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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 26 février 2021, n° 19/15130

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Cymbeline Forever (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Marcade

Avocat :

SCP GRV Associes

TGI Paris, 3e ch. sect. 1, du 16 mai 201…

16 mai 2019

Vu le jugement contradictoire rendu le 16 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Paris ;

Vu la déclaration d'appel du 22 juillet 2019 de Mme Monique J. ;

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 7 décembre 2020 de Mme Monique J., appelante principale et intimée incidemment ;

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 décembre 2020 de la société Cymbeline Forever et M. Jean-Philippe L., intimés et appelants incidents ;

Vu l'ordonnance de clôture du 7 janvier 2021 ;

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

La société Cymbeline (SAS) a été créée en 1980 par trois s'urs : Mmes Evelyne J. épouse D., Chantal J. et Monique J..

Elle avait pour activité la conception et la commercialisation de robes de mariées et d'accessoires de mariage sous la marque «CYMBELINE».

La société Cymbeline éditait annuellement un catalogue « CYMBELINE » qu'elle diffusait et mettait à la disposition des distributeurs de la marque CYMBELINE, ainsi que de la clientèle. La distribution des robes était assurée par l'une de ses filiales, la société Cymbeline boutiques (SARL), constituée d'un réseau de 380 revendeurs multimarques, de 44 boutiques portant l'enseigne Cymbeline dans 37 pays, et de 10 boutiques en propre.

Le 1er janvier 2013, Mme Monique J., jusque-là salariée de la société SAS Cymbeline, faisait valoir ses droits à la retraite et quittait la société.

Par jugement en date du 5 mai 2014, le tribunal de commerce de Melun ouvrait une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Cymbeline. La société Cymbeline Boutiques faisait également l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire par décision du tribunal de commerce de Melun du 3 novembre 2014.

Par jugement en date du 15 décembre 2014, le tribunal de commerce de Melun arrêtait le plan de cession du fonds de commerce de la société Cymbeline au profit de M. L. ou sa société Cymbeline Forever (SAS), moyennant le prix de 150.000 euros ; par ordonnance en date du 15 décembre 2014, le juge-commissaire de la procédure collective de la société Cymbeline boutiques autorisait la cession au profit de M. Jean-Philippe L. de trois fonds de commerce sis à Paris, Lyon et Toulouse, moyennant le prix de 140.000 euros, avec faculté de substitution au profit de la société Cymbeline Forever.

L'acte de cession du fonds de commerce de la société Cymbeline comprenait notamment la reprise d'une liste de marques, les droits de propriété intellectuelle attachés aux dessins et modèles, déposés ou non, et les patrons des robes créées par la société Cymbeline.

La société Cymbeline Forever exploite le fonds de commerce repris, et commercialise les modèles de robes de mariées acquis de la société Cymbeline et ceux nouvellement créés sous la marque « CYMBELINE », à travers un réseau de magasins Cymbeline en France et à l'étranger.

Après la reprise du fonds de commerce, la société Cymbeline Forever et M. L. estimant subir des actes de concurrence déloyale de la part des trois fondatrices de la société Cymbeline, au travers de leur maison de couture dénommée «Atelier Emelia» créée en 2016, ont fait assigner Mmes Evelyne J. épouse D., Chantal J. et Monique J. devant le tribunal de grande instance de Fontainebleau, qui par jugement en date du 17 août 2016, a rejeté leurs demandes. Cette décision a fait l'objet d'un appel devant la Cour d'appel de Paris qui par arrêt du 22 septembre 2020 a rejeté les demandes de la société Cymbeline Forever et de M. L. sauf en ce qui concerne la restitution de matériels.

Dans le cadre de l'instance devant le tribunal de grande instance de Fontainebleau, Mme Monique J. formait une demande reconventionnelle en contrefaçon de droits d'auteur sur huit modèles de robes figurant au catalogue de la société Cymbeline Forever, robes qu'elle estimait avoir créées après son départ de la société Cymbeline et ne figurant pas selon elle dans le périmètre de la cession du fonds de commerce.

Par le même jugement en date du 17 août 2016 ci-dessus cité, le tribunal de grande instance de Fontainebleau se déclarait incompétent pour connaître de telles demandes au profit du tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du 16 mai 2019, dont appel, le tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré Mme Monique J. irrecevable à agir sur le fondement des droits d'auteur,

- débouté la société Cymbeline Forever et M. Jean-Philippe L. de leur demande reconventionnelle en contrefaçon de droits d'auteur,

- débouté la société Cymbeline Forever et M. Jean-Philippe L. de leur demande reconventionnelle en procédure abusive,

- condamné Mme Monique J. à payer à la société Cymbeline Forever et à M. Jean-Philippe L. la somme de 5.000 euros chacun, soit 10.000 euros au total, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme Monique J. aux entiers dépens de l'instance dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Mme Monique J. a relevé appel de cette décision et par ses dernières conclusions demande à la cour, au visa des articles L. 121-1, L. 121-2, L. 122-4 et L. 335-3 code de propriété intellectuelle, d'infirmer le jugement entrepris en ses dispositions lui faisant grief et statuant à nouveau de :

- la dire titulaire de droits d'auteur sur les cinq modèles de robes invoqués identifiées sous les appellations Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle,

- dire que la société Cymbeline Forever et M. L. ont porté atteinte aux droits d'auteur dont elle est titulaire sur les cinq modèles de robes précités, ont violé à ce titre les dispositions des articles L. 122-4 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, et ont engagé leur responsabilité de ce fait,

- dire que la société Cymbeline Forever et M. L. se sont rendus coupables d'actes de contrefaçon à son préjudice,

- interdire à la société Cymbeline Forever et à M. L. de fabriquer, offrir à la vente ou mettre sur le marché, importer, exporter, transborder, utiliser ou détenir à ces fins, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, les cinq modèles originaux de robes créées par elle alors identifiés s'agissant des créations originales en cause ainsi que tout autre produit incorporant les caractéristiques originales des cinq modèles originaux de robes, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la décision à intervenir,

- interdire à la société Cymbeline Forever et à M. L. de fabriquer, offrir à la vente ou mettre sur le marché, importer, exporter, transborder, utiliser ou détenir à ces fins, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, des modèles similaires aux cinq modèles originaux de robes créées par elle alors identifiés s'agissant des créations originales ainsi que tout autre produit incorporant les caractéristiques originales des huit modèles originaux de robes, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement à intervenir,

- condamner in solidum la société Cymbeline Forever et M. L. à lui verser la somme de 334.950 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel, à parfaire,

- condamner in solidum la société Cymbeline Forever et M. L. à lui verser la somme 80.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

- faire interdiction à la société Cymbeline Forever et à M. L. d'exploiter à quelque titre que ce soit et sur tout support que ce soit les cinq modèles de robes créées par elle correspondant pour les créations originales aux appellations Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle, ainsi que tout autre produit incorporant les caractéristiques originales de ces robes, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement à intervenir,

- faire interdiction à la société Cymbeline Forever et à M. L. d'exploiter à quelque titre que ce soit et sur tout support que ce soit des modèles similaires aux cinq modèles de robes créées par elle correspondant pour les créations originales aux appellations Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle, et en particulier mais de manière non limitative, s'agissant des modèles litigieux à ceux identifiés sous les appellations Ironie, Indulgence, Bérengère, Belle, Byzance, Canne, Idylle, ainsi que tout autre produit incorporant les caractéristiques originales de ces robes, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement à intervenir,

- autoriser et ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux professionnels de son choix et aux frais de la société Cymbeline Forever et de M. L. dans la limite de 5.000 euros HT par publication,

- autoriser et ordonner la publication par extraits de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil du site www. cymbeline.com/fr/ et ce pendant trois mois à compter de la signification de la décision à intervenir,

- dire et juger que les astreintes prononcées seront liquidées s'il y a lieu par la cour ayant statué sur la présente demande,

- condamner in solidum la société Cymbeline Forever et M. L. à lui payer la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par leurs dernières conclusions, la société Cymbeline Forever et M. L. demandent à la cour, au fondement des articles L. 113-2, L. 113-5, L. 121-1, L. 121-2, L. 122-4, L. 335-3 et L. 511-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré Mme J. irrecevable à agir sur le fondement des droits d'auteurs,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes reconventionnelles en contrefaçon de droit d'auteur et en dommages-intérêts pour procédure abusive,

Statuant à nouveau :

Sur les trois modèles de robes : Bali - Byzance - Bethany.

- juger que Mme J. a expressément renoncé en cause d'appel à toute revendication concernant les droits de propriété intellectuelle sur les modèles de robes de mariées identifiés sous les appellations Bali, Byzance et Bethany listés ci-après, dont la propriété a été valablement transférée à la société Cymbeline Forever, venant aux droits de la Sas Cymbeline,

Sur les cinq modèles de robes : Ironie - Indulgence - Belle - Byzance - Idylle.

A titre principal,

- déclarer Mme J. irrecevable à agir sur le fondement des droits d'auteurs,

- juger que les droits de propriété intellectuelle attachés aux cinq modèles de robes de mariées identifiés sous les appellations Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle ont été valablement transférés à la Sas Cymbeline Forever, venant aux droits de la Sas Cymbeline, et que la Sas Cymbeline Forever est régulièrement propriétaire de ces cinq modèles de robes de mariées,

A titre subsidiaire,

- juger que la Sas Cymbeline était propriétaire et titulaire de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés aux cinq modèles de robes de mariées identifiés sous les appellations Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle, et que ces droits ont été valablement cédés à la société Cymbeline Forever aux termes de l'acte de cession d'entreprise en date du 18 mai 2015, autorisé par jugement du tribunal de commerce de Melun en date du 15 décembre 2014,

- juger que les droits de propriété intellectuelle attachés aux cinq modèles de robes de mariées identifiés sous les appellations Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle ont été valablement transférés à la Sas Cymbeline Forever, venant aux droits de la Sas Cymbeline, et que la Sas Cymbeline Forever est régulièrement propriétaire de ces cinq modèles de robes de mariées ;

- débouter en conséquence Mme J. de son action en contrefaçon au titre des cinq modèles de robes de mariées concernées, ainsi que plus généralement de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre eux,

En tout état de cause,

- juger que Mme J. reproduit et commercialise les huit robes propriété de la société Cymbeline Forever via la société Atelier Emelia,

- juger que ce faisant Mme J. a commis à l'encontre de la société Cymbeline Forever des actes de contrefaçon en application des articles L. 335-2 et L. .335-3 du code de la propriété intellectuelle, et la condamner en conséquence à payer à la Sas Cymbeline Forever la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner Mme J. à leur payer, à chacun, la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamner Mme J. à leur payer, à chacun, la somme de 25.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Sur la titularité des droits d'auteur concernant les modèles de robes Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle

Mme Monique J. dit avoir créé entre janvier et mars 2014 les cinq modèles de robes de mariées dénommés Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle sur lesquels elle estime être titulaire de droits d'auteur et conteste avoir cédé ses droits patrimoniaux à la société Cymbeline dont le fonds de commerce a été acquis par la société Cymbeline Forever.

La société Cymbeline Forever conteste quant à elle la qualité d'auteur de Mme J. sur les modèles de robe en cause et dit être cessionnaire des droits patrimoniaux d'auteur sur ces modèles de robe ainsi que sur trois autres créations de robes de mariées notamment baptisées Bali, Ivanoé et Bethany pour les avoir acquis à l'occasion de la cession du fonds de commerce de la société Cymbeline.

A titre liminaire, la circonstance que Mme Monique J. n'invoque plus que cinq modèles de robe devant la présente cour au lieu des huit revendiqués en première instance, ne peut être interprété comme un renoncement implicite de cette dernière à ses droits d'auteur et aucune conséquence de droit ne peut en être déduite par la cour sauf à considérer qu'elle est uniquement saisie par l'appelante de prétentions concernant les seuls modèles de robes de mariée dénommés Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle.

Sur la qualité d'auteur de Mme Monique J.

L'article L. 111-1, alinéa premier, du code de la propriété intellectuelle prévoit que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous.

Selon les dispositions de l'article L. 113-1 du même code, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée.

Cette présomption légale prévue à l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle est instaurée au profit du seul auteur personne physique. Une personne morale ne peut être investie à titre originaire des droits de l'auteur que dans le cas où une oeuvre collective, créée à son initiative, est divulguée sous son nom.

La société Cymbeline Forever invoque la présomption prétorienne de titularité des droits d'auteur au profit de la personne morale - la société Cymbeline - qui a exploité sans équivoque les oeuvres alléguées, pour considérer qu'elle a acquis en tant que cessionnaire du fonds de commerce de cette société Cymbeline par acte du 18 mai 2015 les droits patrimoniaux d'auteur sur ces modèles dont cette société était titulaire pour les avoir exploités sous son nom.

Si la personne morale qui exploite de façon paisible et non équivoque une oeuvre de l'esprit sous son nom est présumée titulaire des droits d'auteur, cette présomption vaut à l'égard des tiers recherchés en contrefaçon et en l'absence de revendication du ou des auteurs.

Or, en l'espèce, Mme J. revendique être l'auteur des cinq modèles de robes de mariée précités qu'elle dit avoir créés en 2014 alors qu'elle n'était plus salariée de la société Cymbeline pour avoir fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2013.

La société intimée ne prétend ni ne démontre que les cinq modèles de robe de mariée en cause constituent des oeuvres collectives, dont la société Cymbeline aurait été investie des droits d'auteur.

Il convient en conséquence de déterminer si Mme J. est bien l'auteur des modèles de robe en cause.

Pour démontrer sa qualité d'auteur, Mme J. fournit au débat de nombreuses attestations d'anciens salariés de la société Cymbeline ou d'intervenants extérieurs en qualité de 'free lance'(pièces 6 à 8 et 17 à 24 ter).

Les attestations établies par Mmes Sophie D., directrice commerciale (8 mai 2017), Caroline L., coupeuse puis mercière , (9 mai 2017 et 23septembre 2019), Sophie S. directrice de collection free lance (11 mai 2018 et 11 octobre 2019), Ying Ma, modéliste free lance (16 mai 2018), Soline G., assistante de création production,(18 mai 2018 et 14 octobre 2019); Patricia M., responsable de boutique (15 octobre 2019), Aziza B., accessoiriste (14 octobre 2019), Elodie R., responsable de boutique (18 octobre 2019), Virginie D., responsable du corner des Galeries Lafayette (20 juillet 2020) et de MM. Andreas A., styliste et directeur artistique (14 octobre 2019), Christophe D., distributeur de la marque Cymbeline (5 octobre 2019) et Gérard D., comptable (18 octobre 2019), présentent toutes Mme Monique J. comme la créatrice des collections de la société Cymbeline, ses plus proches collaborateurs confirmant par des propos précis et circonstanciés que celle-ci travaillait seule à la création des modèles sans établir de croquis, créant directement sur le mannequin pour établir les toiles et patronnages du modèle, et précisant qu'au début de l'année 2014, Mme Monique J. est la seule créatrice des modèles Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle.

La qualité de créatrice au sein de la société Cymbeline de Mme Monique J. est par ailleurs confirmée par les dépôts de dessins et modèles de l'Union européenne concernant d'autres modèles de robes de mariée, effectués par la société Cymbeline le 24 mai 2013 et mentionnant Mme Monique J. en qualité de créateur.

De même, si l'intervention de Mme Monique J. au sein de la société Cymbeline postérieurement à son départ à la retraite le 31 décembre 2012 est notamment l'objet du contrat de prestations de services convenu le 23 janvier 2014 avec effet rétroactif au 17 mars 2013, entre la société Cymbeline et la société SDF Evelyne & Monique pour des prestations de supervision et de validation du travail de Mme Sophie S. au service création et asistance du bureau d'étude du service création , cette dernière atteste que Mme J. a bien créé seule les cinq modèles en cause.

Aussi, il ressort de ce qui précède que Mme Monique J. démontre bien être la créatrice des cinq modèles de robe Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle en cause devant la cour, ce quand bien même elle ne fournit au débat aucun croquis, celle-ci créant directement sur le mannequin comme en témoignent de nombreuses personnes.

Mme Monique J. justifiant être l'auteur des créations en cause doit être considérée comme recevable à agir sur le fondement des droits d'auteur, ce quand bien même ces créations ont été divulguées sous le nom de la société Cymbeline. Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

Sur l'originalité des modèles de robe en cause

Il appartient à Mme J. qui revendique une protection au titre du droit d'auteur sur cinq modèles de robe de mariée dont l'originalité est contestée par la société intimée qui considère que ces modèles sont la reprise à quelques détails près de modèles anciens de la société Cymbeline, de préciser en quoi les oeuvres revendiquées portent l'empreinte de la personnalité de leur auteur.

Ainsi que le fait valoir Mme J., le modèle 'Ironie' inspiré des années 50 est composé d'une large jupe en tulle à godets marqués en cassures sur le tour de la taille et comporte des réincrustations de dentelles de calais, la ligne de taille est droite et ceinturée et un top est posé sur la robe, le modèle 'Indulgence' comporte un décolleté dans le dos en rond fermé par un noeud au niveau de l'encolure qui retombe dans le dos, de petites emmanchures très dégagées et écourtées, une large jupe en dentelles coupées sous les fesses avec une traîne arrondie et une réincrustation de dentelles de Calais, le modèle 'Belle' est composé d'une double jupe l'une galbée et évasée façon 'sirène' sur deux étages et une sur jupe asymétrique , d'un buste droit et plat avec incrustations de dentelle sur la découpe et une ligne décolletée en V devant et dans le dos; une ceinture sous la poitrine et une fine dentelle style Chantilly, le modèle 'Byzance', d'une ligne épurée et graphique, est constitué d'une robe bustier droite corsetée avec une jupe plate sur le devant, basculée dans le dos qui comporte huit plis et une petite traîne arrondie, la taille étant légèrement basse et ceinturée par un drapé, et le modèle 'Idylle' est constitué d'une jupe en crêpe largement fendue, drapée et coupée à la taille et d'un buste en dentelle avec des bords en feston, des manches tee-shirt et un décolleté en V devant et dans le dos.

Les modèles de robe de mariée en cause, certes inspirés des modèles précédents commercialisés par la société Cymbeline et pour la plupart créés par Mme J., apparaissent néanmoins chacun revisités et présentent un décolleté profond, la superposition ou l'incrustation de dentelles associés à des jupons vaporeux ou fluides, ces choix arbitraires et esthétiques faisant que l'aspect global de chacune des oeuvres prise dans la combinaison de chacun de ses éléments, fussent-ils connus, en font un modèle de robe de mariée au style graphique, délicat et épuré qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Sur la contrefaçon

Mme J. démontrant être l'auteur de cinq oeuvres originales, il appartient à la société Cymbeline Forever d'établir être cessionnaire des droits patrimoniaux de l'auteur sur les cinq oeuvres qu'elle exploite, celles-ci figurant dans les catalogues Cymbeline et Pour un Oui de 2015.

L'appelante conteste avoir cédé ses droits sur ces cinq oeuvres aux motifs qu'elles ont été créées alors qu'elle n'était plus salariée de la société Cymbeline. Elle ajoute que la convention de prestation de services du 23 janvier 2014 précitée n'emporte pas cession de ses droits à la société Cymbeline contrairement à ce qu'a considéré le tribunal dans la décision dont appel.

La convention de prestations de services précitée qui prévoit à son article 6 que : 'de convention expresse, les prestations réalisées seront la propriété du client, à compter du paiement intégral de la prestation' est conclue entre la société SDF Evelyne et Monique et la société Cymbeline et non par Mme Monique J., le transfert de propriété des prestations accomplies par la personne morale SDF Evelyne et Monique, ne peut emporter cession des droits d'auteur dont Mme Monique J. est seule titulaire sur les modèles de robe de mariée en cause, à supposer établi que la création de modèles de robe soit l'objet de cette convention ce qui est contesté par Mme J..

Néanmoins, il ressort que Mme Monique J. était également l'actionnaire de la société Cymbeline, comme ses deux soeurs, Evelyne J. épouse D. et Chantal J., et qu'elle a signé comme les autres titulaires d'actions de la société Cymbeline un pacte d'actionnaires le 14 octobre 2006 avec une société investisseuse, la société Financière Mode, en présence de la société Cymbeline.

Selon ce pacte d'actionnaires, Mme Monique J., ses deux soeurs et la société E3S sont désignés comme le 'groupe majoritaire' et la société Cymbeline comme 'la Société'. L'article 3.1.3 de cet acte prévoit que : 'Chacun des membres du Groupe Majoritaire déclare avoir transféré à la Société la pleine propriété de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle lui appartenant, pour autant que ceux-ci soient nécessaires ou utiles aux activités de la Société. Chacun des membres du Groupe Majoritaire s'interdit à l'avenir de déposer ou de protéger de quelque façon que ce soit, à son nom, directement, indirectement ou par personne interposée, tous droits intellectuels (brevets, marques...) nécessaires ou utiles à l'activité de la Société. Il s'engage à déposer et protéger lesdits droits exclusivement au nom de la Société afin que cette dernière puisse en jouir et en disposer librement comme propriétaire'. L'article 2.2 de ce pacte prévoit que celui-ci est conclu pour la durée pendant laquelle tout ou partie des soussignés seront titulaires des titres de la société et en tout état de cause pendant une durée de douze années à compter de la date de la signature le 14 octobre 2006 soit jusqu'au 14 octobre 2018.

Ainsi que le fait justement valoir la société Cymbeline Forever, à la date de création des cinq modèles en cause en février-mars 2014, Mme Monique J. était actionnaire de la société Cymbeline et s'était engagée en vertu de ce pacte d'actionnaires, à ne pas revendiquer de droits de propriété intellectuelle sur des créations nécessaires ou utiles à l'activité de cette société et à les protéger au nom de cette personne morale.

Mme Monique J. oppose en vain que ce pacte d'actionnaires ne serait plus en vigueur ou caduc à la date de création des cinq modèles de robe en cause, aucun élément ne venant étayer une telle thèse. La circonstance que Mme Evelyne J. épouse D. ne soit plus dirigeante de la société Cymbeline en 2014 est indifférente, l'acte en cause ne prévoyant nullement qu'il ne s'applique plus en cas de changement de mandataire social de la société Cymbeline, ce quand bien même la direction de la société Cymbeline par Mme Evelyne D. et M. Sébastien D. est considérée comme une condition substantielle par le 'groupe investisseur' qui peut toutefois donner son accord pour un départ anticipé (article 3.1.1), ledit pacte prévoyant uniquement une cessation de plein droit à l'égard d'une partie en cas de perte de qualité d'actionnaire de celle-ci (article 2.2 durée) ce qui n'est ni allégué, ni établi par Mme J.. De même, les affirmations de l'appelante selon lesquelles il n'existait plus de partenariat avec la société Financière Mode en 2014 ou qu'elle ne faisait plus partie du 'groupe majoritaire' ne sont étayées par aucun élément, sa qualité d'actionnaire étant indépendante de sa qualité de salariée de la société Cymbeline.

En outre, contrairement à ce que soutient Mme Monique J., la conclusion de la convention de prestations de services du 23 janvier 2014 entre la société SDF Evelyne et Monique dont elle est la fondatrice avec sa soeur Evelyne J. épouse D., n'est pas venue combler un vide juridique laissé par le pacte d'actionnaires , aucune contrariété n'existant en outre entre ces deux actes dont les parties et la finalité sont différentes, aucun élément ne venant étayer les allégations de l'appelante selon lesquelles la création de la société SDF Evelyne et Monique contreviendrait aux dispositions de l'article 3.1.2 du pacte d'associés par lequel le 'groupe majoritaire' s'interdit de prendre une participation dans le capital social d'une société nouvelle ou existante qui exercerait des activités similaires concurrentes ou complémentaires de celles de la société Cymbeline.

Aussi, il convient de considérer établi que Mme Monique J. a cédé à la société Cymbeline les droits patrimoniaux d'auteur sur les cinq modèles de robe en cause, étant relevé en tant que de besoin que les dispositions de l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable aux faits de l'espèce, que semble invoquer Mme J., ne visent que les seuls contrats énumérés à l'article L. 131-2, alinéa premier, à savoir les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle.

Il résulte de l'acte de cession du fonds de commerce en date du 18 mai 2015 entre la société Cymbeline et la société Cymbeline Forever se substituant à M. L., dressé en exécution du jugement du tribunal de commerce de Melun du 15 décembre 2014 arrêtant le plan de cession total de la société Cymbeline au profit de M. L., que la cession du fonds de la société Cymbeline comprend l'ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés aux modèles et dessins (déposés ou non auprès de l'INPI) et les patrons de robes créés par la société Cymbeline.

La société Cymbeline Forever justifie donc être le cessionnaire des droits patrimoniaux d'auteur de la société Cymbeline s'agissant notamment des cinq modèles Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle.

L'exploitation de ces modèles de robe par la société Cymbeline Forever en suite de la société Cymbeline ne constitue donc pas une atteinte aux droits patrimoniaux d'auteur de Mme Monique J.. L'appelante sera déboutée de ses demandes de ce chef.

En revanche, le défaut de mention du nom de l'auteur lors de la commercialisation de ses modèles de robe par la société Cymbeline Forever constitue une atteinte au droit moral de Mme Monique J., en application des dispositions de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle selon lesquelles l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, ce droit attaché à sa personne étant perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Au vu des éléments dont dispose la cour à savoir la commercialisation de ces cinq modèles sans citation du nom de l'auteur au cours de l'année 2015 et de l'année 2016 selon les éléments fournis par l'appelante, il sera alloué à Mme J. la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son entier préjudice issu de l'atteinte au droit à la paternité des oeuvres en cause, somme à laquelle seule la société Cymbeline Forever sera condamnée, l'appelante ne justifiant nullement que M. L. ai participé à titre personnel à l'atteinte au droit moral d'auteur alléguée et partant sa condamnation in solidum au paiement des dommages et intérêts.

Les mesures d'interdiction et de publications judiciaires sollicitées n'étant pas justifiées et proportionnées aux atteintes aux droits dont dispose l'appelante et retenues par la cour, sont rejetées.

Sur les demandes de la société Cymbeline Forever et de M. L.

La société Cymbeline Forever sollicite la condamnation de Mme Monique J. à lui payer la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle aurait subi en raison de la contrefaçon des droits d'auteur dont elle est titulaire sur les modèles de robe de mariée Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle et également sur les modèles Ivanoé, Bethany et Bali en raison de la commercialisation de modèles identiques par la société Atelier Emelia dont l'appelante est associée.

Néanmoins, à supposer démontré que la société Cymbeline Forever est titulaire de droits d'auteur sur les trois créations Ivanoé, Bethany et Bali, celle-ci ne peut reprocher des actes de contrefaçon à Mme Monique J. en raison de la commercialisation de modèles identiques par une personne morale distincte, la société Atelier Emelia, la cour relevant en outre que l'intimée ne démontre nullement de tels actes, la seule fourniture de photographies de modèles non datées, dont il ne ressort pas qu'ils sont commercialisés par la société Atelier Emelia, étant totalement insuffisante à caractériser des actes de contrefaçon.

La société Cymbeline Forever est en conséquence déboutée de ses demandes à ce titre et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

De même, les demandes de Mme Monique J. ayant partiellement prospéré, la demande de dommages et intérêts de la société Cymbeline Forever et de M. L. au titre de la procédure abusive est rejetée et le jugement déféré également confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles sont infirmées.

Partie perdante, la société Cymbeline Forever est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme Monique J., en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré Mme Monique J. irrecevable à agir sur le fondement des droits d'auteur, et en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant,

Dit que Mme Monique J. est recevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur dont elle est titulaire sur les créations de robes de mariée identifiées sous les dénominations Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle,

Déboute Mme Monique J. de l'ensemble de ses demandes formées contre la société Cymbeline Forever et M. Jean-Philippe L. au titre de la contrefaçon de ses droits patrimoniaux d'auteur,

Dit qu'en commercialisant les modèles de robe Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle, sans mention du nom de l'auteur, la société Cymbeline Forever a porté atteinte au droit moral d'auteur dont Mme Monique J. est titulaire,

Condamne en conséquence la société Cymbeline Forever à payer à Mme Monique J. la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice par elle subi du fait de cette atteinte,

Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires aux motifs de l'arrêt,

Condamne la société Cymbeline Forever à payer à Mme Monique J. la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles,

Condamne la société Cymbeline Forever aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.