est cerise, Mon pays était beau, Chanter, J'aurais tellement voulu, L'embellie, J'ai froid, Dans la jungle ou dans le zoo, Dingue, A la une, Bicentenaire, Les tournesols, Parle-moi de nous, Chante l'amour, Les jeunes imbéciles et Mon amour sauvage.

La recevabilité à agir de M. M. au titre du droit moral d'auteur de Jean F. n'est pas contestée pour ces chansons.

' 68 chansons composées par Jean F. à partir de textes ou de poèmes écrits par des tiers :

- le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré M. M. irrecevable à agir pour la défense du droit moral de Jean F. pour la chanson 'Si je mourrais là-bas' produite en 1966 à partir d'un poème de Guillaume A., décédé le 9 novembre 1918, et répertorié sous ce titre dans le recueil 'Poèmes à Lou', aucune collaboration entre le poète et Jean F. n'ayant été possible, ce qui n'est pas contesté.

- les chansons mettant en musique des poèmes de Louis A. :

. 10 chansons dont les musiques ont été composées en 1994 après la mort d'A., survenue le 24 décembre 1982 : 'Pablo mon ami', 'Epilogue','Qui vivra verra', 'Carco', 'Devine', 'Les oiseaux déguisés', 'Elle seule', 'Lorsque s'en vient le soir', 'Chambres d'un moment','Odeur des myrtils'

Les appelants soutiennent que ces chansons sont des oeuvres de collaboration dès lors qu'elles 'ont été créées en collaboration avec Jean R.', héritier et exécuteur testamentaire de Louis A., qui a signé les contrats de cession et d'édition afférents et qui était 'légitime à modifier les textes de Louis A. avec Jean F.'. Cependant, la qualité d'héritier et d'exécuteur testamentaire de M. R. ne peut faire de ce dernier le coauteur d'une oeuvre de collaboration qui requiert, comme il a été dit, une contribution et une participation concertée,

relevant d'une communauté d'inspiration et d'un mutuel contrôle, étant observé qu'aucune indication n'est fournie sur la contribution qui aurait été celle de M. R.. S'agissant d'oeuvres dont la musique a été composée après la mort de l'auteur du texte, il n'a pu y avoir de participation concertée entre le poète et le compositeur, de sorte que, comme l'a justement apprécié le tribunal, il ne s'agit pas d'oeuvres de collaboration mais d'oeuvres composites, M. M. n'ayant pas qualité à exercer le droit moral d'auteur sur les oeuvres préexistantes incorporées.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré M. M. irrecevable à agir pour la défense du droit moral de Jean F. pour les 10 chansons précitées.

. la chanson 'J'entends, j'entends' dont la musique a été composée en 1961, année de la rencontre entre Jean F. et Louis A.

Les appelants soutiennent que cette chanson est une oeuvre de collaboration, la chanson, sortie sur disque en juin 1961, datant précisément de la rencontre entre les deux artistes le 1er février 1961 et Louis A. ayant donné son accord à Jean F. sur le projet de chanson envisagé et demandé à étudier les modifications apportées à son texte, de sorte que Jean F. est non seulement le compositeur de la chanson mais également le co-parolier.

Cependant la lettre de Louis A. à Jean F. qui est versée aux débats par les appelants, en date du 1er février 1961, dans laquelle A. écrit : '(...) Pour ce qui est des coupures, voulez vous simplement m'envoyer une copie du poème avec les coupures indiquées. C'est à peu près certain que je vous dirai que cela va, n'étant pas, dans ce domaine, extrêmement tatillon.', sans que l'on puisse savoir à quel poème il se réfère, ne permet pas de conclure que Jean F. a contribué ou participé de façon concertée avec A., dans une communauté d'inspiration et un contrôle mutuel, à l'écriture des paroles de la chanson, alors qu'au contraire, Jean F., évoquant leur première rencontre, a déclaré lors d'une interview par Michel D. :' (...) en 1961, j'ai écrit une autre musique, sur un autre texte, qui s'appelait 'J'entends, j'entends'. Et je lui ai fait entendre. A ce moment là, j'ai fait sa connaissance' et que dans un entretien avec Jean R., relaté dans une publication 'A. et la chanson', il a précisé : 'Bien plus tard, en 1961, quand j'ai enregistré mon premier trente centimètres dans lequel il y avait 'J'entends j'entends'. Il avait exprimé le souhait de faire ma connaissance. Je suis allé [...]. Il m'a parlé de la chanson, du poème 'J'entends j'entends' dont il approuvait le choix des vers à chanter. Il m'a fait des compliments sur la musique', ce qui tend à établir que la création de la chanson 'J'entends, j'entends' était déjà achevée quand la rencontre a eu lieu. La chanson ne peut donc recevoir la qualification d'oeuvre de collaboration.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré M. M. irrecevable à agir pour la défense du droit moral de Jean F. pour cette chanson.

. 11 autres chansons produites entre 1963 et 1979, du vivant de Louis A. : 'Que serais-je sans toi', 'Au bout de mon âge', 'Les poètes', 'Nous dormirons ensemble', 'C'est si peu dire que je t'aime', 'Heureux celui qui meurt d'aimer', 'Un jour, un jour', 'Robert le Diable', 'Le malheur d'aimer', 'Dans le silence de la ville', 'Le tiers chant'

Les appelants soutiennent que ces chansons sont des oeuvres de collaboration dont Jean F. a non seulement écrit la musique mais également co-écrit les paroles. Ils font valoir qu'il était en effet nécessaire d'adapter les poèmes préexistants de Louis A. à la vision artistique de Jean F., à sa musique et au format de chansons de variété, que des échanges avaient lieu entre les deux hommes sur les modifications à apporter aux textes, que les poèmes étaient systématiquement modifiés et adaptés par le jeu de l'inspiration et du talent du compositeur, puis que les chansons étaient soumises à A., de sorte que toutes ces chansons sont le fruit d'une inspiration commune et d'une collaboration et concertation étroites entre les deux auteurs. Ils observent que dans une affaire distincte, la cour d'appel de Paris, approuvée par la Cour de cassation, a retenu que Jean F. avait co-écrit avec A. les paroles de 'Que serais-je sans toi', 'Au bout de mon âge' et 'Les poètes' et reconnu la qualification d'oeuvres de collaboration pour ces chansons. Ils ajoutent que dès lors que les oeuvres musicales ont été écrites en collaboration, elles sont indivisibles de sorte que leurs paroles ne peuvent être exploitées sans l'autorisation du compositeur (et inversement).

La société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD soutient qu'aucun élément n'est produit venant accréditer l'existence d'une étroite collaboration entre Jean F. et Louis A. pour l'écriture des textes des chansons. Elle fait valoir que Jean F. lui-même a révélé que Louis A. et lui n'avaient que des relations espacées, qu'il a parfois gardé les poèmes sans le moindre changement ou procédé à des changements sans en discuter avec le poète et que s'il est constant qu'il a modifié la structure des poèmes 'Heureux celui qui meurt d'aimer' et 'Le malheur d'aimer', il n'est pas démontré que ces modifications résultent d'un travail concerté avec le poète. Elle en conclut que, comme le tribunal en a décidé, les chansons précitées sont des oeuvres composites pour lesquelles M. M. est irrecevable à se prévaloir de droits sur la reproduction des textes de Louis A., peu important que ces textes aient ensuite été incorporés au sein de chansons composées par Jean F..

Les appelants font état de propos tenus par Jean R., l'exécuteur testamentaire de Louis A., déclarant que 'Jean F. avait des conversations techniques avec A. sur la manière de mettre en musique ses poèmes, quel titre donner, quels verbes enlever. Il y avait une certaine complicité entre eux'.

Ces propos généraux sur les relations entre Jean F. et Louis A. à propos de la mise en musique par le premier des poèmes du second sont corroborés par :

- le courrier précité du 1er février 1961 dans lequel, comme il a été vu, Louis A. invitait Jean F. à lui indiquer les coupures apportées à un de ses poèmes, ce qui montre qu'il exerçait un certain contrôle sur les modifications apportées, même s'il se disait 'pas (...) extrêmement tatillon',

- une lettre non datée adressée à Jean F. concernant le poème 'Vers à danser' repris pour la chanson 'Nous dormirons ensemble', et aussi des poèmes 'Lilas' et 'Derrière les murs', dans laquelle Louis A. indiquait : 'Cher Jean F., Aux 'Lilas' et aux 'Vers à danser', je joins le troisième poème sans titre, me souvenant que vous y aviez réagi. A vrai dire, je pense que pour Z., le mieux serait les deux premiers, avec cette précaution que soit chanté d'abord 'Les lilas', et en second et plus tard (je veux dire pas à la suite) 'Vers à danser'. Pour celui-ci, c'est à la musique de faire qu'on ne se tape pas les cuisses. Pour 'Derrière les murs', ai-je besoin de vous faire remarquer que le fredonnement de guitare est basé sur les diverses manières de diviser les huit syllabes

1.2.3.4.5- 1.2.3

et à l'envers 1.2.3- 1.2.3.4.5

et la 2ème fois 1.2.3.4.- 1.2.3.4.

1.2.- 1.2.- 1.2.- 1.2.

Liberté vous est laissée, là comme ailleurs, de tenir ou non compte de cela, de changer, etc.

Il me semble que ce dernier morceau est un peu trop ténu pour Z., mais si bon lui semble'

Mes amitiés à tous deux.',

- l'entretien précité avec Jean R., publié dans 'A. et la chanson', dans lequel Jean F. indiquait à propos de la chanson 'Un jour, un jour' : 'J'ai fait pour 'Un jour un jour' un refrain. (') Je l'ai choisi à partir de quatre vers du poème pour créer une opposition, une tension qui rendent les choses plus évidentes. (') Il n'y a pas de règles préétablies. J'ai souvent utilisé un ou deux vers, voire quatre vers pour faire un refrain. (') Dans certains cas, il m'a semblé que le sujet même du poème était plus fortement accusé en répétant quelques vers qui le symbolisaient vraiment'. Dans le même entretien, Jean F. déclarait également : 'A cette époque [dans les années 60], je sortais un disque tous les ans et dans chaque livraison je chantais un ou deux poèmes d'A.. J'allais donc lui faire écouter ce que je faisais pour avoir son accord',

- le même entretien, dans lequel Jean F., évoquant certaines des modifications apportées au poème 'Que serais-je sans toi '', indiquait : 'J'ai pris le vers pour un refrain. Je me suis même permis dans ce quatrain d'intervertir les deux derniers vers parce qu'il était plus fort, pour la chanson, de terminer ainsi. Je ne sais pas si j'ai eu raison'',

- des brouillons de travail de Jean F. montrant les modifications apportées par lui aux textes d'A. pour les chansons 'Heureux celui qui meurt d'aimer' et 'Le malheur d'aimer', issues respectivement des poèmes intitulés 'Le vrai Zadjal d'en mourir' et 'Chanson pour fougère',

- l'attestation de M. M. qui indique : 'Jean F., chaque fois qu'il projetait de travailler sur un texte avec un auteur, prenait contact avec lui et collaborait par téléphone ou par écrit jusqu'à satisfaction totale. Généralement, les auteurs pressentis avaient en commun avec Jean F. des affinités personnelles au plan politique et social. Ceci facilitait considérablement leurs échanges de vue. Jean F., en accord avec l'auteur (par exemple Louis A.) modifiait parfois et substantiellement soit la disposition, soit l'ordre des vers, soit il ajoutait, soit il retranchait car tout texte littéraire n'est pas toujours utilisable en paroles chantées de chanson. Mais dans tout les cas, il existait un échange de vue et jamais Jean F. n'aurait utilisé son texte modifié ou pas sans l'accord de l'auteur. Les discussions étaient néanmoins réelles (...)' ; si, comme le relève la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD, M. M. s'est ainsi constitué une preuve à lui même, un certain crédit doit néanmoins être accordé à cette attestation quant aux conditions de création des chansons de Jean F., dès lors, d'une part, que dans l'ouvrage litigieux qu'elle édite, l'intimée présente M. M. comme l''ami et complice professionnel de toujours' de Jean F. et que le témoignage de M. M. est corroboré par d'autres pièces.

Il ressort de tous ces éléments concordants que les textes des poèmes d'A. n'étaient habituellement pas repris tels quels par Jean F. qui les adaptait, avec sa sensibilité et son talent, aux exigences d'une mise en musique avant de soumettre les nouveaux textes à Louis A., et que ce dernier, s'il se montrait accommodant, émettait des propositions ou des souhaits, y compris sur la musique, et exerçait un contrôle, la collaboration des deux artistes étant empreinte à la fois de confiance et d'une certaine complicité.

Est ainsi suffisamment rapportée la preuve, alors que M. Jean R., héritier et exécuteur testamentaire de Louis A. est désormais dans la cause et intervient au soutien des prétentions des M. M. et de la société PRODUCTIONS ALLELUIA, d'une coopération concertée, dans le cadre d'une communauté d'inspiration et d'un mutuel contrôle, entre Jean F. et Louis A. lors de l'écriture des textes des 11 chansons précitées qui constituent des oeuvres de collaboration.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a déclaré M. M. irrecevable à agir pour la défense du droit moral de Jean F. pour ces onze chansons et M. M. sera déclaré recevable en son action au titre du droit moral de Jean F. quant à ces chansons.

- 40 chansons mettant en musique des textes de Michelle S. ('Le p'tit jardin', 'Les nomades', 'Mes amours', 'Quatre cents enfants noirs', 'Les belles étrangères', 'Chanson pour toi', 'A moi l'Afrique', 'A l'ombre bleue du figuier'), de Michelle S. et Claude D. ('Les noctambules', 'L'homme à l'oreille coupée', 'C'est beau la vie'), de Claude D. ('Le polonais', 'Raconte-moi la mer', 'Restera-t-il un chant d'oiseau'), de Georges C. ('La fête aux copains','La jeunesse', 'Potemkine','La Commune'), de Henri G. ('Au point du jour', 'Cuba si', 'Prisunic', 'La matinée', 'Un jour futur', 'La petite fleur qui tombe', 'Rien à voir', 'L'adresse du bonheur', 'J'imagine', 'P. Colombe', 'Paris an 2000", 'Mon chant est un ruisseau') et de Guy T. ('La leçon buissonnière', 'Le petit trou pas cher', 'Caserne', 'Le bruit des bottes', 'Berceuse pour un petit loupiot', 'La porte à droite', 'Les cerisiers', 'Le châtaignier', 'Petit', 'Le c'ur fragile')

Les appelants soutiennent que ces chansons sont des oeuvres de collaboration, soit que leur musique ait été composée par Jean F. en même temps que les paroliers concevaient les textes et après des échanges avec ces derniers, soit que la musique ait été composée à partir de textes préexistants, mais là encore dans un cadre d'échanges et de concertation s'étendant sur tout le temps de la réalisation de la chanson et même de son enregistrement, Jean F. s'inspirant alors du texte pour composer la musique et demandant fréquemment à procéder à des modifications du texte pour l'adapter à la musique (ou inversement procédant à des modifications de sa musique pour l'adapter au texte).

L'intimée conteste que ces chansons soient des oeuvres de collaboration, soutenant qu'aucune concertation entre Jean F. et les auteurs n'est démontrée.

Dans son attestation précitée, M. M. déclare : 'Les discussions étaient néanmoins réelles, il en a été ainsi de leur vivant avec Georges C. : 'Potemkine', la fête aux copains'' Guy T. : 'le châtaigner, le cerisier'' S./D. : 'C'est beau la vie, deux enfants au soleil'' avec Louis A. et bien sûr, avec Jean R. (Légataire Universel d'A.) pour le volume 2 'Jean F. chante A.' réalisé après la mort du poète'.

A propos des textes de Michelle S. et Claude D., les appelants citent l'ouvrage 'Jean F., une vie' de Jean-Dominique B. qui écrit : 'Gérard M. avait alors pensé à 'Deux enfants au soleil', chanson que Jean venait de composer sur un texte de Claude D., jeune parolière qui avait notamment travaillé pour Edith P.. (') Le succès de 'Deux enfants au soleil' marquera également le début d'une collaboration suivie avec Claude D., qui forme avec Michelle S. un tandem de parolières apprécié dans le métier'. Les appelants citent encore l'ouvrage 'Jean F. - Le charme rebelle' de Raoul B. dans lequel ce dernier écrit à propos de l'œuvre 'Les noctambules' : 'Sur un rythme de twist, le texte se veut ironique (')', puis Michèle S. explique : 'C'est un twist car Jean, à ce moment-là, avait pensé faire un twist' ; puis, à propos de l'œuvre 'Les nomades', Michèle S. indique : 'J'ai essayé de faire une chanson qui ne soit pas conventionnelle car il y en a tellement eu sur les gens qui ne se fixent pas quelque part' F. en a fait une très belle musique et j'aime beaucoup aussi l'orchestration d'Alain Goraguer, tellement simple qu'elle en a étonné certains' ; enfin, à propos de l'œuvre 'C'est beau la vie', Michelle S. explique : 'Nous écrivons la chanson toutes les deux, en une matinée, pas plus. Isabelle enregistrait à ce moment-là un disque au studio Philips, [...]. J'étais occupée ailleurs et c'est Claude qui est allée lui montrer le texte. F., à qui Gérard l'a remis, en a composé la musique le 7 novembre 1963, précisément. Je m'en souviens forcément, c'était le jour du décès de mon père. (') La musique de Jean F. et les arrangements d'Alain Goraguer (') font de 'C'est beau la vie' un grand show millésimé '60' '. Ces seuls éléments, nonobstant l'attestation de M. M. qui ne vaut que confortée par d'autres pièces, ne permettent pas de retenir que les textes écrits par Michelle S. et Claude D., ensemble ou séparément, résultent d'un travail créatif concerté avec Jean F. et sont le fruit d'une communauté d'inspiration, d'autant que l'intimée souligne que dans le livre de Jean-Dominique B., Michelle S. explique : 'Quand nous lui apportions des textes, il ne réagissait pas beaucoup. Il disait : 'Je vais voir'. Il n'a jamais été très rapide. Certaines musiques ont été faites très vite, d'autres pas'. Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'irrecevabilité pour les 14 chansons écrites par Mmes S. et/ou D..

A propos des textes de Georges C., les appelants se prévalent d'un passage de l'ouvrage de Jean-Dominique B. dans lequel il est relaté qu'un jour Jean F. a demandé au parolier de lui écrire une chanson : 'Un jour, raconte le parolier, il m'a dit : 'Tout le monde me propose des textes et toi, mon ami, tu ne me proposes rien'. La raison est que je ne voulais pas qu'il ait l'impression que je profitais de son ascension pour placer des textes. Comme il a insisté, je lui ai écrit 'La fête aux copains'. Comme un geste d'amitié'. Si cette chanson apparaît donc bien comme une commande de Jean F., il n'est pas pour autant démontré que celui-ci a collaboré à l'écriture du texte de la chanson. Nonobstant l'attestation de M. M., ne démontrent pas davantage une telle collaboration entre Georges C. et Jean F., les extraits du livre de Raoul B. dans lesquels il est indiqué que 'La jeunesse' est 'leur deuxième chanson ensemble' ou que 'La commune' est 'une chanson qui est presque une commande' ou encore, à propos de la chanson 'Potemkine' : 'Intéressé par le texte, F. mettra plusieurs mois pour trouver une musique qui traduise le climat de ce qui s'apparente à une fresque. Il se souvient parfaitement du 'déclic' : 'Il y a eu un très gros orage dans la vallée, et les notes sont arrivées d'un seul tenant dans la foulée''. Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'irrecevabilité pour les 4 chansons écrites par M. Georges C..

S'agissant d'Henri G., les appelants invoquent un extrait du livre de Jean-Dominique B. dans lequel le premier déclare : 'C'est à cette époque que j'ai rencontré Jean et que notre collaboration a commencé. Après, j'ai écrit directement pour lui. En période de préparation de disque, je lui montrais les textes que j'avais faits dans les mois qui précédaient', Jean-Dominique B. concluant : 'L'arrivée d'Henri G. dans le cercle restreint des collaborateurs réguliers de F. se révélera si convaincante que, jusqu'en 1972, le parolier sera omniprésent dans la plupart des albums du chanteur'. Les appelants citent encore le livre de Raoul B. dans lequel Jean F. explique : 'Quand j'ai fait La Matinée avec G. (...) je n'avais jamais chanté en duo', et l'ouvrage litigieux, dans lequel Daniel P. indique à propos de l'oeuvre 'Prisunic' : 'La troisième chanson écrite avec Henri G. est de l'avis même de F. assez 'spéciale'. (') elle fustige - comme souvent chez G. - la société marchande aux valeurs artificielles et aliénantes (')' et à propos de 'La Matinée' : 'Il quitte donc Antraigues pour Paris et se rend chez Henri G. avec qui il travaille de plus en plus. 'C'est une chanson qui a failli n'être jamais chantée, raconte ce dernier. J'ai montré plusieurs textes à F. et celui de La Matinée était resté sur la table. Je lui ai dit :'Ca, c'est un duo, c'est pas pour toi !' Il m'a répondu :'Montre toujours !...' Heureusement ! Il l'a pris, et quand il a fait la musique, il était hors de question pour moi qu'il le chante avec quelqu'un d'autre que Christine'. Ces éléments ne peuvent suffire à démontrer que les textes des chansons sont le résultat d'une collaboration créatrice entre le parolier et Jean F., fruit d'une commune inspiration. Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'irrecevabilité pour les 12 chansons écrites par Henri G..

M. Guy T. atteste 'avoir collaboré depuis 1972 avec Jean F. ...' et explique : 'On me demande souvent comment se passait notre collaboration. Eh bien d'une manière très simple : soit lors de nos entrevues, mais la plupart du temps par téléphone. Je lui envoyais mes poèmes, souvent sous la forme de petites plaquettes et lui me disait les textes qu'il avait repérés, parce qu'ils correspondaient à sa sensibilité. Il trouvait alors sa musique et il m'envoyait le plus souvent son projet sur une petite cassette qu'il avait enregistrée dans son bureau. Et puis commençaient de longues discussions au téléphone. Je dois dire que j'étais sous le charme. De très nombreux textes, déclarés d'abord comme poèmes, me revenaient absolument inchangés. Ce fut le cas de (...)'Berceuse pour un petit loupiot' (...) 'Petit' (...) 'Caserne' (...). En ce qui concerne les textes, il me faisait des remarques et me demandait parfois de modifier tel ou tel passage. Souvent ça provenait de la longueur des textes : 'Le Châtaignier', 'Les cerisiers', 'Le bruit des bottes' (...) 'Le coeur fragile' par exemple. Parfois je devais adapter le texte à une interprète féminine 'Les cerisiers' par exemple. Parfois il me demandait de modifier une ou deux lignes, en me donnant une idée, mais sans jamais m'imposer quelque chose (...)'. Les appelants citent par ailleurs l'ouvrage 'Jean F. - Le charme rebelle' de Raoul B. dans lequel l'auteur écrit : ' 'La porte à droite' est le seul texte de l'album à être une commande. Le disque de F. était quasiment terminé, raconte Guy T., lorsque Gérard M. et Jean, trouvant qu'il manquait une chanson politique, m'ont demandé un texte sur le thème des déçus du socialisme. J'ai pondu un texte qui n'est pas exactement celui de la chanson et, avec Jean, on a passé des heures au téléphone à le modifier'. En outre, dans l'ouvrage litigieux de M. P., ce dernier écrit : 'Au beau milieu de l'album, La porte à droite en constitue le titre choc, rentre-dedans, que F. et T. ont - de l'aveu du premier - 'beaucoup travaillé ensemble' '. Il s'en déduit que les chansons écrites à partir de paroles de Guy T. résultent d'un travail créatif concerté et sont le fruit d'une communauté d'inspiration, peu important le caractère éventuellement successif des participations de chacun, et peuvent donc recevoir la qualification d'oeuvres de collaboration, à l'exception toutefois de 'Caserne', 'Berceuse pour un petit loupiot' et 'Petit' puisque selon M. T. lui-même, ses textes lui sont revenus 'absolument inchangés'. Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'irrecevabilité pour ces trois chansons.

- 5 chansons mettant en musique des textes de Pierre F. ('L'éloge du célibat'), Henri B. ('Autant d'amour, autant de fleurs'), Bernard D. ('La cervelle'), Philippe P. ('Et pour l'exemple') et Jean-Claude M. ('Maria')

C'est à juste raison que le tribunal a déclaré M. M. irrecevable en son action au titre du droit moral d'auteur de Jean F. pour ces 5 chansons, en l'absence de tout élément apporté sur les conditions de leur création et les relations de Jean F. avec chacun des auteurs, aucun nouvel élément n'étant produit devant la cour. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les actes de contrefaçon

Sur les actes de contrefaçon portant sur les extraits de textes de chansons

M. M. et la société PRODUCTIONS ALLELUIA, au visa de l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, font valoir que la reproduction et l'impression d'extraits des textes de 130 chansons constituent des atteintes à leurs droits sur les oeuvres en cause. Ils soutiennent que l'exception de courte citation invoquée par la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD ne peut trouver application alors que les conditions posées par l'article L. 122-5, 3° du code de la propriété intellectuelle ne sont pas réunies : d'une part, l'intimée n'a pas mentionné, pour l'ensemble des oeuvres citées, le nom de l'auteur et la source, d'autre part, les citations ne sont pas justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées, enfin, les citations invoquées ne sont pas courtes, M. P. ayant reproduit 3 à 8 vers de 130 chansons, soit un total de 537 vers et 132 extraits.

La société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD se prévaut de l'exception de courte citation. Elle fait valoir que le nom de l'auteur et la source ont été clairement indiqués pour chaque citation, ce qui n'était pas contesté en première instance, et que l'ouvrage litigieux est une biographie richement documentée, doublée d'une présentation et d'une analyse systématique des chansons interprétées par Jean F., Daniel P. étant un éminent spécialiste de la chanson française, longtemps titulaire de la rubrique 'Chansons' à L'Humanité, ayant interviewé Jean F. à de très nombreuses reprises, cette biographie, devenue une référence, ayant été unanimement saluée par la critique et chaleureusement accueillie par la famille et les amis de Jean F.. Elle ajoute que la brièveté des emprunts n'est pas contestable, ces emprunts étant de l'ordre de 3 à 5 vers sur des chansons évidemment bien plus longues et que le nombre de vers cités (537) représente une infime partie de l'ouvrage de M. P. (à peine plus de 16 pages d'un ouvrage qui en contient 569, soit 2,8 % de l'ouvrage).

Aux termes de l'article L.122-4 code de la propriété intellectuelle,'Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque'.

L'article L. 122-5 code de la propriété intellectuelle prévoit : 'Lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : (')

3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source :

a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées (')'.

Sur l'indication du nom de l'auteur et de la source

La société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD justifie (pages 28 à 39 de ses écritures) que pour chacun des extraits cités dans la biographie litigieuse est mentionné, dans le corps du texte, le nom du ou des auteurs des chansons, ainsi qu'à la fin de l'ouvrage, dans une partie intitulée 'Discographie originale' (pages 549 à 555), le disque dans lequel la chanson a été divulguée et sa date de parution. S'il est exact que le titre de la chanson 'L'homme sandwich' n'est pas précisé pour l'extrait de cette chanson figurant page 81, l'extrait cité lui-même contient ce titre ('L'homme-sandwich a de la peine / Il voudrait bien aller flâner / Avec les gens qui se promènent / Sous le soleil des beaux quartiers') et il est précisé que Jean F. est l'auteur de la chanson ('Résolument jazzy, rythmé, troquant l'accordéon pour le piano et la guitare et des cuivres, le dernier morceau que Jean signe seul fleure bon son Trenet-Montand (...)') ; en outre, dans la partie 'Discographie originale', il est indiqué que la chanson a été éditée en 1958 chez Vogue.

Sur la finalité des emprunts

C'est à juste raison que le tribunal, pour des motifs adoptés, après avoir constaté notamment que la biographie de M. P., spécialiste de la chanson française, journaliste à L'Humanité, ayant interviewé Jean F. à plusieurs occasions, était richement documentée, s'attachant à mettre en perspective les textes des chansons au travers les étapes de la vie de Jean F., et avait été saluée aussi bien par les professionnels que par la famille de l'artiste, en a déduit que les extraits de chansons reproduits ne s'inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire, mais étaient justifiés par le caractère pédagogique et d'information de l'ouvrage.

Il sera ajouté que la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD procède dans ses écritures (pages 48 à 63), pour chacun des extraits cités, à un exposé du contexte dans lequel s'inscrit cette citation, démontrant ainsi que chacune des citations est nécessaire à l'analyse critique de la chanson à laquelle se livre M. P., permettant au lecteur de comprendre le sens de l'oeuvre évoquée et l'engagement de l'artiste.

Sur la brièveté des emprunts

Les extraits litigieux sont les suivants : Mon Palais - 3 vers (sur 44), page 16 du livre ; Si j'étais peintre ou maçon - 5 vers (sur 50), page 16 ; L'idole à Papa - 8 vers (sur 36), pages 35 et 265 ;

Nul ne guérit de son enfance - 6 vers (sur 45), pages 51 et 419 ; Fredo la nature - 3 vers (sur 30),

page 81 ; L'homme sandwich - 4 vers (sur 48), page 81; Ma vie mais qu'est-ce que c'est - 4 vers (sur 42), page 81; L'éloge du célibat - 8 vers (sur 64), page 94 ; J'entends j'entends - 4 vers (sur 48), page 103; Eh l'amour - 3 vers (sur 36), page 110 ; La cervelle - 4 vers (sur 36), page 111 ;

Les noctambules - 5 vers (sur 33), page 116 ; L'homme à l'oreille coupée - 4 vers (sur 36), page 117 ; Le p'tit jardin - 5 vers (sur 36), page 117 ; Les nomades - 4 vers (sur 39), page 118 ; Mes amours - 4 vers (sur 54), page 118 ; La fête aux copains - 5 vers (sur 58), page 119 ; Le polonais - 4 vers (sur 24), page 119 ; Quatre cents enfants noirs - 3 vers (sur 34), page 128 ; Nuit et brouillard - 3 vers (sur 36), page 131 ; C'est beau la vie - 4 vers (sur 36), page 135 ; Nous dormirons ensemble - 4 vers (sur 18), page 135 ; Les enfants terribles - 4 vers (sur 26), page 137 ; Camarade - 4 vers (sur 24), page 146 ; La Montagne - 3 vers (sur 48), page 152 ; Que serais-je sans toi - 4 vers (sur 34), page 153 ; Autant d'amour, autant de fleurs - 4 vers (sur 45), page 153 ; La jeunesse - 4 vers (sur 33), page 154 ; Au bout de mon âge - 4 vers (sur 52), page 154 ; Le jour où je deviendrai gros - 2 vers (sur 48), page 155 ; Potemkine - 4 vers (sur 30), page 169 ; C'est si peu dire que je t'aime - 3 vers (sur 29), page 175 ; Les belles étrangères - 7 vers (sur 38), page 176 ; Raconte-moi la mer - 4 vers (sur 44), page 177 ; Je ne chante pas pour passer le temps - 3 vers (sur 36), page 178 ; La voie lactée - 4 vers (sur 56), page 179 ; Le sabre et le goupillon - 5 vers (sur 40), page 179 ; C'est toujours la première fois - 5 vers (sur 35), page 180 ; On ne voit pas le temps passer - 4 vers (sur 36), page 180 ; Maria - 4 vers (sur 32), page 203 ; En groupe, en ligue, en procession - 6 vers (sur 48), page 204 ; Pauvre Boris - 4 vers (sur 38), page 205 ; La liberté est en voyage - 2 vers (sur 60), page 207 ; Chanson pour toi - 3 vers (sur 40), page 208 ;

Si je mourais là-bas - 5 vers (sur 21), page 208 ; Heureux celui qui meurt d'aimer - 4 vers (sur 40), page 209 ; Un jour un jour - 4 vers (sur 36), page 209 ; Cuba si - 4 vers (sur 36), page 227 ; Au point du jour - 5 vers (sur 30), page 227 ; Prisunic - 4 vers (sur 20), page 228 ; Mourir au soleil - 5 vers (sur 15), page 229 ; Ce qu'on est bien mon amour - 5 vers (sur 22), page 229 ; A Santiago - 4 vers (sur 25), page 230 ; Les guérilleros - 4 vers (sur 47), page 230 ; Pauvres petits c' - 3 vers (sur 60), page 233 ; Indien - 5 vers (sur 32), page 234 ; Tu es venu - 6 vers (sur 32), page 248 ; Oscar et Irma - 7 vers (sur 71), page 248 ; Robert le diable - 4 vers (sur 47), page 248 ; Ma France - 4 vers (sur 40), page 260 ; La matinée - 4 vers (sur 26), page 260 ; Au printemps de quoi rêvais-tu ' -5 vers (sur 31), page 261 ; Un jour futur - 4 vers (sur 24), page 262 ; La petite fleur qui tombe - 5 vers (sur 30), page 266 ; Rien à voir - 4 vers (sur 24), page 266 ; Les poètes - 4 vers (sur 40), page 267 ; 17 ans - 4 vers (sur 16), page 283 ; Intox - 6 vers (sur 48), page 283 ; Les demoiselles de magasin - 4 vers (sur 42), page 284 ; Sacré Félicien - 5 vers (sur 64), page 284 ; Vivre en flèche - 4 vers (sur 42), page 294 ; La commune - 4 vers (sur 40), page 300 ; Mis à part - 4 vers (sur 72), page 301 ; Les touristes partis - 5 vers (sur 52), page 303 ; L'adresse du bonheur - 5 vers (sur 26), page 303 ; J'imagine - 4 vers (sur 36), page 304 ; Et pour l'exemple - 5 vers (sur 29), page 305 ; Je vous aime - 3 vers (sur 33), page 306 ; Le malheur d'aimer - 5 vers (sur 25), page 309 ; La leçon buissonnière - 4 vers (sur 32), page 318 ; A moi l'Afrique - 4 vers (sur 42), page 319 ; A l'ombre bleue du figuier - 4 vers (sur 40), page 319 ; P. Colombe - 4 vers (sur 40), page 319 ; Une femme honnête - 5 vers (sur 36), page 320 ; Paris an 2000 - 4 vers (sur 39), page 320 ; Hou hou méfions-nous - 4 vers (sur 70), page 322 ; La boldochévique - 4 vers (sur 54), page 326 ; Le petit trou pas cher - 4 vers (sur 29), page 326 ; Caserne - 6 vers (sur 36), page 327 ; Un air de liberté - 5 vers (sur 34), page 343 ; Un jeune - 4 vers (sur 34), page 348 ; Le fantôme - 3 vers (sur 78), page 348 ; Le bruit des bottes - 4 vers (sur 73), page 349 ; Berceuse pour un petit loupiot - 4 vers (sur 50), page 350 ; Dans le silence de la ville - 4 vers (sur 16), page 352 ; Mon chant est un ruisseau - 4 vers (sur 25), page 352 ; Restera-t-il un chant d'oiseau - 4 vers (sur 30), page 357 ; Le tiers chant - 3 vers (sur 30), page 362 ; Le bilan - 4 vers (sur 50), page 365 ; L'amour est cerise - 4 vers (sur 48), page 369 ; J'ai froid - 4 vers (sur 26), page 370 ; Mon pays était beau - 3 vers (sur 22), page 371 ; Chanter - 3 vers (sur 72), page 372 ; J'aurais tellement voulu - 5 vers (sur 32), page 374 ; L'embellie - 4 vers (sur 38), page 374 ; La porte à droite - 4 vers (sur 48), page 388 ; Les cerisiers - 4 vers (sur 36), page 390 ; Petit - 4 vers (sur 48), page 391; Le c'ur fragile - 3 vers (sur 72), page 392 ; Le châtaignier - 4 vers (sur 44), page 392 ; Sa montagne - 4 vers (sur 34), page 404 ; Dans la jungle ou dans le zoo - 5 vers (sur 56), page 412 ; Dingue - 8 vers (sur 120), page 416 ; A la une - 4 vers (sur 64), page 417 ; Bicentenaire - 4 vers (sur 54), page 417 ; Mon amour sauvage - 3 vers (sur 61), page 418 ; Les tournesols - 4 vers (sur 60), page 418 ; Les jeunes imbéciles - 4 vers (sur 48), page 418 ; Parle-le moi de nous - 3 vers (sur 42), page 420 ; Chante l'amour - 2 vers (sur 48), page 420 ; Pablo mon ami - 5 vers (sur 36), page 433 ; Epilogue - 2 vers (sur 48), page 434 ; Qui vivra verra - 2 vers (sur 45), page 436 ; Carco - 4 vers (sur 52), page 437 ; Devine - 2 vers (sur 25), page 438 ; Les oiseaux déguisés - 3 vers (sur 25), page 439 ; Elle seule - 3 vers (sur 36), page 440 ; Lorsque s'en vient le soir - 3 vers (sur 25), page 440 ; Chambres d'un moment - 3 vers (sur 90), page 440 ; Odeur des myrtils - 3 vers (sur 62), page 441.

Le tribunal a justement rappelé que la brièveté de la citation doit s'apprécier au regard à la fois de la longueur de l'oeuvre dont elle est extraite et de celle de l'oeuvre à laquelle elle est incorporée.

En l'espèce, les extraits litigieux comportent entre 2 et 8 vers de chansons composées elles-mêmes de 15 à 120 vers. En outre, les 537 vers des 132 extraits cités représentent moins de 20 pages d'un ouvrage qui en contient 547. Il se déduit de ces éléments, outre le fait que ces courtes citations ne sont pas de nature à se substituer aux oeuvres mais incitent au contraire à s'y reporter pour les lire ou les écouter, comme l'a justement apprécié le tribunal, que la conditions de brièveté posée par l'article L. 122-5 sus-visé est remplie.

Par ailleurs, c'est à juste raison que les premiers juges ont estimé que les citations n'étaient pas dénaturantes et ne portaient pas atteinte au droit moral de l'auteur, une telle atteinte ne pouvant résulter du fait que le texte a été séparé de la musique. Toute chanson est en effet composée d'un texte et d'une musique qui relèvent de genres différents et qui sont dissociables sans que cela porte nécessairement atteinte au droit moral de l'auteur, les textes pouvant avoir été créés indépendamment de la musique, comme dans plusieurs chansons objets de ce litige, et les textes de chansons de Jean F. ayant d'ailleurs été publiés de son vivant, notamment dans des manuels scolaires et un numéro de la revue Je chante parue à l'hiver 1994/1995 à laquelle l'artiste a collaboré. Une dénaturation ou une atteinte au droit moral ne peut pas davantage résulter de la reproduction des textes par extraits, une telle possibilité étant précisément prévue par l'article L. 122-5 sus-visé.

Enfin, les appelants arguent que Jean F. avait refusé d'être biographié et exprimé son souhait que seule son oeuvre soit publique. Cependant, alors qu'il a été reconnu que la reproduction des extraits de chansons est en l'espèce justifiée par le caractère pédagogique et informatif de l'ouvrage et que, comme le souligne l'intimée, l'ouvrage litigieux consiste en une vaste étude des oeuvres de Jean F. et non à un simple récit de sa vie, le fait que Jean F. ait exprimé, en d'autres circonstances, des réserves ou son hostilité au principe d'une biographie le concernant, ne peut suffire à caractériser une atteinte au droit moral de l'auteur.

Les conditions de l'exception de courte citation étant réunies, aucune contrefaçon n'est caractérisée.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes en contrefaçon concernant la reproduction des extraits de textes de chansons de Jean F..

Sur les actes de contrefaçon portant sur le titre 'Je ne chante pas pour passer le temps'

Sur l'originalité du titre

L'intimée conteste l'originalité du titre de la chanson de Jean F., faisant valoir qu'il ne témoigne d'aucune créativité et ne porte pas l'empreinte de la personnalité de l'artiste dès lors qu'il ne fait que reprendre, en le mettant simplement à la forme négative, le titre d'un poème de Louis A..

C'est par des motifs exact et pertinents, que la cour adopte, que le tribunal a reconnu l'originalité du titre 'Je ne chante pas pour passer le temps', retenant notamment qu'il ne s'agit pas seulement d'une mise en négation du titre du poème de Louis A., mais de son détournement afin de passer du registre de la poésie, du divertissement et de la nostalgie du passé à celui de l'engagement politique et militant dans le présent, ce détournement portant l'empreinte de la personnalité de Jean F..

Sur l'atteinte portée aux droits patrimoniaux de la société PRODUCTION ALLELUIA et au droit moral de M. M.

La société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD soutient que le titre ne peut être protégé 'par le droit de la concurrence déloyale' car les oeuvres en présence ne sont pas de même genre, le titre de Jean F. individualisant une oeuvre musicale et le sous-titre de M. P. une oeuvre littéraire, et qu'il n'existe aucun risque de confusion. Elle fait valoir à cet égard, outre le fait qu'une chanson ne peut être confondue avec un livre, que le livre s'intitule principalement 'JEAN F.', ce titre figurant en très gros caractères et en police de couleur rouge, 'Je ne chante pas pour passer le temps' n'en constituant que le sous-titre inscrit en caractères beaucoup plus petits et en blanc, que le sous-titre ne figure pas sur la tranche du livre, seule visible lorsque le livre est rangé sur une étagère de librairie, que l'ouvrage est référencé seulement sous son titre dans les moteurs de recherche et sur les sites de vente en ligne, que le sous-titre qui caractérise le chanteur militant est entre guillemets et qu'il est expressément précisé qu'il s'agit du titre d'une chanson de Jean F.. Elle ajoute qu'en tout état de cause, le sous-titre a été supprimé de la couverture de l'ouvrage et que depuis le dernier trimestre 2015, l'ouvrage de M. P. est vendu sous le seul titre 'JEAN F.', de sorte que la société PRODUCTIONS ALLELUIA ne peut se prévaloir d'aucun préjudice, et qu'elle-même ne peut être tenue pour responsable des carences de sites de vente en ligne, ne disposant d'aucun moyen juridique pour les contraindre à modifier leur présentation de l'ouvrage.

Les appelants répondent que la faute et le préjudice relatifs au titre de l'oeuvre 'Je ne chante pas pour passer le temps' ne sont pas contestables. Ils font valoir que la suppression du sous-titre sur la couverture de l'ouvrage litigieux constitue la reconnaissance par l'intimée des actes contrefaisants commis depuis le mois de septembre 2010, que cette suppression n'a été portée à la connaissance de la société PRODUCTIONS ALLELUIA que le 12 novembre 2018 et qu'au mois de mars 2019, l'ouvrage était encore en vente avec le sous-titre, notamment à la FNAC.

Aux termes de l'article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle, ' Le titre d'une oeuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'oeuvre elle-même.

Nul ne peut, même si l'oeuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3, utiliser ce titre pour individualiser une oeuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion'.

En l'espèce, le titre bénéficie de la protection au titre du droit d'auteur en application de l'alinéa 1 de l'article L. 112-4, les conditions d'application de l'alinéa 2 n'étant pas remplies, de sorte que l'argumentation de la société intimée relative à la protection par la concurrence déloyale et au risque de confusion est inopérante.

La reproduction de ce titre, sans autorisation, comme sous-titre entre guillemets de l'ouvrage litigieux, dont la matérialité n'est pas contestée, est illicite en application de l'article L.122-4 alinéa 1.

Cette reproduction porte atteinte aux droits patrimoniaux de la société PRODUCTIONS ALLELUIA à laquelle, par contrat du 22 novembre 1965, Jean F. a cédé ses droits de reproduction et de représentation relativement à cette chanson.

Le fait que la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD ait supprimé le sous-titre de l'ouvrage, ce dont elle justifie en produisant des extraits de son site internet et du site internet de la société AMAZON - sans qu'il puisse être vérifié que cette suppression date effectivement du dernier trimestre 2015, comme elle l'affirme, puisque les extraits fournis ont été imprimés en octobre 2018 et mai 2019 - ne supprime pas les faits litigieux pour la période antérieure, laquelle a duré au minimum 5 années, la biographie étant parue en septembre 2010. En outre, les appelants établissent qu'en mars 2019, l'ouvrage était encore en vente avec le sous-titre, ce dont la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD doit répondre dès lors que cette offre à la vente par la FNAC procède des faits litigieux dont elle est responsable et qu'elle ne justifie par ailleurs d'aucune démarche auprès de ce distributeur pour l'inviter à modifier la présentation de son site.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit qu'en reproduisant sur la couverture de la biographie de Jean F. le titre d'une de ses chansons 'Je ne chante pas pour passer le temps' sans son autorisation, la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD a commis une atteinte aux droits patrimoniaux d'auteur de la société PRODUCTIONS ALLELUIA.

Il sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande au titre du droit moral d'auteur présentée par M. M. au motif pertinent que le titre de la chanson de Jean F. est repris sans aucune dénaturation, entre guillemets, sous le nom de l'artiste et qu'il est en outre expressément attribué à Jean F. dès le début de l'ouvrage.

Sur les mesures réparatrices

Le tribunal a procédé à une exacte appréciation du préjudice subi par la société PRODUCTIONS ALLELUIA du fait de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux par la reproduction du titre 'Je ne chante pas pour passer le temps' comme sous-titre de l'ouvrage de M. P. en lui allouant la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Il sera également confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes d'interdiction et de publication compte tenu de l'ancienneté des faits et du retrait du sous-titre auquel a finalement procédé la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les parties succombant chacune sur une partie de leurs prétentions, les dépens d'appel seront partagés par moitié et chacune conservera la charge de ses frais non compris dans les dépens exposés devant la cour, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Reçoit les interventions volontaires de MM. et Mmes Guy T., Jean R., Henri G., Michelle F. dite Michelle S., Isabelle F.-W., Yvette C. et Philippe C.,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- dit que M. M. est irrecevable à agir sur le fondement du droit moral pour les oeuvres suivantes : 'Que serais-je sans toi', 'Au bout de mon âge', 'Les poètes', 'Nous dormirons ensemble', 'C'est si peu dire que je t'aime', 'Heureux celui qui meurt d'aimer', 'Un jour, un jour', 'Robert le Diable', 'Le malheur d'aimer', 'Dans le silence de la ville', 'Le tiers chant',

- rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD pour les oeuvres suivantes :

- 'Le p'tit jardin', 'Les nomades', 'Mes amours', 'Quatre cents enfants noirs', 'Les belles étrangères', 'Chanson pour toi', 'A moi l'Afrique', 'A l'ombre bleue du figuier','Les noctambules', 'L'homme à l'oreille coupée', 'C'est beau la vie', 'Le polonais', 'Raconte-moi la mer', 'Restera-t-il un chant d'oiseau' (14 chansons écrites par Mmes S. et/ou D.),

- 'La fête aux copains','La jeunesse', 'Potemkine','La Commune',

- 'Au point du jour', 'Cuba si', 'Prisunic', 'La matinée', 'Un jour futur', 'La petite fleur qui tombe', 'Rien à voir', 'L'adresse du bonheur', 'J'imagine', 'P. Colombe', 'Paris an 2000", 'Mon chant est un ruisseau',

- 'Caserne', 'Berceuse pour un petit loupiot' et 'Petit',

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit que M. M. est recevable à agir sur le fondement du droit moral de Jean F. pour les oeuvres : 'Que serais-je sans toi', 'Au bout de mon âge', 'Les poètes', 'Nous dormirons ensemble', 'C'est si peu dire que je t'aime', 'Heureux celui qui meurt d'aimer', 'Un jour, un jour', 'Robert le Diable', 'Le malheur d'aimer', 'Dans le silence de la ville', 'Le tiers chant',

Dit que M. M. est irrecevable à agir sur le fondement du droit moral de Jean F. pour les oeuvres suivantes :

- 'Le p'tit jardin', 'Les nomades', 'Mes amours', 'Quatre cents enfants noirs', 'Les belles étrangères', 'Chanson pour toi', 'A moi l'Afrique', 'A l'ombre bleue du figuier', oeuvres composites dont Mme Michelle S. est l'auteure de l'oeuvre préexistante,

- 'Les noctambules', 'L'homme à l'oreille coupée', 'C'est beau la vie', oeuvres composites dont Mmes Claude D. et Michelle S. sont les auteures de l'oeuvre préexistante,

- 'Le polonais', 'Raconte-moi la mer', 'Restera-t-il un chant d'oiseau', oeuvres composites dont Mme Claude D. est l'auteure de l'oeuvre préexistante,

- 'La fête aux copains','La jeunesse', 'Potemkine','La Commune', oeuvres composites dont M. Georges C. est l'auteur de l'oeuvre préexistante,

- 'Au point du jour', 'Cuba si', 'Prisunic', 'La matinée', 'Un jour futur', 'La petite fleur qui tombe', 'Rien à voir', 'L'adresse du bonheur', 'J'imagine', 'P. Colombe', 'Paris an 2000", 'Mon chant est un ruisseau', oeuvres composites dont M. Henri G. est l'auteur de l'oeuvre préexistante,

- 'Caserne', 'Berceuse pour un petit loupiot' et 'Petit', oeuvres composites dont M. Guy T. est l'auteur de l'oeuvre préexistante,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Partage les dépens d'appel par moitié entre M. M. et la société PRODUCTIONS ALLELUIA, d'une part, la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD, d'autre part,

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.