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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 14 septembre 2011, n° 09/11404

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Servais

Défendeur :

Editions Larousse Bordas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avoués :

Me Huyghe, SCP Bolling Durand Lallement

Avocats :

Me Haziot, Me Saint-Leger

TGI Paris, du 8 avr. 2009, n° 07/06228

8 avril 2009

Vu le jugement contradictoire du 8 avril 2009 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 19 mai 2009 par Philippe SERVAIS,

Vu les dernières conclusions du 29 mars 2011 de l'appelant,

Vu les dernières conclusions du 19 avril 2011 de la société EDITIONS LAROUSSE SAS, intimée,

Vu l'ordonnance de clôture du 24 mai 2011,

SUR CE, LA COUR,

Considérant que la société LAROUSSE- BORDAS constatait, le 15 mai 1998, que Philippe SERVAIS acceptait d'assumer la direction de son livre sur l'homéopathie, et lui indiquait, le 9 juillet 1998, qu'un contrat serait établi (sur la base d'une rémunération forfaitaire de 70.000 F) lorsqu'elle aurait élaboré une maquette et précisé tous les éléments nécessaires pour passer à la phase opérationnelle ;

Que la maison d'édition LAROUSSE a confié le 15 avril 1999 la réalisation de l'ouvrage intitulé provisoirement «LAROUSSE DE L'HOMEOPATHIE», ayant Philippe SERVAIS comme directeur de publication, à un réalisateur (l'Agence MEDIA), en précisant les caractéristiques, les travaux à réaliser ainsi que le calendrier ;

Que, dans le cadre de ce projet de publication devant réunir différentes contributions, Philippe SERVAIS, médecin homéopathe, par ailleurs auteur d'un ouvrage édité en 1992 ('Le Choix de l'Homéopathie Ce presque rien qui vous guérit'), a signé avec la maison d'édition LAROUSSE :

-un contrat concernant l'écriture d'un texte de :

*trois feuillets, dans la partie consacrée aux principaux remèdes de cet ouvrage, sur l'«Argentum Nitricum» pour 660 F, le 22 mars 1999,

*quatre feuillets sur «Les Traumatismes» pour 880 FF, le 17 mai 1999,

-un contrat de directeur dudit ouvrage moyennant une rémunération de 70.000 F, le 11 juin 1999, et un avenant audit contrat du 25 novembre 1999 prévoyant une rémunération complémentaire de 20.000 F,

-un contrat pour la rédaction d'un texte sur :

*«Le point de vue de l'homéopathe» en 4 feuillets pour 880 F le 2 juillet 1999,

*«Les yeux» en 2 feuillets dans la partie 'Soigner avec l'homéopathie' de l'ouvrage, pour 440 F, le 30 août 1999 ;

Considérant qu'en septembre 2000, la société EDITIONS LAROUSSE a édité et publié l'ouvrage <<LAROUSSE de l'homéopathie>>, <<Sous la direction du docteur Philippe M. Servais>>, présenté comme une encyclopédie pratique pour la famille, comprenant plus de 300 pages et plus de 200 illustrations en couleurs, et divisé en quatre parties ('Découvrir l'homéopathie', 'Se soigner avec l'homéopathie''Connaître les médicaments' et 'Guide pratique') ;

Que l'ouvrage indique (en 5ème page) qu'il a été réalisé sous la direction du docteur SERVAIS <<président pour la France de la Ligue médicale homéopathique internationale>>, avec la collaboration de 28 personnes, dénommées par ordre alphabétique, dont la profession est précisée, trois autres personnes étant citées comme ayant également collaboré aux textes (respectivement pour la Belgique, le Canada et la Suisse) et la préface rappelle (en page 7) que l'ouvrage a été réalisé <<par d'éminents spécialistes>> de la disciple ;

Considérant que la société EDITIONS LAROUSSE entendant donner à cet ouvrage un élan renouvelé (en préparant une nouvelle édition) a invité le 26 janvier 2004 Philippe SERVAIS à <<participer à cette entreprise>> ; que l'intéressé a répondu que si les propositions faites lui paraissaient <<judicieuses et réalisables>> il ne s'accorderait plus sur une rémunération au forfait ;

Que la société LAROUSSE estimant que les conditions contributives réclamées ne correspondaient pas aux interventions envisagées, a renoncé le 4 mai 2004 à sa participation ; que Philippe SERVAIS en a pris acte le 8 juin 2004 réservant ses droits, tandis que la société EDITIONS LAROUSSE répondait le 24 août 2004 qu'elle détenait les droits d'auteur ;

Qu'une nouvelle édition a été publiée en février 2005 par la société EDITIONS LAROUSSE, reprenant les éléments précités de l'édition antérieure ;

Considérant que Philippe SERVAIS, reprochant à la société EDITIONS LAROUSSE d'avoir entrepris cette réédition sans son autorisation et en modifiant l'ouvrage (<<notamment changements des textes de présentation et des dessins d'illustration du chapitre 'les principaux médicaments'>>), a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure le 13 juin 2005 la société éditrice d'en cesser la diffusion, et la société EDITIONS LAROUSSE a formellement contesté cette position le 12 octobre 2005 ;

Que, dans ces circonstances, Philippe SERVAIS l'a faite assigner le 23 avril 2007 devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et résiliation des contrats précités ;

Considérant que, par la décision dont appel, les premiers juges ont débouté Philippe SERVAIS de toutes ses demandes, retenant en particulier que l'ouvrage en cause est une oeuvre collective, sur laquelle la société EDITIONS LAROUSSE est investie des droits d'auteur, et que les contrats litigieux s'analysent en des cessions de contributions à l'oeuvre collective ;

Que Philippe SERVAIS conteste ces qualifications, et soutient qu'il a été porté atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux d'auteur, que les contrats qu'il a signés sont des contrats d'édition, et que l'éditeur a manqué à ses obligations ce qui en justifierait la résiliation ;

Que la société EDITIONS LAROUSSE, ci-après dite société LAROUSSE, prétend au contraire être investie depuis l'origine des droits sur l'ouvrage en cause, subsidiairement que les griefs adverses sont mal fondés et que la demande indemnitaire n'est pas justifiée ;

Considérant que les parties s'opposant sur la qualification de l'ouvrage édité en 2000 par la société LAROUSSE, il convient d'en examiner le contenu et d'analyser les conditions concrètes de sa réalisation ; que les premiers juges ont exactement retenu à cet égard que la mention du nom de la personne chargée de la direction de l'ouvrage, pas plus qu'une attribution de paternité sur des sites internet ne sauraient suffire ; qu'il sera ajouté qu'il en est de même de la mention <<Du même auteur>> permettant de citer l'ouvrage de 1992 de Philippe SERVAIS, figurant en fin d'ouvrage (page correspondant à la 319ème page) ;

Considérant, s'agissant des textes, que le tribunal a justement relevé que les contributeurs (constituant pour l'essentiel des médecins homéopathes) sont simplement nommés en début d'ouvrage, sans que leur participation soit autrement précisée ;

Que l'ours (en quatrième page, visiblement déchirée s'agissant de l'exemplaire produit à la cour par Philippe SERVAIS) mentionne au titre de :

-la direction éditoriale :<<Edith Ybert, Laurence Passerieux assistées de Marie-Jeanne Miniscloux>>, dont il n'est pas contesté qu'il s'agit de salariées de la société LAROUSSE, -la réalisation : l'agence Media, précitée ;

Que l'éditeur présente, par ailleurs, en dernière page (correspondant à la 320ème page) quatre autres ouvrages ('Larousse médical', 'Encyclopédie Larousse de la santé', 'Encyclopédie des plantes médicinales' et 'Grand Atlas du corps humain'), les deux premiers étant réalisés sous la direction d'un médecin, démontrant que l'ouvrage s'inscrit dans une gamme, préexistante, de la société Larousse (collection médecine/santé, ce qui est au demeurant admis par Philippe SERVAIS p 15 de ses écritures) ;

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contestable que la société LAROUSSE a eu l'initiative du projet, Philippe SERVAIS rappelant au demeurant (p2 et 12 de ses écritures) qu'il a été contacté par les Editions Larousse, qui entendaient publier un ouvrage de référence consacré à l'homéopathie ;

Que les premiers juges ont estimé qu'il était établi que des salariés de l'éditeur ont travaillé à l'élaboration du livre, qu'ils étaient contractuellement chargés de diriger l'édition avec l'aide de l'agence MEDIA, et qu'en définitive Philippe SERVAIS a simplement exécuté ses obligations contractuelles, tandis que celui-ci prétend avoir dépassé ses fonctions de directeur d'ouvrage et avoir la qualité d'auteur d'un recueil d'oeuvres (dont les siennes) au sens de l'article L. 112-3 du Code de la propriété ;

Qu'il sera rappelé que Philippe SERVAIS a été engagé par l'éditeur pour des taches contractuellement définies, dans un cadre déterminé (caractéristiques de l'ouvrage, plan et calendrier) , étant relevé que si aux termes des contrats qu'il a signé il cédait ses droits, il était bien spécifié que l'ouvrage était publié à l'initiative et sous la direction de l'éditeur et que les différentes contributions se fondront dans cet ouvrage ; que, certes, la qualification de l'oeuvre ne dépend pas de la terminologie choisie par les parties, mais il est néanmoins suffisamment établi que Philippe SERVAIS a été chargé par la société LAROUSSE, en raison de ses compétences en matière d'homéopathie, de recruter les personnes capables de fournir les contributions nécessaires à la réalisation de l'ouvrage projeté sur le sujet par elle choisi, de corriger les textes de ces collaborateurs, de la conseiller pour les illustrations, de rédiger certains textes et de vérifier le contenu à éditer ;

Que, nonobstant l'importance de la tache accomplie, Philippe SERVAIS n'a manifestement agi que pour le compte de l'éditeur, et au vu des objectifs fixés par ce dernier ; qu'en particulier il résulte des pièces par lui produites :

-(courrier du 18 février 1999, pièce 9) que la société LAROUSSE-BORDAS lui a adressé <<un récapitulatif>> de ses priorités sur l'ouvrage, précisant l'ordre dans lequel il devait travailler, lui donnant des consignes pour faire des <<propositions de coupe>>, indiquant que l'agence Média s'occuperait de la mise en forme et qu'un point serait fait sur l'avancement du travail,

-(courrier du 7 avril 1999, pièce 61 bis), qu'une salariée de la société LAROUSSE (L. Passerieux, apparaissant dans l'ours au titre de la direction éditoriale) a contacté un contributeur pour réduire son texte et que la correction est également adressée à cette salariée,

-(courriers des 8 avril et 15 juillet 1999, pièces 18 et 20), que ladite salariée lui demandait, respectivement, la transmission des notions et caractéristiques à illustrer pour faire réaliser les dessins des remèdes principaux et une évaluation de l'adéquation de cinq dessins réalisés,

-(attestations de contributeurs, pièces 27 à 38), que manifestement ils ne travaillaient pas de concert entre eux, le présentant comme leur interlocuteur privilégié, et faisant état de l'intervention de la société Larousse, notamment pour <<adapter la taille des chapitres avec la mise en page>>(pièce 32), <<pour des détails de mises en forme et calibrage du texte>> (pièce 35), la supervision de <<certains textes>>(pièce 29) ou << pour des détails de forme>>( pièce 37) , deux autres collaborateurs (pièces 34 et 36) précisant que les allers et retours de leur texte tendait à un compromis avec <<ce qui convenait à Larousse en terme de longueur de texte et de simplicité d'écriture>>,

-(courrier dépendant de la pièce 25), que la rédactrice d'un 'article de dermato' lui écrivait le 23 juillet 1999 <<Tu verras comment tu peux négocier avec Larousse>>,

-( télécopie d'un contributeur du 6 janvier 2000, pièce 74) qu'il est demandé à la salariée de la société LAROUSSE de préciser si un article <<est dans la forme souhaitée ou s'il faut lui apporter des modifications >> ;

Que l'ensemble de ces éléments démontrent suffisamment que la société LAROUSSE, qui a pris l'initiative de l'ouvrage, choisissant de confier à une personne physique lui semblant qualifiée un rôle déterminé, n'a pas perdu le contrôle de la réalisation de ses impératifs, demeurant maître de la ligne directoriale d'un ouvrage descriptif, explicatif et pratique (l'ouvrage comportant une présentation du sujet, des maladies, des remèdes et des informations pratiques), paraissant s'inscrire dans la continuité de sa collection 'Médecine/santé' ;

Qu'en fait les choix et le travail intellectuel réalisés par Philippe SERVAIS, même s'ils sont importants, se sont fondus dans un ensemble voulu par la société éditrice, auquel se sont soumis les contributeurs, dont les salariés de l'éditeur se sont assurés de la bonne exécution et conformité, ce qui lui donne son unité ; que la création ainsi réalisée, dont la société LAROUSSE a en fait assuré, sous sa responsabilité, l'édition et la publication au nom de 'LAROUSSE', présente bien un caractère collectif au sens article L. 113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, ainsi que pertinemment admis par les premiers juges ;

Considérant, dès lors, qu'il est impossible d'attribuer à chacun des contributeurs un droit distinct sur l'ensemble, et que Philippe SERVAIS, qui a aliéné sa liberté d'auteur au profit de la société LAROUSSE est dépourvu de droits sur l'ensemble créé, lesquels appartiennent à titre originaire à cette personne morale, sous le nom de laquelle il a été divulgué ;

Considérant que, dans ces conditions, il importe peu que Philippe SERVAIS ait écrit plus de textes que ceux cédés par contrat à la société LAROUSSE, et les contrats par lui souscrits, pour des contributions déterminées à l'oeuvre collective, ne sauraient s'analyser, ainsi qu'exactement retenu par le tribunal, en contrats d'édition ; que faute de droits, Philippe SERVAIS ne saurait valablement se prévaloir d'un quelconque manquement de la société LAROUSSE de ces chefs, et sa demande de résiliation s'avère, en conséquence, sans objet ;

Que, de même, que le principe d'une rémunération proportionnelle de l'auteur en cas de cession de ses droits d'exploitation ne s'applique pas au collaborateur de l'oeuvre collective, et Philippe SERVAIS ne saurait ainsi légitimement prétendre à une rémunération complémentaire à ce titre ;

Considérant que seul l'auteur jouit du droit au respect de son oeuvre ; que le titulaire des droits d'exploitation sur une oeuvre collective peut la faire librement évoluer, sans autorisation des contributeurs ; qu'en l'espèce aucun abus, ni déloyauté, n'est caractérisé à l'encontre de la société Larousse, laquelle a, au contraire, avisé Philippe SERVAIS (lettre du 24 février 2004) de son intention de remanier l'édition antérieure principalement en ce qui concerne les remèdes présentés, et de ce qu'elle ne pouvait faire appel à la même illustratrice, Philippe SERVAIS n'émettant alors aucune opposition de principe ;

Qu'au surplus la nouvelle édition n'a pas perdu la nature d'oeuvre collective et les changements réalisés s'avèrent limités, même si des contributeurs ont estimé qu'ils étaient préjudiciables à l'ouvrage ; qu'ils consistent essentiellement en des modifications ponctuelles des visuels de couverture n'en altérant pas l'esprit, de certaines illustrations, ainsi que du résumé et de la fiche technique apparaissant en tête de chacun des chapitres sur les médicaments ; que ces changements de présentation qui n'affectent que partiellement l'ensemble, ne sauraient, compte tenu de leur nature et importance, suffire à caractériser une dénaturation de l'oeuvre de vulgarisation dans sa totalité, dont le contenu demeure par ailleurs inchangé, ni plus généralement une faute dans l'exercice des droits de remaniement du responsable de la publication d'une oeuvre collective ;

Que l'appelant ne peut pas plus valablement faire grief à la société LAROUSSE d'avoir publié en 2003 des versions étrangères, ce qui relève incontestablement de ses droits d'éditeur de faire connaître l'oeuvre collective, étant précisé que les différences critiquées, tenant au retrait de la mention du nom de Philippe SERVAIS en couverture et, pour une version, à la présentation de l'ouvrage en deux tomes, ne sont pas de nature à compromettre l'oeuvre collective, ni à méconnaître la participation de Philippe SERVAIS (étant relevé qu'il n'est pas contesté qu'elle demeure mentionnée en tête de l'ouvrage) ;

Considérant, en définitive, que l'appelant s'avère mal fondé en toutes ses prétentions et le jugement déféré sera purement et simplement confirmé ;

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

REJETTE toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

CONDAMNE Philippe SERVAIS aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP BOLLING DURAND LALLEMENT, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser à la société EDITIONS LAROUSSE une somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.