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Décisions

CA Bastia, ch. civ. 1, 17 octobre 2007, n° 07 / 00370

BASTIA

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Etudes De Locaux Industriels Et Commerciaux (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunet

Conseillers :

M. Weber, Mme Piazza

Avoués :

SCP Ribaut-Battaglini, SCP Jobin et Jobin

Avocats :

SCP Raveton-Fournier, SCP Morelli-Maurel-Santelli-Pinna-Recchi

TGI Ajaccio, du 12 mars 2007

12 mars 2007

Vu le jugement du Tribunal de grande instance d'AJACCIO du 12 mars 2007 qui déclare irrecevable la demande de la société ELIC à l'encontre des consorts X... pour défaut d'intérêt à agir et la condamne à payer à Monsieur Jean Claude X... la somme de 3. 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile outre dépens.

Vu l'appel interjeté le 16 mai 2007 par la société ELIC.

Vu les conclusions de l'appelante du 5 septembre 2007 aux fins d'infirmation du jugement et demandant à la Cour de dire que l'ensemble des biens et droits immobiliers appartenant à la société civile Société Agricole du ... tels qu'ils figurent au fichier immobilier sont devenus suite au décès de leur mère Madame Charlotte Z... à compter du 1er novembre 2002, la propriété indivise à raison d'un tiers chacun des consorts X... et de condamner ces derniers à lui payer la somme de 9. 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre dépens.

Vu les conclusions de Monsieur Jean Claude X... aux fins au principal de confirmation de la décision entreprise et demandant à la Cour :

-de dire que la société ELIC ne justifie pas du caractère certain, liquide et exigible de la créance lui permettant de mettre en oeuvre l'action publique,

-de constater que la société ELIC ne dispose d'aucun titre exécutoire contre les consorts X... et qu'elle ne peut produire les actes fondant sa prétendue créance, les titres ayant été détruits et ne pouvant servir de fondement à une poursuite judiciaire,

-de dire que l'acte du 18 janvier 1982 a écarté expressément la novation et que s'agissant d'un acte de prorogation, il n'était pas interruptif de prescription acquise dès lors que les prêts sont antérieurs de plus de dix ans à la mise à exécution,

-subsidiairement, de constater que par le paiement réalisé par le liquidateur de la société SEZUB en 2004, la société ELIC a été remplie de ses droits,

-très subsidiairement dans le cas où la Cour consacrerait l'existence de la créance litigieuse, donner acte à Monsieur Jean Claude X... de ce qu'il entend exercer le retrait litigieux de l'article 1699 du code civil contre paiement de la somme de 60. 975 euros montant de la cession de la créance litigieuse,

-plus subsidiairement, dire que la société ELIC ne peut se prévaloir des intérêts sur les sommes dues.

Vu la non comparution de Madame Monique X... et Mademoiselle Claire X....

EXPOSE DES FAITS ET DES MOYENS DES PARTIES :

La Société Agricole de l'Olmo et la Société X... et Compagnie, SEZUB, ont contracté les 18 novembre 1968,3 décembre 1968,4 décembre 1973 et 13 février 1975 quatre prêts respectivement auprès de la Société MOLITOR-AUTEUIL pour 300. 000 francs, de Monsieur A..., la Société MOLITOR-AUTEUIL, Monsieur Guy B... et Monsieur C... pour 900. 000 francs, de Monsieur B... et Monsieur D... pour 400. 000 francs et enfin de Monsieur Guy B... de 400. 000 francs.

Diverses grosses au porteur, en général d'un montant de 100. 000 francs étaient établies à ces occasions, des garanties hypothécaires étant prises sur les biens des débiteurs.

Par actes des 18 janvier 1982 et 16 juin 1982, ce dernier étant versé au débat, il était procédé à la mise au nominatif des copies exécutoires au porteur (grosses au porteur) conformément aux dispositions de l'article 16 de la loi du 15 juin 1976 : copies exécutoires 1 à 3 au nom de la Société MOLITOR AUTEUIL pour le premier prêt, copies exécutoires 1 à 3 et 5 à 8 au nom de Monsieur B... ainsi que no 4 de la Société MOLITOR AUTEUIL pour le deuxième prêt, copies exécutoires 1 à 3 au nom de Monsieur B... et 4 au nom de Monsieur D... pour le troisième prêt et enfin copies exécutoires 1 à 4 au nom de Monsieur B....

Dans ce même acte le taux des intérêts était porté à 17,50 % l'an et de nouvelles affectations hypothécaires concernant tant la Société SEZUB que la Société du ... étaient convenues.

Enfin de convention expresse, il était précisé que l'acte n'emportait aucune novation à l'égard des dispositions de l'acte de prêt et que le montant de la copie exécutoire no 9 du contrat de prêt du 3 décembre 1968 avait été remboursé.

Par acte du 27 mai 1991, Madame E... veuve de Monsieur Guy B..., venant aux droits de celui-ci, cédait sa créance à la SA " UNION ORDENER " dont le Président du Conseil d'Administration était Monsieur Jean Laurent B... moyennant le prix de 4. 103. 855 francs. Cet acte est produit aux débats.

Par acte du 9 avril 2002, un procès-verbal authentique de dépôt au rang des minutes du notaire d'un acte sous-seing privé du 15 février 1999, contenant cession de trois créances de la Société UNION ORDENER était signé au bénéfice de la Société ELIC, société de famille représentée par Madame B... et constituées de celle qui lui a été reconnue par l'arrêt de la Cour d'appel de BASTIA concernant la procédure collective de la Société SEZUB pour 4. 314. 552 francs et celle acquise le 27 mai 1991.

La Société ELIC précise bien que la demande n'a pour objet que de faire déclarer les défendeurs propriétaires indivis par parts égales pour un tiers chacun des immobiliers de la Société Agricole du ..., faute par cette dernière d'avoir sollicité son immatriculation au Registre du Commerce d'AJACCIO du 1er novembre 2002.

Elle ajoute que la publication de la décision est destinée à permettre la poursuite, en l'état paralysée, de l'inscription et des renouvellements des sûretés de divers prêts authentiques avec affectations hypothécaires consenties par la Société Agricole du ... et qu'en toute hypothèse il ne s'agit pas d'une action en paiement.

Mais c'est au visa de l'article 122 du code civil que le Tribunal a estimé l'action irrecevable en jugeant que la Société ELIC n'établissait pas que les créances lui avaient été régulièrement transmises.

MOTIFS :

L'action engagée par la Société ELIC tend à faire constater que l'ensemble des biens appartenant à la Société Agricole du ... sont devenus suite au décès de Madame Z..., leur mère, à effet du 1er novembre 2002, la propriété indivise des intimés, à raison d'un tiers pour chacun, du fait de la non immatriculation de la société conformément aux dispositions de la loi du 15 mai 2001.

La Société ELIC fonde à tort son action sur l'article 1166 du code civil qui permet au créancier de se substituer au débiteur pour exercer tous ses droits et actions.

En effet, elle ne peut se substituer à une débitrice qui n'existe pas, la Société Agricole du ... privée de personnalité morale, et qui en toute hypothèse n'est pas créancière des consorts X....

Il s'agit en réalité d'une action déclaratoire qui a pour but de faire des consorts X... ses débiteurs après les avoir fait déclarer judiciairement propriétaires du patrimoine de l'ancienne Société Agricole du ....

La Société ELIC insiste particulièrement sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une action en paiement, ce qui lui permet d'écarter les dispositions de l'article 7 de la loi du 15 juin 1976 qui dispose que tout paiement ne peut être exigé à l'échéance que sur présentation de la copie exécutoire à ordre alors qu'elle est incapable de produire aux débats les copies exécutoires nominatives qui auraient été créées par l'acte du 18 janvier 1982.

Le Tribunal a dès lors, à juste titre, placé la discussion sur le terrain de la recevabilité de l'action déclaratoire au regard de l'intérêt à agir. Il a ainsi estimé que les pièces produites ne sont pas de nature à permettre à la justice de vérifier si la Société ELIC est valablement créancière des défendeurs.

Certes, l'intérêt à agir de la Société ELIC est constitué par la nécessité de lever tout doute sur une situation patrimoniale déterminante pour elle dans la mesure où cela permettrait de parvenir à des inscriptions hypothécaires garantissant ses créanciers.

Mais ce n'est pas subordonner la validité de l'action future à la démonstration préalable de son bien-fondé que d'exiger comme l'a fait le Tribunal qu'elle établisse que les créances lui ont été régulièrement transmises.

La Cour ne peut cependant suivre le Tribunal en ce qu'il a jugé qu'il n'existait pas au dossier des justificatifs suffisants sur ce point.

En effet force est de constater que le principe de la créance de la Société ELIC résulte clairement de l'acte authentique du 18 janvier 1982 qui rappelle les conventions antérieures et créé de nouvelles obligations, des actes de cession de créances du 27 mai 1991 et du 9 avril 2002 qui pour constituer un procès-verbal de dépôt au rang des minutes n'en rappellent pas moins la convention sous-seing privé du 15 février 1999 ainsi que des arrêts de la Cour du 15 mai 1992 statuant sur la créance de la Société X..., co-emprunteur solidaire.

Sur le montant de la créance, la Cour doit souligner qu'il ne lui est pas demandé par la demanderesse, de statuer sur ce point qui pourra être discuté dans le cadre de la déclaration pour les besoins du salaire du conservateur ou de la procédure éventuelle d'exécution, un compte précis étant d'ailleurs à faire compte tenu des acomptes perçus lors de la liquidation judiciaire de la Société X..., SEZUB.

Enfin sur la prescription qui aurait éteint la créance, la Société ELIC invoque à bon droit l'acte du 18 janvier 1982 ainsi que les procédures ayant abouti devant la Cour aux arrêts du 5 mai 1992 fixant la créance de la Société ELIC à la date du jour de la liquidation de la société en nom collectif X... dite SEZUB qui ne semble pas avoir été étendue malgré les dispositions de l'article L 221-1 du code du commerce.

En effet, les simples déclarations de créance qui constituent des demandes en justice contre la Société SEZUB, débiteur solidaire, ont interrompu la prescription conformément aux dispositions de l'article 1206 du code civil, alors que les arrêts du 5 mai 1992 opposables à la Société Agricole du ... ont substitué pour les deux débiteurs solidaires la prescription de droit commun à la prescription de l'article L 110-4 du code de commerce.

Ce moyen tiré de la prescription ne peut donc être accueilli et pas davantage les calculs des intimés tendant à nier l'existence même de la dette résiduelle.

Il convient dès lors de déclarer recevable l'action de la Société ELIC.

Au fond, l'action déclaratoire de la Société ELIC n'est pas contestée : il résulte de la lettre de la Société LASNIER TORLASCO, notaires, du 18 novembre 2005 et du certificat négatif d'immatriculation que la Société Agricole du ... n'est pas immatriculée au registre du commerce d'AJACCIO malgré l'exigence légale sur ce point.

En application de la loi du 15 mai 2001, la Cour ne peut que constater que cette société est dépourvue de personnalité morale et que dès lors conformément aux dispositions des articles 1871 et suivants du code civil, les associés sont réputés être propriétaires indivis du patrimoine de la société.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande sur ce point.

Enfin les intimés exposent dans leurs conclusions très subsidiairement et ce après avoir soutenu qu'ils ne devaient rien, qu'ils sont fondés à exercer le retrait litigieux prévu à l'article 1699 du code civil.

Ce moyen est recevable devant la Cour car même s'il ne s'agit pas d'un moyen de défense opposé à une action en paiement, son succès serait de nature à faire écarter les prétentions adverses conformément aux dispositions de l'article 564 du nouveau code de procédure civile dans la mesure où l'action engagée serait privée de tout intérêt.

Il convient de rappeler que l'article 1699 du code civil dispose que celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s'en faire tenir quitte par le cessionnaire en lui remboursant le prix de la cession... alors que l'article 1700 du code civil précise que la chose est censée litigieuse dès qu'il y a procès et contestation sur le fond du droit.

Ainsi la contestation doit exister au jour de la cession pour que la créance puisse être considérée comme litigieuse et l'assignation doit être antérieure à la cession.

Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque les cessions sont bien antérieures à la présente instance dont la finalité n'est pas d'obtenir la condamnation au paiement des défendeurs mais uniquement la possibilité d'inscrire une hypothèque sur leurs biens.

A cet égard le fait que la Société ELIC ait indiqué dans l'acte de cession qu'il faisait son affaire personnelle de l'absence de grosses au porteur, ne fait pas des droits cédés des droits litigieux à la date de la cession.

La demande des intimés doit ainsi être rejetée.

Il n'est pas inéquitable dans ce type d'affaire de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés non compris dans les dépens.

Monsieur Jean-Claude X..., Madame Monique X... et Mademoiselle Claire X... qui succombent, supporteront les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Infirme dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance d'AJACCIO du 12 mars 2007,

Statuant à nouveau,

Déclare recevable l'action de la Société ETUDES DE LOCAUX INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX-ELIC-,

Fait droit à cette demande et dit en conséquence que l'ensemble des biens et droits immobiliers appartenant à la Société Civile Société Agricole du ... tels qu'ils figurent au fichier immobilier, sont devenus, suite au décès de Madame Charlotte Z... leur mère, à effet du 1er novembre 2002 la propriété indivise à raison d'un tiers pour chacun de :

1-Monsieur Jean-Claude X..., époux en secondes noces de Madame Françoise F..., né le 22 août 1938 à ALGER (Algérie),

2-Madame Monique Marcelle X..., divorcée H..., née le 27 octobre 1939 à RABAT (Maroc),

3-Mademoiselle Claire X..., née le 3 octobre 1948 à RABAT (Maroc),

Ordonne la publication de l'arrêt au fichier immobilier du chef de l'ensemble des droits et parcelles inscrites au nom de la Société Agricole du ..., pour chacun des droits et biens immobiliers appartenant à la société concernée,

Déboute Monsieur Jean-Claude X... de l'ensemble de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne Monsieur Jean-Claude X..., Madame Monique X... et Mademoiselle Claire X... aux dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit des avoués de la cause.