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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 17 octobre 2012, n° 10/19937

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Deraedt, Ettori

Défendeur :

Editions De Tournon (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avocats :

Me Garnier, Me Clenet, Me Baechlin, Me Odinot

TGI Paris, du 17 mars 2010, n° 08/10966

17 mars 2010

Vu l'appel interjeté le 12 octobre 2010 par Aude ETTORI et Fabrice DERAEDT, du jugement contradictoire rendu le 17 mars 2010 par le tribunal de grande instance de Paris ;

Vu les uniques écritures respectivement signifiées :

le 11 février 2011 par Aude ETTORI et Fabrice DERAEDT, appelants,

le 28 juin 2011 par la société EDITIONS DE TOURNONS (SA), intimée ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 12 juin 2012 ;

SUR CE, LA COUR :

Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement entrepris et aux écritures des parties ;

Qu'il suffit de rappeler que Aude ETTORI et Fabrice DERAEDT ayant proposé en janvier 1999 à la société EDITIONS DE TOURNON, un concept de magazine intitulé EKLLIPSE consacré à l'art de la bande dessinée, un projet de contrat d'édition leur a été proposé le 12 octobre 1999 qui n'a jamais été signé ;

Que neuf numéros du magazine EKLLIPSE ont été néanmoins publiés entre décembre 1999 et juillet 2001 par la société SEMIC, aux droits de laquelle vient la société EDITIONS DE TOURNON, pour lesquels Aude ETTORI a émis des factures ;

Que le litige s'est noué à l'issue de la publication en juillet 2001 du 9ème numéro, après que la société SEMIC ayant mis en demeure Aude ETTORI le 14 septembre 2001 de 'faire le nécessaire pour assurer au plus vite la parution du prochain numéro', celle-ci mettait en demeure la société SEMIC, le 21 septembre 2001, de lui régler les deux factures impayéesn°20 et 29 puis lui indiquait, par une lettre recommandée avec avis de réception du 4 octobre 2001, qu'elle se considérait libre de tout engagement dès lors qu'aucun contrat n'avait été conclu, qu'elle se revendiquait 'propriétaire exclusif du magazine EKLLIPSE, de son titre, de son concept et de l'intégralité de son contenu' et qu'il lui était dû pour l'ensemble des publications une somme 645.667 francs HT sur laquelle la société SEMIC ne lui avait versé que 465.000 francs HT;

Que la société SEMIC ayant dans un tel contexte publié en mai 2002 un magazine CALLIOPE consacré à la bande dessinée, Aude ETTORI et Fabrice DERAEDT l'ont assignée suivant acte du 20 avril 2004 devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de leurs droits d'auteur pour avoir, sans contrat l'y autorisant, exploité le magazine EKLLIPSE et, en toute hypothèse, pour avoir publié le magazine CALLIOPE qui constitue, selon eux, la reproduction de leur oeuvre originale, en contrefaçon des droits sur la marque française semi-figurative EKLLIPSE dont Aude ETTORI est titulaire, déposée le 26 avril 2000 pour désigner notamment en classes 16, 38, 41 et 42 des produits de la presse, de l'édition, des revues et des magazines, subsidiairement, en concurrence déloyale ;

Que le tribunal, par le jugement dont appel, a, entre autres dispositions, reconnu à Aude ETTORI et Fabrice DERAEDT la qualité d'auteurs du magazine EKLLIPSE, dit que la convention du 12 octobre 1999 est un contrat d'édition comportant cession du droit d'exploiter la première édition de chacun des numéros de l'oeuvre, écarté la prétendue reproduction du magazine EKLLIPSE par le magazine CALLIOPE, rejeté en conséquence les demandes formées au fondement de contrefaçon de droits d'auteur, déclaré prescrite la demande en contrefaçon de marque, rejeté la demande en concurrence déloyale, débouté la société EDITIONS DE TOURNON de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Que les parties réitèrent devant la cour toutes leurs prétentions telles que soutenues devant les premiers juges ;

Sur la qualification de l'oeuvre revendiquée,

Considérant que la société EDITIONS DE TOURNON, qui ne conteste pas le caractère original du magazine EKLLIPSE, fait valoir que les appelants seraient irrecevables à agir en contrefaçon de droits d'auteur au motif que l'oeuvre revendiquée, pour avoir été, selon les dispositions de l'article L.113-3 in fine du Code de la propriété intellectuelle, créée sur son initiative, éditée, publiée et divulguée sous sa direction et son nom, serait une oeuvre collective, dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé, et dont elle serait seule propriétaire ;

Qu'elle soutient à cet égard que Aude ETTORI et Fabrice DERAEDT, contrairement à ce qu'ils prétendent, ne lui ont pas présenté un magazine 'clefs en mains', prêt à être publié, mais une maquette 'art book' destinée à leur démarches de prospection auprès des éditeurs et que le projet de magazine n'a pu aboutir qu'à la faveur des apports consentis par la société SEMIC pour le doter de rubriques structurées, d'une charte graphique, d'une page de couverture qui tienne compte des spécificités de la vente en kiosque ;

Mais considérant qu'il n'est pas discuté que Fabrice DERAEDT a déposé en février 1999 une enveloppe Soleau contenant un descriptif du magazine EKLLIPSE 'magazine du 9ème art (l'image dans tous ses états / un nouvel éclairage sur la BD)' ;

Que par ailleurs, force est de relever que la présentation de la maquette du magazine EKLLIPSE à la société EDITIONS DE TOURNON en janvier 1999 a été suivie de la signature par cette dernière, le 17 juin 1999, d'une attestation de confidentialité aux termes de laquelle Aude ETTORI et Fabrice DERAEDT sont désignés comme 'les auteurs' de la maquette du magazine et de son titre dont la société EDITIONS DE TOURNON s'interdisait toute communication et reproduction ;

Qu'en outre, le projet de contrat d'édition proposé à Aude ETTORI et Fabrice DERAEDT le 12 octobre 1999 énonçait à l'article 1 :

- 'les auteurs s'engagent à assurer pour l'éditeur la production régulière de six numéros annuels d'un magazine consacré à l'univers de la bande dessinée et des domaines annexes ci-après dénommé le Magazine',

- 'la prestation des auteurs comprendra la réalisation graphique et rédactionnelle de toutes les pages du Magazine sur la base d'un chemin de fer de 100 pages proposé par les auteurs et approuvé par l'éditeur, jusqu'à la fourniture sur tout support requis par l'éditeur pour la bonne fabrication des films nécessaires à l'impression',

-'les auteurs assureront la prestation rédactionnelle pour au moins deux tiers de l'ensemble, le solde de cette prestation étant assuré, sous leur responsabilité, par des collaborateurs extérieurs dans un budget maximum de 8000 francs' ;

Que force est de constater enfin :

- que la première page de chacun des neuf numéros du magazine EKLLIPSE constitue la reprise quasiment à l'identique de la maquette de la première page du magazine EKLLIPSE contenue dans l'enveloppe SOLEAU,

- que l'ourse du magazine fait figurer la société SEMIC sous la rubrique 'Administration et Edition', précise qu'il s'agit d'une 'création de FAHLEN production', dont il est constant qu'il s'agit du nom commercial de Aude ETTORI, attribue encore à FAHLEN production 'la conception et la rédaction', crédite enfin Aude ETTORI des fonctions de rédacteur en chef et Fabrice DERAEDT de celles de directeur artistique ;

Considérant qu'il suit de ces éléments que les contributions personnelles de Aude ETTORI et Fabrice DERAEDT sont parfaitement identifiables et que la société EDITIONS DE TOURNON ne produisant la moindre pièce susceptible de montrer que le magazine aurait été créé sur son initiative et sous sa direction et ne justifiant pas davantage de sa contribution à la réalisation de la maquette de la page de couverture et de la charte graphique, c'est à bon droit que le tribunal a écarté la qualification d'oeuvre collective et a reconnu à Aude ETTORI et à Fabrice DERAEDT la qualité d'auteurs du magazine revendiqué ;

Sur l'existence d'un contrat d'édition,

Considérant que la constatation écrite du contrat d'édition prescrite à l'article L. 132-7 du Code de la propriété intellectuelle n'est pas requise pour la validité du contrat mais pour sa preuve ;

Considérant que s'il est constant en l'espèce qu'aucun contrat n'a été signé entre les parties, un projet de contrat d'édition avait été proposé par la société EDITIONS DE TOURNON le 12 octobre 1999 à Aude ETTORI attribuant, ainsi qu'il a été précédemment relevé, la qualité d'auteurs à Aude ETTORI et à Fabrice DERAEDT et la qualité d'éditeur à la société EDITIONS DE TOURNON, énonçant ensuite à l'article 4 : en échange de ces prestations, (précédemment décrites à l'article 1 ci-avant évoqué) les auteurs factureront à l'éditeur une somme forfaitaire de 40.000 francs HT, augmentée d'un intéressement fixé à 2,50 francs par exemplaire (sur la base d'un prix public de 35 francs) à partir de 13.000 exemplaires vendus et à l'article 6 : les auteurs factureront par ailleurs à l'éditeur une somme égale à 10% des recettes publicitaires du magazine (...) enfin, à l'article 7 : l'éditeur s'engage à fabriquer et à commercialiser au moins 40.000 exemplaires de chaque édition du magazine et à diffuser le magazine tant que les ventes seront supérieures à 10.000 exemplaires par numéro ;

Que force est de relever que chacun des neuf numéros du magazine EKLLIPSE publiés par la société SEMIC a donné lieu à l'établissement par Aude ETTORI d'une facture faisant référence, pour ce qui est des factures afférentes aux numéros 1 à 7, au forfait de 40.000 francs HT prévu au projet de contrat du 12 octobre, auquel s'ajoutent 'les frais d'une impression couleur de l'ensemble des pages fixés à 1000 francs HT' outre un 'complément de réalisation de 8000 francs HT pour EKLLIPSE n°3 et 4 et de 10.000 francs HT pour lesn°5, 6 et 7", et pour les factures relatives auxn°8 etn°9, à un forfait fixé à 70.000 francs HT ;

Considérant qu'il s'infère de ces éléments que les auteurs ont exécuté le projet de contrat d'édition du 12 octobre 1999 en émettant en contrepartie de leurs prestations des factures conformes, à tout le moins pour les 7 premiers numéros du magazine, à la rémunération forfaitaire de 40.000 euros HT prévue au projet de contrat et dont il n'est pas discuté au demeurant que la société SEMIC les a dûment réglées ;

Considérant qu'il n'est pas davantage contesté que la société SEMIC a, conformément à l'article 7 du projet de contrat, fabriqué et commercialisé au moins 40.000 exemplaires de chaque édition du magazine ;

Considérant qu'il suit de ces observations, qui montrent que le projet de contrat d'édition du 12 octobre 1999 a reçu exécution et n'a soulevé aucune contestation jusqu'au mois de septembre 2001, que les parties se sont respectivement engagées dans des relations contractuelles conférant à Aude ETTORI et à Fabrice DERAEDT les droits et obligations de l'auteur, et à la société intimée les droits et obligations de l'éditeur, et qu'ainsi, les droits d'exploitation de la société EDITIONS DE TOURNON sur les 40.000 exemplaires de chaque édition du magazine EKLLIPSE qu'elle a été autorisée, aux termes du contrat d'édition, à fabriquer et à commercialiser, sont établis, ainsi que l'a retenu à juste titre le tribunal ;

Sur les demandes en contrefaçon,

Considérant qu'il s'infère des développements qui précèdent que la demande en contrefaçon pour la publication non autorisée des 9 numéros du magazine EKLLIPSE se trouve dénuée de fondement ;

Considérant que les appelants font en outre grief à la société intimée d'avoir contrefait le magazine EKLLIPSE en publiant le magazine CALLIOPE dont il imite le titre et la couverture à trois visuels, reproduit le format et la charte graphique ;

Or considérant qu'il résulte de l'examen comparatif auquel la cour s'est livrée que la couverture du magazine CALLIOPE se découpe en trois visuels rectangulaires et se distingue radicalement de celle du magazine EKLLIPSE où un grand visuel occupe toute la page à l'exception d'une marge, située à l'extrémité gauche de la page et constituée de huit vignettes superposées, que les titres sont différents, tant au regard du style calligraphique que des couleurs et de la disposition, que l'éditorial obéit à une charte graphique différente, évoluant horizontalement en partie supérieure de la page pour EKLLIPSE, verticalement à l'extrémité droite de la page pour CALLIOPE, que les pages intérieures sont exemptes de toute ressemblance tenant à l'emplacement des titres, au choix des couleurs dominantes, des polices de caractères, de l'articulation des textes et des images ;

Considérant que les titres EKLLIPSE et CALLIOPE ne présentent par ailleurs la moindre ressemblance, visuelle, auditive ou intellectuelle ;

Que c'est dès lors à raison que le tribunal a constaté que le magazine CALLIOPE ne constituait pas la reproduction du magazine EKLLIPSE et a rejeté la demande en contrefaçon formée de ce chef ;

Sur la demande en contrefaçon de la marque EKLLIPSE,

Considérant que le tribunal a exactement relevé, pour faire droit à la fin de non recevoir tirée de la prescription et opposée par la société EDITIONS DE TOURNON au fondement de L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, que la demande en contrefaçon de la marque EKLLIPSE avait été présentée par des conclusions du 13 décembre 2005 pour des faits remontant au plus tard au mois de juillet 2001, date de la publication du dernier numéro du magazine EKLLIPSE et que trois ans s'étant écoulés entre la date des faits incriminés et la date de la demande, sans qu'il ne soit justifié de la survenance, dans le cours de ce délai, d'aucun acte interruptif de prescription, la demande en contrefaçon de marque est prescrite ;

Sur la demande en concurrence déloyale,

Considérant qu'une telle demande, formée à titre subsidiaire, n'est pas davantage fondée au regard des développements qui précèdent et d'où il résulte qu'aucun risque de confusion n'est avéré entre le magazine EKLLIPSE et le magazine CALLIOPE et qu'aucune faute délictuelle n'est caractérisée à la charge de la société EDITIONS DE TOURNON ;

Sur les autres demandes,

Considérant que la demande en garantie présentée par la société intimée à l'encontre de Aude ETTORI est sans objet, aucune condamnation n'étant mise à sa charge ;

Considérant que le droit d'ester en justice, qui comprend le droit de former appel, n'est susceptible de dégénérer en abus ouvrant droit à réparation que s'il est exercé de mauvaise foi, par intention de nuire ou par légèreté blâmable équipollente au dol, toutes circonstances qui ne sont pas établies à la charge des appelants qui ont pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits ; que la demande de dommages-intérêts formée de ce chef par la société EDITIONS DE TOURNON sera en conséquence, par confirmation de la décision entreprise, rejetée ;

Qu'enfin, l'équité ne commande pas de faire droit aux demandes respectivement formées au fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

Confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

Y ajoutant,

Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation,

Condamne les appelants in solidum aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à la législation sur l'Aide juridictionnelle.