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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 2 octobre 2009, n° 08/12456

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

HELIANCE (SARL)

Défendeur :

UNE LIGNE (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur Alain GIRARDET

Conseillers :

Madame Geneviève REGNIEZ, Madame Dominique SAINT-SCHROEDER

Avoués :

Me François TEYTAUD, SCP Anne-Marie OUDINOTet Pascale FLAURAUD

Avocats :

Me Géraldine LE GRAND, LANDON, Me Pierre GREFFE

Paris, du 05 juin 2008

5 juin 2008

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 5 juin 2008 qui d'une part, a condamné la société HELIANCE pour contrefaçon d'un modèle de boucles d'oreilles commercialisé par la société UNE LIGNE sous les références 123/223 à verser à cette société la somme de 55 000 euros à titre de dommages et intérêts, et d'autre part, a ordonné les mesures d'interdiction, de publication et de confiscation d'usage .

Vu les conclusions dernières de la société Héliance qui soutient en substance que la société Une Ligne ne caractérise nullement son travail de création et pas davantage l'originalité simplement affirmée de son modèle; elle fait grief aux premiers juges de s'être substitués à elle dans cette entreprise en avançant des motifs contradictoires et en se fondant sur la seule nouveauté du modèle revendiqué alors qu'ils auraient dû dégager ce qui pouvait en dehors des contraintes techniques refléter l'empreinte personnelle d'un créateur; qu'elle produit divers documents démontrant selon elle que les modèles en cause appartiennent à un fond commun fort ancien dans lequel l'intimée n'a fait que puiser; à titre subsidiaire, elle prétend que la société Une Ligne ne justifie pas être titulaire de droits patrimoniaux d'auteur et soutient que les dommages et intérêts alloués en première instance ne réparent nullement un préjudice démontré mais présentent un caractère punitif que la directive 2004/48 n'a aucunement eu pour dessein d'instaurer; elle excipe de sa totale bonne foi, fait valoir qu'en tous cas la mesure de confiscation n'est pas motivée avant de conclure à la condamnation de l'intimée pour avoir mis en oeuvre l'exécution forcée du jugement dont appel et sollicite sa condamnation à lui verser la restitution des sommes versées augmentées d'une somme de 5000 euros ;

Vu les conclusions dernières de la société Une Ligne qui lui oppose qu'elle définit suffisamment l'originalité du modèle qu'elle revendique, que les prétendues 'antériorités' produites par l'appelante sont relatives à des modèles de clips ou encore de boules complètes qui ne sont pas de nature à ruiner l'originalité de son modèle, et qui souligne que l'appelante se refuse à fournir toute indication sur le nombre d'exemplaires contrefaisants qu'elle a importés et commercialisés; elle expose qu'entre 2000 et 2008, elle a vendu 227 666 pièces et qu'elle a réalisé un chiffre d'affaires de 1.756 .877 eyros, pour solliciter que le montant des dommages et intérêts soient portés à la somme de 100 000 euros.

SUR CE,

Sur l'oeuvre revendiquée et son originalité

Considérant que la société Une Ligne définit comme suit le modèle sur lequel elle revendique des droits d'auteur : << un modèle de boucles d'oreilles caractérisé par sa forme(3/4 boule), sesdimensions et proportions, la dimension des pierres au nombre de 31, lesdites pierres étant de couleur, étant précisé que ces boucles d'oreilles sont fabriquées en une gamme de couleurs constituant une série, les pièces de couleurs étant des pierres 'SWAROVSKI' >>.

Considérant que bien que cette définition des caractéristiques de l'oeuvre soit peu développée, elle circonscrit cependant le périmètre de la protection demandée, à la structure des boucles d'oreilles- 3/4 boule-,et à une surface sur laquelle sont disposées des pierres dénombrées précisément et réalisées dans une forme particulière et colorées. .

Considérant que l'originalité revendiquée repose donc sur cette combinaison.

Considérant que la société Une Ligne a apporté des précisions complémentaires par une note en délibéré; que l'appelante fait valoir à juste titre que ces éléments n'ont pas pu faire l'objet d'un débat contradictoire; qu'il n'en sera dès lors pas tenu compte.

Considérant que la société Héliance expose que les caractéristiques revendiquées sont d'ordre mathématique et technique (il existe un rapport de nécessité entre le nombre de pierres d'une certaine taille et le support sur lequel elles sont fixées) et que le tribunal ne s'est placé que sur le seul terrain de la nouveauté en ignorant la portée des pièces produites sur le terrain de l'originalité.

Considérant cependant que les premiers juges ont relevé pertinemment que la forme 3/4 boule des boucles d'oreilles, la taille des pierres et leur configuration ne résultaient pas d'impératifs techniques mais d'un choix qui reflétait la personnalité de l'auteur; que l'on ne saurait en effet contester que rien n'imposait d'adopter pour le pavage, des pierres de cette forme, couleur et taille; qu'il est indifférent qu'une fois ce parti adopté, le nombre des pierres composant le pavage soit nécessairement fonction de la taille des pierres choisies et de l'importance de la surface à couvrir;

Que si le jugement a pu, par une erreur de plume, énoncer que ce choix n'était dicté 'par aucune impératif esthétique ou commercial' ( 3° paragraphe de la page 4), la lecture du reste du paragraphe suffit à chasser toute ambiguïté.

Considérant que l'appelante n'est pas mieux fondée à soutenir que les premiers juges auraient uniquement apprécié la nouveauté du modèle, alors qu'ils ont pris le soin d'indiquer par référence aux pièces produites, que l'utilisation d'un support de type boule appartenait au domaine commun de la création en matière de joaillerie et qu'il en était de même du décor fait de petites pierres ou de strass recouvrant le support, mais que la combinaison des caractéristiques relatives aux proportions du support 3/4 sphérique, à celles des pierres et à leur nombre n'était dictée par aucun impératif technique et révélait 'un parti créatif';

Qu'en cause d'appel, la société Héliance pas plus qu'elle ne le fit en première instance, n'analyse pas chacune des pièces qu'elle produit dont elle se borne à dire qu'elles détruiraient l'originalité du modèle en cause.

Que la cour observera dès lors que les pièces en cause sont pour la plupart des photocopies en noir et blanc, qui ne permettent pas de voir les détails des modèles photographiés; qu'il en est ainsi des boucles d'oreilles en forme de panier, découvertes à Pompéi, d'une photographie d'un bijou Chaumet extraite d'un catalogue de ventes aux enchères, ou encore d'une photographie extraite de la revue 'Amica', Milano, 11 nov. 1969.

Que sans exiger une antériorité de toute pièce, exigence étrangère en effet à l'appréciation de l'originalité, force est de constater que ces publications ne donnent à voir que des boucles d'oreilles arrondies, pavées de pierres d'un nombre et de formes variables;

Que l'empreinte de la personnalité de l'auteur résulte dès lors des proportions adoptées pour le support et les pierres combinées à la matière et aux couleurs particulières de celles-ci ('Swarovski'); que ces choix reflètent la personnalité de l'auteur.

Sur la titularité des droits

Considérant qu'il est constant que la présomption attachée à la première divulgation énoncée par l'article L113-3 du code de la propriété intellectuelle ne concerne que la seule qualité d'auteur et nullement celle de titulaire des droits patrimoniaux.

Considérant en revanche, que la commercialisation non équivoque d'une oeuvre fait présumer à l'égard des tiers poursuivis en contrefaçon et en l'absence de toute revendication de droits d'auteur, que la personne morale qui justifie de la réalité de cette commercialisation sous nom et des modalités dans lesquelles elle la réalise, est titulaire des droits patrimoniaux d'auteur correspondants.

Qu'il est constant que tel est le cas de l'espèce, la société Une Ligne justifiant par la production de ces nombreux catalogues, factures et commandes de fabrication, de la commercialisation depuis plusieurs années du modèle revendiqué.

Sur la contrefaçon

Considérant que le constat d'achat dressé le 19 septembre 2007, établit que la société Héliance offre à la vente et vend un modèle de boucles d'oreilles, décliné en 4 gammes de coloris différents, qui reprend les caractéristiques sus évoquées tenant aux mêmes rapports de proportion entre les pierres et leur support (3/4 boule), le même recours au pierres Swarovski, le même usage de couleurs, quand bien même la gamme de couleurs choisies par Héliance est-elle plus large que celle adoptée par Une Ligne; qu'il est indifférent que la taille des boucles soit plus petite, comme l'affirme Héliance, et que, partant, les incrustations soient également plus petites, dès lors que les boucles litigieuses reprennent les caractéristiques sus évoquées.

Que la contrefaçon est en conséquence caractérisée sans qu'il y ait lieu d'apprécier s'il existe un risque de confusion, critère étranger à l'appréciation de la contrefaçon en droit d'auteur .

Sur la réparation

Considérant que l'appelante soutient que la loi du 29 octobre 2007 a imparfaitement transposé la directive CE/2004/48(art 13 notamment) relative à la réparation des atteintes aux droits de propriété intellectuelle et les articles correspondants des accords ADPIC (art 45 et suivants), dans la mesure où il résulterait de la contemplation de ces textes que la partie lésée devrait rapporter la preuve que le contrevenant s'est livré à l'activité contrefaisante 'en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir'; que par ailleurs les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice réellement subi du fait de l'atteinte portée aux droits en cause et ne pas présenter de caractère punitif.

Mais considérant d'une part, que les dispositions de transposition figurant à l'article L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle ne sont que la reprise de celles énoncées à l'article 13 de la directive, l'article L331-3 reprenant pour la fixation du montant des dommages et intérêts la même alternative que celle qu'énonce la directive.

Que d'autre part, il ne peut être soutenu que cette directive viendrait exiger que la personne lésée fasse la preuve que le contrevenant savait qu'il se livrait à une activité contrefaisante, car est assimilé à ce dernier 'la personne qui a des motifs raisonnable de le savoir' (article 13.1); qu'en outre, il sera rappelé que la directive cherchant à appréhender toutes les situations, énonce que :'lorsque le contrevenant s'est livré à une activité contrefaisante sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir, les Etats membres peuvent prévoir que les autorités judiciaires pourrontordonner le recouvrement des bénéfices ou le paiement de dommages et intérêts préétablis'(art13.2) .

Qu'en l'espèce, la société Héliance ne peut soutenir ni ne soutient avoir ignoré que la société Une Ligne qui est en concurrence avec elle, commercialisait le modèle en cause depuis de nombreuses années;

Que sa responsabilité est ainsi pleinement engagée.

Considérant que Une Ligne produit divers documents signés par son expert comptable dont il ressort qu'elle a vendu en 8 ans 227 666 pièces de ce modèle, représentant un chiffre d'affaires de plus de 1,7 millions d'euros.

Considérant qu'Héliance ne donne aucune indication précise sur l'importance de la commercialisation des modèles contrefaisants déclinés en plusieurs gammes de couleurs.

Que le tribunal a donc pu avancer par des motifs propres et adoptés qu'Héliance a pu détourner un volume d'affaires de l'ordre de 5000 pièces et que compte tenu de la marge brute réalisée par Une Ligne, fixer le préjudice de cette dernière à une somme de 40 000 euros augmentée de 15 000 euros en réparation de l'atteinte portée à l'image du modèle exploité de façon continu et significative sur plus de 8ans.

Que cette approche fondée sur les gains manqués notamment, n'aboutit d'évidence pas à la fixation de dommages et intérêts punitifs; que si la société Héliance juge la réparation allouée sans rapport avec la réalité de l'exploitation incriminée, il lui était loisible de l'établir en produisant les pièces de sa comptabilité.

Que le montant des dommages et intérêts sera confirmé comme le mesure de publication ainsi que la mesure de confiscation laquelle est d'autant plus nécessaire qu'Héliance fait silence sur l'étendue de ses stocks.

Que la confirmation de la décision emporte le rejet de la demande reconventionnelle formée par l'appelante .

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Considérant que l'équité commande de condamner la société Héliance à verser à l'intimée la somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,