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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 24 juin 2011, n° 09/22326

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BS DECORS (S.A.S)

Défendeur :

BABOU (S.A.S), DERIDO (S.A.R.L)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur GIRARDET

Conseillers :

Madame NEROT, Madame REGNIEZ

Avoués :

SCP BOMMART FORTSER FROMANTIN, Me Francois TEYTAUD, SCP TAZE-BERNARD BELFAYOL BROQUET

Avocats :

Me Magali BUTTARD, SCP BENSIMHON, Maître Isabelle MARCUS MANDEL, Cabinet GUEDJ & Associés

Bobigny, du 16 déc. 2008 et du 29 sept. …

16 décembre 2008

ARRET :

Contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur GIRARDET, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.

La société BS Décors expose qu'elle est titulaire de droits d'auteur sur deux dessins dénommés 'TESS' et 'TIFEN' représentant des branchages avec des feuillages et reproduits sur des tissus d'ameublement, pour les avoir acquis de la société Tissage de Kalken, son fournisseur, et les avoir commercialisés sous son nom commercial 'Léa d'Aubray' dans divers coloris dès le début de l'année 2006.

Au début de l'année 2007, elle constata et fit constater la commercialisation par la société Babou qui s'était fournie auprès de la société Derido, de rideaux reproduisant les caractéristiques des deux dessins précités.

Elle assigna alors les sociétés Babou et Derido devant le tribunal de commerce de Bobigny, en contrefaçon de ses droits d'auteur.

Par jugement en date du 29 septembre 2009, le tribunal considéra que les sociétés BS Décors et Tissage de Kalken n'apportaient pas la preuve que la création des dessins était antérieure aux dessins référencés 530/6117 par la société Derido et importés à la demande de cette dernière par la société Just Home Hanghzou Yuhan. Il débouta la société Bs Décors de ses demandes, estimant que la société Just Home était titulaire des droits d'auteur en litige. Il condamna par ailleurs la société B S Décors à verser à la société Derido la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice commercial né de la cessation de la commercialisation des produits litigieux durant la procédure et ordonna la publication de la décision.

Vu les dernières écritures en date du 11 mars 2011 de la société BS Decors qui soutient rapporter la preuve de ses droits et dénie toute valeur aux pièces versées par les intimées pour essayer d'établir l'antériorité des droits de Monsieur Jim Zhongping travaillant pour la société Just Homme ; elle relève les invraisemblances dont ces pièces sont porteuses pour conclure à leur caractère à tout le moins suspect ; elle demande d'ordonner sous astreinte aux intimées de produire en original les pièces utiles au fondement de leur thèse et conclut en tout cas à leur condamnation solidaire à lui verser les sommes de 588 531, 60 euros, 50 000 euro et 150 000 euros en réparation de son préjudice, respectivement, commercial, financier et moral ; elle sollicite en outre le prononcé des mesures d'interdiction, de publication et de destruction d'usage ;

Vu les dernières écritures en date du 9 décembre 2010 de la société Derido qui conclut au caractère inapplicable des dispositions relatives au droit d'information, à la confirmation de la décision déférée dans la mesure où elle a confirmé que son fournisseur était titulaire de droits antérieurs à ceux dont se prévaut la société BS Décors, et à la condamnation de celle-ci pour avoir commercialisé des tissus reproduisant servilement ses modèles 530/6117 à lui verser les sommes de 38 462,13 euros en réparation de ces actes de concurrence déloyale, 100 000 euros en réparation de l'atteinte portée à sa réputation et à ses relations commerciales et 15 000 euros en réparation de préjudice né de la désorganisation de son entreprise ; elle sollicite la capitalisation des intérêts et le prononcé d'une mesure d'interdiction ;

Vu les dernières écritures en date du 24 mars 2011 de la société Babou qui soutient que la société BS Décors est irrecevable à agir en contrefaçon faute pour elle de justifier des droits d'auteur dont elle se dit investie ; subsidiairement, elle soutient que les dessins sont dépourvus d'originalité, qu'étant simple distributeur, la demande de communication de pièces au titre du droit d'information ne la concerne pas, et que la société BS Decors ne démontre pas avoir subi un préjudice en raison de la vente par la société Babou des rideaux argués de contrefaçon ; elle conclut in fine à la condamnation de son fournisseur à la garantir, à la résolution de la vente aux torts exclusifs de la société Derido et à la condamnation de celle-ci à lui rembourser la somme de 160 096,56 euros qu'elle a versée à la société Derido ;

SUR CE,

Sur les pièces demandées au titre du droit d'information :

Considération les dispositions qui organisent l'exercice de ce droit ont été introduites par la loi du 29 octobre 2007 et sont codifiées à l'article L331-1-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant qu'il s'agit d'une loi de procédure qui a vocation à s'appliquer à la présente instance laquelle a d'ailleurs été engagée postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ;

Considérant toutefois qu'aux termes de l'article précité, les mesures que la juridiction peut ordonner, doivent avoir pour objet de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des marchandises arguées de contrefaçon ;

Que tel n'est pas de le cas de l'espèce, puisqu'il ne s'agit pour BS Décors que de contraindre la société Derido à produire des pièces en original ;

Considérant que la demande sera donc rejetée , la cour appréciant, au vu de la crédibilité des documents qu'elle produit, si la société Derido rapporte la preuve de ses prétentions ;

Sur les droits d'auteur de la société BS Décors :

Considérant que la société BS Décors précise que Monsieur Greg Threfall, styliste salarié au sein de la sociét Diane Harrison design Ltd a créé un dessin numéroté 004 39843 qui a été cédé à la société Tissage de Kalken qui 'remodela' celui-ci pour aboutir aux dessins 'Tifen' et 'Tess'créés respectivement les 13 juillet et 16 septembre 2005 ; que la société Tissage de Kalken lui a cédé ses droits en contrepartie de l'engagement qu'elle prit de se fournir auprès d'elle, ce qu'elle fit à compter de janvier 2006 ;

Considérant qu'afin de prouver ses dires, elle verse aux débats outre l'attestation de Greg Threlfall affirmant avoir créé le modèle originaire le 26 mars 2004, une attestation de la société Tissage de Kalken qui précise avoir adapté le dessin pour aboutir aux deux dessins revendiqués, des factures d'achat auprès de la société Tissage de Kalken, des fiches produits, des catalogues non datés mais qui présentent les tissus portant l'impression de ces dessins, des photographie de son stand et enfin diverses factures de commercialisation ;

Considérant que la société BS Décors revendique le bénéfice de l'article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle et fait valoir qu' en raison de la commercialisation qu'elle a entreprise sous son nom, elle est présumée titulaire de droits d'auteur à l'égard des intimées ;

Considérant ceci rappelé, que l'article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l''uvre a été divulguée, instaure une présomption simple au profit du ou des co-auteurs personnes physiques et nullement au profit des personnes morales qui n'ont pas la qualité d'auteur ;

Considérant en revanche que la personne morale qui, de façon non équivoque, commercialise l''uvre sous son nom est présumée titulaire des droits d'exploitation à l'égard des tiers poursuivis en contrefaçon, en l'absence de toute revendication du ou des auteurs ;

Que pour bénéficier de cette présomption, il lui appartient d'identifier l''uvre qu'elle revendique et de justifier de la date à laquelle elle a commencé à en assurer la commercialisation ; qu'il lui incombe également d'établir que les caractéristiques de l''uvre revendiquée sont identiques à celles de l''uvre dont elle rapporte la preuve de la première commercialisation sous son nom ;

Considérant que si les actes d'exploitation sont équivoques, elle doit alors préciser les conditions dans lesquelles elle serait investie de droits patrimoniaux ;

Considérant ceci rappelé, qu'en l'espèce la société BS Décors justifie de la commercialisation sous son nom, de façon constante, de tissus reproduisant les dessins en cause, à partir du début de l'année de 2006, comme en rendent compte les nombreuses factures qu'elle produit ;

Qu'elle peut ainsi être présumée titulaire des droits d'exploitation à compter de cette date ;

Considérant que pour faire remonter ses droits à une date antérieure, elle verse une attestation de l'administrateur de la société Tissage de Kalken qui vient préciser que les dessins ont été créés en juillet et septembre 2005 ; que les photocopies des fiches annexées reproduisent les cartons avec des dates qui ont pu être inversées (juillet et septembre2005), sans affecter pour autant le crédit qui peut être attaché à l'attestation ;

Considérant en revanche que les droits de l'appelante ne peuvent remonter à la date à laquelle Greg Threlfall déclare avoir créé l''uvre première (26 mars 2004) dans la mesure où les deux dessins qui auraient été contrefaits n'ont pas été réalisés à cette date mais aux dates auxquelles la société Tissage de Kalken déclare les avoir réalisés (juillet /septembre 2005) ;

Sur les droits de la société Derido :

Considérant que la société Derido avance que son gérant s'est rendu à la foire internationale d'automne de Canton en octobre 2004 et y rencontra les représentants de la société de droit chinois Just Home qui a un bureau de style dont un des salariés, Monsieur Jin Zhongping est l'auteur des dessins en cause, portant la référence 530/6117 et reproduits sur des housses de coussins, de rideaux à oeilletset à pattes ; qu'intéressée par ces dessins, elle demanda à en avoir des échantillons qui lui furent expédiés en avril 2005 par le bureau d'exportation Hangzou Yuhangpour être reçus en juillet 2005 ; que le 2 mars 2006, la société Babou lui passa commande de divers articles reproduisant ces dessins ;

Considérant que le dessin produit aux débats qui comporte une mention non traduite, les copies de contrat du salarié et l'attestation de la gérante de la société Just Home ne peuvent apporter en eux-mêmes la preuve de la création d'autant que leur traduction n'est que partielle ;

Qu'en revanche le catalogue (pièce 4) produit en original, portant la date de 2005, comportant des pages volantes mais numérotées , présente bien en page 9 les rideaux reproduisant les 'uvres en cause, avec la référence 530-6117 ;

Que certes le catalogue ne comporte pas de date d'impression, mais cette seule considération ne saurait le vider de toute portée probatoire, pas plus que la mention incomplète (Jiashi Textile) de la dénomination sociale de la société Hangzhou Jiashitextile ;

Considérant que la pièce 10 est une facture détaillée en date du 28 avril 2005 du bureau d'exportation adressée à Derido qui porte trace en page intérieure de l'envoi de la référence 530-6117 en différentes couleurs (page5/5) ;

Que d'autres pièces paraissent se rapporter à la suite de cet envoi, notamment le bon de commande de la société Babou en date du 2 mars 2006 et la facture d'achat émise par le bureau d'exportation portant la référence des modèles 530/617 (pièces 12 et 14) ;

Considérant qu'il suit que ces éléments tendent à établir que les dessins dont se prévaut la société BS Décors avaient été divulgués dès 2005 sous la référence 530/6117, par la société de droit chinois Just Home, avant la date à laquelle la société Bs Décors pourrait faire remonter ses droits ;

Qu'en l'état des mentions qu'elles comportent, ces pièces ne sont pas dénuées de force probante ;

Considérant qu'il suit que la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté les prétentions de la société BS Décors ;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que la société BS Décors a commencé à commercialiser les dessins en cause avant même que la société Derido ne commence à commercialiser les siens ;

Que la société Derido qui ne prétend pas être titulaire d'un droit privatif ne saurait dès lors faire grief à la société BS Décors d'avoir poursuivi cette commercialisation ;

Que la décision entreprise sera également confirmée en ce qu'elle a rejetée les demandes formées par la société Derido à ce titre ;

Sur les demandes complémentaire de la société Derido :

Considérant que la société Derido soutient encore que l'action en contrefaçon engagée par la société BS Décors, comme les opérations de saisie-contrefaçon effectuées le 2 octobre 2007, ont eu pour effet de réduire considérablement son courant d'affaires avec la société Babou et de désorganiser son entreprise ;

Considérant toutefois que si son expert comptable précise en effet que son courant d'affaires avec la société Babou s'est réduit de 2006 à 2009, rien ne démontre en revanche que cette réductions soit le fait de l'action en contrefaçon alors surtout qu'il apparaît que la commercialisation de la référence litigieuse, cause de la présente instance, ne paraît pas avoir cessé ; qu'en tout cas la preuve contraire n'est pas rapportée ;

Considérant par ailleurs que la société Derido ne justifie pas davantage de l'atteinte qui aurait été portée à sa réputation et du préjudice que lui aurait causé les opérations de saisie-contrefaçon par le seul témoignage de la gérante de la société Just Home, présente sur les lieux, qui déclare simplement avoir dû attendre la fin des opérations de saisie pour rencontrer le représentant de la société Derido ;

Considérant qu'il suit que la décision entreprise sera infirmée en ce qu'elle a condamné la société BS Décors à verser à la société Derido la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Confirme la décision déférée sauf en ce qu'elle a condamné la société BS Décors à verser à la société Derido la somme de 20 000 euros en réparation de l'atteinte à sa réputation et à ses relations commerciales et en ce qu'elle a ordonné la publication du jugement,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute la société Derido de sa demande de réparation du préjudice né de l'atteinte portée à sa réputation et à ses relations commerciales,

Rejette la demande de publication du jugement et du présent arrêt,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la société BS Décors aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du même code.