Livv
Décisions

Cass. com., 9 juin 2021, n° 19-17.161

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat :

SCP Delamarre et Jehannin

Paris, du 29 nov. 2018

29 novembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 novembre 2018) et les productions, le capital de la société civile immobilière La Travance (la SCI La Travance) est réparti entre MM. [I], [Y] et [J] [N], les deux premiers détenant six parts chacun et le dernier quatre parts.

2. La SCI La Travance était propriétaire d'un unique bien immobilier donné à bail à la société à responsabilité limitée [N] (la SARL [N]), constituée entre les mêmes associés.

3. Les deux sociétés ont pour gérant M. [I] [N].

4. Par une ordonnance de référé du 17 juin 2016, la SCI La Travance a été condamnée à payer à M. [Y] [N] une certaine somme en remboursement du solde de son compte courant d'associé. M. [Y] [N] a fait procéder à une saisie-attribution des loyers versés par la SARL [N] à la SCI La Travance en exécution de cette ordonnance.

5. Devant le refus de M. [Y] [N] de voter en faveur de la vente du bien immobilier donné à bail à la SARL [N] qui, selon les autres associés, était seule de nature à reconstituer la trésorerie de la SCI La Travance, celle-ci l'a assigné, en référé, aux fins de désignation d'un mandataire ad hoc avec pour mission d'exercer à sa place le droit de vote attaché à ses parts lors de la prochaine assemblée générale ayant pour ordre du jour cette vente.

6. M. [Y] [N] a demandé, à titre reconventionnel, la désignation d'un mandataire ad hoc avec mission d'exercer les fonctions de gérant à la place de M. [I] [N] afin de permettre un refinancement de la trésorerie de la société.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. M. [Y] [N] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc avec pour mission d'exercer à la place de M. [I] [N] les fonctions de gérant de la SCI La Travance, alors :

« 1°/ que l'objet du litige est déterminé par les demandes et moyens respectifs des parties ; qu'en l'espèce, M. [Y] [N] sollicitait la désignation d'un mandataire ad hoc avec pour mission d'exercer à la place de M. [I] [N] les fonctions de gérant de la SCI La Travance ; qu'en rejetant cette demande au seul motif qu' "il convient dès lors (?) de rejeter l'appel en ce qu'il propose une mission alternative dans le cadre du mandat ad hoc", cependant que la mission proposée par l'exposant n'était pas alternative, mais pouvait au contraire se cumuler avec celle qui était sollicitée par la SCI La Travance, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

2°/ que dans ses écritures d'appel, M. [Y] [N] faisait valoir que l'inertie fautive de M. [I] [N] justifiait la désignation d'un mandataire ad hoc avec pour mission d'exercer à la place de M. [I] [N] les fonctions de gérant de la SCI La Travance ; qu'en se bornant à relever, pour écarter la demande de M. [N], "qu'il convient dès lors de confirmer la décision entreprise et de rejeter l'appel en ce qu'il propose une mission alternative dans le cadre du mandat ad hoc", sans répondre à ce moyen dirimant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, en l'état des conclusions d'appel de M. [Y] [N], qui soutenaient qu'il était nécessaire d'ordonner la désignation d'un mandataire ad hoc pour exercer, à la place de M. [I] [N], les fonctions de gérant et qui, dans leur dispositif, demandaient à la cour d'appel d'infirmer l'ordonnance entreprise puis, statuant à nouveau, d'ordonner cette désignation, ce dont il résulte que M. [Y] [N] ne demandait pas à la cour de désigner un mandataire chargé d'une telle mission en tout état de cause, c'est-à-dire quand bien même il serait fait droit à la demande de désignation d'un mandataire chargé de voter à sa place pour la vente du bien immobilier, mais sollicitait l'adoption d'une mesure à ses yeux plus adaptée à la résolution des difficultés financières de la société, dues, selon lui, à une mauvaise gestion du gérant, c'est donc sans modifier l'objet du litige que la cour d'appel a retenu que la demande de M. [Y] [N] de désignation d'un mandataire ad hoc pour diriger la société à la place du gérant était alternative à celle, sollicitée par ses coassociés, de désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission de voter à sa place la résolution approuvant la vente de l'immeuble social.

9. D'autre part, après avoir relevé que le loyer payé par la SARL [N] permettait seulement d'équilibrer le montant des charges liées au remboursement des emprunts de la SCI La Travance et que cette dernière était privée de ce revenu du fait de la saisie-attribution pratiquée par M. [Y] [N], l'arrêt retient que ce dernier ne peut se contenter de soutenir que la solution résiderait dans une augmentation du montant des loyers, une telle opération, pour les seuls besoins du renflouement de la trésorerie de la société, n'étant pas facilement envisageable et étant susceptible de constituer une infraction pénale telle qu'un abus de biens sociaux. Il ajoute qu'une telle augmentation du montant des loyers serait, en toute hypothèse, neutralisée par la saisie-attribution jusqu'au règlement complet des causes de l'ordonnance de référé. Ayant ainsi fait ressortir que la vente du bien immobilier donné à bail à la SARL [N] constituait la seule solution envisageable pour renflouer la trésorerie de la SCI La Travance et qu'ainsi l'inertie fautive alléguée n'était pas constituée, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

11. M. [Y] [N] fait grief à l'arrêt de désigner un mandataire ad hoc avec pour mission d'exercer à sa place le droit de vote attaché à ses parts au sein de la société, lors de la prochaine assemblée générale sur les seules questions relatives au principe de la vente de l'immeuble et au montant du prix de cet actif et de dire que la rémunération de ce mandataire sera avancée par la SCI La Travance, alors « qu'un abus de minorité suppose que soit caractérisée une attitude qui, tout à la fois, est contraire à l'intérêt général de la société, en ce qu'elle interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci, et est motivée, de la part du minoritaire, par l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des intérêts essentiels de la société ; qu'en l'espèce, pour désigner un mandataire ad hoc à l'effet de voter en lieu et place de M. [Y] [N], associé minoritaire, la cour d'appel a retenu que "le refus itératif de M. [Y] [N] d'accepter la vente de l'immeuble (?), manifesté lors de plusieurs assemblées générales extraordinaires, n'apparaît pas dicté par l'intérêt social, le risque évident étant que l'immeuble soit réalisé à l'initiative des créanciers dans des conditions défavorables" ; qu'en statuant ainsi - à supposer qu'elle ait entendu relever l'existence d'un abus de minorité -, sans constater que les votes exprimés par M. [Y] [N] auraient été formulés dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile, dans sa rédaction alors applicable :

12. Selon ce texte, le président du tribunal peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

13. L'existence d'un abus de minorité suppose que la preuve soit rapportée, d'un côté, que l'attitude du minoritaire est contraire à l'intérêt général de la société et, de l'autre, qu'elle procède de l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés.

14. Pour désigner un mandataire ad hoc avec pour mission d'exercer, à la place de M. [Y] [N], le droit de vote attaché à ses parts au sein de la SCI La Travance, lors de la prochaine assemblée générale sur les questions relatives au principe et au prix de la vente du bien immobilier donné à bail à la SARL [N], l'arrêt, après avoir relevé que le loyer payé par cette dernière permettait seulement d'équilibrer le montant des charges liées au remboursement des emprunts de la SCI La Travance et que cette dernière était privée de ce revenu du fait de la saisie-attribution pratiquée par M. [Y] [N], retient que ce dernier ne peut se contenter de soutenir que la solution résiderait dans une augmentation du montant des loyers, une telle opération, pour les seuls besoins du renflouement de la trésorerie de la société, n'étant pas facilement envisageable et étant susceptible de constituer une infraction pénale telle qu'un abus de biens sociaux. Il ajoute qu'une telle augmentation du montant des loyers serait, en toute hypothèse, neutralisée par la saisie-attribution jusqu'au règlement complet des causes de l'ordonnance de référé. L'arrêt en déduit que la SCI La Travance ne dispose pas de la trésorerie nécessaire pour faire face à ses charges d'emprunt, de sorte que le refus itératif de M. [Y] [N] de voter la vente du bien immobilier de la SCI La Travance n'apparaît pas dicté par l'intérêt social, le risque étant que ce bien soit vendu par des créanciers dans des conditions défavorables.

15. En se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi le refus de M. [Y] [N] de voter pour la vente du bien litigieux procédait de l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la demande n'ayant plus d'objet dès lors qu'il résulte des productions que le bien immobilier à l'origine de la demande de désignation d'un mandataire ad hoc a été vendu.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance, il désigne la SCP [O] [X] en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission d'exercer à la place M. [Y] [N] le droit de vote attaché à ses parts au sein de la SCI de La Travance lors de la prochaine assemblée générale extraordinaire de cette société et sur les seules questions relatives au principe de la vente de l'immeuble social et au montant du prix de la vente de cet actif, en ce qu'il dit que la rémunération du mandataire ad hoc sera avancée par la SCI de La Travance et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 29 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.