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Décisions

Cass. com., 29 juin 2022, n° 21-10.715

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vaissette

Rapporteur :

M. Riffaud

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SARL Le Prado - Gilbert

Caen, du 19 nov. 2020

19 novembre 2020

Déchéance du pourvoi principal examinée d'office

1. Conformément aux dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties.

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

2. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance du pourvoi, le demandeur à la cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

3. La Caisse régionale de crédit mutuel de Normandie s'est pourvue en cassation contre l'arrêt le 19 janvier 2021. Elle n'a pas déposé de mémoire ampliatif.

4. Il y a lieu, dès lors, de constater la déchéance du pourvoi de la Caisse régionale de crédit mutuel de Normandie.

Faits et procédure

5. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 19 novembre 2020), par un acte du 4 janvier 2012, la Caisse de crédit mutuel de Falaise (la banque) a consenti à la société Brem un prêt d'un montant de 190 800 euros pour financer l'acquisition de 800 parts de la SCI CP21, propriétaire des locaux dans lesquels la société Transformation par commande numérique (la société TCN) exerçait son activité.

6. M. [Y], dirigeant des sociétés Brem et TCN, s'est rendu caution solidaire de cet emprunt garanti, outre ce cautionnement, par le nantissement au profit de la banque des parts sociales de la société Brem.
7. Par un jugement du 15 juillet 2015, la société Brem a été mise en redressement judiciaire, Mme [X] étant désignée en qualité de mandataire judiciaire.

8. La banque ayant déclaré sa créance le 22 septembre 2015, la société Brem l'a contestée et lui a opposé un manquement à son obligation de mise en garde.

9. Par un jugement du 16 décembre 2015, la procédure collective de la société Brem a été convertie en liquidation judiciaire, Mme [X] étant désignée en qualité de liquidateur.

10. Par une ordonnance du 23 mai 2016, infirmée par un arrêt du 21 juin 2018, qui a dit qu'il appartenait à la société Brem de saisir le juge compétent, le juge-commissaire a sursis à statuer sur la fixation de la créance de la banque. Un tribunal de commerce, saisi par la société Brem de ses contestations, a, par un jugement du 5 septembre 2018, dit que le cautionnement et le nantissement étaient excessifs et disproportionnés par rapport au montant emprunté, les a annulés et a fixé la créance de la banque à 152 332,60 euros.

11. La banque ayant interjeté appel du jugement, M. [Y] est intervenu volontairement à la procédure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

12. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, ci après annexé

13. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais, sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

14. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a manqué à son devoir de mise en garde et de la condamner à verser à la société Brem des dommages-intérêts venant se compenser avec sa créance, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que dans son examen des revenus dont disposait la société Brem lors de la souscription du prêt du 4 janvier 2012, la cour d'appel pour refuser d'y inclure, comme le lui demandait le Crédit mutuel, les dividendes que cette société avait perçus de la société TCN, retient que "la Caisse indique cependant dans ses écritures que les revenus de Brem ne sont pas constitués par les remontées de dividendes de TCN en visant, pour en justifier la page 6 de la comptabilité intermédiaire de Brem, (de sorte) qu'il n'y a donc pas lieu d'additionner ces dividendes qui ne sont pas versés par la société TCN" ; qu'en statuant ainsi quand dans ses conclusions, la banque, après avoir indiqué que cette absence de perception de dividendes se rapportait à l'année 2010, faisait valoir qu'à partir de juillet 2011 la débitrice avait perçu 32 500 euros de dividendes de la société TCN, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs de ces conclusions, a violé la règle susvisée et l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

15. Pour dire que « le soutien fautif » de la banque est caractérisé et la condamner à payer à la société Brem des dommages-intérêts en réparation d'un manquement à son obligation de mise en garde, l'arrêt retient que la banque ajoute aux revenus dégagés par la société Brem la perception de dividendes provenant de la société TCN et de la SCI CP21 afin d'apprécier ses capacités de remboursement, cependant qu'elle indique dans ses propres écritures que « les revenus de Brem ne sont pas constitués par des remontées de dividendes » de la société TCN.

16. En statuant ainsi, alors que la banque faisait valoir dans ses conclusions qu'à la différence de l'année 2010, la société Brem avait reçu en 2011 30 000 euros de prestations et 32 500 euros de remontées de dividendes de la société TCN, la cour d'appel, qui a dénaturé ces conclusions par omission, a violé le principe susvisé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

17. La banque fait grief à l'arrêt d'annuler le nantissement des parts sociales de la société Brem et le cautionnement consenti par son dirigeant, alors « que lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf le cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties et à la condition que les concours soient eux-mêmes fautifs ; que pour confirmer le jugement ayant annulé le nantissement des parts sociales de la société Brem ainsi que le cautionnement souscrit par son dirigeant, l'arrêt se borne à énoncer, par motifs propres et adoptés, que les garanties convenues au titre du prêt, [ ?] d'un montant total de 409 760 euros présentent un caractère disproportionné au regard du montant du prêt consenti dont le coût global s'élevait à 267 974 euros ; qu'en statuant ainsi, sans constater, ce qui n'était d'ailleurs pas allégué, que le Crédit mutuel avait consenti à la société Brem un crédit fautif, soit parce que la situation était déjà irrémédiablement compromise au moment de son octroi, soit parce que le crédit était ruineux, la cour d'appel a violé l'article L. 650-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 650-1 du code de commerce :

18. Aux termes de ce texte, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis qu'en cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises en contrepartie de ces concours et si les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs.

19. Pour confirmer le jugement qui annulait le cautionnement consenti par M. [Y] et le nantissement des parts sociales de la société Brem, l'arrêt, après avoir exactement rappelé les dispositions précitées et le fait que leur application suppose aussi que le crédit soit en lui-même fautif, se borne à analyser la valeur des garanties ainsi consenties pour en tirer la conséquence qu'elles sont disproportionnées au regard du montant du prêt consenti.

20. En se déterminant ainsi, alors qu'il lui incombait de rechercher et de qualifier la faute commise par la banque à l'occasion de l'octroi du financement consenti à la société avant de confirmer le jugement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le moyen relevé d'office

21. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 :

22. Il résulte de ce texte que, sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation.

23. Pour confirmer le jugement et fixer la créance de la banque, l'arrêt donne acte au liquidateur de ce qu'il s'en rapporte à justice sur la fixation de la créance de la banque au passif de la procédure collective de la société Brem.

24. En statuant ainsi, alors que ses pouvoirs se limitaient à trancher les contestations soulevées par la société Brem et sur lesquelles le juge-commissaire s'était déclaré incompétent, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable l'action dirigée contre la Caisse régionale de crédit mutuel de Normandie, déclare recevable l'intervention volontaire de M. [Y] et dit que la société Brem et M. [Y] sont emprunteur et caution profanes, l'arrêt rendu le 19 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.