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Décisions

Cass. crim., 11 mai 1995, n° 94-83.515

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Schumacher

Avocat général :

M. Galand

Avocats :

SCP Vier et Barthélemy, Me Guinard

Nîmes, ch. crim., du 2 juin 1994

2 juin 1994

CASSATION sur le pourvoi formé par :

- la société anonyme Alain Manoukian, partie civile,

- le Procureur Général près la cour d'appel de Nîmes,

contre l'arrêt de cette cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 2 juin 1994, qui, après relaxe de David X..., Hélène Y..., épouse X..., et Daniel X..., des chefs de banqueroute et complicité de ce délit, a débouté la partie civile de sa demande.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour la société Manoukian et pris de la violation des articles 196, 197 et 201 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, 121-7 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé les prévenus des fins de la poursuite des chefs d'abus de biens sociaux et de complicité de ce délit ;

" aux motifs qu'il résulte de la procédure et des débats que les poursuites de banqueroute ou de complicité de banqueroute par détournement d'actif dont font l'objet les trois prévenus, s'appuient essentiellement sur les ventes des divers fonds de commerce dont était propriétaire la SARL Sadoc auxquelles David X..., gérant, a procédé de juin à septembre 1988 pour, ensuite, utiliser le produit de ces ventes au paiement de diverses créances de la société, dont, partiellement au moins, les comptes courant de ses associés, alors que cette société était déjà en cessation des paiements, l'amenant ainsi d'abord à la liquidation amiable, puis au dépôt de bilan ; que l'information ouverte de ce chef a établi que le produit intégral des ventes, la somme de 2 119 000 francs a bien été porté aux comptes bancaires de la société Sadoc et a été utilisé exclusivement au paiement de diverses dettes de celle-ci ; que cette information n'a pas révélé qu'il y ait eu vente frauduleuse à prix dérisoire pouvant dissimuler une partie du prix réel et laissant suspecter un détournement ou une dissipation partielle d'actif ; qu'il y a bien eu paiement, mais uniquement de dettes régulièrement inscrites dans la comptabilité de la société, y compris celles envers les associés, dettes dont la réalité et la sincérité n'ont jamais été mises en doute, non plus qu'a été suspectée la régularité de la comptabilité dans son ensemble ; qu'il n'y a eu, ni augmentation frauduleuse du passif, ni détournement ou dissimulation de l'actif ; que les faits reprochés n'entrent donc dans aucun des cas prévus par les dispositions de l'article 197 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, fondement des poursuites, mais constituent, sous réserve de l'appréciation de la juridiction commerciale en charge de la procédure collective, de simples paiements préférentiels ;

" alors que, d'une part, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier sa décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont étaient saisis les juges du fond ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, pour infirmer la décision des premiers juges et relaxer les prévenus des fins de la poursuite, se fonde sur des motifs insuffisants, sans exposer ni répondre aux chefs péremptoires des conclusions d'appel de la partie civile propres à établir les faits visés à la prévention ;

" alors, d'autre part, que caractérise en tous ses éléments constitutifs le délit de banqueroute, le transfert par un gérant de sociétés en état de cessation de paiement de l'actif de ses sociétés dans une autre entreprise personnelle ; qu'en l'espèce, la société Alain Manoukian soulignait dans un chef péremptoire de ses conclusions d'appel auxquelles la Cour a omis de répondre que le produit de la vente des fonds de commerce dont la société Sadoc était propriétaire avait été transféré aux sociétés Daltex et Safitex, gérées par l'épouse et le fils de David X..., circonstances propres à établir le délit de banqueroute par détournement d'actif ;

" alors, enfin, que le fait par tout dirigeant d'une personne morale commerçante de s'abstenir de procéder, au mépris des dispositions de l'article 8 du Code de commerce, à l'enregistrement chronologique des mouvements affectant le patrimoine de l'entreprise et à l'établissement de l'inventaire périodique des éléments actifs et passifs de ce patrimoine constitue le délit de banqueroute par abstention de tenue de toute comptabilité ; qu'en l'espèce, la société Alain Manoukian soulignait dans ses conclusions d'appel laissées sans réponse qu'il résulte du rapport d'expertise de MM. Z... et A... que la comptabilité de la société Sadoc avait été inexistante à partir de février 1988, que cette période était précisément celle à partir de laquelle David X... a transféré frauduleusement tous les actifs de la société Sadoc ; qu'en omettant de vérifier si ces faits n'étaient pas susceptibles de recevoir une qualification pénale, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général et pris de la violation de l'article 197-2 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la relaxe des prévenus aux motifs que David X..., gérant de la société Sadoc, n'avait effectué que des paiements préférentiels de créanciers, alors que le fait pour un gérant d'une société, en état de cessation des paiements, de vendre des fonds de commerce appartenant à la société à des sociétés, créées pour la circonstance et dirigées par des membres de sa proche famille, et d'utiliser le prix au paiement de dettes de la société pour le règlement desquelles il avait un intérêt personnel, constitue le délit de banqueroute par détournement d'actif ;

Les moyens étant réunis ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que tout acte de disposition volontaire accompli sur un élément du patrimoine du débiteur après la cessation des paiements, en fraude des droits des créanciers, constitue le délit de banqueroute par détournement d'actif prévu à l'article 197-2 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu, en outre, que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que David X..., après avoir vendu des fonds de commerce appartenant à la société, en état de cessation des paiements, dont il était le gérant, à deux sociétés dirigées, l'une par Hélène Y..., son épouse, et l'autre par Daniel X..., son fils, a employé le produit de la vente à payer les dettes de la société pour lesquelles il s'était porté caution solidaire et à rembourser les comptes courants d'associés dont lui-même et son fils étaient titulaires ;

Attendu que pour relaxer David X..., Hélène Y... et Daniel X..., poursuivis, le premier pour le seul délit de banqueroute par détournement d'actif et les deux autres pour complicité de ce délit, les juges énoncent que David X... n'a commis aucun détournement et que les faits reprochés ne constituent que des paiements préférentiels, non punissables pénalement ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu les textes et principes susvisés ;

Que, dès lors, la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la Cour d'appel de Nîmes, en date du 2 juin 1994, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier.