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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 1, 26 novembre 2014, n° 13/01472

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bichard

Conseillers :

Mme Maunand, Mme Herve

TGI Melun, du 20 nov. 2012, n° 10/05130

20 novembre 2012

Monsieur Gérard V. est l'auteur d'une série de livres d'aventure et d'action publiés dans la collection C., sous le pseudonyme de Gérard C.. Cette collection comporte 12 ouvrages, tous composés autour du personnage principal, James C..

Estimant que la série télévisuelle américaine 'The sentinel', qui a notamment été diffusée en France sur la chaîne de télévision M6, avait repris les caractéristiques fondamentales de son oeuvre, Monsieur Gérard V. a engagé en 2000, une instance en vue de voir juger que la série télévisuelle était une oeuvre composite réalisée à partir de la série littéraire C., incorporée sans son consentement et que l'exploitation de la série en fraude de ses droits constituait une contrefaçon.

Par un jugement du 30 novembre 2004, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté les demandes de Monsieur Gérard V.. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 septembre 2007.

Monsieur Gérard V. avait confié la défense de ses intérêts en 1ère instance à la SCP Henri L. & associés, société d'avocats au barreau de Paris à laquelle s'est adjoint Maître Gilles A., avocat au barreau de Bastia. L'appel a été formé par la SCP D.&P., avoués près la cour d'appel de Paris, Maître A. poursuivant sa mission de conseil jusqu'en 2006.

A la suite des décisions susvisées, Monsieur Gérard V. a engagé une action en responsabilité à l'encontre de ses avocats et avoué pour manquement à leur devoir de conseil, devant le tribunal de grande instance de Melun, en vue d'obtenir l'indemnisation de la perte de chance subie du fait que ses différents conseils ont omis de soutenir devant le tribunal puis devant la cour que l'action engagée était une action en contrefaçon de son personnage et non pas une action aux fins de reconnaissance d'une oeuvre composite.

Par un jugement du 20 novembre 2012, le tribunal de grande instance de Melun a rejeté ses demandes. Monsieur Gérard V. a formé appel par une déclaration au greffe de la cour enregistrée le 25 janvier 2013.

Dans ses conclusions communiquées par voie électronique le 7 septembre 2014, Monsieur Gérard V. soutient qu'il n'a jamais voulu faire établir que la série C. avait été incorporée dans l'oeuvre postérieure The sentinel et que son action tendait seulement à voir juger que son personnage principal avait été reproduit. Il expose qu'oeuvre composite et contrefaçon sont deux notions distinctes et que les conditions pour voir reconnaître l'existence d'une oeuvre composite sont plus rigoureuses que celles de la contrefaçon. Il reproche à ses conseils de n'avoir sollicité la condamnation des défenderesses que sur le fondement de l'oeuvre composite alors que le corps de leurs écritures pouvait lui laisser entendre qu'il allait être question de la contrefaçon du personnage, héros de la série. Il rappelle les caractéristiques originales de celui-ci, les troubles fonctionnels qu'il subit lorsque ses hypersens se manifestent et l'origine indéterminée de ses facultés exceptionnelles que l'on retrouve chez le héros de The sentinel

Monsieur Gérard V. estime que les intimés ont manqué à leur obligation de conseil. Ils déclarent qu'il a apporté son concours à la rédaction de l'argumentaire des conclusions sur les similitudes entre les oeuvres mais que les moyens juridiques et le dispositif sont de la responsabilité des avocats et avoué. Il fait valoir qu'à raison de leurs manquements, il n'a pas pu voir reconnaître la contrefaçon de son personnage et que son préjudice est certain et en relation avec les fautes reprochées. Il demande l'infirmation de la décision entreprise et la désignation d'un expert chargé d'évaluer son préjudice, à défaut, il sollicite la somme de 3 000 000 € au titre de la perte de chance ainsi que la somme de 200 000 € en réparation du préjudice moral subi du fait de la durée de la procédure et de son échec à faire respecter ses droits sur son oeuvre. Enfin, il réclame une indemnité de 15 000 € en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle.

Dans ses conclusions signifiées par voie électronique le 10 septembre 2014, la SCP Henri L. & associés rappelle son rôle dans la procédure devant le tribunal de grande instance de Paris, de 2000 à mars 2005, et son absence d'intervention devant la cour d'appel de Paris. Elle relève donc que le manquement qui lui est reproché ne peut être à l'origine de l'arrêt de confirmation de la cour et de la perte de chance alléguée.

La SCP Henri L. & associés soutient ensuite que tant l'assignation qu'elle a faite délivrer que les conclusions signifiées sous sa signature et celle de Gilles A., tendent à titre principal à démontrer l'existence d'une contrefaçon et elle rappelle que la réalisation d'une oeuvre composite sans l'accord de l'auteur de l'oeuvre première constitue une contrefaçon. Elle ajoute que Monsieur Gérard V. a pris une part active dans la préparation des écritures et s'est immiscé de manière permanente dans la procédure. Elle relève enfin que Monsieur Gérard V. aurait pu fonder ses demandes devant la cour d'appel sur la concurrence déloyale, s'il estimait ce moyen plus favorable à ses intérêts.

La SCP Henri L. & associés conteste enfin la perte d'une chance indemnisable en relation avec son intervention, faute pour Monsieur Gérard V. de rapporter la preuve d'une part que son personnage constituait une oeuvre de l'esprit protégeable, d'autre part que la série The sentinel portait atteinte à ses droits d'auteur.

Elle sollicite donc la confirmation de la décision entreprise, conclut spécialement au rejet de la demande d'expertise et réclame la somme de 8 000 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 21 juin 2013, Maître Gilles A. explique que son intervention au côté de la SCP Henri L. & associés n'a été sollicitée par Monsieur Gérard V. qu'au mois de juillet 2002 et qu'il a été dessaisi de l'affaire par une lettre du 20 novembre 2006 . Il ajoute que contrairement aux affirmations de la SCP Henri L. & associés, il estime que le rôle de cette dernière a été prépondérant et il met également en avant l'interventionnisme de Monsieur Gérard V..

Il soutient qu'à aucun moment, celui-ci n'a entendu limiter son action en contrefaçon au seul personnage mais qu'au contraire, il a tenté de démontrer des similitudes entre ses ouvrages et la série The sentinel. Il conclut donc que le fondement juridique retenu était pertinent et conforme au but poursuivi et il soutient qu'il n'était pas possible en cause d'appel de modifier la stratégie définie et mise en oeuvre par la SCP Henri L. & associés.Il fait, en revanche, valoir qu'une action fondée sur le seul personnage de James C. était vouée à l'échec alors que le tribunal a retenu que les deux héros étaient différents.

Maître Gilles A. conteste ensuite l'existence d'un lien de causalité entre son intervention limitée dans le temps et le préjudice allégué. Il conteste également celui-ci, faisant valoir que Monsieur Gérard V. ne justifie pas de l'épuisement des voies de recours, et qu'il ne justifie pas non plus de l' étendue de son préjudice. Il conclut au caractère infondé de l'appel, réclame la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à titre subsidiaire, il sollicite la garantie in solidum de la SCP Henri L. & associés et de la SCP D. & P..

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 21 juin 2013, la SCP D. & P., avocat inscrit au barreau de Paris, anciennement titulaire d'un office d'avoué, relève tout d'abord que la somme à laquelle pouvait prétendre Monsieur Gérard V. sur le fondement de l'oeuvre composite était plus étendue que l'indemnisation de la seule contrefaçon de son personnage principal. Elle fait valoir que Monsieur Gérard V. ne justifie pas d'une perte de chance sur le fondement de la contrefaçon de son héros, compte tenu de la motivation du jugement de 2004. Elle s'oppose à la demande d'expertise et sollicite que la pièce 26 concernant la diffusion de la série 'The sentinel' à travers le monde et rédigée en langue anglaise soit écartée des débats. Enfin, elle conteste l'existence d'un lien de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et le préjudice alors que Monsieur Gérard V. pourrait toujours intenter une action contre ses anciens adversaires sur le fondement de la contrefaçon . Elle conclut à l'absence de fondement de l'appel et réclame la somme de 5 000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il y a lieu d'écarter des débats la pièce 26 de l'appelant rédigée en Anglais au regard de l'ordonnance de Villers Cotterêts et des dispositions de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française.

Le 9 juin 2000, monsieur Gérard V. a fait assigner plusieurs sociétés de production et de diffusion devant le tribunal de grande instance de Paris au visa des articles L. 121-1, L. 113-2, L. 113-4 et L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle, afin de voir dire et juger que :

-la série 'The sentinel' est une oeuvre composite réalisée à partir de la série littéraire C., incorporée sans le consentement de son auteur et en fraude de ses droits,

- l'exploitation de la série The sentinel en fraude des droits de Monsieur Gérard V. est une contrefaçon,

- celui-ci doit être considéré comme le co-auteur de la série.

Il demandait donc que les sociétés défenderesses soient condamnées à lui verser la moitié des recettes d'exploitation générées par la série ainsi que par les produits dérivés pour le monde entier.

Le jugement du 30 novembre 2004 a retenu qu'au vu de ces demandes, il incombait au tribunal de déterminer si l'oeuvre audiovisuelle était une oeuvre composite.

L'arrêt du 19 septembre 2007 a considéré 'que dès lors que l'appelant n'invoque pas la contrefaçon de son personnage de James C., héros récurrent de la série et susceptible de protection au titre du droit d'auteur, mais fonde exclusivement son action sur les dispositions relatives aux oeuvres collectives, il convient de statuer sur le bien-fondé de ses prétentions en fonction de l'existence d'une ressemblance se dégageant de l'impression d'ensemble produite par les deux séries en cause et non pas celle résultant d'un examen comparatif auquel invite Monsieur Gérard V., de chaque élément pris séparément.'

Il ressort ainsi clairement que les deux juridictions ont recherché conformément aux demandes dont elles étaient saisies, si la série The sentinel pouvait être considérée comme une oeuvre composite intégrant l'oeuvre pré-existante que constitue la série littéraire créée par Monsieur Gérard V..

L'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle définit l'oeuvre composite comme une 'oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière'.

L'oeuvre composite ainsi, est exclusive de toute collaboration entre l'auteur de l'oeuvre préexistante et l'auteur de l'oeuvre nouvelle; néanmoins, cette oeuvre composite ne peut inclure l'oeuvre pré-existante qu'avec l'accord de son auteur, à défaut l'oeuvre composite sera considérée comme portant atteinte aux droits de ce dernier et sera contrefaisante.

Ainsi en faisant valoir que la série The sentinel était une oeuvre composite réalisée sans l'accord de Monsieur Gérard V., auteur de l'oeuvre première, le demandeur formait également une demande en contrefaçon.

Néanmoins, la preuve d'une reprise de l'oeuvre pré-existante dans une oeuvre composite est plus étendue que celle de la contrefaçon d'éléments précis tels que par exemple le personnage principal puisque qu'ainsi qu'elle l'a exprimé, la cour d'appel a considéré que pour déterminer le caractère composite de la série The sentinel, il ne fallait pas se livrer à un examen comparatif de chaque élément pris séparément mais rechercher 'l'existence d'une ressemblance se dégageant de l'impression d'ensemble produite par les deux séries'.

En toutes hypothèses, pour établir l'existence d'une oeuvre composite, il faut apporter la preuve que l'oeuvre litigieuse inclut l'oeuvre première ou à tout le moins qu'elle en reprend les éléments caractéristiques.

En revanche, pour établir la contrefaçon d'un personnage littéraire, il suffit de rechercher si les caractéristiques qui lui confèrent un caractère original, sont reproduites dans l'oeuvre litigieuse sans avoir à examiner l'intégralité des caractéristiques de l'oeuvre.

Monsieur Gérard V. fait valoir qu'il souhaitait uniquement faire établir la contrefaçon de son héros, James C..

Néanmoins, le tribunal dans le cadre de la détermination du caractère composite ou non de la série The sentinel, s'est livré à un examen complet et précis des oeuvres en présence, et il a ainsi consacré un long développement au personnage de James C. et à celui de la série télévisuelle, James E..

Il a ainsi exposé que James C. est un ancien militaire de l'armée américaine qui a travaillé pour la CIA, qui a fait la guerre au Vietnam et subi un crash dans la jungle, qu'à la suite de celui-ci, il passe 8 mois à survivre dans des marécages truffés de pièges, qu'il revient à la vie civile et que, victime d'un attentat dans les locaux de sa société, il subit d'étranges phénomènes d'acuité sensorielle qu'il ne s'explique pas et dont la manifestation est imprévisible et incontrôlable, qu'il apprend alors être doté de deux 'hypersens', la vue et l'ouie, résultant de particules de géranium entrées vivement dans son cerveau au moment de l'attentat et qui vont se développer.

Le tribunal a comparé ensuite les deux personnages pour retenir que 'mis à part le fait que les deux héros sont américains, ont la même taille, le même poids, un passé militaire et ont subi un crash dans la jungle avant de retourner dans la vie civile, éléments d'une parfaite banalité dans ce type d'oeuvre et en conséquence non susceptibles d'appropriation', ils se caractérisent l'un et l'autre par leurs 'hypersens', thème principal de l'oeuvre, mais que de nombreux personnages de fiction ont présenté cette même caractéristique et il a énuméré Jonathan C. dans une série de 1983, Daredvil créé en 1964, Wolverine créé en 1962, Superman créé en 1938, Steve A., Jaime S. et enfin, Spider man créé en 1962.

Il ajoute que l'utilisation 'd'hypersens' dans la littérature et le cinéma ne peut qu'entraîner des effets semblables quant à la vision, l'ouie, l'odorat, des interrogations sur l'influence du subconscient et la perte de contact avec l'environnement.

Le tribunal considère dès lors que 'ces éléments pris isolement sont particulièrement banals et ne trouvent leur originalité qu'au sein de la structure d'ensemble de la série littéraire qui présente un héros ayant particulièrement souffert de son passage dans la jungle et qui après une réussite matérielle incontestable, est envahi par son désir de vengeance'.

Il ressort donc du jugement que le fait que James C. et James E. présentent des points communs ne suffit pas à rendre ce dernier contrefaisant car ces points communs sont banals et de libre parcours, que leur présence chez le 1er ne caractérise pas son originalité et que cette originalité ne peut être reconnue qu'à un tout, c'est à dire un personnage présentant ces caractéristiques mais qui est aussi un homme ayant particulièrement souffert de son passage dans la jungle et qui après une réussite matérielle incontestable, est envahi par son désir de vengeance.

Ainsi, le jugement retient que Monsieur Gérard V. ne démontre pas de ressemblance fautive entre les deux personnages. Il conclut donc : 'les deux héros sont enfin dans leurs personnages fondamentalement différents, C. se servant de ses hypersens pour se livrer à sa vengeance alors qu'E. se retrouve sujet et objet d'une thèse'. Une telle motivation excluait la contrefaçon du personnage de James C. par celui de James E..

L'arrêt du 19 septembre 2007 a relevé que son analyse comparative corroborait celle des1ers juges et a renvoyé expressément à leur motivation pertinente.

Monsieur Gérard V. fait valoir que si le thème des 'hypersens' est de libre parcours et ne peut faire l'objet d'une appropriation, il reste qu'il en a effectué un traitement original en ce que l'utilisation des ses 'hypersens' provoque chez James C. des troubles fonctionnels (fortes migraines, perte de la notion d'environnement, 'pics sensoriels', malaises etc) qui constituent un danger pour son organisme et son équilibre psychologique et il soutient qu'il s'agit d'un apport créatif fondamental, le thème des sens surdéveloppés n'ayant jamais été traité de cette façon, excepté dans la série televisuelle The sentinel.

Cependant il ressort clairement du jugement et de l'arrêt qu'ils ont tous deux estimé que la thème de 'l'hypersens' était banal et que sa reprise ne pouvait constituer une contrefaçon et la cour actuellement saisie d'une demande en responsabilité contre les avocats et avoué, ne constitue pas un troisième degré de juridiction pour l'appréciation de l'originalité de l'oeuvre.

Ainsi bien qu'elles aient été saisies de la question du caractère composite ou non de la série The sentinel, les deux juridictions de 1ère instance et d'appel ont étudié les personnages de James C. et de James E. et il ressort clairement des décisions rendues qu'elles ont exclu le caractère contrefaisant de ce dernier.

Dès lors que la demande en contrefaçon du personnage de James C. était vouée à l'échec, Monsieur Gérard V. ne justifie d'aucune perte de chance tenant à l'omission de ce fondement.

Le jugement du tribunal de grande instance de Melun du 20 novembre 2012 doit donc être confirmé.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des intimés, Monsieur Gérard V. bénéficiant de l'aide juridictionnelle totale.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Ecarte des débats la pièce 26 de l'appelant,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Melun du 20 novembre 2012,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur Gérard V. aux dépens de l'instance, qui seront recouvrés conformément aux règles sur l'aide juridictionnelle.