Cass. com., 11 décembre 2007, n° 06-17.260
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
M. Potocki
Avocat général :
M. Main
Avocats :
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 28 avril 2006), que l'association Equipe Cousteau et l'association Campagnes océanographiques françaises (la COF), s'estimant chacune propriétaire du navire Calypso, la première a engagé une action en revendication de propriété contre la seconde ; que l'association Equipe Cousteau indique tenir son droit de la société Anglo-Française, laquelle a absorbé la société Calypso, elle même désignée en qualité de propriétaire par un acte de francisation datant de 1952 ; que la COF se fonde sur une fiche matricule de 1970 et un acte de francisation de 1974 sur lesquels elle est portée comme propriétaire ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que la COF fait grief à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu de saisir le juge administratif d'une question préjudicielle afin qu'il se prononce sur la validité et la légalité de la fiche matricule et de l'acte de francisation du navire, et, partant, d'avoir dit que le navire Calypso est la propriété de l'association Equipe Cousteau, alors, selon le moyen :
1°/ que l'appréciation de la légalité d'un acte administratif échappe à la compétence du juge judiciaire ; que la fiche matricule d'un navire et l'acte de francisation, qui sont établis par l'administration des douanes, constituent des actes administratifs ; qu'en considérant qu'il n'y avait pas lieu à question préjudicielle, après avoir constaté que l'association Equipe Cousteau contestait l'exactitude de la fiche matricule du 15 juin 1970 et de l'acte de francisation du 4 octobre 1974 mentionnant la COF comme propriétaire du navire Calypso, prétendait, en substance, que les mentions de ces actes relatives à la propriété du navire étaient erronées, contestation qui mettait en cause leur légalité et qu'elle n'était donc pas compétente pour trancher, la cour d'appel, qui a ensuite retenu que ces actes administratifs étaient entachés "d'une confusion entre la qualité de propriétaire et d'affréteur", a violé la loi des 16-24 août 1790 ;
2°/ que le juge administratif est seul compétent pour rectifier un acte administratif ou imposer à l'administration de le faire ; que le jugement entrepris indique que la direction régionale des douanes de Provence a adressé à l'association Equipe Cousteau une lettre datée du 15 juin 2005 dans laquelle elle indique qu'aucune formalité administrative ne peut être effectuée tant qu'une décision de justice définitive n'est pas intervenue au sujet de la propriété du navire et où elle exprime ainsi l'intention de tirer toutes les conséquences de la décision qui sera rendue ; qu'en considérant qu'il n'y avait pas lieu à question préjudicielle tout en constatant, ainsi, que sa décision allait conduire l'administration des douanes à procéder à la rectification de la fiche matricule du navire et à la délivrance d'un nouvel acte de francisation, la cour d'appel a derechef violé la loi des 16-24 août 1790 ;
3°/ que le juge judiciaire n'est pas compétent pour interpréter les actes administratifs non réglementaires, les actes administratifs individuels, en particulier, dont le sens est obscur ou ambigu ; qu'en considérant qu'il n'y avait pas lieu à question préjudicielle, cependant que le litige, de ce chef, posait la question de la portée des actes administratifs que constituent la fiche matricule du 15 juin 1970 et l'acte de francisation du 4 octobre 1974, la cour d'appel a à nouveau violé la loi des 16-24 août 1790 ;
Mais attendu que si la cour d'appel, saisie d'une demande en revendication de propriété du Calypso, a pris en considération les mentions portées sur les actes de francisation et la fiche matricule établis pour ce navire, elle a tranché ce litige sans qu'il lui soit nécessaire au préalable d'apprécier la légalité de ces actes administratifs ou de les interpréter et a statué par une décision exclusive de toute injonction faite à l'administration des douanes ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du même pourvoi :
Attendu que la COF fait ensuite grief à l'arrêt d'avoir dit que le navire Calypso est la propriété de l'association Equipe Cousteau, alors, selon le moyen, que l'article 8 de la loi du 7 mars 1925 instituant la société à responsabilité limitée, sous l'empire de laquelle la société Calypso a été constituée, dispose que "L'acte de société doit contenir l'évaluation des apports en nature" ; qu'en se déterminant de la sorte, cependant que la COF soutenait qu'en l'absence de toute mention d'apport en nature dans les statuts de la société Calypso, établis par acte authentique en date du 4 octobre 1950, qu'elle versait aux débats, la réalité d'un tel apport ne pouvait pas être admise, la cour d'appel a violé l'article 8 de la loi du 7 mars 1925 ;
Mais attendu que l'article 8 de la loi du 7 mars 1925, qui avait pour objet d'établir non la réalité des apports en nature mais leur valeur, est inopérant pour déterminer le propriétaire du Calypso ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du même pourvoi :
Attendu que la COF fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°/ que l'article 10 de la loi du 3 janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer dispose, en ses alinéas 1 et 3, que tout acte constitutif, translatif ou extinctif de la propriété ou de tout autre droit réel sur un navire francisé doit, à peine de nullité, être fait par écrit. L'acte doit comporter les mentions propres à l'identification des parties intéressées et du navire ; que selon l'article 213 1° du code des douanes, "Tout acte de vente de navire ou de partie de navire doit contenir : a) le nom et la désignation du navire ; b) la date et le numéro de l'acte de francisation ; c) la copie in extenso des extraits dudit acte relatifs au port d'attache, à l'immatriculation, au tonnage, à l'identité, à la construction et à l'âge du navire" ; que la COF soutenait que l'acte du 22 avril 1988 qui constatait la convention de fusion conclue entre la société Anglo française et la société Calypso ne satisfaisait pas à ces exigences ; qu'en considérant que "la cession du navire à la société Anglo-Française est de fait intervenue par la fusion intervenue en 1987 et l'absorption par la société Anglo française de la société Calypso", sans procéder à la recherche à laquelle elle était ainsi invitée, la cour d'appel a violé les articles 10, alinéas 1 et 3, de la loi du 4 janvier 1967 et 231 1° du code des douanes précités, par refus d'application, ensemble l'article 12 du nouveau code de procédure civile ;
2°/ qu'il résulte de la combinaison des articles 10, alinéa 1, de la loi du 3 janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer et 92 3° et 93, alinéa 1, du décret du 27 octobre 1967 pris pour son application que tout acte constitutif, translatif ou extinctif de la propriété ou de tout autre droit réel doit être mentionné sur la fiche matricule du navire pour être opposable aux tiers ; qu'en estimant que la COF peut d'autant moins discuter les droits de propriété de la société Anglo-Française sur ce navire et leur opposabilité à son encontre que cette société Anglo-Française lui a consenti en qualité de propriétaire un contrat de location en 1993 qu'elle a dûment signé, la cour d'appel a violé les articles 10, alinéa 1, de la loi du 3 janvier 1967 et 92 3° et 93, alinéa 1, décret du 27 octobre 1967 précités ;
Mais attendu, d'une part, que la fusion entre deux sociétés opère transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante et qu'en conséquence, la société Anglo-Française a reçu la propriété du navire, non par un acte particulier, dont la validité aurait été soumise au respect des dispositions de l'article 10 de la loi du 4 janvier 1967 et de l'article 231 du code des douanes, mais par l'effet de la transmission de la totalité du patrimoine de la société Calypso ;
Attendu, d'autre part, que le droit de propriété de la société Anglo-Française sur le navire litigieux résultant de cette fusion, le motif par lequel la cour d'appel a relevé que la COF pouvait d'autant moins le discuter que cette société lui avait consenti en qualité de propriétaire un contrat de location en 1993 qu'elle avait dûment signé est surabondant ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen du même pourvoi :
Attendu que la COF fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°/ que les indications relatives à la propriété du navire portées sur la fiche matricule et l'acte de francisation constituent des présomptions absolues de propriété, ne supportant pas la preuve contraire ; qu'en retenant qu'était vaine l'argumentation selon laquelle seules les mentions de la fiche matricule et de l'acte de francisation feraient preuve de la propriété du navire, la cour d'appel a violé les articles 92, 93 et 96 du décret du 27 octobre 1967 et 10 de la loi du 3 janvier 1967 relatifs au statut des navires et autres bâtiments de mer, ensemble les articles 1, 2 et 3 du décret du 24 septembre 1968 fixant les conditions de délivrance de l'acte de francisation ainsi que les modalités d'inscription des navires sur les fichiers et de délivrance des certificats d'inscription et 231-2° du code des douanes ;
2°/ que, subsidiairement, les indications relatives à la propriété du navire portées sur la fiche matricule et l'acte de francisation constituent à tout le moins des présomptions simples de propriété, supportant la preuve contraire, mais opérant renversement de la charge de la preuve ; qu'en tenant pour vaine l'argumentation selon laquelle seules les mentions de la fiche matricule et de l'acte de francisation feraient preuve de la propriété du navire, tandis qu'au regard des mentions de l'acte de francisation du 22 février 1952, qui attestait expressément la justification par la société Calypso de sa qualité de propriétaire, il incombait à COF de justifier des conditions dans lesquelles elle serait devenue propriétaire, ce qu'elle ne faisait pas, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, violant par là même les articles 92, 93 et 96 du décret du 27 octobre 1967 et 10 de la loi du 3 janvier 1967 relatifs au statut des navires et autres bâtiments de mer, ensemble l'article 1315 du code civil ;
3°/ que le système de publicité de la propriété des navires institué par le chapitre VIII du décret du 4 novembre 1967 dispense la personne qui est mentionnée comme propriétaire sur la fiche matricule du navire et l'acte de francisation de devoir justifier de son droit ; que les indications qu'il fournit à ce sujet n'ont pas à être corroborées par la lecture de l'acte à partir duquel elles y ont été inscrites pour pouvoir être prises en considération ; qu'en considérant qu'il incombait à la COF de justifier de l'acte par lequel elle serait devenue propriétaire de la Calypso, la cour d'appel a violé les articles 92, 93 et 96 du décret du 27 octobre 1967 et 10 de la loi du 3 janvier 1967 relatifs au statut des navires et autres bâtiments de mer ;
4°/ qu'en considérant, pour opposer, à cet égard, les législations applicables avant et depuis 1967 et en déduire que l'acte de francisation du 22 février 1952 établirait ipso facto la propriété de la société Calypso, ou constituerait une présomption en ce sens, qu'il appartiendrait à la COF de renverser, à la différence de l'acte de francisation du 4 octobre 1974, qui ne pourrait se voir reconnaître une telle valeur, faute pour la COF de pouvoir justifier des conditions dans lesquelles elle serait devenue propriétaire, que la société Calypso avait justifié, à l'occasion de l'établissement de l'acte de francisation du 22 février 1952, être propriétaire du navire, ce qui n'aurait pas été le cas de la COF lors de l'établissement de l'acte de francisation du 4 octobre 1974, la cour d'appel a derechef violé les articles 92, 93 et 96 du décret du 27 octobre 1967 et 10 de la loi du 3 janvier 1967 relatif au statut des navires et autres bâtiments de mer, ensemble les articles 1, 2 et 3 du décret du 24 septembre 1968 fixant les conditions de délivrance de l'acte de francisation ainsi que les modalités d'inscription des navires sur les fichiers et de délivrance des certificats d'inscription et 231-2° du code des douanes ;
Mais attendu, en premier lieu, que c'est afin d'assurer la publicité de la propriété et de l'état des navires que le décret n° 67-967 du 27 octobre 1967 prescrit la tenue de fichiers d'inscription des navires, comportant pour chacun d'eux une fiche matricule sur laquelle figurent différentes informations, dont le nom du propriétaire, ainsi que certains actes, parmi lesquels ceux qui sont translatifs de propriété, et exige que l'acte de francisation contienne tous les renseignements figurant sur la fiche matricule ; que c'est donc sans violer les textes invoqués par le moyen que la cour d'appel a écarté l'argumentation selon laquelle seules les mentions de la fiche matricule et de l'acte de francisation feraient preuve de la propriété du navire et qu'elle a vérifié l'origine des droits allégués tant par la COF que par l'association Equipe Cousteau ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, par motifs adoptés, a relevé que le 22 février 1952 un acte de francisation a été établi au nom de la société Calypso puis qu'une fiche matricule a été dressée le 15 juin 1970 au nom du "Centre d'études maritimes avancées" et que ce nom a été raturé pour être remplacé en septembre 1971 par "Campagnes océanographiques françaises" puis, enfin, que le 4 octobre 1974, les services des douanes ont délivré un acte de francisation mentionnant l'association COF comme propriétaire du navire ; qu'après avoir affirmé à bon droit le caractère simple de la présomption s'attachant à ces documents, la cour d'appel a examiné l'origine du droit allégué par chaque association et, sans inverser la charge de la preuve, ni accorder plus de force probante à l'acte de francisation de 1952 qu'à celui de 1974, a retenu que la COF n'expliquait pas de quelle façon elle était devenue propriétaire du navire qui appartenait à la société Calypso, tandis qu'il résultait des éléments produits par l'association Equipe Cousteau que le navire Calypso avait successivement appartenu à la société Calypso puis à la société Anglo-Française qui l'avait elle-même cédé à l'association Equipe Cousteau ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le cinquième moyen du même pourvoi :
Attendu que la COF fait enfin le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que l'article 10 de la loi du 3 janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer dispose que "Tout acte constitutif, translatif ou extinctif de la propriété ou de tout autre droit réel sur un navire francisé doit, à peine de nullité, être fait par écrit. Il en est de même des contrats d'affrètement coque-nue conclus et des délégations de fret consenties pour une durée de plus d'un an ou dont la prolongation peut aboutir à une pareille durée. L'acte doit comporter les mentions propres à l'identification des parties intéressées et du navire" ; que selon l'article 213 1° du code des douanes, "Tout acte de vente de navire ou de partie de navire doit contenir : a) le nom et la désignation du navire ; b) la date et le numéro de l'acte de francisation ; c) la copie in extenso des extraits dudit acte relatifs au port d'attache, à l'immatriculation, au tonnage, à l'identité, à la construction et à l'age du navire" ; que la COF soutenait que les contrats de bail et d'affrètement auxquels elle aurait été partie invoqués par l'association Equipe Cousteau, qui ne satisfaisaient pas à ces exigences, étaient nuls et de nul effet et ne pouvaient dès lors lui être opposés ; qu'en ne répondant pas au moyen qui lui était ainsi soumis, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui ne se prononçait pas sur la validité des contrats de bail et d'affrètement consentis sur le navire litigieux à la COF, n'avait pas à répondre à un moyen sans influence sur la solution du litige, et comme tel inopérant ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que l'association Equipe Cousteau fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, la restitution des archives par elle à la COF, alors, selon le moyen, que l'astreinte, mesure accessoire à la condamnation qu'elle assortit, n'a plus lieu de courir dès lors qu'il est justifié par la partie succombante de ce que la décision de condamnation a été exécutée ; qu'en confirmant la décision déférée en ce que l'association Equipe Cousteau avait été condamnée sous astreinte à restituer "ses archives" contre décharge à la COF, sans rechercher, bien qu'y ayant été expressément invitée, si ces archives n'avaient pas été restituées à la COF dès le 5 janvier 2006 selon procès-verbal de constat établi par M. X..., de sorte que la mesure d'astreinte n'avait plus lieu d'être, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 33 de la loi du 9 juillet 1993 ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la COF contestait l'exécution complète de l'obligation mise à la charge de l'association Equipe Cousteau et énoncé qu'il ne lui appartenait pas de liquider l'astreinte, la cour d'appel a implicitement mais nécessairement retenu que la restitution des archives ordonnées par le tribunal n'avait pas été intégralement réalisée et ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident.