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Décisions

Cass. crim., 24 juin 2020, n° 19-81.134

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Fouquet

Avocat général :

M. Salomon

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Foussard et Froger

Colmar, du 7 déc. 2018

7 décembre 2018

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Après avis favorable de la commission des infractions fiscales, l'administration fiscale a déposé plainte à l'encontre de la société Expart et de M. V..., son gérant et associé unique, leur reprochant de s'être frauduleusement soustraits à l'établissement et au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'impôt sur les sociétés.

3. A l'issue de l'enquête préliminaire, M. V... et la société Expart ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef de fraude fiscale.

4. Les juges du premier degré les ont reconnus coupables et les ont condamnés, le premier à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 9 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction de gérer, la seconde à 10 000 euros d'amende.

5. Le prévenu, l'administration fiscale et le procureur de la République ont formé appel de cette décision.

6. Devant la cour d'appel, M. V... a notamment fait valoir qu'une majoration de 40% ayant été appliquée par l'administration fiscale sur les sommes dues au titre de la TVA et de l'impôt sur les sociétés, il convient de faire application du principe Ne bis in idem et de la réserve du conseil constitutionnel selon laquelle seules les fraudes les plus graves peuvent justifier un cumul des sanctions pénales et fiscales.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens et sur le deuxième moyen pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Le moyen est pris de la violation des articles 1728, 1741 et 1750 du code général des impôts, 50 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952, L. 227 du livre des procédures fiscales, 121-3 du code pénal, de l'article préliminaire du code de procédure pénale et des articles 2, 3, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du même code, 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

9. Le moyen, pris en ses première et deuxième branches critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. V... coupable de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt, omission de déclaration dans les délais prescrits, fraude fiscale, alors :

« 1°/ que si la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 - aux termes de laquelle le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions de l'article 1741 ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention – ne s'applique qu'à une poursuite pénale exercée pour des faits de dissimulation volontaire d'une partie des sommes sujettes à l'impôt, et non d'omission volontaire de faire une déclaration dans les délais prescrits, la même réserve d'interprétation a été formulée, dans cette dernière hypothèse, par le Conseil constitutionnel, aux termes de sa décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018 ; que, dès lors, en relevant, pour écarter le moyen de défense de l'exposant, tiré de ce que le cumul des pénalités fiscales et pénales est contraire au principe non bis in idem, que la réserve d'interprétation susvisée ne vaut que pour les cas de dissimulation des sommes imposables et non pour le cas de non déclaration des sommes imposables dans les délais prescrits, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

2°/ qu'aux termes de sa décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018, le Conseil constitutionnel a énoncé que si le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l'engagement de procédures conduisant à l'application de plusieurs sanctions afin d'assurer une répression effective des infractions, ce principe impose néanmoins que les dispositions de l'article 1741 ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission déclarative frauduleuse, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ; qu'en cet état, lorsqu'elle est saisie de poursuites pénales du chef de fraude fiscale, pour des faits de non déclaration de sommes imposables dans les délais prescrits, tandis que le redevable légal de l'impôt fait par ailleurs l'objet de sanctions fiscales pour le même motif, et qu'en application de l'article 1745 du code général des impôts, le prévenu est solidairement tenu, avec le redevable légal, au paiement de l'impôt fraudé et des majorations afférentes, la juridiction répressive ne peut condamner pénalement l'intéressé de ce chef qu'en déterminant concrètement en quoi l'omission visée aux poursuites constitue un cas grave d'omission déclarative frauduleuse, au regard du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ; que, dès lors, en relevant, pour écarter le moyen de défense de l'exposant tiré de l'application du principe non bis in idem, qu'à le supposer établi, le délit de fraude fiscale par omission de deux déclarations qui est reproché à M. V... constitue nécessairement un cas grave au sens de la réserve d'interprétation susvisée, sans indiquer concrètement en quoi cette gravité était caractérisée, la cour d'appel, qui s'est déterminée par une motivation générale et abstraite, a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés, et au regard de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. »

Réponse de la Cour

10. Pour écarter le moyen tiré de ce que si elles aboutissaient, les poursuites engagées contre le prévenu, entraîneraient un cumul de sanctions fiscales et pénales en méconnaissance notamment de la réserve posée par le conseil constitutionnel aux termes de laquelle un tel cumul n'est possible que dans les cas de fraude les plus graves, l'arrêt attaqué énonce qu'il convient d'observer que les poursuites pénales dont est saisie la cour concernent M. V... personnellement tandis que les sanctions fiscales ont été prononcées à l'égard de la société Expart, ce étant rappelé que la condamnation solidaire de la société et de son dirigeant au paiement des droits fraudés et de leurs majorations ne revêt pas le caractère d'une sanction pénale.

11. Les juges ajoutent que la réserve d'interprétation opérée par le Conseil dans ses décisions du 24 juin 2016, ne vaut, dans le cadre des questions prioritaires de constitutionnalité dont il était saisi, que pour les cas de dissimulation des sommes imposables.

12. Ils relèvent enfin qu'il est permis de penser qu'à le supposer établi, le délit de fraude fiscale par omission de deux déclarations qui est reproché à M. V..., qui fait suite à de précédents manquements déclaratifs tant en qualité de dirigeant de la société Expart qu'à titre personnel, constitue un cas grave.

13. C'est à tort que les juges ont considéré que la réserve posée par le conseil constitutionnel tenant à la gravité des faits ne s'applique qu'aux cas de fraude fiscale par dissimulation des sommes sujettes à l'impôt.

14. En effet, dans sa décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018, le conseil constitutionnel a jugé, comme il l'avait fait en matière de fraude par dissimulation (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 ), que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions de l'article 1741 ne s'appliquent, en complément de sanctions fiscales, qu'aux cas les plus graves d'omission déclarative frauduleuse.

15. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure.

16. En effet, d'une part la réserve constitutionnelle selon laquelle seuls les faits présentant une certaine gravité peuvent faire l'objet, en complément de sanctions fiscales, de sanctions pénales, ne s'applique que lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits.

17. D'autre part, la solidarité fiscale prévue à l'article 1745 du code général des impôts, qui constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public, ne constitue pas une peine au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789 de sorte que le principe de nécessité des délits et des peines ne lui est pas applicable.

18. Il s'en déduit que la réserve sus-visée ne s'applique pas au prononcé de sanctions à l'encontre du prévenu, dirigeant de société, lorsque celle-ci est la redevable légale de l'impôt.

19. Ainsi, les griefs, inopérants, doivent être écartés.

20. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.