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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 16 septembre 2011, n° 10/01575

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Olivereau

Défendeur :

Expert Presse (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Girardet

Conseillers :

Mme Nerot, Mme Regniez

Avoués :

Me Nut, SCP Baufume Galland Vignes

Avocats :

Me Henin, Me Kuster-Hiltgen

TGI Paris, 3e ch. sect. 4, du 10 déc. 20…

10 décembre 2009

De 2003 à 2006, la société Expert Presse, qui a notamment pour activité l'édition d'ouvrages et de logiciels en matière immobilière, a conçu et développé un CD Rom, intitulé 'Vademecum Pro' et destiné aux professionnels de l'immobilier afin de leur permettre d'établir des expertises et avis de valeur immobilière, comprenant une base de données et de références complètes de ventes et de locations immobilières alimentées en temps réel.

L'arborescence de ce CD Rom a été conçue par le gérant de cette société, Monsieur Lumbroso, qui en a rédigé le contenu ; la programmation informatique et le développement ont été confiés à un ingénieur, engagé à cette fin en qualité de salarié, et la présentation graphique à Madame Olivereau, graphiste exerçant sous l'enseigne 'Réponses Créatives' qui a perçu 35.337 euros d'honoraires pour ses travaux.

Faisant état de l'engagement oral pris, selon elle, par le gérant de la société Expert Presse, dès l'origine de leurs relations, d'établir un contrat portant sur une rémunération proportionnelle au titre de ses droits d'auteur, de l'envoi d'un projet de contrat, en mars 2006, contenant une proposition à ce titre selon elle dérisoire (soit 10 euros hors taxes par produit vendu) alors qu'elle prétendait à une rémunération de 3 % sur le chiffre d'affaires annuel d'exploitation du logiciel et de la commercialisation du logiciel litigieux malgré son opposition formalisée en avril 2006, Madame Olivereau, par acte du 28 novembre 2007, a assigné la société Expert Presse afin qu'il lui soit fait défense de commercialiser ce logiciel et pour obtenir paiement provisionnel d'une somme de 187.500 euros avec désignation d'un expert chargé de déterminer le chiffre d'affaires réalisé sur la vente de ce logiciel.

Par jugement rendu le 10 décembre 2009, le tribunal de grande instance de Paris a dit que le CD Rom 'Vademecum Pro' est une oeuvre collective et débouté en conséquence Madame Olivereau de l'ensemble de ses demandes. Accueillant la demande reconventionnelle, il a condamné cette dernière à payer à la société Expert Presse la somme de 5.802,50 euros à titre de dommages-intérêts outre celle de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 24 mai 2011, Madame Janine Olivereau demande à la cour d'infirmer le jugement et :

- de faire défense, sous astreinte, à la société Expert Presse de commercialiser le logiciel avec son oeuvre graphique,

- de la condamner à lui verser une provision de 187.500 euros et de désigner un expert-comptable pour déterminer le chiffre des ventes réalisées ainsi que les droits correspondants lui revenant sur la base de 3 % des ventes, tous supports confondus,

- de la condamner au paiement de la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour l'exploitation abusive qu'elle a faite de sa conception graphique,

- de débouter l'intimée de ses prétentions en la condamnant à lui verser la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 16 décembre 2011, la société à responsabilité limitée Expert Presse demande à la cour, au visa des articles L. 131-4, L. 132-5, L. 113-2 et L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle :

- à titre principal, de confirmer le jugement,

- à titre subsidiaire, de déclarer Madame Olivereau irrecevable et, en tout cas, mal fondée en toutes ses prétentions,

- plus subsidiairement, de dire que les factures payées à Madame Olivereau, dépourvues de cause, sont nulles et, par application de l'article 1131 du code civil, de la condamner à lui restituer la somme de 35.337 euros versée sans contrepartie,

- en toute hypothèse, au visa des articles 32-1 et 1147 du code civil, de condamner l'appelante à lui verser une somme indemnitaire supplémentaire de 3.692,50 euros en raison de l'inexécution fautive du contrat de prestation de services relatif à la conception et à la réalisation d'une illustration, outre celles de 7.000 euros pour procédure abusive et de 6.000 euros au titre de ses frais non répétibles et, enfin, à supporter tous les dépens.

SUR CE,

Sur les demandes de Madame Olivereau fondées sur le droit d'auteur :

Considérant que l'appelante reproche au tribunal d'avoir qualifié l'oeuvre créée de collective en considérant, à tort, qu'elle résultait d'un travail d'équipe, alors que Monsieur Lumbroso n'a aucune compétence dans le domaine des arts graphiques et que la contribution de chacun était parfaitement séparable, et d'avoir, de manière erronée, considéré comme un principe la prohibition d'une rémunération proportionnelle des participants alors que rien n'interdit d'en convenir et que la société Expert Presse n'a pas respecté son engagement de rémunération proportionnelle pourtant explicitement reconnu ;

Que pour affirmer qu'elle est, selon l'article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle, seule investie des droits d'auteur, l'intimée fait principalement valoir que le CD Rom litigieux est le résultat de l'addition de différentes contributions qu'elle a initiées, dirigées et financées, qu'elle l'a commercialisé, en juin 2006, au terme de trois années de développement et qu'il répond à la définition de l'oeuvre collective figurant à l'article L. 113-2 du même code ;

Qu'elle ajoute, subsidiairement, qu'à supposer que la cour vienne à considérer qu'il s'agit d'une oeuvre de collaboration, Madame Olivereau qui agit en justice pour la défense de ses droits patrimoniaux et n'a pas appelé en la cause les autres auteurs de l'oeuvre doit être déclarée irrecevable en son action ;

Considérant, ceci exposé, qu'aux termes de l'article L 113-2 alinéa 3 précité

'Est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à l'un d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé' ;

Qu'il est constant, en l'espèce, que la SARL Expert Presse est à l'initiative de l'oeuvre à la réalisation de laquelle ont participé trois contributeurs et qu'elle l'exploite, sous son nom, depuis 2006 ;

Que pour démontrer que son oeuvre graphique est identifiable et son apport détachable, l'appelante :

- présente son travail comme ayant consisté, durant trois ans, à analyser la demande, lire les documents du client et ceux de la concurrence, à élaborer une arborescence, faire des croquis, dessiner les symboles à utiliser, à proposer au client plusieurs maquettes - lequel, en la personne de son gérant, n'avait aucune compétence en arts graphiques et s'est borné à en choisir une sans rien y ajouter - à appliquer la ligne graphique à une scénarisation interactive déployée dans les chapitres du CD Rom envisagé et aux écrans modèles ,

- oppose à l'intimée le fait qu'elle a elle-même reconnu la valeur ajoutée qu'elle a apportée puisque dans la présentation du produit sur le site internet de la société Expert Presse, il est indiqué : 'nous avons également porté un très grand soin au graphisme et à l'intrephase intuitive qui a été conçue par une grande professionnelle de l'art graphique et de la communication' (pièce 6),

- et produit le projet de contrat que lui a adressé le gérant de la SARL, le 09 mars 2006, aux termes duquel '(...) La société Expert Presse versera à Janine Olivereau en vertu de ses droits d'auteur sur la conception de l'interface graphique du logiciel une rémunération de 10 euros hors taxes par produit vendu et ce à partir du 1001ème logiciel vendu' (pièce 5) ;

Que ces éléments sont toutefois insuffisants pour dénier à la personne morale le rôle prépondérant qu'elle a tenu depuis le début de la création de l'oeuvre jusqu'à son exploitation et qui ressort de diverses pièces ;

Qu'en effet, la phrase du site internet de l'intimée présentant le produit et que cite l'appelante doit être complétée par ce qui la précède et qui fait état d'un 'cahier des charges' encadrant la liberté de création des contributeurs et met en évidence le travail d'harmonisation de la personne morale dont le représentant légal expose :

'(...) J'ai voulu atteindre un très haut niveau de perfection et cela réclame du temps et de la patience. Je me suis entouré d'une équipe d'experts solides. Le développement informatique s'est réalisé avec un spécialiste rompu aux systèmes innovants et performants. Le cahier des charges que nous nous sommes imposé était très exigeant. Le plus dur est de faire simple. Or, le principe qui nous a guidés était d'atteindre une souplesse d'utilisation inégalée et une rapidité permanente. Compte tenu de tous ces paramètres, ce fut une prouesse intellectuelle et technique. Nous avons également apporté un très grand soin au graphisme (...)' ;

Que cette activité de maîtrise d'oeuvre se retrouve, notamment, dans un courriel adressé le 05 décembre 2005 à Madame Olivereau puisqu'il contient des corrections qu'il lui est demandé d'apporter sur la plaquette de vente et une demande de modification de l'ordre des mentions sur la barre de menu des biens venant attester d'une activité de contrôle et de direction dans le processus de création ;

Que Madame Olivereau ne peut utilement tirer argument du projet de contrat qui lui a été adressé en mars 2006 dans la mesure la qualité d'auteur qui lui est reconnue est également reconnue à celui qui a contribué à une oeuvre collective, selon la lettre-même de l'article L 113-2 précité ;

Qu'en outre, ce simple projet s'inscrit, comme le démontre l'intimée (pièce 4), dans un contexte conflictuel puisque la campagne de commercialisation du produit était alors imminente, que Madame Olivereau, qui avait été réglée des honoraires afférents à la réalisation de la plaquette de commercialisation nécessaire à cette campagne dès le 31 décembre 2005 se refusait à la livrer, à l'instar d'un conditionnement pour lequel elle avait reçu un acompte dès le mois de juin 2005 et que le courriel accompagnant ce projet rappelait à l'appelante que ces éléments étaient attendus ; que par mail du 28 mars 2006 (pièce 3 de l'appelante), Monsieur Lumbroso lui faisait d'ailleurs part de son mécontentement face à ses multiples exigences financières que n'avait jamais eues aucun des graphistes avec lesquels il avait travaillé ;

Qu'il suit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il énonce que le CD Rom litigieux répond à la définition de l'oeuvre collective qui est la propriété de la société Expert Presse, seule investie des droits d'auteur, par application de l'article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle, et en ce qu'il conclut que Madame Olivereau doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes formées sur le fondement du droit d'auteur ;

Sur les demandes reconventionnelles :

Considérant que, condamnée en première instance à rembourser le montant des honoraires perçus en juin et décembre 2005 au titre du conditionnement du CD Rom litigieux et de sa plaquette de commercialisation qu'elle reconnaît ne pas avoir livrés, l'appelante se prévaut d'une exception d'exécution justifiant son refus de livraison ;

Que ne pouvant, toutefois, justifier d'un engagement valable de la société Expert Presse à lui consentir la rémunération proportionnelle qu'elle exigeait, elle n'est pas fondée en son exception en sorte que le jugement mérite confirmation ;

Considérant qu'ajoutant à sa demande reconventionnelle formée en première instance, l'intimée poursuit le remboursement de la somme de 3.692,50 euros en raison de l'inexécution fautive du contrat de prestation de services relatif à la conception et à la réalisation d'une illustration outre le paiement d'une somme de 7.000 euros venant sanctionner une procédure qualifiée d'abusive;

Mais considérant que si elle expose qu'elle n'a pu utiliser l'illustration originale de l'écran d'ouverture du logiciel facturée en juin 2005 du fait de la mention figurant au pied de la facture d'honoraires de Madame Olivereau, à savoir : ' les droits d'exploitation seront payés (selon notre négociation en cours) sur les ventes et commercialisation du logiciel' et qu'elle a dû en modifier le graphisme, elle n'en justifie que par la production d'une piècen°16 intitulée, dans son bordereau, 'nouvelle présentation graphique du CD Rom Vademecum Pro à compter de juin 2011" se présentant comme une page d'accueil ne comportant aucune référence de date ou d'origine ;

Que cette pièce ne suffit pas à démontrer un lien de causalité entre la présence de la mention figurant sur la note d'honoraires qui aurait fait obstacle à une exploitation et le choix d'une nouvelle page de présentation, cinq ans après le début de la commercialisation du CD Rom, en sorte que l'intimée sera déboutée de sa demande à ce titre ;

Qu'elle le sera semblablement en sa demande indemnitaire dès lors qu'estant en justice, Madame Olivereau a pu sans abus poursuivre la reconnaissance d'un droit, même si elle échoue en son action ;

Sur les demandes complémentaires :

Considérant que l'équité commande de condamner l'appelante à verser à l'intimée une somme complémentaire de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que, succombant, elle supportera les dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant ;

Déboute la société à responsabilité limitée Expert Presse de ses demandes reconventionnelles relatives au remboursement des honoraires perçus au titre de la réalisation de la page d'accueil et à l'indemnisation du préjudice résultant d'un abus de procédure ;

Condamne Madame Janine Olivereau à verser à la société Expert Presse la somme complémentaire de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Madame Olivereau aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.