Cass. 3e civ., 8 juin 2011, n° 10-15.500
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Rapporteur :
M. Cachelot
Avocat général :
M. Bruntz
Avocats :
Me Brouchot, SCP Delaporte, Briard et Trichet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 10 décembre 2009) que la société Alvéa exploite des dépôts de produits pétroliers qui constituent une installation classée réglementée par arrêté préfectoral du 16 août 1994 modifié par arrêté du 4 juillet 2001 ; qu'au cours d'une inspection de ces installations effectuée le 28 février 2006 la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) a relevé des non-conformités aux prescriptions techniques de l'arrêté préfectoral relatives à la prévention des pollutions des sols et des eaux, à la prévention des risques d'incendie, d'explosion et à la limitation de leurs effets; qu'à la suite d'un arrêté de mise en demeure du 9 mai 2006, la société Alvéa, qui a restructuré son exploitation, a démantelé les cuvettes de rétention et les installations non conformes ; que par acte d'huissier du 28 septembre 2007 les associations France nature environnement et Sources et rivières du Limousin ont fait assigner la société Alvéa, sur le fondement de l'article L.142-2 du code de l'environnement, pour obtenir réparation du préjudice moral qu'elles ont subi du fait de l'atteinte portée par ces infractions aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre ;
Sur les deux moyens réunis :
Attendu que la société Alvéa fait grief à l'arrêt de déclarer recevable et fondée la demande des associations, alors, selon le moyen :
1°/ que ne justifie pas d'un intérêt actuel l'association agréée de protection de l'environnement qui agit en réparation d'un préjudice moral du fait de la commission d'une infraction à la réglementation environnementale dont il n'est résulté aucun dommage à l'environnement et à laquelle il a été remédié par l'exploitant de l'installation classée avant l'introduction de l'instance ; qu'en jugeant que les associations demanderesses avaient un intérêt actuel à agir, dans la mesure où le préjudice subsistait tant qu'il n'avait pas été réparé, la cour d'appel a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile ;
2°/ que l'intérêt à agir d'une association doit s'apprécier au regard de son objet statutaire, qui consiste pour les associations en cause dans la sauvegarde de l'environnement ; que les associations agréées de protection de l'environnement n'ont plus d'intérêt à agir lorsque, avant l'introduction de l'instance, il a été mis fin à l'infraction à la réglementation environnementale et qu'il n'en est résulté aucun dommage à l'environnement, de sorte que l'action indemnitaire ne tend plus à la défense de l'environnement conformément à l'objet statutaire ; qu'en jugeant que la mise en conformité des installations, qui avait mis fin aux infractions, n'excluait pas l'intérêt à agir, la cour d'appel a violé derechef les articles 31 et 122 du code de procédure civile ;
3°/ que les associations agréées de protection de l'environnement peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile à la double condition que les faits portent un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et qu'ils constituent une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement ou aux textes pris pour leur application ; que le préjudice, qui doit être établi, ne peut se déduire de la commission de l'infraction aux dispositions réglementant le fonctionnement d'une installation classée, spécialement lorsqu'il a été mis fin à l'infraction et qu'il n'en est résulté aucun dommage à l'environnement ; qu'en jugeant que la seule atteinte, par la commission d'une ou plusieurs infractions, aux intérêts collectifs définis par les statuts des associations de protection de l'environnement suffisait à caractériser le préjudice moral indirect de ces dernières, la cour d'appel a violé l'article L. 142-2 du code de l'environnement ;
4°/ que si les associations agréées de protection de l'environnement sont en droit de demander la réparation, notamment par l'octroi de dommages et intérêts, de tout préjudice direct ou indirect porté aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre, leur demande est sans fondement lorsque, à l'époque de l'introduction de cette demande, il a été mis fin à l'infraction à la réglementation environnementale et qu'il n'en est résulté aucun dommage à l'environnement, toute source de préjudice ayant ainsi disparu ; qu'en jugeant que le préjudice subsistait tant qu'il n'avait pas été réparé et en considérant qu'il existait du seul fait de la commission d'une ou plusieurs infractions portant atteinte aux intérêts collectifs définis par les statuts de l'association, la cour d'appel a violé l'article L. 142-2 du code de l'environnement, ensemble l'article 1382 du code civil ;
5°/ que lorsqu'il a été mis fin à l'infraction à la réglementation environnementale par l'exploitant de l'installation classée et qu'il n'en est résulté aucun dommage à l'environnement, il ne subsiste plus de dommage, fût-ce moral, qui n'ait été réparé par la cessation des faits portant atteinte aux intérêts collectifs qu'une association s'est donnée pour objet de défendre ; qu'en jugeant qu'un préjudice moral indirect existait et devait être réparé du seul fait de la commission d'une ou plusieurs infractions portant atteinte aux intérêts collectifs définis par les statuts de l'association, la cour d'appel a violé l'article L. 142-2 du code de l'environnement, ensemble l'article 1382 du code civil ;
6°/ que l'indemnité nécessaire pour compenser le dommage subi doit être calculée en fonction de la valeur du préjudice sans que la gravité de la faute puisse avoir aucune influence sur le montant de cette indemnité ; qu'en ayant expressément égard, pour fixer le montant de l'indemnité allouée en réparation du préjudice moral des associations agréées de protection de l'environnement, à la gravité et la durée des défauts de conformité imputés à l'exploitant des installations classées, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les deux associations agréées avaient pour objet la lutte contre les pollutions et nuisances, et que la DRIRE avait mis en évidence les conséquences environnementales des infractions aux articles R. 512-28, R. 512-41 et R. 514-4 du code de l'environnement qu'elle avait constatées stigmatisant les effets d'une pollution accidentelle du site par infiltration, la cour d'appel, qui en a exactement déduit que le non-respect des dispositions de l'arrêté préfectoral pris au titre de la réglementation des installations classées, en ce qu'il était de nature à créer un risque de pollution majeure pour l'environnement, et notamment pour les eaux et les sols, portait atteinte aux intérêts collectifs que les associations avaient pour objet de défendre, et que cette seule atteinte suffisait à caractériser le préjudice moral indirect de ces dernières que les dispositions spécifiques de l'article L.142-2 du code de l'environnement permettent de réparer, a retenu à bon droit que la circonstance que l'infraction qui en était à l'origine ait cessé à la date de l'assignation demeurait sans conséquence sur l'intérêt des associations à agir pour obtenir la réparation intégrale du préjudice subi qu'elle a souverainement fixé, en fonction non pas de la gravité des fautes de la société Alvéa mais de l'importance et de la durée des défauts de conformité des installations ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.