CA Versailles, ch. com. réunies, 23 mai 2006, n° 05/02450
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Oséo Anvar (SA)
Défendeur :
Coudray (ès qual.), Financière de l'Erable (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laporte
Conseillers :
M. Coupin, Mme Brylinski, M. Boiffin, Mme Massuet
Avoués :
SCP Keime Guttin Jarry, SCP Jullien, Lecharny, Rol et Fertier
Avocats :
Me Dony, Me Bacle
FAITS ET PROCEDURE
Au cours du mois d'avril 1992, la SA FOURNIER a obtenu de l'ANVAR une aide à l'innovation, sous forme de prêt sans intérêt d'un montant de 2.600.000 F (396.367,44 euros), destiné au financement partiel d'un programme de recherche ayant pour objet la pose en continu en tranchée étroite de matériaux déployés de façon verticale.
Le 26 décembre 1995, la SA FOURNIER, devenue depuis lors la SA FINANCIERE DE L'ERABLE, a opéré un apport partiel d'actif à la société SIP aujourd'hui FOURNIER TP, lui transférant l'ensemble des actifs nécessaires à l'exploitation de son activité drainage, dont le brevet financé par l'ANVAR et le prêt correspondant.
La société FOURNIER TP a été déclarée en redressement judiciaire par jugement en date du 15 Avril 1996. Par courrier du 12 Février 1997, Maître Yves COUDRAY a signalé à l'ANVAR qu'elle ne figurait pas sur la liste des créanciers, faute de déclaration.
L'ANVAR, considérant qu'elle demeurait sa seule débitrice, par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 Mars 1997, a prononcé la répétition de l'aide accordée et mis la SA FINANCIERE DE L'ERABLE en demeure d'en effectuer le remboursement, puis a dressé un état exécutoire pour la somme de 2.600.000 F (396.367,44 euros), notifié à la SA FINANCIERE DE L'ERABLE le 12 Mai 1997.
Saisi par la SA FINANCIERE DE L'ERABLE, le Tribunal de Commerce de PARIS, par jugement rendu le 05 Octobre 1998, a dit cette dernière mal fondée en son opposition à l'état exécutoire de l'ANVAR et l'a déboutée de ses demandes, dit que la SA FINANCIERE DE L'ERABLE était solidaire des engagements souscrits envers l'ANVAR apportés à FOURNIER TP, ordonné l'exécution provisoire, condamné la SA FINANCIERE DE L'ERABLE au paiement, à l'ANVAR, d'une indemnité de procédure de 10.000 F (1.524,49 euros), ainsi qu'aux dépens.
La SA FINANCIERE DE L'ERABLE a été déclarée en redressement judiciaire par jugement du 15 Mars 1999, l'ANVAR a déclaré sa créance au passif, à hauteur de la somme de 2.602.980,92 F (396.821,88 euros).
Sur appel interjeté par la SA FINANCIERE DE L'ERABLE, auquel s'est joint Maître Yves COUDRAY, ès-qualités, la Cour d'Appel de Paris, par arrêt prononcé le 09 octobre 2001, a infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit la SA FINANCIERE DE L'ERABLE solidaire des engagements souscrits par la société FOURNIER, constaté la faute contractuelle de la SA FINANCIERE DE L'ERABLE envers l'ANVAR, et, ordonnant la réouverture des débats, invité les parties à conclure sur le préjudice résultant directement pour l'ANVAR de cette faute.
Par la suite, la Cour d'Appel de PARIS, sur réouverture des débats, par arrêt rendu le 26 février 2002, considérant qu'elle n'était pas saisie d'une demande de dommages et intérêts chiffrée, a infirmé le jugement en ce qu'il avait débouté la SA FINANCIERE DE L'ERABLE de son opposition à état exécutoire.
Sur pourvoi formé par l'ANVAR contre l'arrêt du 09 Octobre 2001, la chambre commerciale financière et économique de la Cour de cassation, par arrêt en date du 22 Février 2005, a cassé cette décision en toutes ses dispositions, et renvoyé les parties devant la Cour d'Appel de VERSAILLES.
La Cour de Cassation, sous le visa de l'article L 236-20 du code de commerce et le principe fraus omnia corumpit', énonce que sauf dérogation expresse prévue par les parties, communauté ou confusion d'intérêts ou fraude, l'apport partiel d'actif emporte, lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les droits, biens et obligations dépendant de la branche d'activité qui a fait l'objet de l'apport.
Elle rappelle que, pour écarter l'inopposabilité de l'opération d'apport partiel d'actif sous la forme de scission, à l'égard de l'ANVAR, l'arrêt qui retient l'existence d'une fraude au préjudice de cette dernière énonce que la fraude, à défaut de pouvoir entraîner, en l'absence de nullité de l'opération, non invoquée, une inopposabilité à certains tiers, peut seulement donner lieu à des dommages et intérêts.
Elle considère qu'en statuant ainsi, alors que la fraude rendait inopposable à l'ANVAR l'acte de cession partielle d'actif intervenue entre la SA FINANCIERE DE L'ERABLE et la société FOURNIER TP, la Cour d'Appel a violé le principe et le texte sus visés.
Maître Yves COUDRAY et la SA FINANCIERE DE L'ERABLE, es-qualités de commissaire à l'exécution du plan de continuation et de représentant des créanciers de cette dernière, ont saisi la cour de renvoi, aux fins d'infirmation, en toutes ses dispositions, du jugement rendu le 15 octobre 1998 par le Tribunal de Commerce de PARIS.
Ils prient la Cour de recevoir la SA FINANCIERE DE L'ERABLE en son opposition à l'état exécutoire, et y faisant droit, de débouter la SA OSEO ANVAR venant aux droits de l'ANVAR de sa demande en paiement de la somme de 2.600.000 F (396.367,44 euros), et plus généralement de l'ensemble de ses prétentions.
Ils réclament la condamnation de la SA OSEO ANVAR au paiement d'une indemnité de 4.500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La SA FINANCIERE DE L'ERABLE et Maître Yves COUDRAY détaillent les circonstances et conditions dans lesquelles la cession partielle d'actif a été régularisée, les motifs de celle-ci, les mesures de publicité auxquelles elle a donné lieu, et contestent l'existence d'une fraude.
Ils font valoir que si la SA FOURNIER a manqué à ses obligations contractuelles en ne sollicitant pas l'accord préalable de l'ANVAR, le projet d'apport partiel d'actif a fait l'objet des publicités prévues par la loi, ouvrant aux créanciers la faculté de former opposition dans les formes et délai prévus par l'article 261 du décret du 23 Mars 1967 ; que l'ANVAR n'ayant pas formé opposition, elle est irrecevable à agir en remboursement de sa créance, son action étant prescrite.
Ils prétendent enfin que l'omission de solliciter l'accord formel de l'ANVAR sur l'apport des brevets et du prêt, et de signaler son changement de dénomination, qui constituent le manquement à ses obligations contractuelles qu'ils qualifient de faute de pure négligence, ne peut se solder que par l'allocation de dommages et intérêts, mais que la SA OSEO ANVAR ne justifie pas de l'existence d'un préjudice.
La SA OSEO ANVAR, venant aux droits de l'ANVAR, aux termes de ses dernières écritures en date du 29 Décembre 2005, demande qu'il lui soit donné acte de son intervention volontaire.
Elle prie la Cour de déclarer la SA FINANCIERE DE L'ERABLE et Maître Yves COUDRAY mal fondés en leur appel et les en débouter.
Elle demande de dire la SA FINANCIERE DE L'ERABLE et FOURNIER TP débitrices solidaires de la SA OSEO ANVAR, et déclarer inopposable à cette dernière le contrat d'apport partiel d'actif intervenu entre ces deux sociétés.
Elle sollicite en toute hypothèse la confirmation du jugement rendu le 05 octobre 1998 en ce qu'il a dit la SA FINANCIERE DE L'ERABLE mal fondée en son opposition à l'état exécutoire de l'ANVAR et l'a déboutée de ses demandes, et en tant que de besoin dire que la créance de la SA OSEO ANVAR sera inscrite au passif de la SA FINANCIERE DE L'ERABLE.
Sous le visa de l'article 625 du nouveau code de procédure civile, elle conclut à la nullité de l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de PARIS le 26 février 2002.
Elle réclame la condamnation solidaire de la SA FINANCIERE DE L'ERABLE et Maître Yves COUDRAY, es-qualités, au paiement d'une indemnité de procédure de 7.500 €, ainsi qu'aux dépens exposés devant toutes les juridictions.
Se fondant sur les articles L 236-20 et L 236-22 du code de commerce, la SA OSEO ANVAR considère que la SA FINANCIERE DE L'ERABLE apporteuse et FOURNIER TP bénéficiaire de l'apport partiel d'actif sont toutes deux bénéficiaires des apports au sens de la loi et sont de ce fait solidaires, faute de l'avoir conventionnellement exclu.
Elle reprend les conditions de la scission avec apport partiel d'actif opérée par la SA FINANCIERE DE L'ERABLE, et considère que celles-ci, doublées d'un manquement aux obligations contractuelles, suffisent à caractériser une fraude de sa part, qui lui rend la cession inopposable.
Elle souligne que l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de PARIS le 26 février 2002, après réouverture des débats, n'est que la suite de l'arrêt du 09 Octobre 2001 et s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
DISCUSSION
Considérant que le pourvoi formé par l'ANVAR concernait le seul arrêt rendu par la Cour d'Appel de PARIS le 09 octobre 2001 ; que l'arrêt prononcé par la même Cour le 26 Février 2002, après réouverture des débats ordonnée par le précédent, en est la suite, et par l'effet de la cassation qui l'atteint, se trouve de plein droit annulé en application de l'article 625 du nouveau code de procédure civile ;
Considérant qu'en application de l'article 624 du nouveau code de procédure civile, la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ;
Considérant que par l'arrêt cassé du 09 Octobre 2001, la Cour d'Appel de PARIS a statué, en premier lieu sur l'existence ou non d'une solidarité entre la SA FINANCIERE DE L'ERABLE et la SA FOURNIER par application des dispositions des articles L 236-20 et L 236-22 du code de commerce, puis, par dispositions distinctes et autonomes, sur l'existence d'une fraude ou faute contractuelle et sa sanction ;
Considérant que le moyen de cassation portait exclusivement sur les conséquences de droit et de fait de la fraude alléguée, sans aucune critique de l'arrêt en ce qu'il avait rejeté les prétentions de l'ANVAR concernant l'existence d'une solidarité ;
Considérant que la SA OSEO ANVAR n'est en conséquence pas recevable en sa demande tendant à entendre dire la SA FINANCIERE DE L'ERABLE et FOURNIER TP débitrices solidaires à son égard, sur le fondement des textes sus visés ;
Considérant que les conditions générales d'octroi de l'aide prévoient, à la charge du bénéficiaire de celle-ci, l'obligation de ne pas procéder à la cession, l'apport ou la transmission à titre quelconque, des moyens nécessaires soit à la réalisation du programme aidé, soit à la commercialisation des produits de ce programme, sans avoir obtenu l'accord préalable de l'ANVAR, et de communiquer à cette dernière, dès qu'elles se produisent, toutes modifications dans la répartition du capital social aboutissant à un changement dans le contrôle du bénéficiaire ;
Considérant qu'il n'est pas discuté que la SA FOURNIER, devenue FINANCIERE DE L'ERABLE n'a respecté aucun de ces engagements ;
Que ce manquement peut être constitutif d'une faute, susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle ;
Considérant qu'une telle faute ne constitue pas à elle seule une fraude ayant pour conséquence de rendre inopposable à l'ANVAR l'apport effectué par la SA FOURNIER devenue FINANCIERE DE L'ERABLE à la société SIP devenue FOURNIER TP ;
Qu'il appartient à la SA OSEO ANVAR, de rapporter l'existence de manoeuvres particulières, ayant pour objet de permettre à la SA FOURNIER de se soustraire délibérément à ses obligations envers elle ;
Considérant que la cession, par la SA FOURNIER, des obligations souscrites à l'égard de l'ANVAR, s'insère dans un apport partiel d'actif, portant sur l'ensemble des éléments corporels et incorporels se rapportant à sa branche d'activité de drainage assainissement et irrigation ;
Qu'en raison des difficultés rencontrées, la SA FOURNIER avait pris l'initiative en janvier 1995 de saisir le Comité régional de Restructuration Industrielle (CORRI) d'Ile de France afin de mettre en place la restructuration financière destinée à assurer la pérennité de l'entreprise ;
Considérant que dans un courrier daté du 10 Mars 1995, la SA FOURNIER, avait sollicité de l'ANVAR un rééchelonnement du calendrier de remboursement, faisant référence aux informations communiquées à cette dernière par le CORRI, et joignant une note précisant que compte tenu de la mutation industrielle des quatre dernières années, et confrontée à des difficultés financières importantes, elle avait dû saisir le CORRI dans le cadre d'un plan en cours de négociation ;
Considérant que l'apport partiel d'actif, placé sous le régime des fusions et scissions, a fait l'objet de toutes les formalités et les publicités prescrites par la Loi, notamment une publication, dans le Moniteur de Seine et Marne du 24 Novembre 1995, du projet d’apport par la SA FOURNIER à la Société d'Investissement du Perche S.I.P., avec indication des modalités d'opposition ouvertes aux créanciers ;
Considérant que l'apport partiel d'actif s'inscrit dans la ligne du processus de réorganisation du groupe ayant donné lieu aux mesures prises sous l'égide du CORRI, afin d'assurer la pérennité de celui-ci et le maintien de ses activités en dépit des difficultés rencontrées ;
Que la SA OSEO ANVAR ne justifie d'aucun élément permettant de retenir l'existence d'une quelconque intention, de la part de la SA FOURNIER, ou de son co-contractant d'échapper aux obligations contractées envers l'ANVAR, ni de manoeuvres particulières aux fins d'y parvenir ;
Considérant que l'absence de volonté de se soustraire à ces obligations, se trouve confirmée, si besoin était, par le comportement ultérieur de la société FOURNIER TP bénéficiaire de l'apport ;
Considérant en effet que la société FOURNIER TP ayant été déclarée en redressement judiciaire, par courrier adressé le 10 février 1997 à Maître COUDRAY, représentant des créanciers, indiquait nous vous confirmons que lors de la procédure de contrôle des déclarations de créances faites par nos divers créanciers nous constatons l'absence de production de la part de l'ANVAR nous vous faisons part de cette créance qui représente une avance conditionnelle pour un montant de 2.600.000 F (396.367,44 euros)' ;
Que Maître COUDRAY, tenant compte de cette information, a envoyé un courrier, reçu le 14 février 1997 par l'ANVAR, informant cette dernière du redressement judiciaire de FOURNIER TP et des démarches à accomplir pour être admis au passif. Ce courrier porte une mention manuscrite, nécessairement de ses services, concerne 351424239", ainsi qu’une indication d’un auteur n° 787 250 398 ;
Que le 14 mars 1997, la SA FOURNIER TP adressait à L'ANVAR une copie de ces deux courriers ;
Que ces éléments démontrent clairement la volonté de la société FOURNIER TP de ne pas se soustraire aux obligations qui lui avaient été cédées ;
Considérant ainsi qu'aucune fraude ne peut être retenue, permettant à la SA OSEO ANVAR, venant aux droits de l'ANVAR, de se prévaloir d'une inopposabilité à son égard de l'apport partiel d'actif emportant transfert à la SA FOURNIER TP des obligations souscrites par la SA FOURNIER, ni d'exercer quelque action que ce soit à l'encontre de la société FINANCIERE DE L'ERABLE ;
Considérant, en conséquence, qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et, statuant à nouveau, de déclarer la SA FINANCIERE DE L'ERABLE bien fondée en son opposition à l'état exécutoire notifié par l'ANVAR le 12 mai 1997, et débouter la SA OSEO ANVAR de l'ensemble de ses prétentions à l'encontre de cette société ;
Considérant que la SA OSEO ANVAR, venant aux droits de l'ANVAR, supportera les dépens de l'ensemble des procédures de première instance et d'appel, et devra verser à la société FINANCIERE DE L'ERABLE et Maître COUDRAY es-qualités, ensemble, une indemnité de procédure qu'il convient de fixer à la somme de 4.000 € ;
PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire en dernier ressort, sur renvoi après Cassation, par arrêt de la Cour de cassation du 22 Février 2005, d'un arrêt rendu par la Cour d'Appel de PARIS le 09 octobre 2001,
Dit que l'arrêt prononcé par la Cour d'Appel de PARIS le 26 février 2002, faisant suite à l'arrêt du 09 Octobre 2001 frappé par la cassation, est de plein droit annulé en application de l'article 625 du nouveau code de procédure civile ;
Infirme en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 05 octobre 1998 par le Tribunal de Commerce de PARIS,
Statuant à nouveau,
Déclare la SA FINANCIERE DE L'ERABLE bien fondée en son opposition à l'état exécutoire notifié par l'ANVAR le 12 mai 1997,
Déboute la SA OSEO ANVAR, venant aux droits de l'ANVAR, de l'ensemble de ses prétentions à l'encontre de la SA FINANCIERE DE L'ERABLE,
Y ajoutant,
Condamne la SA OSEO ANVAR à payer à la société FINANCIERE DE L'ERABLE et Maître COUDRAY es-qualités, ensemble, la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne la SA OSEO ANVAR aux dépens des procédures de première instance et d'appels y compris ceux de l'arrêt cassé et autorise la SCP JULLIEN LECHARNY ROL FERTIER, Avoué, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.