CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 23 novembre 2012, n° 11/18021
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SA Coopérative à capital variable SIPLEC - Société d'Importation E.LECLERC
Défendeur :
Société de droit espagnol TECNI SHOE SA, Société de droit portugais CARPEX COMMERCIAL DE CALCADO LDA (CARPEX)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Monsieur Eugène LACHACINSKI, Monsieur Dominique COUJARD
Conseiller :
Madame Sylvie NEROT
Avocats :
SCP GARNIER, Maître Antoine GILLOT, Maître Anne-Marie OUDINOT, Maître Damien REGNIER
ARRET :
Par défaut,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur Eugène LACHACINSKI, président, et par Monsieur Truc LamNGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
La société de droit espagnol TECNI SHOE expose qu'elle est titulaire de droit d'auteur sur un modèle de chaussures pour femme référencé 2547 Brandy figurant dans le catalogue de sa collection Dorking préparé en 2006 pour la saison été 2007 ;
Reprochant à la société d'Importation Leclerc ci-après la société SIPLEC d'avoir importé en France sous la marque Tissaia et la référence Charles IX des chaussures reproduisant de manière quasi servile la forme et l'aspect de son modèle 2547 Brandy et après avoir diligenté des opérations de saisie-contrefaçon, la société TECNI SHOE l'a assignée le 28 juillet 2008 devant le tribunal de grande instance de Créteil ainsi que la société de droit portugais CARPEX le 8 juillet 2009 en contrefaçon de droit d'auteur et en réparation des préjudices qu'elle déclare avoir subi du fait de ces deux sociétés ;
Par jugement du 13 septembre 2011, le tribunal a :
- rejeté la demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 juillet 2008,
- dit qu'en important et commercialisant sur le territoire français les chaussures Charles IX, objets des saisies-contrefaçons effectuées les 15 mai et 4 juillet 2008, la société SIPLEC a commis des actes de contrefaçon à l'encontre de la société TECNI SHOE titulaire des droits d'auteurs portant sur le modèle de chaussures référencé 2547 de sa collection Dorking,
- ordonné à la société SIPLEC de faire procéder au rappel des chaussures arguées de contrefaçon encore détenues par les centres Leclerc, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
- ordonné la confiscation et la destruction sous contrôle d'huissier et aux frais de la société SIPLEC de la totalité des chaussures arguées de contrefaçon que la société SIPLEC a conservées en stock ou qui lui seront retournées dans les délai d'un mois à compter du jour de la signification du jugement , sous astreinte de 100 euros par jours de retard,
- interdit à la société SIPLEC d'importer, d'offrir en vente et/ou vendre des chaussures identiques à celles objets des saisies-contrefaçons effectuées les 15 mai et 4 juillet 2008, sous astreinte définitive et non comminatoire de 200 euros par infraction constatée à compter du jour de la signification du jugement,
- condamné la société SIPLEC à lui payer à titre de dommages intérêts les sommes de 5.000 euros pour le préjudice commercial subi, 20.000 euros pour l'atteinte portée à ses droits d'auteur, 10.000 euros du fait de la dévalorisation de son modèle,
- autorisé la société TECNI SHOE à faire publier le jugement par extrait dans deux journaux ou périodiques de son choix aux frais avancés et sur présentation de simples
devis à la société SIPLEC pour un montant pouvant atteindre la somme de 10.000 euros,
- condamné la société SIPLEC à payer à la société TECNI SHOE la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société CARPEX à garantir la société SIPLEC, uniquement pour les frais de conseil, les dépens et les débours exposés,
- condamné la société CARPEX à payer à la société SIPLEC la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné la société SIPLEC aux dépens de l'instance principale qui comprendront les frais des saisies-contrefaçon
- condamné la société CARPEX à garantir la société SIPLEC au titre des dépens de l'instance principale ainsi qu'aux dépens de l'appel en garantie ;
Vu l'appel interjeté le 7 octobre 2011 par la société SIPLEC ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 juillet 2012 par lesquelles la société SIPLEC demande à la cour :
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- de déclarer l'appel incident de la société TECNI SHOE mal fondé,
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit que la société CARPEX est le fournisseur du modèle de sandale contesté,
- de dire la société TECNI SHOE mal fondée en son action en contrefaçon et la débouter de toutes ses demandes,
- de condamner la société TECNI SHOE à lui payer la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- subsidiairement, de dire que la société TECNI SHOE ne rapporte pas la preuve des préjudices qu'elle allègue et la débouter de ses réclamations financières,
- plus subsidiairement, de dire qu'elle est bien fondée en son appel en garantie dirigée contre la société CARPEX et de condamner celle-ci à la garantir de toutes condamnations éventuellement prononcées à son encontre au titre la contrefaçon,
- à titre infiniment subsidiaire, sur le fondement de l'article 1604 du code civil, de condamner la société CARPEX à lui payer les dommages intérêts d'un montant équivalent à l'ensemble des condamnations qui seraient éventuellement prononcées à son encontre,
- de condamner la société CARPEX à lui payer la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 mai 2012 par lesquelles la société TECNI SHOE demande à la cour :
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société SIPLEC à lui payer les sommes de :
- 5.000 euros pour le préjudice commercial qu'elle a subi,
- 20.000 euros pour l'atteinte portée à ses droits d'auteur,
- 10.000 euros pour le préjudice subi du fait de la dévalorisation de son modèle,
- de le réformer sur le quantum des condamnations et de condamner la société SIPLEC à lui payer la somme de 150.000 euros à titre de dommages intérêts toutes causes de préjudice confondues,
- de dire que les publications autorisées devront faire mention de l'arrêt à intervenir,
- de débouter la société SIPLEC de toutes ses demandes,
- de condamner la société SIPLEC à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu la notification à la société CARPEX du 9 janvier 2012 de l'assignation avec signification de conclusions ;
SUR QUOI, LA COUR :
Sur la titularité des droits d'auteur sur le modèle de chaussure référencé 2547 Brandy de la collection DORKING :
La société TECNI SHOE décrit ce modèle comme étant une chaussure de type ballerine semi-ouverte dont la tige est constituée notamment d'une bride et d'une partie avant comportant trois rangées de surpiqûres venant séparer trois séries de motifs décoratifs (losanges ovales plats et points), la bride étant agrémentée d'un ornement constitué par une fleur à six pétales revêtus chacun d'une pastille en métal, surmontée d'une autre fleur à cinq pétales comportant chacun une surpiqûre, une large pastille en métal étant placée au centre ;
La semelle se divise en six parties distinctes comportant chacune un décor particulier, une des parties étant constituée par la marque DORKING inscrite dans un cartouche de couleur rouge placé au milieu, côté extérieur ;
La société TECNI SHOE soutient qu'elle divulgue et exploite ce modèle de chaussure pour femme sous son nom depuis la fin de l'année 2006 et qu'elle est par conséquent fondée à revendiquer la qualité d'auteur en application de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle ;
La société SIPLEC réplique qu'en sa qualité de personne morale, la société TECNI SHOE ne peut se prévaloir de la qualité d'auteur du modèle en cause et de la présomption de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle ;
Elle soutient également que la société TECNI SHOE ne justifie pas avoir créé le modèle de chaussure dans la mesure où il n'est justifié d'aucun dépôt et que la preuve de la diffusion du catalogue produit, qui n'est pas daté et qui ne mentionne pas de nom, n'est pas démontrée ;
Si la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée, en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation de l'oeuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon que cette personne est titulaire sur l''uvre du droit de propriété incorporelle ;
Pour justifier la divulgation du modèle de chaussure référencé 2547 BRANDY, la société TECNI SHOE produit :
- un extrait de catalogue intitulé VERANO 2007 DORKING DK WOMAN SHOES lequel représente ledit modèle sur une page comportant les mentions FRANCIA VERANO-07 DORKING DK WOMAN SHOES,
- deux factures datées du 16 février 2007 adressées à des sociétés établies en France avec les mentions '2547 SEDAN BRANDY CAYMAN CAR' portant au total sur 15 paires de chaussures pour un montant total de 405 euros,
- une feuille volante portant l'indication 'DORKING DK WOMAN SHOES TARIFE DE PRIX' 'FRANCE ÉTÉ 07 mentionnant que le modèle 2547 était offert à la vente au prix de 27 à 67 euros,
- une attestation de dépôt du catalogue datée du 15 novembre 2006 sous le numéro 07/2006/170 au Registre territorial de la propriété intellectuelle du Gouvernement de la Rioja,
- un extrait du Registre général de la propriété intellectuelle daté du 31 janvier 2007 mentionnant comme auteur et titulaires originels des droits sur le catalogue de chaussures Collection Eté 2007 : Castillo Ugarte Javier et la société TECNI SHOE comme titulaire cessionnaire ;
Mais si l'exploitation paisible et public en France du modèle de chaussure 2547 BRANDY est démontrée par les deux factures sus-visées, la faible commercialisation du modèle n'étant pas en soi de nature à permettre à la société SIPLEC de contester à la société TECNI SHOE la présomption de titularité sur ce modèle, il lui appartient encore de démontrer qu'elle a effectivement participé au processus créatif du modèle de chaussure incriminé qu'elle déclare exploiter et commercialiser en France afin de bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur ;
Or la société TECNI SHOE ne fournit en l'espèce à la cour aucun élément probant pertinent tels des esquisses, dessins, croquis ou patrons qui lui permettrait de revendiquer valablement la présomption de titularité que la jurisprudence reconnaît au profit des personnes morales ;
Pas davantage elle ne justifie qu'elle possède au sein de son entreprise un atelier de création dans lequel Castillo Ugarte Javier aurait exercé ses activités et où le modèle de chaussures pour lequel une protection au titre du droit d'auteur est demandée aurait été élaboré ;
Or dans un contexte de commerce mondial, la présomption de possession de l''uvrereconnue au profit des personnes morales ne doit être reconnue qu'à la condition qu'elles justifient avoir participé techniquement et financièrement à l'élaboration d'un processus créatif qui leur a permis d'exploiter et de commercialiser le produit sans qu'aucune contestation n'émane des auteurs ;
Il ne saurait en effet être reconnu la titularité de droits d'auteur à des personnes morales sur des 'uvres dans lesquelles elles n'exercent aucune influence ou n'ont aucun contrôle ;
Le jugement déféré sera par conséquent infirmé en toutes ses dispositions ;
La demande en garantie dirigée contre la société CARPEX COMMERCIAL DE CALCADO LDA par la société SIPLEC est par conséquent sans objet ;
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société SIPLEC les frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés tant en première instance qu'en cause d'appel et qu'il convient de fixer à la somme de 10.000 euros à la charge de la société TECNI SHOE .
La demande formée au même titre par la société TECNI SHOE sera rejetée ;
P A R C E S M O T I F S,
Infirme le jugement rendu le 13 septembre 2011 par le tribunal de grande instance de Créteil en toutes ses dispositions,
Déboute la société TECNI SHOE de l'ensemble de ses demandes,
Condamne la société TECNI SHOE à payer à la société SIPLEC la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société TECNI SHOE aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.